3 – Ambition

La jeune fille aux cheveux noirs avait eu un parcours scolaire sans accro. Elle avait toujours eu d’excellentes notes, les félicitations de ses professeurs et elle faisait la fierté de ses parents. Elle avait été acceptée dans une école de commerce réputée et ils s’en étaient réjouis mais elle avait d’autres projets en tête. Après plus de six mois sur les bancs de l’école, elle en avait eu marre. Elle s’ennuyait, elle n’apprenait rien de nouveau. Elle se documentait elle-même sur son temps libre et cela lui suffisait. Elle appréciait ses camarades de classe, elle profitait des soirées étudiantes où l’alcool coulait à flots, les soirées interminables à refaire le monde entre amis, mais elle avait l’impression de perdre son temps.
Elle était consciente du coût de ses études et elle se décida à en parler à ses parents. Elle souhaitait arrêter les frais liés à son école. Elle voulait se consacrer pleinement à son projet.
Elle avait préparé ses arguments et elle espérait que ses parents comprennent et injectent le budget consacré à ses études dans son plan.

Lorsqu’elle leur exposa sa vision, ils crurent à une blague de mauvais goût, voire même à de la provocation.
Elle souhaitait ouvrir un établissement pour protéger les travailleurs du sexe. Peu importe tous les arguments et le sérieux qu’elle avait, ils désapprouvèrent et essayèrent de la convaincre de finir ses études, d’obtenir son diplôme dans l’espoir qu’elle puisse avoir un avenir assuré. Ils espéraient secrètement qu’elle change d’avis à la fin de son cursus.
Elle se fâcha avec ses parents, elle était incomprise et ils étaient plus que déçus de faire face à l’ingratitude de leur fille.
Elle accepta de finir son année pour que les frais de scolarité ne soient pas jetés par la fenêtre mais elle avait déjà commencé à préparer la suite.
Elle était brillante, les résultats obtenus étaient excellents et ses professeurs furent surpris de ne pas la voir sur la liste des élèves inscrits l’année suivante.
Elle profita des vacances scolaires pour trouver un travail saisonnier, et à la rentrée scolaire, elle fit ses valises pour quitter la demeure familiale. Jusqu’au dernier moment, ses parents espérèrent qu’elle entende raison.

Elle put compter sur ses amis pour l’héberger un premier temps. Elle fit attention à changer régulièrement de canapé pour ne pas s’imposer et détériorer ses relations amicales. Elle trouva rapidement un logement de misère pour continuer à accumuler les fonds pour financer son projet. Ce fut une période intense pour elle.
Durant des mois, elle accumula des petits boulots. Avec ses compétences et ses contacts, elle put obtenir des missions grassement payées mais elle avait un rythme de vie effréné.
Au bout de quelques années, elle réussit à constituer un fond conséquent et lorsqu’elle eut l’opportunité d’acheter son local, elle fut confrontée à la dure réalité. Elle n’avait pas assez. Elle était seule et démunie, il lui manquait du temps. Elle aurait les fonds dans un an, avec un peu de chance, mais c’était maintenant qu’elle en avait besoin. Le bien immobilier qu’elle avait repéré était parfait pour son projet et il allait lui filer sous le nez. Un prêt bancaire était envisageable mais elle était dans une situation instable. Le risque qu’on lui refuse un prêt malgré l’apport important était bien trop grand.
Elle en discuta avec son ami le plus proche, un garçon qu’elle avait rencontré à l’école de commerce. Il lui proposa de lui prêter la somme qui lui manquait.
Il avait obtenu son diplôme et il se vantait d’occuper un poste très bien rémunéré.

— J’en fais rien, il dort sur mon compte en banque. Au moins, toi, tu as de l’ambition et un rêve à réaliser. Ca me donnera l’impression de faire quelque chose d’utile avec mon salaire. Autant qu’il serve.
Avait-il dit, de manière nonchalante.

Elle était sans voix, elle ne savait pas comment réagir. Elle était touchée par sa proposition et en même temps, elle ne pouvait pas accepter.
Elle s’était liée d’une amitié sincère avec lui, c’était la dernière personne avec qui elle voulait se fâcher pour une histoire pécuniaire.
Ce n’était pas une petite somme anodine. Cela l’effrayait.

— C’est un prêt, hein. Tu passes par moi, à taux zéro. Tu le veux ou pas, cet immeuble ?

Elle était en pleine réflexion. Il n’avait pas tort, elle dramatisait la situation.

— Je sais où tu habites et dans le pire des cas, tu devras travailler pour moi pour me rembourser jusqu’au dernier centime.
Dit-il avec un sourire narquois.

