Egale

Cela faisait maintenant plusieurs mois, presque une année entière qu’elles vivaient ensemble et qu’elles étaient heureuses ainsi.
Elles avaient leur quotidien et leur routine.
Marianne aurait pu avoir des doutes sur les sentiments d’Annabelle, mais Annabelle était sincère et honnête. Elle avait ce trait de caractère qui faisait qu’elle ne pouvait pas mentir ni se forcer à faire quelque chose dont elle n’avait pas envie.
Marianne avait fini par le remarquer.

Annabelle avait maintenant pris ses aises, elle avait appris auprès de Marianne, à prendre des initiatives pour le bien de Marianne, et même à apprendre des choses pour améliorer le quotidien de Marianne et la rendre heureuse. C’étaient des petites choses de la vie quotidienne, comme apprendre à faire correctement la cuisine, bien programmer la machine à laver, passer l’aspirateur dans tous les recoins.
Elle voulait et appréciait que Marianne soit fière d’elle, de lui apporter quelque chose, parce qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse depuis qu’elle vivait chez elle.

Marianne ne lui avait rien demandé, juste sa présence lui mettait du baume au coeur.
Elle avait une raison de rentrer chez elle, elle avait hâte de rentrer après sa journée de travail, et elle adorait prendre soin d’Annabelle.
Lui faire découvrir des choses qu’elle n’avait jamais pu avoir accès, pour lui montrer le confort de sa vie et partager cela avec elle.
Elle avait quelqu’un avec qui elle se sentait libre, légère, sans crainte de ne pas bien paraître.
Elle arrivait à se sentir assez à l’aise pour juste être elle-même, sans peur qu’Annabelle ne lui tombe dessus ou que cela ait des répercutions professionnelles.
Elle était dans sa bulle de confort.
L’endroit clos de son appartement formait une zone où elle pouvait se sentir en sécurité.

Marianne considérait Annabelle comme une personne à part entière, elle avait presque oublié l’existence de ce fichu contrat qui stipulait qu’Annabelle était sous ses ordres, sous sa responsabilité.
Elle se doutait qu’Annabelle avait des sentiments et de l’attachement et de l’affection véritable à son égard, que ce n’était pas dû à une obligation du contrat.

Annabelle avait gagné en assurance et osait plus s’affirmer pour exprimer ses opinions. Elle savait comment Marianne fonctionnait maintenant et elles étaient assez proches pour se taquiner et Annabelle devait parfois reprendre Marianne en la rappelant à l’ordre sur son comportement.
Marianne faisait exprès de mal se comporter pour se faire réprimander. C’était un petit jeu qu’elles aimaient faire. Elle avait cette attitude enfantine qu’elle exagérait parce qu’elle avait rarement l’occasion de pouvoir se laisser aller, et Annabelle jouait son rôle de maman de manière très appliquée.
C’était amusant qu’elles changent de dynamique de temps en temps. Annabelle était celle qui se faisait chouchouter de manière générale, par Marianne.

Une fois par semaine, Annabelle était invitée à accompagner Marianne à son travail, et elle essayait de l’assister dans ses tâches.
Marianne ne pensait pas que cela l’intéresserait, mais un jour, Annabelle remarqua une erreur dans un de ses tableaux et Marianne se rendit compte qu’Annabelle était douée pour ça.
Sans lui mettre la pression ni lui ordonner, elle lui demanda si elle pouvait l’aider sur un petit dossier, et elle s’en sortit avec beaucoup de facilité.

— Mais… tu as déjà fait ça auparavant ?
Demanda Marianne, plus que surprise.

— Non… mais mon ancien travail y ressemblait… à quelques détails près… pourquoi… ? Est-ce que je me suis trompée quelque part… ?
S’inquiéta Annabelle.

— Mis à part quelques points que tu ne pouvais pas deviner… c’est du bon travail… si cela te plaît… tu pourrais m’aider en mâchant une partie de mes dossiers.
S’exprima Marianne, en relisant les feuilles qu’Annabelle venait de lui rendre.

Depuis, Annabelle soulageait Marianne d’une partie de ses affaires une fois par semaine.

*

Comme dans chaque relation, il y a parfois des hauts et des bas.
Marianne avait demandé à Annabelle de l’accompagner à un gala et Annabelle avait refusé, contre toute attente.
Elles n’avaient pas réussi à se mettre d’accord et le ton était rapidement monté.
Marianne ne comprenait pas pourquoi Annabelle refusait sa proposition.

— Je ne peux pas, c’est comme ça… je ne suis pas digne de t’accompagner.
— Comment ça ? Bien sûr que tu l’es ! Tu es… ma partenaire !
— C’est comme ça que tu vas me présenter ? Ne me fais pas rire, Marianne… je ne suis pas ton égale…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je t’ai toujours considérée comme mon égale, une personne à part entière. Bien sûr que je t’y présenterai comme ma compagne !
— Je suis… ton humain de compagnie.
— Officiellement ? Je me fiche de ces papiers qui attestent de ton statut officiel.
— Moi, pas.
— Ce qui compte c’est ce que tu représentes pour moi, Annabelle. Tu es plus que juste un humain de compagnie. Je pensais que tu le savais…
— On ne vient pas du même monde, Marianne… je vais avoir l’air de quoi à tes côtes, à cette soirée beaucoup trop bien pour moi ? Dis-moi ? Je ne veux pas te faire honte… je n’y connais rien à tout ça…
— Tu ne me fais jamais honte, Annabelle. Je serai avec toi, je t’expliquerai s’il faut, et tu seras très bien…
— Je t’appartiens, Marianne…
— Notre relation est plus que ça, Annabelle. Tu n’es pas juste ma chose. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu comprennes ? Est-ce qu’il faut que je détruise les documents d’adoption ? Est-ce que tu fais semblant de m’apprécier… ?
— Non… !
— Tu sais que je serai prête à te demander en mariage, pour que cela soit clair entre nous. J’ai entièrement confiance en toi et s’il faut cela pour que tu imprimes que tu es aussi importante à mes yeux, je le ferais.

Annabelle resta sans voix.
Elle ne s’attendait pas à cette proposition dans cette circonstance. Elle était juste mal à l’aise de s’imaginer, elle, aux côtés de Marianne qui était si importante, à un gala. Et cela la rendait folle que Marianne ne voit pas le problème, qu’elle soit obligée de la mettre dos au mur pour qu’elle comprenne ce complexe d’infériorité qu’elle avait.
Elle avait si peur qu’on sache qu’elle soit un humain de compagnie. En réalité, elle avait honte de son statut.
Elle n’était rien aux yeux de la société. Elle était comme un vulgaire animal. Un animal de luxe mais un humain sans importance. Elle avait tellement peur que cela entache l’image de Marianne, qu’elle ne voulait pas prendre ce risque.
La présenter comme sa partenaire, elle ne savait pas si c’était pire. Elle affichait aux yeux de tous qu’elle était en couple avec une femme. Est-ce que c’était ce qu’elle voulait vraiment ?
Mais Marianne était en train de songer à la demander en mariage ? Non, impossible.
Elle ne pouvait pas accepter. Elle avait l’impression de lui forcer la main. C’était trop, elle ne voulait pas exprimer son refus parce qu’elle ne voulait pas blesser Marianne, mais tout son corps criait « non ».
Son coeur disait autre chose. Elle aimait Marianne mais elle n’arrivait pas à accepter. Elle ne méritait pas d’être propulsée sur les devants de la scène.

— Annabelle. Je veux montrer au monde à quel point tu comptes à mes yeux. C’est pour ça que je souhaiterais que tu m’accompagnes.

Marianne avait attrapé Annabelle par le bras et l’avait forcée à la regarder dans les yeux pour sonder ses pensées.

— Ce n’est pas du jeu… je peux pas refuser si tu dis des choses comme ça.
— On va te trouver une superbe tenue, tu seras magnifique et tout le monde ne verra que toi.
— Si on pouvait éviter… je préfèrerais être discrète…
— Comme tu voudras, dans tous les cas, tu ne le regretteras pas, on va s’amuser comme des folles !

*

— Sinon, pour le mariage, je ne plaisantais pas.
Dit Marianne, alors qu’elles étaient toutes les deux dans le lit, la lumière éteinte.

— On va déjà aller au gala ensemble…
— Tu n’as pas dit non.
— Je n’ai pas dit oui, non plus… Bonne nuit Marianne…

2022.02.08

Velours

Marianne aimait faire du shopping ou juste du lèche-vitrine.
Annabelle avait fini par s’y habituer, elle l’accompagnait et elles essayaient parfois des tenues pour le plaisir de Marianne.
Elle aimait flâner, se balader dans les galeries marchandes, tenir la main d’Annabelle dans la sienne et profiter de l’instant présent.
Elle était frustrée qu’Annabelle ne désire jamais rien. Elle n’arrivait pas à trouver ce qui lui ferait plaisir.
Elle ne s’exprimait pas sur ses envies, et elle regardait rarement ce qu’il y avait dans les vitrines.

Ce jour-là, Annabelle s’arrêta un court instant devant une bijouterie. Son regard avait été captivé par une montre. Pas n’importe laquelle, mais une automatique avec le mécanisme apparent. Elle avait été intriguée. Ce fut que l’histoire d’une petite minute, son attention avait été attirée.
Marianne remarqua cet intérêt. Il n’était pas dans les habitudes d’Annabelle de s’arrêter, ni de regarder intensément ce qui se trouvait dans les boutiques.
Elle ne fit pas de remarque parce qu’elle savait qu’Annabelle n’était pas honnête avec elle-même lorsqu’il s’agissait de choses pour elle
Elle nota l’emplacement de la boutique et elles continuèrent leur balade.

*

Marianne revint seule quelques jours plus tard et entra dans la bijouterie.
Elle chercha et se rappela quel objet Annabelle avait pu voir. Elle ne perdit pas beaucoup de temps.
Elle remarqua également la montre. C’était une montre simple mais raffinée et elle comprit pourquoi Annabelle avait eu un coup de coeur dessus.
C’était bientôt les un an de leur rencontre et ce présent serait parfait pour marquer cet anniversaire.
Marianne ne regarda pas le prix. C’était celle là et pas une autre. Elle aurait pu se tromper, elle aurait pu douter, mais elle était certaine de son choix. Au pire des cas, elle pourrait la rendre au magasin.

Elle se réjouissait d’avance de la réaction d’Annabelle.
Elle se doutait qu’elle commencerait par bouder, puis peut-être qu’elle l’insulterait, mais gentiment, mais au fond d’elle, Annabelle serait heureuse. Surprise et contente de ce présent.
Elle n’avait pas de montre et c’était un accessoire dont elle pourrait se servir régulièrement et qui l’accompagnerait au quotidien.

*

Le présent était dans une jolie boîte en velours, pas très imposante.
Marianne voulait que tout soit parfait.
C’était le jour J.
Elle ouvrit la boîte pour observer que tout était en ordre. Elle la referma et la rangea sous son oreiller.
Elle avait réfléchit au meilleur moment pour lui faire la surprise, et elle avait choisi le matin.
Ce jour là était tombé un week-end et elles purent faire une grasse matinée bien méritée.

Annabelle était une grosse dormeuse, Marianne un peu moins. Même si depuis qu’elles étaient ensemble, elle avait beaucoup moins d’insomnies, elle était plus sereine et elle pouvait se dire qu’elle baignait dans une bulle de bonheur.
Trop excitée par sa propre surprise et ayant hâte de voir la réaction d’Annabelle, elle se réveilla et ne réussit plus à se rendormir, alors elle observa sa petite poupée assoupie.
Annabelle dormait à poings fermés et elle semblait faire un doux rêve

Apaisée par le tableau qu’elle avait sous ses yeux, elle était sur le point de se rendormir lorsqu’Annabelle sembla se réveiller, elle ouvrit les yeux et elles se retrouvèrent à se regarder mutuellement.

— Bonjour…
Murmura Annabelle, surprise de voir le visage de Marianne aussi près du sien, et en train de l’observer.

Marianne, qui n’osait pas trop déranger le sommeil d’Annabelle, pu enfin se déplacer pour se coller à elle, l’enlacer tendrement pour lui souhaiter un bonjour.
Annabelle était si douce entre ses bras, et elle sentait si bon. C’était un sentiment très agréable et chaleureux.
Annabelle se blottit entre ses bras et se lova comme un chaton contre sa mère.
C’était le meilleur réveil qu’elle puisse imaginer.
Elles profitaient ainsi du weekend, de passer du temps ensemble sans se presser.

— Tu sais quel jour on est… ?
Demanda Marianne, avec un large sourire.

— Samedi… ?
Répondit Annabelle, qui se demandait si elle avait oublié quelque chose.

— Oui… et… cela fait un an que tu es à mes côtés…

— Un an… déjà… ?
S’étonna Annabelle.

Elle n’avait pas noté cette date qui avait chamboule sa vie.
Marianne tendit sa main pour récupérer le cadeau sur lequel elle était allongée.
Annabelle se figea.
C’était une boîte, mais pas n’importe quelle boîte.
Elle était en velours et elle savait d’expérience que ces boîtes contenaient des bijoux.
Elle eut le coeur qui s’arrêta un instant.
Est-ce que Marianne allait la demander en mariage… ? Elle se souvenait qu’elle lui avait déjà parlé de ce sujet rapidement, presque comme une blague, et elle ne l’avait pas prise au sérieux.
Elle n’arrivait pas à croire que Marianne voulait officialiser leur relation.

