1 – Moineau

La petite tête blonde aux yeux bleus avait pris son indépendance relativement tôt.
Elle avait ressenti le besoin de quitter le foyer familial très rapidement, peut-être même trop rapidement. Elle ne supportait plus l’ambiance chez elle, la relation inexistante qu’elle avait avec ses parents. Ils n’avaient jamais eu de réelles attaches ni d’affection pour elle, et elle avait finit par accepter cette réalité. Il régnait une atmosphère déroutante où elle avait l’impression de vivre avec des inconnus. Ils ne se parlaient presque pas et malgré sa volonté à créer un certain lien, ils l’avaient ignorée tout au long de son adolescence. C’est en écoutant les conversations entre ses camarades de classe, qu’elle s’était rendue compte du décalage et de l’anormalité de sa situation.
Elle n’avait pas été maltraitée, il n’y avait pas eu de violence physique, juste de l’indifférence.
Elle les avait quittés sans vague, elle leur avait annoncé qu’elle s’en allait et ils n’avaient même pas relevé. Peut-être qu’ils n’y avaient pas cru, ils ne pensaient pas qu’elle aurait eu le courage ni la volonté de s’émanciper.
Le jour de son départ, elle emporta avec elle une petite valise dans laquelle elle avait le stricte nécessaire. Malgré les quelques mots blessant qu’ils avaient prononcé durant son enfance, et qu’elle avait ancré dans sa poitrine.
Elle se sentait plus légère.

Elle avait préparé depuis des mois ce projet.
Elle avait dû arrêter ses études, elle n’avait pas des notes excellentes, elle n’était pas non plus médiocres mais il avait fallu faire un choix.
Elle avait besoin d’un petit travail pour mettre de l’argent de côté et pouvoir louer un logement, même minuscule.
Elle avait senti qu’elle deviendrait folle si elle continuait à vivre avec ses géniteurs. C’était étrange, elle n’était pas à plaindre mais quelque chose en elle, son instinct, lui dictait de fuir loin.
Lorsqu’elle partit, sa valise à la main, elle savait exactement ce qu’elle devait faire.
Le billet de train était dans sa poche, elle allait enfin pouvoir voler de ses propres elles.

Ses économies de départ avaient été constituées d’un petit boulot près de chez ses parents.
Elle avait fait ses recherches et elle avait réussi à trouver un hôtel miteux à bas prix qui lui permettrait de ne pas dormir dehors en attendant d’avoir un emploi et pouvoir faire la demande d’un appartement en location.
Elle était livrée à elle-même et elle devait commencer par chercher un travail stable. C’était le plan de base qu’elle avait mûrement réfléchi, et elle était consciente qu’elle pouvait totalement se tromper et s’écraser au sol. Pour le moment, elle restait positive parce qu’elle le devait.
Elle se convainquait de garder la tête haute, submergée par ses émotions, la boule au ventre, elle essayait de ne pas se laisser aller. Elle avait choisi cet avenir.
Une nouvelle vie dans une nouvelle ville.

Roulée en boule dans un lit, elle appréciait cette aventure inédite. Bien entendu qu’elle avait peur, mais elle essayait de s’accrocher à ce sentiment de liberté et ce fragment de bonheur qu’elle ressentait au creux de sa poitrine. Elle avait encore du mal à croire qu’elle l’avait fait. Ses parents n’avaient aucun moyen de la contacter, elle n’avait pas de téléphone, elle n’avait rien dit et le plus important dans tout cela, elle était majeure. Le lycée finit, le baccalauréat en poche. Pas d’études supérieures pour elle. Elle avait tout juste 19 ans et l’avenir devant elle. Elle n’avait de compte à rendre à personne à part elle-même.

Plusieurs années se sont écoulées et elle vivait maintenant dans son propre appartement.
Elle avait trouvé un emploi stable, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus passionnant mais elle avait un salaire qui lui permettait de payer son loyer et survivre chaque mois.
Il était déjà difficile de trouver un emploi sans aucune qualification alors elle n’avait pas fait la fine bouche, elle avait accepté l’une des premières offres qui se présentait.
Ils étaient satisfaits de son travail et elle n’était pas une employée problématique.
Elle s’était prouvée qu’elle était capable d’aller au bout de ses idées, et par la même occasion, elle prouvait à ses géniteurs qu’elle n’était pas qu’une incompétente. Elle avait réussi à voler de ses propres ailes, même si ce n’était pas très haut, elle battait des ailes et picorait les grains que la vie semait au vent.
Elle ressentait une certaine fierté et c’était agréable.

Les journées, les semaines et les mois s’écoulaient. Chaque jour se ressemblait et aucune étincelle particulière éclairait sa vie. À 22 ans, elle était consciente d’être en bas de l’échelle sociale, elle n’avait pas d’ami, son salaire ne lui permettait pas de faire des folies et ce n’était pas qu’une histoire d’argent. Elle manquait également d’énergie, le temps libre dont elle disposait était généralement utilisé pour se reposer. Le week-end filait à une vitesse folle et c’était reparti pour une nouvelle semaine. Elle voyait clairement le schéma redondant de son quotidien. Quelle autre alternative avait-elle ? Elle ne voyait pas de porte de sortie, maintenant qu’elle avait réussi à avoir une certaine stabilité, avait-elle le courage de tout recommencer à nouveau ?