Était-ce pire de perdre son amitié ou de devoir être son employée ?
Elle hésitait.
Il mit fin à la discussion en la menaçant d’acheter le bâtiment lui-même si elle ne se décidait pas rapidement.
Il la connaissait trop bien. Elle accepta son prêt, et elle contacta l’agence immobilière pour acquérir le bien dans les plus brefs délais. Son projet put enfin démarrer.

Ce n’était que le commencement.
Toutes ses économies s’étaient envolées mais elle était l’heureuse propriétaire de ce bâtiment. Un immeuble de plusieurs étages à la façade en pierres taillées.
L’intérieur était dans son jus d’époque et les pièces n’étaient pas exploitables en l’état. La seule chose qu’elle pouvait faire pour le moment, c’était rendre sa chambre en location et rapatrier ses affaires ici. Son nouveau chez elle.
Elle continua de travailler pour investir dans des travaux de rénovation.
Grâce à ses amis et leurs contacts, elle put obtenir de l’aide sur son chantier et bénéficier de prix préférentiels. Architecte d’intérieur, plombier, maçon, elle put avoir des ouvriers qualifiés et de confiance pour bâtir son rêve.
Elle ne chômait pas entre ses différentes missions de travail et la mise en place de sa maison.
Elle avait tenu à garder le cachet d’antan tout en restaurant les parties abîmées. Elle récupéra des beaux meubles à prix imbattable dans des brocantes et même gratuitement sur des sites de dons.
En moins d’un an, l’intérieur avait entièrement changé.

Il ne lui restait plus qu’à trouver des personnes assez intéressées par son projet pour lui faire confiance et travailler pour elle.
Elle se rendit sur le terrain pour discuter directement avec celles concernées.
Les premières qu’elle croisa furent des femmes et elles ne la prirent pas au sérieux. Malgré le fait qu’elle soit elle-même une femme, elles restaient méfiantes et sur leur garde. Sa proposition était beaucoup trop alléchante pour être vraie.
Elles n’avaient pas grand chose à y perdre, elles avaient l’habitude de faire leur travail dans la rue et elles ne possédaient rien, ou presque rien. Au fil du temps, elles étaient devenues solidaires et elles s’entraidaient au moindre problème.
Elles craignaient qu’on se moque d’elle.
La jeune entrepreneuse avait réussi à les convaincre de venir jeter un coup d’œil à sa maison pour qu’elles puissent juger de son sérieux.
Elle avait été honnête en leur avouant qu’il restait encore quelques détails à finaliser, mais le contrat de travail qu’elle leur proposait était déjà prêt.
Elle ne réclamait qu’un pourcentage des recettes, certes conséquent sur le papier mais en contrepartie elles bénéficiaient d’un logis et d’une sécurité.
Elle prendrait en charge la mise à disposition du logement ainsi que les biens de première nécessité comme la cuisine, la salle de bain, la buanderie.
Elle leur offrait un vrai contrat de travail avec toutes les aides associées, voire plus. Elle souhaitait mettre en place un système de suivi médical ainsi qu’une voie de sortie pour celles qui préfèreraient se réorienter et quitter ce métier.

Elles croyaient halluciner. Elles entrèrent dans une demeure propre, chaleureuse et décorée avec style. C’était une sorte de manoir et la plupart d’entre elles n’aurait jamais cru pouvoir mettre les pieds dans un tel endroit de leur vie. Lorsqu’elle leur expliqua que ça pourrait être leur lieu de travail et de vie, elles restèrent sans voix. C’était trop beau pour être vrai.
Certaines émirent l’hypothèse qu’elle souhaitait les arnaquer. Il y avait certainement un piège, des petites lignes discrètes dans le contrat.

— C’est du délire, on a aucune certitude qu’elle ne ment pas.
— Et si elle dit la vérité ?
— C’est pas un peu trop beau comme proposition ?
— C’est qui cette gamine ?
— J’ai envie d’y croire.
— Et si ça marche pas ?
— On retournera d’où on vient, tout simplement.
— Ca fait combien de temps qu’on a pas dormi dans un vrai lit, et pris un bain ?
— Elle n’a aucun moyen de nous garder en otage, hein… ?
— Etre prisonnière dans ce palace ? J’ai connu pire comme châtiment.

Après mûre réflexion, elles acceptèrent à la condition que si l’offre était mensongère, elles s’en iraient. Elles savaient qu’elles ne risquaient pas grand chose, leur interlocutrice paraissait beaucoup trop honnête et jeune. Elle n’avait pas encore 30 ans et ses origines génétiques la rajeunissait un peu plus. Elle semblait inexpérimentée et elles avaient encore un doute sur la véracité de tout ce qu’elle avait dit.