Marianne vit sa réaction et souriait plus que nécessaire.
Elle voulait la surprendre et c’était réussi, elle avait tout de même une petite appréhension sur son avis. Allait-elle apprécier ? Beaucoup ? Un peu ? Pas du tout ?
Elle lui donna la boîte et la laissa l’ouvrir.

Annabelle bloquait.
Elle voyait le sourire de Marianne, l’excitation qui s’en dégageait. Mais elle appréhendait.
Comment devait-elle réagir si c’était une bague… ? Elle n’était pas prête, elle ne se sentait pas digne.
Elle ne pouvait pas faire languir Marianne plus longtemps, elle inspira un grand coup, et elle ouvrit délicatement cette boîte à la texture douce.
Elle fut plus que surprise.
Elle resta fixe, à regarder sans croire ce qu’elle voyait à l’intérieur.
Elle se souvenait de cette montre. Elle l’avait vue juste un instant. Comment et pourquoi. Comment Marianne avait su ? Pourquoi avait-elle fait ça ? C’était trop beau, c’était trop.
Elle ne pouvait détourner son regard de l’objet. Il était encore plus beau entre ses mains, sans la vitrine qui les séparait.
Elle hésita. Elle douta. Etait-ce vraiment pour elle ? Marianne avait peut-être acheté cette montre pour elle, et elle lui montrait juste. Ca ne pouvait qu’être que ça. C’était juste une coïncidence que ce soit la même que celle qu’elle avait vu il y a quelques semaines dans les magasins.

— C’est… magnifique.
Dit-elle, en la refermant et la rendant à Marianne

Et là, ce fut l’incompréhension.

— Tu… tu ne l’aimes pas… ?
— Si… mais… c’est pour toi, n’est-ce pas ?
— Non, Annabelle. C’est pour toi…

Marianne ouvrit la boîte à nouveau pour en sortir la montre et la mettre au poignet d’Annabelle.

— Mais… Marianne…
— Est-ce qu’elle te plaît… ?
— C’est… c’est trop beau pour moi. Je peux pas accepter-
— Si. Si elle te plaît, c’est parfait. Sinon on peut retourner en boutique pour que tu choisisses le modèle qu’il te plait.
— Non non… elle est parfaite…

Annabelle était émue.
Le toucher froid du métal de la montre contre sa peau lui fit un frisson, puis elle n’arrivait pas à quitter du regard ce présent.

— Mais… je n’ai rien prévu pour toi, Marianne-
Réalisa t-elle, avec horreur.

Marianne l’embrassa tendrement sur le front.

— Le plus beau des cadeaux, c’est que tu sois à mes côtés… et que tu acceptes mon présent.

Annabelle se blottit à nouveau dans ses bras.
Elle était gâtée.

2022.02.06

Invitation

Marianne avait proposé à Annabelle de l’accompagner à cette soirée professionnelle.

Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas y aller, c’était qu’elle s’y ennuyait un peu, seule. C’était beaucoup pour faire bonne figure devant les autres chefs d’entreprises de la région, devant le conseil régional, montrer qu’elle existait et que son affaire marchait.
Elle savait qu’elle devait y aller mais l’idée ne l’enchantait guère.

Elle jouait avec l’enveloppe d’invitation qu’elle avait reçue. Une très belle enveloppe, le papier était agréable entre ses doigts. Depuis le temps qu’elle le tournait et le retournait dans ses mains, elle en avait presque mémorisé chaque millimètre de détails.
Elle se disait que la région avait du budget et choisissait bien sa papeterie pour ce genre d’événement.

Comment allait-elle s’habiller cette fois ?
Elle avait l’habitude de louer ses robes, elle avait sa boutique favorite pour cela, puis il fallait qu’elle prenne rendez-vous chez le coiffeur.
Elle soupira.

Annabelle frappa et rentra dans le bureau pour lui apporter de quoi boire et grignoter.
Marianne avait son petit goûter : un thé vert bien chaud avec des petits biscuits sucrés. Aujourd’hui c’étaient des spéculos. Le côté sucré était atténué par l’amertume légère du thé vert.
Elle remercia sa secrétaire adorée et une idée lui traversa l’esprit.

Annabelle était toujours habillée dans les mêmes vêtements simples. Une chemise blanche cintrée par une jupe longue sombre, des petits escarpins. Une coiffure sage et sobre.
Marianne était curieuse de la voir dans d’autres vêtements, et elle laissait libre court à son imagination quant à imaginer cette poupée sans expression dans des tenues beaucoup plus extravagantes.
Puis elle trouva le prétexte parfait : lui demander de l’accompagner.
Annabelle ne s’y serait pas opposée, elle le savait, elle était très malléable sur ce point.
Lorsque Marianne lui exposa la situation, elle n’eut pas d’autre choix que de se plier à ses exigences.

Annabelle ajouta le rendez-vous à la boutique ainsi que le coiffeur dans le calendrier.
Elle avait été prise au dépourvu.
Marianne la regardait, la fixait, puis souriait un peu bêtement, sans un mot puis lui posa cette question.
Ce n’est pas comme si elle pouvait refuser, cela avait été formulé comme une proposition mais elle n’avait aucune raison valable de la décliner.
Elle ne se doutait pas dans quelle aventure elle s’était engouffrée en acceptant cette requête.

Elle accompagna Marianne à la boutique pour louer leur tenue.
Annabelle ne savait pas quoi choisir, elle se mit en retrait et suivit Marianne qui était en train de regarder les différentes tenues en rayon. Elle finit par arrêter son choix sur une longue robe sombre au décolté plongeant et fendue jusqu’au dessus de sa cuisse.
Elle la posa avec son cintre sur un fauteuil au milieu de la pièce et se tourna vers Annabelle.
La main sous son menton, elle scrutait sa secrétaire de haut en bas, songeuse. Elle repassa en revue les autres robes.

— Tu as une préférence… ?
Demanda t-elle, au moins.

— N-non… ?
Répondit Annabelle, ne sachant pas quoi répondre d’autre.

Elle n’avait pas l’habitude de faire du shopping ni du lèche-vitrine.
Marianne sortit deux robes qu’elle compara devant le corps d’Annabelle, puis s’arrêta sur une robe courte et sombre. Elle hésita. Cette robe était trop révélatrice.
Elle choisit l’autre, une robe claire, en drapé et dans un tissu légèrement satiné, plus longue.
Elle appela la tenancière pour les aider et les emmener dans la partie cabine d’essayage.
Marianne fut la première à porter la robe. Il y avait que quelques ajustements à faire mais elle avait l’habitude et la personne la connaissait depuis le temps.

Ce fut un peu plus long pour Annabelle qui ne connaissait pas ses mensurations, les mesures furent prises puis il fallut trouver la robe dans la taille adéquate.
Elle ajusta les quelques détails avec des pinces de manière provisoire et montra le résultat.
Elle était sur une sorte de piédestal et des miroirs en quart de cercle devant elle.
Marianne n’était pas loin et elle était sans voix.
La robe embellissait Annabelle.
Avec sa peau claire, la couleur de la robe accentuait cette pâleur. Elle avait une poitrine généreuse et une taille de guêpe mise en valeur par la coupe de l’habit.
Le tout retombant en drapé ondulant jusqu’à ses pieds.

— Est-ce que vous avez déjà choisi vos chaussures ? Je vous recommande des petits talons pour aller avec celle-là. Juste assez pour ne pas marcher sur le tissu de la robe
— Nous y allons juste après. Merci pour la remarque.

Marianne profitait encore de la vue.
Annabelle ressemblait à une petite princesse.
Elle serait sa princesse pour le temps d’une soirée, rien qu’une soirée, et cela la mettait en joie de pouvoir être en si belle compagnie.

— Est-ce que cela vous convient ?

Annabelle restait muette, elle ne savait pas quoi penser. Elle ne se reconnaissait pas. La robe était beaucoup trop belle par rapport à ce qu’elle était.
Etait-ce bien elle ? Est-ce que cela convenait à Marianne ?
Marianne sortit finalement de sa rêverie et confirma son choix.

Annabelle ne chaussait malheureusement pas la même pointure que Marianne et il fallut lui trouver chaussure à son pied.
Marianne était patiente et essayait de sonder les goûts de son employée, sans aucun succès. Finalement elle choisit une paire sobre qu’elle pourrait reporter à d’autres occasions. Elle semblaient confortables pour des petits talons.

Le jour J, elles avaient rendez-vous au salon de coiffure en fin d’après-midi. Dès le travail fini, elles s’y rendirent et c’est là que le coiffeur remarqua la coupe étrange d’Annabelle avec des mèches totalement inégales. Elle avoua qu’elle avait fait ça elle-même.
Elle ne réussit pas à dire la vérité sur l’histoire du chewing-gum, elle en avait honte et cela n’apporterait rien de positif.
Marianne avait les cheveux noirs brillants, étant métissée asiatique, elle avait hérité de la couleur sombre et raides.
Ses cheveux étaient longs, elle avait demande un soin pour toutes les deux et elle avait l’habitude de les coiffer en queue de cheval haute.
Le coiffeur lui plaqua les cheveux avec un peu de cire, pour qu’aucune mèche rebelle ne dépasse. Quelques barrettes pour maintenir les plus longues et les indomptables.
Quant à Annabelle, on lui fit un soin, un brushing et elle eut les cheveux plus beaux que jamais. Ses bouclettes blondes avec ses cheveux fins étaient plus doux que d’habitude et ne paraissaient pas secs.
Pour aller avec le côté sérieux de Marianne, quelques mèches sur le devant furent réunis à l’arrière de la tête par les mêmes barrettes, ajoutant un peu plus de détails à la coupe simple.
Ses cheveux furent égalisés en un joli carré.

Elles retournèrent chez elles et les robes étaient déjà livrées au bureau.
Elles furent apportées dans la chambre.
Dans les boîtes, un petit message avait été rédigé à la main par la patronne :
« Amusez-vous bien. »
Marianne esquissa un sourire.
Les retouches avaient été effectuées et les robes étaient pile poil à la bonne taille.
Annabelle se changea dans sa chambre et descendit les marches avec ses talons, avec précaution.
Marianne l’attendait au pied des marches et la contemplait religieusement.
Il manquait quelque chose, elle l’invita à venir dans sa chambre et fouilla dans ses différents bijoux pour en sortir quelques uns et les essayer sur Annabelle.
Elle s’arrêta sur un collier discret et des petites boucles tombantes.

Elle se rendit compte qu’Annabelle n’avait pas les oreilles percées. Elle resta sur le collier.
Marianne portait une parure imposante au niveau du cou et des petites perles noires aux oreilles.
Elle ne savait pas si elle pouvait dire qu’elle trouvait Annabelle magnifique.
Elle le pensait très fort mais préféra exprimer tout simplement que la tenue lui allait à ravir.
C’était le conte de Cendrillon.
Quelques autres employés virent Annabelle habillée ainsi et partir avec Marianne.

Marianne conduisit et laissa son véhicule au voiturier à l’entrée du bâtiment de la soirée.
C’était le hall d’un hôtel réputé et plusieurs salles de réception avaient été réservées.
Annabelle était intimidée.

*

Elle était gênée, Marianne avait été plus que généreuse en lui prêtant un collier, en la chouchoutant et l’habillant comme une poupée.
Elle avait une crainte : qu’elle ne convienne pas en tant qu’accompagnatrice pour Marianne.

*

En descendant les marches de sa chambre pour rejoindre Marianne, elle avait enfilé les petits talons qu’elles avaient choisis ensemble, et elle avait maintenu la rampe avec force en posant son pied, chacun son tour, en descendant les escaliers. Elle n’avait pas l’habitude de marcher avec des talons, et elle le découvrait maintenant. Il était trop tard pour enfiler d’autres chaussures, surtout qu’elle n’en avait pas de convenables : des escarpins et des baskets.
Avec angoisse, elle réussit à atteindre l’étage de Marianne sans tomber, et elle la regardait sans un mot.

Est-ce qu’elle était suffisamment présentable ? Pourquoi ne disait-elle rien ?
Est-ce qu’elle voyait avec quel mal et difficultés elle marchait avec ses chaussures ? Allait-elle se moquer d’elle ? Toutes ses questions se bousculèrent dans sa tête.
Elle était sur point de se dire que finalement, il valait mieux qu’elle n’y aille pas, rien n’allait.
Puis Marianne estompa toutes ses craintes.

— Ca te va à ravir. Oh ! Je sais, il manque un petit quelque chose pour que tu sois parfaite !

Elle partit en direction de sa chambre et invita Annabelle à venir la rejoindre.
Marianne ferma la porte derrière elles et elle fouilla dans sa boîte à bijoux qu’elle avait sortit pour l’occasion. Elle en sortit une parure discrète avec des boucles tombantes fines et un collier à chaînes fines.

— Ca ira parfaitement avec ta tenue !
S’exclama Marianne, sûre d’elle, un large sourire sur les lèvres.

Puis elle remarqua qu’Annabelle n’avait pas de trous aux oreilles.

— Ah… j’avais pas pensé à ce petit détail.
— Je, je suis désolée… !
— Mais non, ce n’est rien. On mettra le collier déjà, et ça sera très bien, laisse-moi t’aider.

Marianne passa derrière Annabelle pour lui attacher et elles se déplacèrent en face d’un miroir où elles purent se contempler.