Rentrée chez elle, elle tria son courrier.
Des factures et de la publicité. Un tract attira son attention : un bout de papier plus épais que les autres, une texture agréable au toucher et une impression impeccable.
Ce n’était pas la première fois qu’elle le recevait.
L’entreprise faisait la promotion de la vente d’humains de compagnie.
Sur le recto : le papier vantait les bienfaits d’adopter un humain de compagnie. Un être qui s’occuperait des tâches ménagères, qui casserait la solitude, la routine ou qui pourrait leur donner de l’affection après une dure journée de travail.
Au verso : on s’adressait aux gens désespérés, à ceux qui n’avaient rien ou ceux qui auraient perdu espoir. On leur faisait miroiter une alternative utopique. Qu’ils seraient chouchoutés par des acheteurs, qu’ils donneraient enfin un sens à leur vie en dédiant la leur à quelqu’un d’autre. Qu’ils feraient parti d’un cercle vertueux.

N’abandonnez pas votre vie, abandonnez votre humanité.
Une nouvelle vie s’offre à vous.

Elle s’assit au rebord de son lit, le papier encore dans la main et elle esquissa un sourire. C’était du n’importe quoi. Elle se demanda qui était le plus désespéré. Les gens ou l’entreprise qui prenait la peine d’envoyer régulièrement de la publicité pour remplir leur magasin d’humains ?

Lorsqu’elle en avait entendu parler pour la première fois, cela avait attisé sa curiosité et elle avait fait ses propres recherches.
Elle avait lu des histoires plus glauques les unes que les autres.
Rien ne garantissait la sécurité des humains de compagnie. Les plus riches avaient parfois des lubies extrêmes et dérangeants. Certains humains de compagnie étaient à peine considérés comme des animaux, sans parler de leur durée de vie courte liée à des problèmes psychologiques ou physiques. Leur bien-être et leur santé étaient souvent négligés. Sous prétexte que cela se passait dans un cadre privé, il était facile pour les plus aisés de détruire des preuves, de cacher leur crime ou acheter leur innocence.
Elle avait retenu les pires abus de ce système.
Elle s’était convaincue que c’était une mauvaise idée en se concentrant principalement sur les points négatifs. C’était en quelque sorte, son moyen de protection pour éviter d’avoir le moindre espoir et ne pas se laisser tenter par cette offre. C’était une mauvaise idée, elle ne devait pas espérer s’échapper par cette porte.

Elle regarda autour d’elle. Elle habitait une chambre de bonne sous les toits.
Son appartement était presque vide, composé du stricte minimum pour survivre.
Il n’avait pas tant changé depuis son arrivée. Elle n’avait rien construit et elle ne pouvait pas se projeter avec son salaire actuel. Cela relevait déjà du miracle qu’elle arrive à joindre les deux bouts.
Elle soupira. Elle était fatiguée et elle se sentait vide. Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait cette impuissance, elle savait que c’était un sentiment passager. Demain serait une nouvelle journée, ça irait mieux. Il fallait qu’elle tienne bon. Sa situation changerait, elle était encore jeune et elle ne savait pas ce que les prochaines années lui réservaient.
Elle devait garder le cap.

Le lendemain soir, après sa journée de travail, elle se balada et fit un détour avant de rentrer chez elle.
Ses pas la menèrent devant le bâtiment. Il y en avait un dans son quartier qu’elle avait toujours pris le soin d’éviter jusqu’à aujourd’hui.
Elle observa la devanture sans oser entrer. Une vitrine tape-à-l’œil, des photos de gens souriants, des textes racoleurs et des slogans marquants.

Le bonheur n’a pas de prix.

Cela faisait déjà plusieurs minutes qu’elle était plantée là, à contempler la façade.
Ses jambes ne voulaient pas bouger, elle était tiraillée.
Maintenant qu’elle était là, sa curiosité était trop grande pour faire demi-tour.
Juste un coup d’œil, et peut-être quelques questions.
Rien de plus.

Elle poussa la porte d’entrée.

2 réflexions sur “1 – Moineau

  1. Alkaest dit :

    Bonjour

    Je trouve bien sympa cette histoire.

    J’ai noté un petit détail mignon… je saurais pas dire que c’est une « fôte » parce que ça m’a fait partir sur un petit délire.
    C’est à la fin du premier paragraphe : « Malgré les quelques mots blessant qu’ils avaient prononcé durant son enfance, et qu’elle avait [b]encré[/b] dans sa poitrine. »

    Du coup le mot encre m’a fait partir sur une idée de tatouage de ces mots blessants. Et surtout « dans sa poitrine » suggère que c’est son cœur qui a été tatoué de ces mots… Voilà, moi aussi je me suis permis un petit délire sur tes mots. Donc pas obligé de réécrire « ancrés ».

    • Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire et de me laisser un commentaire !
      Ca signifie beaucoup pour moi.

      AAhh je fais toujours cette faute et même en te lisant j’ai pas compris où j’avais pu faire une erreur, jusqu’à ce que tu m’expliques à la toute fin… Quelle bourde, mille merci et je corrige ça de suite !

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