— Qu’en penses-tu… ?
— C’est si joli…

Marianne avait envie de rétorquer « c’est toi qui est si jolie » mais elle se retint très fort et acquiesça d’un air satisfait.

— En route, alors !
Finit-elle par dire, pour passer à autre chose et éviter de dire quelque chose qui serait malaisant.

*

Elles discutèrent un peu dans la voiture.
Marianne expliqua dans les grandes lignes comment cela allait se passer et les choses qu’elle devra faire pour le travail.

2022.01.06

Sucre

Comment lui avouer.
Marianne était prise dans un dilemme, elle avait de l’affection pour Annabelle. Plus qu’une simple sympathie envers son assistante, elle se rendait compte qu’elle était peut-être amoureuse.
Elle qui ne s’était jamais arrêtée dans sa carrière pour ce genre de relation qui ne l’avait jamais intéressée.
Elle se retrouvait à quarante ans et découvrant ce que cela faisait de ressentir de l’amour pour quelqu’un.
Elle pensait tout le temps à Annabelle.
Elle ne s’en était pas rendue compte tout de suite, elles travaillaient ensemble et elle trouvait cela normal de penser à elle de temps en temps, vu qu’elles passaient la grande partie de leur journée ensemble.

Duncan lui avait ouvert les yeux.
Cet ami de longue date qui était aussi occupé qu’elle, voire plus, et qui ne s’était pas encore marié à son âge, non plus. Ils étaient amis et il n’y avait rien entre eux.
Il avait remarqué comment Marianne regardait Annabelle, comment elle en parlait. Il avait compris.
Puis, il avait dîné avec Annabelle et Marianne ne s’en était pas remise. Elle lui en avait voulu et en même temps, elle n’arrivait pas à trouver le courage de l’inviter elle-même, elle s’en voulait de ne pas réussir à faire une chose aussi simple.

Il y avait eu cette histoire de brimades qu’Annabelle avait subi.
Elle avait fait une crise de panique et les autres employés s’étaient inquiétés pour sa santé.
Annabelle n’y avait pas cru. Tous ces collègues qui étaient venus la voir pour prendre de ses nouvelles alors qu’elle avait été ignorée lorsqu’elle avait besoin d’eux, elle ne pouvait pas croire à leur sincérité.
Finalement, elle était restée solitaire, donnant son meilleur pour Marianne et rien d’autre.
Son traumatisme de la douche était resté, elle avait remercié son seul allié et collègue qui l’avait aidée.

Marianne se sentait coupable et elle avait mis à disposition sa salle de bain pour Annabelle.
Comment faire pour la protéger sans l’emprisonner dans cette relation hiérarchique.
Annabelle était inexpressive et sérieuse, rien ne laissait croire qu’elle appréciait Marianne au point de l’envisager comme petite amie, mais rien non plus ne laissait imaginer qu’elle pourrait la détester pour son penchant. Marianne ne savait pas sur quel pied danser et quel choix faire.
Elle savait que c’était une mauvaise idée de se déclarer, si jamais Annabelle la rejetait, il pèserait un malaise sur leur lieu de travail.
Si jamais elle acceptait, rien ne prédirait que leur relation dure, et si elles venaient à se séparer, leur relation professionnelle en pâtirait.
Et elle ne se voyait pas licencier Annabelle juste pour pouvoir la courtiser. C’était égoïste, cela mettait Annabelle dans une situation précaire, et cela la privait d’une employée compétente.
Elles avaient toutes les deux à y perdre.

Elle avait songé à devenir la sugar mommy d’Annabelle mais c’était sans demander son avis ni si elle en avait envie. C’était une idée stupide.
Elle était coincée.
Elle jouait alors avec Annabelle lorsqu’elles étaient toutes seule, dans son bureau.
Sous entendant certaines choses pour la tester, pour savoir si elle était indifférente à ses avances.
Mais Annabelle restait sans aucune expression, elle ne réagissait pas et avait fini par interpréter les actions de Marianne comme des blagues. Pour jouer. Pour embêter Annabelle gentiment et travailler moins.
Elle était intransigeante.

*

Une enveloppe sur le bureau.
Marianne savait ce qu’elle contenait. C’était une invitation à une soirée. Elle n’était pas spécialement enthousiaste mais elle devait y aller pour le côté social.
Elle traînait des pieds pour répondre à cette invitation, et Annabelle le remarqua.
Marianne eut une idée, elle proposa à Annabelle de l’y accompagner. Elle n’avait pas tellement le choix.
Un large sourire apparut sur le visage de Marianne qui s’emballa pour aller choisir une tenue pour Annabelle.
C’était une soirée avec des gens importants et elles devaient être présentables pour l’endroit.

Ce fut une excuse pour aller faire les boutiques avec Annabelle. Qui n’eut pas son mot à dire.
Marianne lui choisit une tenue et la paya.
Annabelle était plus que gênée, elle avait vu le prix de cette robe et elle ne s’en remettait pas.
Marianne avait insisté en lui disant que c’était pour le travail.
Elle avait emmené Annabelle au coiffeur pour égaliser ses cheveux lorsqu’elle avait coupé ses longues bouclettes. Marianne ignorait l’incident du chewing-gum.

2022.01.02

Expérience

Elles étaient sorties faire du lèche-vitrine.
Cela faisait un moment que Marianne n’avait pas pris le temps de faire quelques emplettes.
Elle avait embarqué Annabelle avec elle, contre son gré, bien entendu.
Annabelle avait horreur du shopping, elle se contentait de peu et elle savait que son salaire ne suffisait pas dans les boutiques où Marianne avait l’habitude de s’habiller ou de se faire plaisir.
Elle continuait de prendre soin des vêtements que Duncan lui avait offerte, c’étaient des biens précieux à ses yeux. De toute façon, elle n’avait pas besoin de tenues supplémentaires pour travailler, elle portait des vêtements sobres et ceux qu’elle avait lui suffisait amplement pour la semaine.

Marianne était de bonne humeur.
Elle avait enfilé des vêtements confortables, un bomber et un pantalon en lin.
Annabelle avait un T-shirt blanc et un jeans taille haute.
Elle ne voulait pas abîmer les vêtements de Duncan qui étaient plus destinés pour le cadre professionnel. Elle avait alors choisi une tenue simple et confortable pour se déplacer, et suivre Marianne.
Marianne avait les cheveux lâchés, pour changer, quelques mèches réunies derrière la tête, elle avait les cheveux longs. En temps normal, elle avait l’habitude de les attacher dans le cadre du travail et paraître plus sérieuse, mais aujourd’hui c’était différent.
Elle voulait profiter de son temps libre avec Annabelle, passer un moment agréable avec elle.
Elle savait qu’Annabelle n’était pas très démonstrative de ses émotions, et elle ne semblait pas apprécier plus que cela de l’accompagner. Elle avait été plutôt claire là dessus, elle avait soupiré lorsqu’elle lui avait annoncé la nouvelle.
Elle lui avait alors supplié et elle avait finit par accepter. Cependant, Annabelle appréciait flâner et Marianne avait remarqué que de temps en temps, elle s’arrêtait observer ce qui se trouvait derrière une vitrine. Son regard se posait quelques minutes au lieu d’ignorer totalement le sujet.
Marianne fut attirée par un détail.
Annabelle avait regardé les montres sans s’arrêter, mais le regard était resté sur l’une d’elles.
Marianne avait continué son chemin mais elle avait remarqué l’hésitation d’Annabelle, qui la rejoignit aussitôt.

*

Elles s’étaient assises dans un café, Annabelle était rarement souriante en public, et Marianne eut un mal fou à la détendre.
Lui tendant la main, serrant la sienne dans sa main.

— Ne fais pas la tête, Anna… c’est juste pour prendre un peu l’air, rien que nous deux.

Annabelle sourit timidement.

*

Elles avaient un certain âge d’écart, presque dix ans mais Marianne était à moitié asiatique, ses traits d’âge ne se voyaient pas trop.
Seuls quelques cheveux blancs trahissaient son réel âge.
Elle n’avait que dix ans de plus qu’Annabelle mais semblait tellement plus mature. Elle avait sa propre entreprise, elle gérait des choses importantes, elle pouvait se considérer comme ayant réussi sa vie.
Pourtant elle se sentait vide, et surtout seule. Consacrant toute sa vie à son travail, elle s’était retrouvée isolée du monde extérieur, elle avait de quoi s’offrir tout ce qu’elle désirait, elle avait changé ses habitudes de consommation. Elle portait des vêtements de marque, de luxe parfois, de bonne qualité, c’était également un besoin pour son image. Elle ne pouvait pas s’habiller n’importe comment aux yeux des gens, dans les soirées.
Après des années à travailler sur la stabilité de son entreprise, elle était fatiguée, elle sentait qu’elle commençait à être lassée et qu’elle devait délester un peu de ses tâches pour respirer.
Elle était trop exigeante pour laisser n’importe qui l’aider. Elle aimait trop avoir tout sous contrôle.
Elle reçut alors cette lettre de motivation et elle rencontra Annabelle.

Annabelle était timide mais déterminée.
Elle voulait ce travail, elle savait qu’elle correspondait aux exigences, elle en avait marre de son ancienne vie, de son ancien travail avec trop de responsabilités.
Elle voulait quelque chose de plus simple et posé, et surtout elle avait entendu parler de cette boîte et les valeurs qu’elle avait lui plaisaient. C’était simple, le respect de l’employé, et puis elle avait toujours eu envie de se rendre utile, de faire ces tâches que les gens trouvaient ingrates.
Elles étaient valorisantes pour elle. Et elle avait confiance en ses compétences pour cela.
Alors qu’elle était sur le point de se faire recaler devant l’accueil, les larmes aux yeux, elle avait une certaine timidité et venir déposer son CV et sa lettre de motivation en main propre avait été une épreuve en elle-même. Elle avait vérifié sur le site internet, il y avait toujours des postes vacants, ils recrutaient mais l’hôte d’accueil lui avait dit le contraire.
Elle ne voulait pas repartir bredouille, alors elle avait essayé de lui poser des questions, elle avait fait ses recherches.
C’est là que Marianne passa et la vit.
Annabelle était sur le point de repartir quand Marianne la salua et l’invita à rester et s’entretenir avec elle dans son bureau.

— Excusez-le, il n’est pas méchant, juste méfiant.
Avait formulé Marianne en l’invitant à s’asseoir dans le fauteuil du salon privé.

C’était une pièce agréable et chaude, de la moquette, des fauteuils, une grande fenêtre donnant vers une cour intérieure et une autre vers la rue extérieure, dont les rideaux avaient été légèrement tirés.
Très peu de meubles, une table basse. Marianne se dirigea pour aller chercher des verres et une bouteille d’eau fraîche dans un frigo encastré dans un meuble en bois qu’il avait rendu inaperçu.
Elle s’installa en face d’Annabelle et commença son entretien.

— J’avais reçu votre message, vous avez postulé sur notre site, n’est-ce pas ?
— O-oui…
— Je ne vous ai pas répondu, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. J’ai eu souvent des candidats qui ne m’ont jamais donné suite et je vous avoue que ces derniers temps, j’ai été pas mal prise par mon emploi du temps pour m’y attarder.
— Bien s-sûr… je comprends.
— Détendez-vous, je vais juste vous poser quelques questions. Je vois que vous êtes jeunes et je m’étonne que vous souhaitez un emploi à temps plein chez nous. N’avez-vous pas des projets qui ne seraient pas compatibles avec nos contraintes de métier… ? J’espère que je ne suis pas indiscrète, si c’est le cas, arrêtez-moi.

Marianne était à l’aise mais intriguée.
Elle avait en face d’elle une jeune fille, 25-30 ans, le poste qu’elle visait n’était pas flatteur ni très bien payé. Cela l’intriguait qu’elle n’ait pas plus d’ambitions.
Son ancien emploi avait l’air plus valorisant sur le papier.

— Cela va vous paraître étrange… mais j’ai toujours souhaité travailler dans ce domaine. J’ai essayé de faire un autre travail mais…
— Je vois que vous avez démissionné.

Elle resta silencieuse.

*

Marianne la prit à l’essai, voyant qu’elle était motivée et qu’elle avait fait l’effort de venir jusqu’ici déposer son CV, elle n’avait personne d’autre sous la main et cela faisait un moment qu’elle n’avait pas eu de nouveaux employés
Depuis le temps qu’elle se plaignait d’être débordée, elle décida d’accepter la candidature de cette jeune fille, qui ressemblait à une enfant de bonne famille qui s’était perdue plus qu’à quelqu’un qui cherchait un travail.
Elle lui expliqua les tâches qu’elle devrait effectuer avant de lui montrer les lieux.
Regardant rapidement sur sa montre, elle avait le temps aujourd’hui pour lui faire la visite du bâtiment ainsi que lui montrer la chambre qu’elle occuperait durant sa période d’essai.
C’était une petite pièce qui avait un lit, un bureau et une armoire. Annabelle put y poser ses affaires, le manteau qu’elle avait sous son bras ainsi que la petite valise qu’elle avait amenée au cas où.
Elle ne pensait pas que cela serait aussi rapide, mais elle fut contente d’avoir prévu cela.
Marianne la rassura, si elle avait besoin de rentrer pour récupérer d’autres affaires, tout ceci était soudain.
Elle allait commencer tout de suite.

Elles continuèrent la suite de la visite.
Marianne expliqua l’heure à laquelle elle commencerait chaque jour et qu’elle aurait le week-end de libre.
Annabelle ne broncha pas.
Les repas étaient compris.
Les toilettes étaient à un étage différent et il y avait également une salle de bain qu’elle pouvait utiliser.
Le bâtiment n’était pas récent mais des travaux de rénovation avaient été effectués pour qu’il soit agréable de circuler dedans, d’y travailler et d’y vivre.

Les employés avaient certains leur chambre individuelle, d’autres préféraient le dortoir, et certains préféraient rentrer chez eux, quitte à devoir se lever plus tôt pour venir travailler le lendemain.
Chacun avait un contrat particulier stipulant leurs horaires.
Une tenue vestimentaire correcte était exigée avec un code particulier
Le noir était de mise, ou toute autre couleur sombre, avec une chemise ou une robe, un pantalon. Un tablier d’une blancheur sans reproche.

Marianne avait sa propre chambre avec une salle de bain privée.
Il y avait plusieurs étages.
Le rez-de-chaussée avait le guichet d’accueil, la cantine, les cuisines, des toilettes.
À l’étage supérieur, se trouvait le bureau de Marianne.
Sa chambre personnelle, un salon de réception pour les réunions ou pour accueillir des gens. Des toilettes.
À l’étage au dessus, étaient les dortoirs, des toilettes, deux salles de bain publiques.
Encore au dessus, il y avait les chambres individuelles, toilettes et salles de bain.
C’était à cet étage là qu’Annabelle fut assignée.

Elle fut formée à faire les tâches ménagères de base.
On la fit commencer aux cuisines, où elle apprit les horaires des repas mais également des préparatifs. Il y avait un roulement de ceux qui étaient de corvée de la restauration selon les contrats qu’ils avaient.
Elle y resta une semaine complète pour apprendre tout ce dont elle avait besoin, de la plonge au rangement des couverts et services, à la manière de couper et préparer les légumes et viandes. Pour ce qui était de cuisiner, le rôle était à une seule personne et ne changeait que rarement.
Ce fut ensuite la formation de comment entretenir et nettoyer les étages, meubles, salle de bain et toilettes. La lessive. Les rôles pour chaque pièce étaient régulièrement changés pour que chacun y mette la main à la pâte.
La troisième semaine, Marianne convoqua Annabelle pour lui demander comment elle allait et ce qu’elle pensait de sa formation.

Elle lui expliqua les différents contrats.
Certains étaient assignés à une demeure, dans une famille, cela pouvait être quelques jours par semaine comme toute la semaine. Si la famille appréciait beaucoup leur employé, ils pouvaient lui offrir de s’installer directement chez eux et même renégocier le contrat avec eux. C’était le contrat le plus prestigieux, seuls les personnes de confiance et qui avaient fait leur preuve étaient désignés pour un essai de ce genre. Ils représentaient alors la maison de Marianne.
Le contrat le plus courant était celui d’une durée déterminée par semaine.
Marianne lui expliqua que lorsqu’elle n’avait pas de mission pour elle, elle serait assignée à d’autres tâches dans l’entreprise.

*

Annabelle était plutôt discrète mais efficace. Elle parlait peu et ne semblait pas vouloir s’intégrer ni se lier d’amitié avec ses collègues.
Certains d’entre eux voulurent se jouer d’elle gentiment et il lui dirent qu’elle devait s’occuper de remettre en état le bureau de Marianne.
Jusque là, sa période d’essai était sans faute.
Elle entra dans cette pièce qu’elle avait déjà vue.
Marianne était absente, elle avait laissé son bureau en l’état.
Annabelle ne savait pas trop par où commencer, alors elle se dirigea vers la table sur laquelle des documents et papiers traînaient.
Et elle les lut rapidement, pour pouvoir les trier et les ranger en tas avant de pouvoir commencer à faire la poussière.

Marianne n’était pas partie pour longtemps, elle avait dû sortir faire une course urgente et lorsqu’elle remarqua qu’il y avait quelqu’un dans son bureau, elle était sur le point de s’énerver.
Tout le monde savait qu’elle avait horreur qu’on vienne fouiner dans son bureau. C’était la seule pièce où elle interdisait qu’on y vienne. Il y avait des documents confidentiels. Elle savait comment ranger ses affaires et ils étaient classés d’une certaine manière pour qu’elle s’y retrouve.

Annabelle avait fini de réorganiser son bureau et elle était en train de nettoyer la poussière sur les meubles.
Elle fut surprise de voir Marianne et s’excusa de n’avoir pas fini dans les temps.
Marianne ferma la porte derrière elle et s’expliqua.
Elle était sur le point de lui passer un savon lorsqu’elle se souvint qu’elle n’était pas au courant parce qu’elle avait elle-même oublié de lui en parler.
Cependant, Annabelle n’aurait jamais décidé d’elle-même de s’occuper de son bureau.

— Que faisais-tu ?
— Je… je m’occupais de la poussière accumulée sur vos meubles à des endroits exigus…

— Tu… as empilé mes papiers ?
Demanda Marianne en faisant le tour et remarquant ses documents arrangés.

Elle n’était pas de très bonne humeur mais Annabelle ne le remarqua pas.

— O-oui. Je n’ai pas pu m’empêcher de les ranger par thèmes, avant de dépoussiérer votre bureau, madame.
— Tu les as rangés… ? Tu les as lus ?
— Rapidement, madame. Juste assez pour pouvoir les réorganiser.

Marianne était hors d’elle, elle ne pouvait pas garder son calme.

— Sais-tu que ces documents sont confidentiels ?! Qui t’as permis de venir dans mon bureau sans ma propre autorisation ? En mon absence ?

— Je. Je ne voulais pas—
Annabelle s’étrangla.

Elle n’avait pas encore eu l’occasion de voir Marianne en colère et elle comprenait qu’elle avait fait quelque chose de travers.
Elle n’avait pas d’excuse valable, elle comprit qu’on lui avait donné des mauvaises instructions.

— Dehors.
— Je… pardon—
— DEHORS.

Marianne avait ses mains sur son bureau et ne préféra pas lever son regard vers Annabelle.
Elle avait touché à ses affaires. Ses papiers étaient dans un certain ordre sur son bureau pour une raison en particulier. Elle était très contrariée parce qu’elle pensait avoir perdu du temps.
Elle réussit à se calmer au bout de quelques minutes.
Annabelle ne savait pas. On l’avait piégée, Marianne le savait.
Elle demanda à un de ses employés ce qui s’était passé.

Un groupe d’employés jaloux de voir Annabelle réussir ses tests d’aptitudes haut la main, sans trop de difficulté, avaient envie de la voir avec une émotion sur son visage. Annabelle était plutôt froide, impassible et souriait rarement.
Un des employés se rendit compte trop tard de la mauvaise blague, il désapprouvait cette idée de mauvais goût.

— Oh ça va, c’est juste pour rire. Elle va à peine être réprimandée, puis elle nous montrera peut-être une expression sur son visage d’ange.

Ils entendirent Marianne crier après avoir fermé la porte.
Annabelle sortit de manière précipitée juste après, elle se rendit directement dans sa chambre.
Elle avait les larmes aux yeux.
Lorsque Marianne convoqua son employé, elle s’était calmée.

— Explique-moi cet incident. Qui a eu cette idée de me contrarier ?
— … Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’Annabelle n’y est pour rien. Elle n’est que la victime de cette blague de très mauvais goût…
— Tu ne me diras pas le nom de ton ou ta collègue, j’imagine ?
— Vous m’en voyez désolé.
— … Soit… Tu peux t’en aller.

Marianne retourna à ses papiers et, elle était très contrariée. Elle devait des excuses à Annabelle qui s’était prise ses foudres, mais d’un autre côté, elle n’aurait jamais dû lire ses documents.
Puis, elle remarqua que le classement d’Annabelle était plutôt intelligent. Elle qui pensait perdre du temps sur ses démarches administratives, venait d’en gagner légèrement. Cette manière de les classer était malin, Marianne aurait dû y penser mais elle avait horreur de s’occuper de cela.

Elle eut une idée pour punir ceux qui voulaient saboter Annabelle. Elle savait qu’elle avait besoin d’une assistante mais elle ne voulait pas se l’avouer, puis elle était exigeante, elle avait sa manière de travailler et elle avait du mal à se dire qu’elle devrait trouver la bonne personne. Rien que d’imaginer d’autres entretiens et des périodes d’essai à passer, elle en avait des migraines.

L’autre employé se souciait d’Annabelle et alla frapper à sa porte pour lui demander comment ça allait.
Il l’entendait sangloter dans sa chambre mais elle ne répondait pas.

— Je suis désolé… je voulais juste te dire que Marianne sait que tu n’y es pour rien… d’accord ?
Dit-il pour tenter de la consoler.

Marianne fit convoquer Annabelle.
Elle revint les yeux rouges et gonflés.

— Annabelle… je n’aurais pas dû te crier dessus… excuse-moi. Je sais que tu ne l’as pas fait avec de mauvaises intentions.
— J-je suis désolée, cela ne se reproduira plus… !

— Attends. Approche. Dis-moi. Comment tu procéderais pour t’occuper de ces documents ?
Demanda Marianne en lui tendant un autre tas de feuilles.

— Pardon… ? Mais ces documents sont-
— Oui je sais. C’est moi qui te le demande. Tu peux les lire.

Annabelle prit le temps de les feuilleter et elle expliqua à Marianne comment elle procéderait.

— Tu as déjà fait ça ?
— Je, euh oui. J’étais secrétaire à mon ancien poste…
— Tu n’aimes pas ça… ?
— Si, bien sûr, mais…
— Je sais que tu as quitté ton ancien travail, tu peux être honnête avec moi.
— J’aimais mon travail… c’était le cadre et l’ambiance de l’entreprise qui m’a fait quitter mon poste…
— Oh. Tu n’as pas cherché à retrouver un poste similaire ailleurs ?
— Non…
— Ok, à moi d’être honnête avec toi. J’ai besoin d’une assistante. Est-ce que tu veux bien m’aider ? Je ne sais pas encore de quoi je vais avoir besoin mais on peut comprendre ça dans la période d’essai. Si cela se déroule bien, je t’offrirai bien entendu un contrat comme il se doit. Qu’en dis-tu ?
— Pardon ?
— Tu peux refuser, bien entendu… je ne voulais pas te forcer la main. C’est juste que je saute sur cette occasion, j’ai déjà vu ton CV, tu as l’air motivée et tu as des compétences qui me seraient très utiles pour gagner du temps.
— J’accepte, je ne sais pas si je saurais vous aider, mais j’accepte !
— Oh, et puis. Je sais qu’on s’est moqué de toi, je ne t’en veux pas à toi personnellement, mais si cela peut être une opportunité pour moi d’enfin me délester de certaines tâches, je t’en serai reconnaissante.

*

Marianne donna à Annabelle de nouveaux horaires pour qu’elle puisse l’assister.
Elle fut de très bon conseil et Marianne la forma sur d’autres domaines où elle n’avait aucune connaissance parce que c’était du ressort de la direction.
Marianne commença à s’attacher à cette nouvelle.
Elle avait de longs cheveux blonds bouclés qu’elle attachait pour ne pas gêner, ils étaient tressés, parfois en longue tresse, parfois en chignon.
Cela lui arrivait de les avoir en queue de cheval haute.
Elles étaient proches et devinrent vite complices.
Marianne accorda rapidement sa confiance, elle qui avait de l’expérience dans le métier, avec les gens, elle réussit à sentir qu’elle pouvait lui faire confiance et à quel point elle se sentait bien de pouvoir se reposer sur quelqu’un.
De plus, Annabelle s’occupait de lui apporter des collations, de quoi se désaltérer, elle était aux petits soins. C’était dans sa nature.
La semaine s’écoula rapidement et Marianne ne confia l’entretien de son bureau qu’à Annabelle.

Annabelle ne remarqua rien en particulier.
Elle aimait travailler avec Marianne, c’était une patronne dévouée, une personne attentionnée et elle avait su rester simple malgré son statut.
Ce qui la surprit c’est qu’elle soit moins froide et effrayante en privé que lorsqu’elle s’adressait à ses employés. Elle avait même parfois un comportement enfantin.
Elle accepta l’offre de Marianne de devenir son assistante personnelle.
Le salaire était légèrement plus élevé et les horaires différentes, mais Marianne lui avait maintenu son avantage de garder sa chambre.
Annabelle n’en croyait pas ses yeux.
Elle avait eu tellement de chance de pouvoir travailler dans cette entreprise, de plus elle avait maintenant l’avantage de travailler directement sous les ordres de Marianne. Quelle chance d’apprécier sa patronne.
Elle lui avait offert un CDI.
Elle avait pu rendre son appartement et emmener le peu d’affaires qu’elle avait dans sa chambre. Elle était comblée.

Sa promotion surprise avait rendu jaloux plus d’un.
Ceux qui avaient fait cette mauvaise blague l’avaient en travers de la gorge et ils décidèrent à nouveau de piéger Annabelle.
À la cantine, ils lui jetèrent discrètement des chewing-gums dans ses cheveux.
Ce jour là, elle avait les cheveux lâchés avec quelques mèches réunies en tresses derrière sa tête.
Elle sentit quelque chose mais elle préféra ignorer.
Lorsqu’elle se rendit dans les toilettes, elle remarqua ce qu’on lui avait fait.
C’étaient des brimades. Pourquoi on lui faisait ça.
Personne ne lui avait dit et personne n’avait remarqué cela ?
La mort dans l’âme, elle se dirigea dans sa chambre pour couper ses cheveux à la main.
Elle ne voulait pas alarmer Marianne.
Elle devait se défendre seule.
Les brimades continuèrent.
Elle qui pensait que ce n’étaient que des légendes scolaires, elle vivait ça à 25 ans. C’était stupide, ridicule. Les gens ne grandissaient pas.
Marianne s’étonna qu’Annabelle ait les cheveux courts mais elle évita la question et elles se concentrèrent sur le travail. Annabelle força un sourire et expliqua qu’elle en avait marre des cheveux longs. C’était trop d’entretien.
On la poussait, la bousculait.

— Tu as vu comme elle nous snobe ?
— Elle est passée sous le bureau et elle se croit supérieure, regarde son air hautain.
— Elle se croit tout permis parce que c’est la chouchoute ?

Le même employé voyait l’ambiance s’envenimer progressivement. Il n’était pas du même avis mais ne savait pas s’il devait en parler à Marianne.
Il essaya de s’entretenir avec Annabelle.

— Non ! Je dois régler ça moi-même… madame Marianne a d’autres urgences à gérer que ce genre de… gamineries.
S’exclama t-elle, en serrant des poings et la tête baissée.

Il n’avait pas osé la contredire.
Un jour, la situation prit un autre tour.
Un soir où Annabelle était à la douche, on coupa l’arrivée d’eau chaude, et l’électricité.
Elle était seule dans la salle de bain.
Et on bloqua la porte de sa douche.
Des rires.

*

Cela faisait maintenant des jours, peut-être une semaine qu’on lui faisait subir ces brimades.
Elle tenait le coup parce qu’elle adorait les moments avec Marianne, le travail était exaltant, intéressant.
Mais lorsqu’elle quittait son bureau, tout devenait noir autour d’elle.
Qu’avait-elle fait pour mériter cela ?
Elle faisait de son mieux pour bien travailler, pourquoi cela devait se passer comme cela ?
Elle n’avait jamais eu un mot désagréable avec ses collègues, elle n’était pas bavarde et elle préférait sa solitude, mais en aucun cas elle n’était ce qu’ils disaient d’elle.
On se moquait d’elle, on riait d’elle, on l’insultait.
Elle avait envie de dire, de crier qu’elle n’était pas comme cela. Elle ne les regardait pas de haut, elle ne les snobait pas.
Elle avait essayé de réfléchir à un moyen de s’expliquer, mais dès qu’elle réunissait ses forces et son courage pour leur parler, on l’ignorait et on faisait comme si elle n’existait pas.
Elle devait trouver une solution. Peut-être était-ce de sa faute après tout ?
Tout dire à Marianne ? Non. Cela risquait de se retourner contre elle. Elle devait se débrouiller sans la mêler à cela. Elle ne voulait pas profiter de sa proximité avec la patronne pour régler ses soucis.
C’est avec une boule au ventre qu’elle sortait de sa chambre, se demandant quel genre de blague on comptait lui faire. Est-ce qu’aujourd’hui, on allait la laisser tranquille ?

Heureusement, tous les employés n’étaient pas contre elle, mais ils étaient autant démunis qu’elle-même. Craignant de devenir la prochaine cible ou prendre des dégâts collatéraux si jamais cela se savait qu’ils étaient du côté d’Annabelle.
Elle ne pouvait pas leur en vouloir.
Elle espérait qu’ils se lassent au bout d’un certain temps. Qu’ils arrêtent enfin de la prendre pour cible.

Cela faisait presque une semaine et les brimades s’étaient espacés. Cet espoir faible qu’elle avait était peut-être en train de se réaliser.
Elle se rendit à la douche, elle profitait des horaires où il y avait pas ou moins de monde pour se laver.
Une bonne douche avant d’aller se coucher, c’était ce qu’elle préférait.
Ses affaires de rechange sous les bras, son nécessaire de toilette avec.
Elle était perdue dans ses pensées, se remémorant ses derniers jours et événements. Il s’était passé tellement de choses. Demain, c’était le week-end, qu’allait-elle faire ?

Elle ne remarqua pas que tout le monde avait quitté la salle de bain des filles. Il n’y avait plus aucun bruit à part sa douche. L’eau ruisselant sur le sol.
Puis quelqu’un, elle entendit les pas se rapprocher et s’arrêter devant la porte de sa douche qui était verrouillée.
La personne lui faisait face, la porte les séparant.
Mais aucun son ne sortait de sa bouche.
Elle avait peur, que voulait-elle ?
Puis, on frappa une fois.
Elle sursauta.
Plusieurs coups, de plus en plus fort.
Elle était paralysée par la peur, nue, et l’eau chaude se transforma en eau froide plus glacée.
Elle n’arrivait pas à prononcer un seul mot.

— Tu sors, je te tue.
Prononça une voix grave.

Annabelle eut vraiment peur. Elle craint vraiment pour sa vie.
La lumière s’éteint et elle cria d’effroi.
Elle entendit les pas s’éloigner et la porte de la salle claquer mais la lumière ne revint pas.
Elle commençait à avoir froid, elle tenta de remettre de l’eau chaude mais un jet glacial tomba sur elle.
Elle hurla une seconde fois.
Elle coupa l’eau.
Elle entendit des rires au loin.
La lumière n’était toujours pas revenue et elle n’avait aucun moyen de savoir si l’inconnu à la voix grave était encore là.

— Il y a quelqu’un… ?
Demanda t-elle, la voix tremblotante.

Elle était à la limite des sanglots.
« BOOM. »
On refrappa sur sa porte.
Elle hurla et sursauta, et se mit à pleurer. Elle était morte de peur.
Qu’allait-elle faire ? Elle ne pouvait pas rester ici toute la nuit, elle tremblait, elle claquait des dents, elle avait froid, et elle était effrayée.
Elle se recroquevilla sur elle-même pour garder le peu de chaleur qu’elle pouvait avoir.
Elle imaginait le pire.
Elle se mit à respirer de plus en plus vite et fort, elle paniquait. Une crise d’angoisse et de panique.
Elle n’arrivait plus à respirer. Elle hyper-ventilait.

— Je lui ai foutu une de ses trouilles, vous avez entendu comment elle a crié ?
— J’en peux plus, j’arrive plus à respirer tellement je ris !
— J’ai mal aux abdos !
— J’ai pris ses vêtements, si jamais elle sort, elle se baladera à poil dans le couloir !

*

Il sortit de la salle de bain et les bruits de coups et les cris l’interpellèrent.

— Vous avez entendu ?
— Ils sont encore en train de martyriser Annabelle ?
— J’y crois pas, c’est terrible ce qu’on peut faire à cause de la jalousie.
— Tu crois ça ?
— Clairement, je sais pas moi. J’ai zéro envie d’être aussi souvent avec Marianne. Avec tout le respect que je lui dois, hein.
— Ils sont en train de faire quoi à ton avis ?
— Aucune idée, qu’est-ce que tu crois qu’ils ont pu faire ? L’enfermer dans une douche ? Lui voler ses vêtements ?
— La violer ?
— Abuse pas, j’espère qu’ils sont assez intelligents pour ne pas faire ça.
— N’empêche, les cris…

Il ne pouvait pas supporter plus et il se dépêcha de sortir de la douche pour aller voir et leur dire deux mots.

— Ca va pas non ? Vous savez il est quelle heure ? On vous entend de notre salle de bain !
— Oh ça va, monsieur le rabat-joie.
— On fait que s’amuser un peu, c’est la fin de la semaine.
— J’ai coupé l’arrivée d’eau chaude, au fait.
— Quoi ?
— Oh, bonsoir toi. T’inquiète, c’est juste côté des filles. Pareil pour l’électricité.
— Super idée !
— Pardon ?
— T’en fais pas, on va le remettre bientôt, c’était juste pour faire une petite blague.
— Où est Annabelle ?
— Bah dans la salle de bain. Elle doit encore être sous sa douche.
— Ca va vraiment pas bien dans vos têtes ?!

Excédé par ce qu il venait d’entendre.
Il se précipita dans la salle de bain des filles.

— Annabelle ? Tu es là ? Tout va bien ?
Demanda t-il.

Elle ne répondait pas mais il entendit les sanglots et sa respiration forte.
Non, ça n’allait pas.
Il réussit à se diriger vers la porte de sa douche.

— Annabelle, tu m’entends ?

Elle entendait une voix familière mais elle n’arrivait pas à parler. C’était rassurant mais elle ne savait plus quoi croire. Délirait-elle ?

— Annabelle ?

Tout devint flou et elle s’écroula sur le carrelage.
La lumière revint et en se baissant il vit qu’elle avait fait un malaise.
Il sortit en panique chercher de quoi débloquer la porte de sa douche et demanda d’appeler un médecin.
Les blagueurs devinrent blanc.

*

Marianne fut attirée par l’agitation.

— Que se passe t-il ici ?
Demanda t-elle, ses employés s’écartèrent pour lui laisser la place et elle vit un de ses employés ressortir de la salle de bain avec Annabelle enveloppée dans une serviette, inconsciente.

— Que s’est-il passé… ?!

Les employés restèrent muets.

— Elle est gelée, est-ce que vous avez appelé un médecin ?!
Cria t-il.

Il l’emmena dans sa chambre et il fusilla du regard les responsables.
Marianne demanda des explications sans avoir de réponses.

*

Elle se réveilla dans son lit, nue.
Elle ne se souvenait plus de comment elle s’était retrouvée là, elle espérait que tout soit un mauvais cauchemar mais les détails ne collaient pas.
Une serviette de bain dans sa chambre, ses vêtements absents.
Elle s’habilla et descendit les marches.
Tout était trop calme.

Il avait fini par tout raconter à Marianne.
La situation avait été trop grave.
Elle les convoqua pour qu’ils démissionnent d’eux-mêmes, ou elle déposait une plainte contre les responsables et les poursuivait en justice.
Elle s’y connaissait assez en droits pour que ça aille loin.
Elle avait convoqué tous ses employés pour leur faire un doux rappel de la loi et des valeurs de son entreprise. Qu’elle encourageait ceux qui n’étaient pas en accord avec elle de quitter sa maison.

Annabelle avait retrouvé ses vêtements de la veille dans une poubelle, découpés aux ciseaux et avec de la peinture et de la colle dessus.
Marianne la convoqua et elle ne sut pas quoi dire à part baisser la tête.
Elle avait honte de la tournure des événements.
Elle n’était même pas là depuis un mois qu’elle avait été la cause de tout ces changements.
Marianne s’excusa de ce qu’elle avait dû subir.

Annabelle avait développé un traumatisme de la salle de bain commune.
Sa main tremblait devant la porte et il remarqua cela.
Marianne fut mise au courant et proposa à Annabelle d’emprunter sa salle de bain personnelle.

*

Elle ne put refuser.
Elle entra pour la première fois dans la chambre de Marianne.
Elle était gênée et tout le monde allait savoir qu’elle avait pu voir sa chambre.
Elle utilisa la douche et laissa la porte de la salle de bain ouverte.
Marianne pensait qu’elle avait oublié de la fermer et le fit à sa place, mais Annabelle commença à faire une crise de panique.
Marianne s’excusa et essaya de la rassurer.

— Je suis désolée, tout va bien, je suis là, il ne t’arrivera rien, je suis là.
— Pardon… pardon…
— Shh… ce n’est rien…

Annabelle se sentait idiote, ridicule, ce n’était qu’une porte, qu’une fichue porte, mais ce souvenir de peur était ancré dans son âme, dans sa mémoire.

*

Marianne était bouleversée.
Elle se rendit compte qu’elle s’était attachée à Annabelle bien plus qu’une simple employée.
Elle était tombée amoureuse.
Elle savait que c’était mal. C’était son employée et elle ne voulait pas avoir ce rapport de hiérarchie avec Annabelle.
Comment lui dire, sans la faire fuir ni sans l’obliger à avoir des sentiments parce que son travail en dépendait ?
Elle ne pouvait pas.
Surtout si Annabelle ne ressentait pas les mêmes sentiments, à quoi bon à part détruire leur relation ?

Marianne n’était pas ouvertement lesbienne, ni hétéro, d’ailleurs. Elle était certainement bisexuelle mais personne ne s’était présenté à la hauteur de ses attentes.
Mais Annabelle, elle réveillait en elle beaucoup de choses. Elle dégageait quelque chose de bienveillant, et à la fois si fragile. Elle avait été blessée par sa faute et elle n’arrivait pas à se le pardonner.
Elle aurait dû lui proposer de quitter l’entreprise, après ce qui lui était arrivée. Elle aurait pu se retourner contre elle, mais non.
Puis elles avaient 15 ans d’écart.
Annabelle était jeune, si jeune, tandis que Marianne avait 40 ans.
Elle avait envie de protéger Annabelle, mais c’était elle qui l’avait blessée et traumatisée à jamais.

Annabelle n’était pas consciente de ses propres sentiments envers Marianne.
Elle l’appréciait, beaucoup, mais elle ne la connaissait que depuis peu de temps. Elle ne la connaissait pas si bien que ça.
Marianne était grande, métissée asiatique, elle avait un teint et un grain de peau qui la faisait paraître plus jeune que son réel âge. 30-35 ans, tout au plus.
Elle s’habillait toujours de manière classe, distinguée, elle n’avait pas beaucoup voire pas du tout de poitrine mais elle faisait régulièrement du sport pour se maintenir en forme. Les épaules plutôt carrée et le corps musclé.
Quant à Annabelle, elle était petite, un peu ronde, elle avait des formes généreuses au niveau de la poitrine comme des hanches, une caucasienne au cheveux d’or et aux yeux bleus. Une vraie poupée aux courbes flatteuses.
Elle ne savait pas pourquoi mais elle avait confiance en Marianne. Elle voulait lui faire confiance, et pas seulement parce que c’était son boss.

*

Marianne s’était confiée à son ami Duncan de sa difficulté à essayer d’inviter Annabelle à dîner.
Elle blaguait beaucoup en temps normal en flirtant avec elle durant leurs horaires de travail mais cela n’allait jamais loin, elle ne voulait pas non plus la harceler sexuellement. Ses insinuations restaient légères et elle n’osait aller plus loin de peur de la brusquer ou l’ennuyer.
Annabelle n’était pas très expressive et préférait ignorer ces blagues.
Elle avait fini par s’habituer au caractère de Marianne, après tout.
Elle était en train de s’entretenir avec Duncan dans le salon et Annabelle entra en leur apportant de quoi se rafraîchir et de quoi grignoter.
La conversation s’était tue et Marianne avait du mal à cacher son embarras.
Duncan se moquait d’elle en voyant son expression.

— Ah tiens, justement Annabelle. Duncan voulait t’inviter à dîner-
Improvisa Marianne, pour se venger.

— Quoi- ?!
S’indigna Duncan qui la regarda avec de gros yeux.

— Qu’en dis-tu ?
Insista Marianne.

— J-je… d’accord ?

— Quoi ?!
Ce fut au tour de Marianne de s’indigner.

Duncan ne cacha pas son sourire et se tourna vers Annabelle.

— Merci d’accepter. Je viendrai te chercher ce soir, dans ce cas.

— Bien… est-ce que je peux faire quelque chose d’autre pour vous ?
Demanda Annabelle, imperturbable.

— Ca ira… merci.
Répondit-il à la place de Marianne qui ne s’en remettait toujours pas.

— Comment… ??
Finit-elle par prononcer après le départ d’Annabelle.

— Je dois te remercier pour cette occasion, effectivement, je n’aurais jamais osé lui demander.
— Espèce de… ne me dis pas que c’était aussi simple… elle a accepté sans aucune hésitation…
— Vu comment elle a accepté alors qu’elle me connait à peine, à ta place, j’aurais de quoi me méfier si jamais elle se retrouvait dans les bras de quelqu’un d’autre.
— Tais-toi !!!

*

Annabelle s’habilla légèrement mieux pour le dîner. Un peu nerveuse de se faire inviter.
Marianne s’en mordait les doigts.
Cela faisait des semaines qu’elle n’arrivait pas à trouver l’occasion ni le courage de le faire.
Duncan lui avait suggéré l’idée de fêter son emploi pour que cela ne soit pas trop évident qu’elle ait des sentiments, mais même avec cela, Marianne était timide, étonnement timide.
Trop effrayée qu’elle puisse dégoûter Annabelle avec son invitation. Elle n’avait aucune idée de son orientation, si elle était hétéro, gay, bi ou aucun des trois.

Duncan fit honneur à son invitée et l’emmena dans un restaurant chic.
Il en profita pour discuter avec elle après lui avoir dit de ne pas se forcer à être formelle. Il était curieux de savoir ce qu’elle pensait de Marianne.

— Que penses-tu de Marianne ?
— Il est très agréable de travailler avec elle. Je suis reconnaissante qu’elle m’ait offert cette chance de pouvoir faire partie de son entreprise.

Il ne pensait pas qu’elle lui répondrait sur le spectre professionnel et il sourit de sa propre bêtise.

— Est-ce que tu as un petit copain… ? Ou une petite copine ?
— Non…
— Vraiment ? Mignonne comme tu es ?
— Vraiment…
— Est-ce que tu as peut-être quelqu’un en vue… ?
— Non plus…

Il essayait de la sonder mais elle n’avait pas eu de réaction particulière, ni même quand il avait mentionné le fait d’être en couple avec une femme. Il pourrait au moins rassurer Marianne sur ce point.

— Puis-je te demander pourquoi ?
Il était curieux, beaucoup trop curieux.

— Et bien… je ne me suis jamais posée la question…
— On ne t’a jamais proposé de… ?

Elle secoua la tête négativement.
Il fut surpris.

— Est-ce que cela t’intéresse… au moins ?
— Je… je ne sais pas…
— Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, changeons de sujet.

*

Marianne avait du mal à gérer ses sentiments. Elle se sentait démunie.
Elle qui avait tant travaillé depuis son plus jeune âge, sacrifiant sa jeunesse au profit de son entreprise. Elle n’avait jamais pris le temps de goûter à la vie de couple, ni le loisir d’être en couple avec quelqu’un.
Et elle se sentait comme une enfant à ne pas savoir quoi faire vis à vis d’Annabelle.
Elle savait de son expérience à quel point il était compliqué d’avoir des relations intimes dans le cadre du travail. C’était risqué, beaucoup trop risqué.
D’un autre côté elle ne pouvait pas licencier Annabelle juste pour lui demander de sortir avec elle, tout en ne sachant pas si ses sentiments étaient réciproques.
Annabelle n’allait pas sacrifier son emploi juste pour une histoire d’amour.
Et quoi penser si elle n’était pas de ce bord là. Personne en savait de quel bord elle était, elle était tellement impassible.

Cela la rendait folle que Duncan avait réussi à l’inviter à dîner avant elle.
Elle profitait de chaque instant qu’elle pouvait passer en compagnie de son assistante.

*

Elles sortaient ensemble.
Marianne avait réussi à franchir le pas

Lors d

2021.12.30

Sombre

Dans la forêt.
Une douce odeur l’interpela.
Elle suivit son odorat jusqu’à une entrée de grotte, l’odeur était encore plus forte.
C’était une odeur qui était alléchante, mais cela ne ressemblait en rien à ce qu’elle connaissait.
Pourtant, une certaine nostalgie s’en dégageait.
Cela faisait plusieurs jours qu’elle s’était aventurée dans cet endroit, en ayant aucun espoir de survivre.
Mais cette odeur l’avait intriguée, son ventre criait famine.
Elle pénétra dans la grotte, la lumière du jour s’y engouffrait un peu. L’odeur était de plus en plus forte, elle continua de s’approcher, sans se méfier.
Une voix retentit et la força à s’arrêter.

*

C’était une forme inhumaine qui se tenait devant elle.

*

Elle dormait dans ses bras.
Ce qui lui servait de bras, car il n’avait rien d’humain.
Blottie contre lui, contre sa peau gluante, légèrement tiède. Sa tête avait des énormes globes occulaires et les muscles de sa mâchoire visibles, ses dents étaient pointues et beaucoup plus nombreuses.
Acerés comme des couteaux.
Il n’avait pas de nez, simplement des nasaux.
Les oreilles étaient également absentes, ce qui ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas entendre. Des cavités discrètes servaient à cela.
Il n’avait pas un seul poil. Sa peau était lisse par endroit et luisante mais au toucher, elle était moelleuse et collante. C’était sa manière d’attraper ses proies avant de les consommer.
Et elle, elle était collée à lui, enveloppée dans ce qui lui servait de bras ou de tentacules, elle se maintenait au chaud de cette manière, grâce à lui.
Seule sa tête dépassait pour lui permettre de respirer.
Il ne l’avait pas dévorée.

*

Lorsqu’elle le vit la première fois, c’était une masse énorme immobile mais qui semblait respirer, grossissant et se rétractant faiblement.
Il faisait trop sombre pour réussir à distinguer les détails et la couleur. C’était sombre, et à la fois brillant parce qu’elle pouvait voir le reflet de la lumière derrière elle. Elle ne savait pas ce que c’était et elle était trop curieuse, ne craignant pas le danger, elle se rapprocha. Etait-ce vivant ? Si c’était le cas, c’était en train de dormir.

*

Une sorte de bête.
Sa gueule, ses crocs, ses griffes, ses pattes.
Sa fourrure.
Il sentit l’odeur humaine pénétrer son antre.

Elle cherchait un endroit où s’abriter. La pluie s’était mise à tomber comme des cordes, elle avait été surprise.
Habillée d’un pull à col roulé, un pantalon rentré dans ses chaussures mi-hautes, un gros manteau qu’elle avait entrouvert.
Elle portait un bonnet qu’elle retira aussitôt qu’elle entra dans la grotte.
Elle était trempée et se mit à retirer ses chaussures, son manteau.
Elle se trouva un endroit sec et s’endormit.
Trop fatiguée de ses quelques jours en extérieur.
Elle se recroquevilla sur elle-même et tenta de se réchauffer comme elle put.

La forme de vie étrange était immense.
Elle se rapprocha lentement et tenta de sentir si cet humain était comestible.
Sa patte faisait la taille de la moitié de son corps, il aurait pu l’écraser et la tuer.
Elle avait l’air vulnérable.
C’est ce qui l’intrigua.
Peu de personnes s’aventuraient par ici, et ceux qu’il avait pu voir avaient cherché à le blesser, le tuer, effrayés par son apparence.
Depuis, il avait eu beaucoup moins de visite. Etrangement.
Il hésitait, peut-être devait-il la tuer avant qu’elle ne se réveille, mais il resta là, à la contempler.
Elle dégageait une légère odeur alléchante.

Elle se réveilla, elle avait sentit une présence et elle ouvrit les yeux.
Elle vit une ombre au dessus d’elle et elle paniqua, ne sachant pas si elle était encore en train de rêver ou si c’était la réalité. Elle n’osa pas bouger, ses yeux observant ce qui la surplombait.
C’était fascinant, elle n’avait jamais rien vu de tel.
Etait-ce un animal ?
Il ne semblait pas méchant ni vouloir la dévorer mais il l’observait et elle faisait de même.

Sa fourrure, ses crocs, ses babines, ses pupilles, la respiration qu’il dégageait.
Il se rapprocha d’elle et posa son museau sur ses vêtements pour la renifler.
Elle essaya de ne pas bouger mais son coeur battait à tout rompre, elle avait peur, peur de faire un geste brusque.
Puis le museau remonta jusqu’à son visage, et les poils la chatouillèrent, elle ne put s’empêcher de sourire, de laisser échapper un petit rire.
C’était la première fois qu’il entendait cela, cela le surprit et il la regarda avec des yeux étonnés.
Elle craignit de lui avoir fait peur, alors elle lui tendit sa main, se relevant légèrement.
Il avait senti, elle n’avait aucune arme sur elle, il n’avait rien à craindre, normalement.

— Est-ce que je peux te caresser… ?
Avait-elle demandé, comme elle l’aurait fait à un animal.

D’une voix douce et fluette, qui résonna dans la grotte.
Il avait été enchanté par ce son.
Il se rapprocha, et elle glissa doucement ses mains dans sa fourrure.
Il frissonna. C’était bien la première fois qu’il recevait un contact de la sorte, c’était loin d’être désagréable, au contraire. Ces endroits qu’il ne pouvait lui-même atteindre et pas avec une telle douceur.
Ses petits doigts le chatouillaient presque.
Elle vit quel effet cela lui faisait et elle continua, timidement, en cherchant d’autres endroits qui pourraient lui plaire. C’était amusant.
Elle entendit un certain ronronnement, c’était étrange, un son qui résonnait à l’intérieur du corps de l’animal.

Soudain, il ouvrit sa gueule et attrapa le corps de la jeune fille dedans, sans fermer ses crocs sur elle.
Il l’emmena au fond de la grotte, où il faisait noir intense, il la déposa et s’en alla.
Il avait sentit une autre présence, mais cette fois-ci, c’était hostile.

Des humains étaient venus avec des armes, et ils cherchaient quelque chose.
Ils virent les vêtements laissés par la fille à l’entrée et ils paniquèrent.
Quand la bête revint vers eux, ils cherchèrent à la blesser avec leurs armes. Il ne se laissa pas faire et il les attaqua avec ses griffes, déchiquetant leur corps, ils furent projetés contre une paroi et il n’hésita pas à les achever en les écrasant d’une patte, de tout son poids.
Il savait que s’il les laissait en vie, ils risquaient de revenir et avec plus de force pour chercher à le tuer.
Il ne voulait pas risquer sa tranquilité.

Il revint vers l’inconnue qui était restée l’attendre au fond de la grotte.
Elle n’avait pas le choix, elle ne s’était pas encore habituée à l’obscurité.
Elle entendit le bruit se rapprocher, et la chaleur se blottir contre elle. Il demandait des câlins.
Elle avait entendu des cris et des grognements mais elle ne s’en inquiéta pas plus, elle aurait dû avoir peur mais non.
Elle avait un problème, elle ignorait le danger qu’était cette forme de vie qui aurait pu la tuer d’un seul coup.

Ils étaient devenus amis.

Lorsqu’elle se dirigea pour récupérer ses affaires.
Elle vit les corps sans vie. Elle comprit aussitôt.
Elle vit les armes.
Elle en ramassa une, et la bête se mit sur ses gardes.
Elle débarrassa les affaires et les corps pour les enterrer dans la forêt et elle revint. Les mains vides.
L’animal craignait qu’elle retourne les armes contre lui, mais elle n’en fit rien.
Elle s’approcha de lui et tenta de le consoler, comme si elle comprenait sa douleur d’être seul, d’être traqué.

— Je resterai à tes côtés.
Dit-elle, en le serrant comme elle pouvait dans ses bras.

— Es-tu sûre… ?
Répondit-il. Sa voix était grave, grondante, résonnant au fin fond de lui.

C’était la première fois qu’elle entendait une telle voix, comme si elle entrait en résonnance avec tout son être, elle était magnifique et à la fois si triste.
Elle resserra son étreinte.
Comme si sa destinée était de le trouver.
Elle qui n’avait aucun but particulier dans la vie, elle venait de rencontrer cet être qui semblait donner un sens à son existence. Le début d’une amitié, bien plus qu’une simple amitié.
Elle ressentait cette attirance, comme s’il comblait le vide qu’elle ressentait dans son coeur.
On lui avait toujours dit qu’elle était étrange, bizarre, et elle se remémora ces mots. Elle sourit. Ils avaient raison. Son coeur s’était mis à battre plus fort pour cet être solitaire, juste un instant. Elle s’était sentie bien. Acceptée avec toute son étrangeté.

Le temps passa et elle se défit de ses vêtements.
Ils avaient fini par s’abîmer et elle n’avait que ceux-là.
Elle vivait avec lui maintenant et il faisait tout pour la protéger. Elle lui était précieuse.
Il était heureux, il n’était plus seul, il avait de la compagnie.
Elle s’endormait dans sa fourrure.

*

— Il y a quelqu un.
Il était sur le point de se lever pour défendre la grotte.

— Attends. Laisse-moi leur parler.
— … Je ne suis pas confiant.
— Laisse-moi essayer, pour une fois.
— … D’accord, mais je reste aux aguets.

Elle sortit de l’obscurité pour les accueillir.

— Il y a quelqu’un ?
Demanda les intrus.

— Tu crois vraiment que le monstre va te répondre ?
— Bah… qui sait ?

— Je peux vous aider… ?
Demanda la jeune fille, qui sortit progressivement, nue.

— Wow, pardon, euh, on ne voulait pas-
Ils détournèrent le regard, surpris.

— On ne s’attendait pas…

— Vous cherchez quelque chose… ?
Demanda t-elle, en ignorant leur réaction.

— Eh bien… vous n’auriez pas vu un monstre dans les parages… ?
— Un monstre… ? De quoi parlez-vous… ?

— On s’est trompé de grotte, j’en étais sûr !
Répondit son ami.

— Tais-toi ! Et bien, une rumeur court qu’il y a une bête féroce qui vit dans les environs, vous devriez faire attention. Cela ne nous regarde pas, mais… que faites-vous ici ?
— Je… je vis ici. Et je n’ai pas vu de bête féroce ni de monstre.
— C’est dangereux, surtout pour une fille seule… vous vivez ici depuis longtemps ?
— Allez-vous-en.
— Hey, on cherchait juste à être sympathique, pas besoin d’être désagréable.
— Je n’ai pas besoin de votre sympathie.
— Et si on a pas envie de s’en aller… ?

Ils commençaient à trouver cela étrange. Une personne seule en plein milieu de la forêt. Ce n’était pas commun et une jeune fille, qui plus est.
Un des deux avait une idée derrière la tête, il comptait profiter de cette situation et assouvir ses pulsions.
L’autre ne semblait pas comprendre ce que son compagnait avait comme idée.

Il sentit le danger pour son amie.
Elle commençait à perdre le contrôle de la situation.

— Je vous recommande de partir…
Dit-elle, en reculant dans la pénombre.

— Sinon quoi ?
Renchérit celui qui s’approchait d’elle.

Ils n’avaient pas l’air bien costaud mais ils étaient jeunes et en forme, comparé à elle, chétive et sans rien pour se défendre.

— Elle vous a dit de partir !
La voix gronda et résonna dans la grotte.

Les deux garçons se figèrent.

— Qui est là ?
— Montrez-vous !
Dirent-ils, en tremblant et pointant leurs armes devant eux.

Il savait que c’était peine perdue.
Même s’il ne se montrait pas, ils risquaient de revenir.
Il sortit de sa cachette et les hommes effrayés, lachèrent leurs armes pour s’enfuir.
Il faisait facilement le double voire le triple de leur taille.
Elle resta sans bouger tandis qu’il fonça sur eux pour les dévorer.
Elle avait l’air maussade.

— Je t’avais dit qu’ils ne t’écouteraient pas…
— Je sais… je suis désolée…
— Je ne t’en veux pas d’avoir essayé.

Elle enfouit son visage dans la fourrure de son ami.

*

Ils souhaitaient simplement vivre en paix, sans qu’on les dérange, sans avoir besoin de se cacher.

2022.02.28

IRL

Cela faisait des semaines et des mois qu’ils conversaient via une messagerie et ils avaient accroché.
Le hasard avait fait qu’elle passait par la ville où il habitait et elle lui en avait fait part.
C’était l’occasion et une chance de se rencontrer en vrai.
Ils se donnèrent rendez-vous dans un café.

Elle venait de finir sa journée.
Dans sa tenue de travail, une chemise aux manches courtes, une jupe crayon cintrée et un sac à dos.
Elle était érintée par son travail et elle avait à peine eu le temps de passer aux toilettes se recoiffer rapidement, ainsi que se rafraîchir le visage.

C’était l’été et le soleil était encore présent, donnant une teinte légèrement rosée dans le ciel.
Il faisait bon sans trop faire chaud, une légère brise sur la terrasse.
Elle était arrivée un peu en avance, ne connaissant pas la ville, elle avait eu peur de se perdre.
Finalement, elle était arrivée à temps, et elle en profita pour se poser.
Ses mèches de cheveux étaient encore humides aux pointes, elle choisit une table à l’écart dans un coin, puis se posa en sortant son téléphone de sa poche.
Elle était déjà en train de tapoter sur l’écran lorsqu’un jeune homme s’assit devant elle.
Elle ne cacha pas sa surprise.
Elle ne s’attendait pas à ce qu’on vienne à sa table et elle était déjà sur le point d’ordonner à cet inconnu de bien s’en aller, quand elle le reconnut.
Ils ne s’étaient jamais vu mais elle sut que c’était lui.

C’était un jeune homme plutôt sûr de lui, son sourire charmeur, ses cheveux mi-longs bouclés qui étaient attachés derrière sa nuque. Il portait une chemise à manches longues retroussées et d’un pantalon de costume. Un sac cartable qu’il posa entre ses jambes.
Sa peau foncée lui avait soufflé la puce à l’oreille.
Et cette expression sur son visage.

Il avait également deviné au premier coup d’oeil que c’était bien elle.

— Hey, how are you? It’s you, right…?
Dit-il.

Son enthousiasme avait laissé place à une once de doute. Et s’il s’était trompé ?

Elle sentit le rouge monter à ses joues.

Cela faisait un petit moment qu’elle travaillait dans ce pays, l’histoire de quelques semaines, elle avait fini par prendre ses aises mais en cet instant précis, elle perdit ses moyens et son anglais.

— Ah… y-yes, I guess… ? K… right ?
Répondit-elle en forçant un sourire gené et en essayant de calmer les battements de son coeur qui s’accéleraient.

Peut-être entendait-il le bruit que cela faisait, en tout cas, elle, elle l’entendait très bien dans ses oreilles.

— Thanks God. I was afraid I made a mistake.
Rit-il, en soufflant de soulagement.

2021.06.09

Déclaration

Il faisait parti des gardes du château et il s’entraînait régulièrement dans la cour intérieure avec ses collègues.
Son moment favori : lorsqu’une des petites mains venait lui apporter une serviette humide après l’effort.
Ce n’était pas qu’à lui. Les employés qui s’occupaient du bien-être des lieux venaient encourager ces soldats après leur entraînement : cela leur faisait une pause puis cela leur permettait de faire plus amples connaissances.
Des petites serviettes humides et fraîches leur était apportés ainsi qu’un plateau de verres et des carafes d’eau.

Il n’était pas le seul à apprécier ce moment, mais c’était particulier pour lui.
Il y avait cette jeune fille qui le faisait se sentir spécial.
La première fois que leurs regards se croisèrent, ses yeux ne purent la quittter.
Elle était timide, les joues légèrement rosées et un sourire gêné.
Il avait eu le coup de foudre.

À chaque fois qu’il finissait son entraînement.
Il attendait ce moment avec impatience.
Ses collègues avaient remarqué son béguin pour cette fille et se moquait gentiment de lui.
Le poussant à se déclarer.
Tout comme elle.
Cela se voyait sur le milieu de sa figure qu’elle ressentait quelque chose pour ce jeune soldat, et ses collègues la poussaient tout autant à être plus explicite.

*

Leur entraînement était fini et les soldats étaient de bonne humeur, se chamaillant gentiment et en riant.
Ils attendaient ce moment d’échange avec les petites mains du château.
Lorsqu’ils virent les employés s’approcher avec des serviettes et des boissons rafraîchissantes, leurs visages s’éclaircirent.

Ils étaient dans leur uniforme qui était constitué de vêtements sobres mais surtout d’un tablier.
Cétait aussi leur moment privilégié de pouvoir mixer leurs classes, sortir de leur quotidien de tâches d’entretien du château et du bien-être global des lieux.

Il souriait et était un peu plus retenu, il avait de l’intérêt pour une seule personne qui semblait rayonner à ses yeux. Elle était agréable, chaleureuse, et son petit rire timide illuminait sa journée.
Elle lui tendit une serviette et il l’accepta avec gratitude. Il faisait en sorte que ce soit elle qui lui donne cette serviette.
Les autres employés étaient loin d’être aveugles et ils avaient tout de suite compris qu’il se passait quelque chose entre ces deux protagonistes, et ils faisaient en sorte de ne pas les gêner.
Ils n’avaient pas l’occasion de se croiser ni de se parler en dehors de ces moments, alors ils en profitaient réciproquement.

Il y avait des soldats femmes, très peu mais il y en avait. Tout comme les employés d’entretien, il y avait des hommes mais très peu.
Il était alors intéressant de mettre en contact ces deux groupes de mixité de genre différents.
Des couples se formaient inévitablement : des femmes avec des hommes, des femmes avec des femmes, ou bien des hommes avec des hommes.

Un homme musclé avec une femme soldat, une femme soldat avec une femme frêle, un homme soldat avec un homme d’entretien. Il y avait de tout.
Et il y avait ce soldat qui était tombé amoureux de cette jeune employée populaire.
Elle était connue de tous par son charisme. Elle était joyeuse, souriante, positive mais également attentionnée, dévouée à son travail.
Le soldat se doutait qu’il y aurait des concurrents et ne se trouvant pas assez bien pour elle, était resté à l’état d’observateur. Attendant et en acceptant de la voir avec quelqu’un d’autre, la voir s’épanouir sans lui et être heureuse.
Cependant, elle n’avait pas de prétendants officiels, et elle ne s’était jamais intéressée à avoir un compagnon, ni une compagne.
Elle savait juste qu’elle se sentait à l’aise à côté de ce soldat en particulier, elle avait du mal à expliquer ce qu’elle ressentait mais elle profitait du court temps qu’ils partageaient.

*

— Ca se voit qu’il y a quelque chose entre vous deux. Tu attends quoi ?
Ses collègues lui avaient dit.

— Mais non… vous vous faites des idées, il est sympathique avec tout le monde… !
Avait-elle répondu, se persuadant qu’elle n’était pas spéciale à ses yeux.

Ce jour-ci, un de ses collègues fit exprès de la bousculer pour qu’elle se rapproche un peu plus de ce soldat. Il n’y était pas allé de main morte et elle trébucha et manqua de tomber.
Le soldat la rattrapa avant, tendant ses bras pour la soutenir, et ainsi, ils se retrouvèrent dans les bras l’un de l’autre.

— Ah… pardon, je ne t’avais pas vue… !
S’excusa son collègue, qui jouait plutôt bien la comédie.

Ils ne relevèrent pas, étant trop gênés par cette situation. Tous les deux les joues rouges, ils n’osaient pas se regarder.

— Est-ce que ça va… ?
Demanda t-il, bégueyant à moitié, et ne sachant comment réagir en la voyant encore plus maladroite.

— Je… euh… oui… ça m’a juste un peu surprise…
Répondit-elle sans relever sa tête, elle sentait ses joues chaudes et ne voulait pas qu’il remarque à quel point cette proximité la chamboulait.

— Ca va, les tourtereaux ?
Une voix s’éleva autour d’eux.

Ils relevèrent la tête pour savoir qui avait pu dire cela.
Le groupe de personnes les fixait et lorsqu’elle remarqua cela, elle fut encore plus embarrassée d’être le centre d’intéret de la foule.
Il remarqua qu’il la serait encore de ses mains et il relâcha son emprise en s’excusant.
Elle ne put supporter plus longtemps les regards et elle s’enfuit, de honte, se réfugiant dans un endroit plus calme.
Il fut pris de panique lorsqu’il la vit partir en se précipitant, à peine qu’il la relâcha.
Se retrouvant penaud, au milieu de ses pairs et des collègues de la jeune fille.

— Oh non, regardez ce que vous avez fait… Vous n’avez pas honte ?!
S’exclama une autre voix, provenant d’un de ses pairs.

— Qu’est ce que tu attends ? Rattrape-la !
Une autre voix des employés du château, le sermona.

— Sauf si tu n’épprouves rien pour elle.
Un autre de ses pairs s’exprima, souhaitant presque prendre sa place s’il avouait qu’il ne ressentait rien.

Il n’attendit pas bien longtemps avant de se mettre en chemin et se précipita pour essayer de la retrouver.
Elle avait quitté la cour intérieure, et il ne la voyait plus.

— Vous êtes vraiment vaches.
— C’est leur donner un petit coup de pouce.
— Il va réussir à se déclarer, vous croyez ?
— Elle est partie où ? On l’a rarement vue dans cet état, quand même. J’espère qu’elle va bien.

Il entendit un petit bruit d’halètement et de respiration plus prononcé.
Elle était derrière un pillier du château, à l’ombre.
Il se rapprocha et l’aperçut le visage en larmes et son coeur s’arrêta.

— Est-ce que… ça va ? Je suis désolé, c’était nul comme question…
Il essaya de se rattraper et sortit un mouchoir en tissu à lui tendre.

Elle sursauta lorsqu’elle le vit.
Elle ne s’attendait pas à croiser quelqu’un et encore moins que ce soit lui en personne.
Elle sanglottait et tentait d’essuyer ses larmes chaudes du revers de sa main, sur son tablier.

— Je… oui, je… ça va… merci…
Répondit-elle en reniflant.

Elle n’osait pas se moucher dedans alors elle essaya d’essuyer ses larmes et tenter de garder une certaine composition en essuyant ce qui s’écoulait de son nez, sans succès.
Elle s’excusa finalement et détourna son visage pour se moucher une bonne fois pour toute dans le précieux mouchoir.

Elle ne pensait pas qu’elle éprouverait de tels sentiments pour lui, mais l’attention des regards posés sur eux, sur elle, et sa réalisation que cette situation la gênait bien plus que ce qu’elle imaginait, elle n’avait pu supporter cette pression, elle avait senti ses joues devenir brûlante et qu’il remarque son état dans ces conditions, elle paniqua et préféra s’enfuir d’embarras. Elle avait trop honte de s’avoir qu’elle l’aimait.

*

Ils n’osaient pas parler. Elle savait qu’elle devait dire quelque chose mais elle ne savait pas quoi.
Et il savait qu’il devait saisir cette chance de pouvoir parler avec elle en tête à tête, pour lui avouer ses sentiments. Le plus dur était de savoir si elle partageait ce qu’il ressentait. La voyant pleurer ainsi, il en doutait, et son coeur s’était resserré dans sa poitrine.
Etait-ce lui qui la rendait si triste ?
Il devait se lancer. Au pire, c’était dit et il pourrait penser à autre chose et tourner la page.

— Je… j’ai quelque chose à te dire… à t’avouer. À vrai dire, j’ai toujours repoussé ce moment parce que je me contentais du peu de temps qu’on passait ensemble, mais… je ne peux plus me voiler la face.

*

Après sa déclaration, dans la peur de se faire rejeter, il fut agréablement surpris lorsqu’elle lui adressa un sourire sincère, s’essuyant ses dernières larmes au coin de ses yeux.

— je crois que… je suis amoureux… de toi.
Avoua t-il, ne réussissant pas à trouver de meilleurs mots pour exprimer ce qu’il avait sur le coeur, et la nature de ses sentiments.

Il ne savait pas à quoi s’attendre mais il craignait sa réaction et il appréhendait un rejet, même s’il avait imaginé cette probabilité.

— Je crois… que moi aussi.
Avait-elle répondu, timidement, en le regardant dans les yeux. Le coeur battant à tout rompre.

Il avait du mal à réaliser ce qu’elle venait de dire, et cela semblait trop beau pour être vrai.
Elle qui était si populaire et qui avait plusieurs admirateurs, elle venait de lui dire qu’elle était peut-être amoureuse de lui. Cela semblait incroyable.
Les joues encore humides, elle lui souriait.
Il s’approcha et de sa main droite, il la passa dans les cheveux de la jeune femme, puis ses lèvres se posèrent sur les siennes.
Il avait hésité une seconde avant de se lancer, mais elle ne l’avait pas repoussé, elle n’avait pas fui.
Elle l’avait aggripé sur ses vêtements et s’était approchée de lui pour coller sa bouche sur la sienne.
Ils étaient tous les deux derrière un pillier, à l’ombre, à l’abri des regards indiscrets.
Cet instant magique sembla durer une éternité mais ils durent revenir à la réalité.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant… ?
— … Je leur en veux un peu… j’aimerai me venger gentiment en leur faisant croire que ça n’a pas marché comme ils le pensaient. Qu’en dis-tu ?

Elle sourit timidement et acquiesça.
Ils retournèrent sur le terrain mais séparément.
D’abord lui, bredouille, puis elle, quelques minutes après.

— Bah alors… ? Que s’est-il passé… ?
Demanda l’un d’entre eux, en le voyant revenir la tête baissée.

Il secoua la tête et ne préfera pas répondre.

*

Un chevalier serrant dans ses bras et en portant une jeune femme, tous les deux souriants.

2021.06.04

Nuages

Les ailes déployées, elle était assise au bord d’un nuage et contemplait le paysage qui défilait en dessous d’elle.
Les cheveux virevoltants au vent.
L’air frais de la nuit lui caressait le visage et le corps tout entier.
Elle était dans une tenue blanche ample, les manches longues étaient légèrement bouffantes mais se resserraient au niveau du poignet, et le bas du haut était rentré dans un pantalon trois-quart porte-feuille cintré à la taille. Le tout dans des tons crème.
Elle était pieds nus, dans le vide.
La peau claire et les cheveux blonds lisses et longs qui lui arrivaient jusqu’en bas du dos.
Un ruban les attachait au niveau de sa nuque.
Ses ailes étaient éclatantes de blancheur, elles étaient ouvertes et les plumes prenaient les petites bourrasques de vent qui soufflaient à cette hauteur.
Si elle se décidait à sauter, elle s’envolerait sans aucun problème.
Elle semblait perdue dans ses pensées.

*

Ils vivaient au dessus des nuages, une vie éternelle, sans souci, juste faite de plénitude et de sérénité.
Il n’y avait pas de hiérarchie et chacun faisait ce qui lui plaisait.
Ils ignoraient comment ils étaient arrivés là, ni quand leur existence prendrait fin.

*

Elle se baladait dans les ruelles, observant les passants sans qu’ils ne puissent la voir.
C’était une grande ville et les passages piétons étaient noirs de monde.
Elle marchait sans but, lorsqu’elle vit une autre personne mais avec des ailes d’une autre couleur, mais surtout d’une autre forme. Elles ne comportaient pas de plumes. Ils se dévisagèrent tout en continuant de marcher.

2021.02.27

Gala [RolePlay]

Ce soir là, elle avait proposé à Vlad de l’accompagner à un gala.
Nao avait manifesté son mécontentement pour la forme, par jalousie mais Chloé savait qu’il n’était pas tr-ès friand de ce genre d’évènement.
Il l’avait déjà accompagnée une fois et il eut du mal à justifier qu’il était majeur, et cela l’avait agacé durant la nuit entière.

Ils sétaient apprêtés en conséquence.
C’était un évènement professionnel, il y avait des directeurs de groupes, et de boutiques de toute la ville.
Quelqu’un de haut placé avait decidé d’organiser cela de manière assez régulière pour garder un bon contact avec les différents acteurs du secteur.
Chloé tenait un établissement assez réputé et il était normal qu’elle soit présente.
Cela l’arrangeait que cela se déroule après le coucher du soleil.

L’établissement de Chloé était un SPA hammam jacuzzi en journée et assurait un service le soir avec une ambiance plus décontractée et adulte, pour les naturistes, le libertinage ou autre.
Il arrivait qu’il y soit organisé des soirées à thèmes lors de certains évènements. BDSM, saint Valentin, Noël.
C’était un endroit propre et respectable. Chloé faisait en sorte de maintenir un certain standing.

Elle portait une robe couleur bordeaux cintrée, le style pouvait rappeler un autre temps mais il avait était modifié pour correspondre aux goûts du jour. Les matières étaient nobles, le tissu au corps était mat et épais, épousant parfaitement son torse et sa poitrine presque inexistante. Les manches étaient en tissu léger et doux, très longues tombant avec des plis.
Le bas de la robe n’était pas trop ample, juste ce qu’il faut pour ne pas gêner tout en gardant un coté esthétique.
Ses cheveux étaient lâchés, en toute simplicité. Son manteau avait été laissé au vestiaire.
Elle était de petite taille et elle avait opté pour des chaussures simples sans talon.

Vladislaw avait un costume simple : une chemise bleue très clair avec une veste et un pantalon noir.
Des chaussures de ville en cuir sombre.
Il ne souriait pas et observait sans un mot, restant auprès de Chloé tout en surveillant les alentours.

— Détends-toi, on est ici pour profiter.
Sourit Chloé, en tapotant la veste de Vladislaw.

Il lâcha un soupir.
Il y avait des boissons et des amuse-bouches sur des comptoirs, quelques serveurs étaient à disposition si certains voulaient boire un verre spécifique.
Chloé fit bonne figure en saluant ceux qu’elle connaissait, ou d’autres qu’elle connaissait moins.

Un groupe de jeunes hommes l’abordèrent en ignorant Vladislaw.
Ils avaient eu vent de son entreprise et semblaient relativement inbibé d’alcool, ils la questionnaient sur les soirées spéciales de son établissement et riaient grassement, tout en sous-entendant et assumant qu’elle était quelqu’un de très ouvert d’esprit et volage.
Vladislaw n’aimait pas leur ton, et sur le point de s’interposer et leur répondre.
Chloé attrapa la manche de sa veste et lui fit comprendre qu’il ne devait pas intervenir.

— C’est qui lui ? Ton copain ? Le gérant ? T’es pas un peu jeune pour avoir ton entreprise ?

Elle resta courtoise avec un sourire forcé.
Elle ne voulait pas mal se comporter en public et laissa couler en espérant qu’ils se ridiculisent d’eux-même.
Les autres invités semblaient désapprouver la présence de ces jeunes et ne savaient pas pourquoi ils étaient là ce soir, mais personne ne voulait intervenir.
D’autres ne remarquèrent pas qu’il y avait un problème.
Le ton commençait à monter doucement, et ils commencèrent par attirer l’attention.

Annabelle les vit, et elle fit signe à Marianne qu’il se passait quelque chose.
Elle semblait préoccupée que ce groupe de jeunes se comportent ainsi dans une soirée comme celle-ci, et surtout qu’ils importunent une jeune fille avec son petit copain. Etrangement, la jeune fille s’était interposée pour protéger son copain, ou cela semblait être sa volonté, et ce dernier ne réagissait pas.
Annabelle regardait alors cette scène, en essayant de comprendre pourquoi personne ne réagissait.
Marianne le vit dans ses yeux, et sourit doucement.
Elle rassura sa compagne et se dirigea vers le groupe, avec une assurance et une aise surprenante.

— Hey, on t’a cherché partout ! Tu étais donc là ! Ah, je vous dérange… ? Annabelle ! Ils sont là !

Marianne avait haussé le ton et faisait des grands signes à Annabelle pour qu’elle s’approche également.
Les regards étaient rivés sur elles.
Tout d’abord, Marianne était une femme métisse caucasienne asiatique, plutôt grande et musclée. Elle portait une robe cocktail noire longue et ouverte aux cuisses, elle était intimidante. Les cheveux noirs attachés en queue de cheval sans une mèche qui dépassait.
Annabelle était blonde aux cheveux blonds et fins, bouclés avec une frange. Elle avait un visage de poupée surtout qu’elle n’avait pas beaucoup d’expression. Sa peau claire accentuait son air de porcelaine. Elle portait une robe noire courte qui mettait en valeur sa poitrine génereuse et ses hanches voluptueuses.

Les jeunes hommes se retournèrent et se rendirent compte à ce moment, qu’ils étaient en plein milieu de l’attention. Ils étaient observés et ils ignoraient depuis combien de temps. Cela refroidirent radicalement leurs ardeurs.
Ils décidèrent de s’éloigner sans faire plus de grabuge.

Marianne sourit à Chloé et salua Vladislaw courtoisement.
Annabelle était en chemin et elle les rejoint juste après.

— Bonsoir, je m’excuse d’être intervenue mais je ne pouvais pas les laisser vous importuner sans rien faire. Enfin, Annabelle ne me l’aurait pas pardonnée, n’est-ce pas ?

Annabelle préféra ignorer cette question qui lui était adressée.

— … Ne vous excusez pas, merci…
— Je m’appelle Marianne, enchantée.

Ils se présentèrent et discutèrent plus longuement au sujet de leur entreprise.

— Impressionnant, vous paraissez si jeune, si je peux me le permettre. Je ne dis pas que vous n’en avez pas les compétences, au contraire. Cela est d’autant plus surprenant.
— Je fais plus jeune que mon réel âge, on me le dit souvent. J’ai la chance d’être bien entourée.
— Cela est une chance considérable. Je ne saurais ce que je ferai sans l’aide d’Annabelle !

Cette dernière donna un coup de coude à Marianne qui fit semblant d’avoir mal.

— Il y a parfois des énergumes de ce genre, je suis vraiment désolée que vous soyez tombés sur eux ce soir. D’après ce que j’ai entendu dire, ce sont des jeunes entrepreneurs qui cherchent

2021.10.28