Elle était aux anges. Elle avait ses premières employées, c’était un excellent début. Ce n’était qu’une petite poignée de personnes, mais c’était largement suffisant pour commencer à mettre en place le système, et y ajouter des modifications au fur et à mesure.
Elle devait garder le cap et leur prouver que son projet tenait la route.
Elle aurait pu craindre que le lieux soit saccagé, c’était peut-être le plus gros risque pour elle, mais elle fut au contraire agréablement surprise.
Les premières occupantes en prirent soin. Elles avaient connu la précarité et cet endroit était une lueur d’espoir, un cocon qu’elle ne pouvait que chérir. Celles qui avaient accepté de suivre ce mirage avaient pris le risque de faire confiance, quitte à retomber dans leur misère par la suite. Elles souhaitaient mettre toutes les chances de leur côté et cela commençait par montrer patte blanche.

2 – Protocole

Elle avait franchi le pas, elle était à l’intérieur.
La décoration était moderne, les luminaires avaient un look futuriste et diffusaient un halo agréable dans l’entrée. Elle remarqua la personne au guichet qui l’observait de manière un peu insistante. Il y avait de quoi, la visiteuse avait l’air totalement déboussolée dans cet endroit. Sans évoquer son apparence qui détonait complètement avec l’environnement.
Les cheveux blonds détachés entouraient un visage rond et tombaient en cascade sur ses épaules. Les yeux bleus de la jeune femme étaient cachés derrière sa franche trop longue. Elle portait une veste en jeans trop grande, à moitié ouverte, sur un T-shirt clair et un pantalon trop large qui était retenu par une ceinture à sa taille.
Elle triturait les derniers boutons de sa veste, en cherchant les bons mots pour aborder l’hôtesse d’accueil qui était en train de la dévisager.

— Bonjour… ? Est-ce que je peux vous aider… ?
L’hôtesse brisa le silence en premier.

Derrière son guichet, elle était sur ses gardes.
Elle avait déjà eu des visiteurs indésirables et si c’était le cas, elle devrait user de toute sa diplomatie pour s’en débarrasser, et le plus rapidement possible.
Elle avait encore le bénéfice du doute, il était possible que la personne devant elle soit tout simplement perdue, ou cherche à utiliser leurs toilettes.

— B-Bonjour… euh… oui… Je souhaiterais avoir quelques informations.

Elle avait été prise au dépourvu.
Evidemment, il fallait dire bonjour. Sa phrase n’avait pas eu le temps d’être formée entièrement dans sa tête qu’elle dut s’exprimer maladroitement.

— Oui, à quel sujet ? L’adoption ? L’abandon d’humanité ?

Il y avait quelque chose dans le regard de l’hôtesse.
Du dédain ? C’était évident qu’elle ne ressemblait pas à un acheteur potentiel.
Elle faillit ajouter « les toilettes ? » à ses questions, mais elle jugea préférable de ne pas le faire.

— L’abandon…
Répondit-elle, à demi-mot et les yeux baissés.

L’hôtesse changea d’attitude soudainement et prit une voix enjouée pour lui répondre.
Sa coiffure était parfaite, aucune mèche ne dépassait de son chignon, sa tenue n’avait aucun faux pli et son maquillage discret accentuait joliment les traits de son visage. Elle se réjouit d’avance d’avoir une potentielle admission. Cela se faisait rare et de ce qu’elle observait, la personne en face d’elle avait presque l’air normal comparé à certains dossiers qu’elle avait traités. C’était une aubaine et elle allait faire son possible pour ne pas la laisser filer.

— Est-ce que ça vous intéresse ?
— Je… euh non, je souhaitais juste me renseigner… Est-ce qu’il y a des démarches… ?
— Tout ce dont nous avons besoin c’est d’une pièce d’identité. Nous nous occupons du reste.
— Ah bon… ? Je croyais que…
— La législation a changé récemment, l’admission est grandement facilitée.

L’hôtesse affichait un large sourire et elle sortit une feuille qu’elle posa devant elle, dans le bon sens de lecture pour son interlocutrice.

— Voici le document en question.

Elle était perturbée, elle n’avait pas dit qu’elle comptait s’abandonner mais l’hôtesse avait fait comme si c’était le cas, et elle semblait même anticiper ses questions.
La blondinette resta muette et prit le temps de lire la feuille.

Je soussigné.e …
né·e le …
à…
renonce de manière définitive à mes droits ainsi qu’à mes devoirs en tant que personne morale et civile. J’octroie la capacité d’effectuer tous les actes en mon nom, le droit de gestion de mes biens personnels et de mon patrimoine à l’établissement Happiness Humans.
L’établissement s’engage à être garant, de fournir protection et de subvenir aux besoins de premières nécessités de la personne, et ce jusqu’au prochain contrat de propriété.

— Si vous le souhaitez, je peux également vous mettre à disposition les annexes.

Elle refusa poliment. Elle n’avait pas eu le temps de tout lire, mais elle s’était déjà trop attardée en ces lieux.
L’hôtesse continuait de lui sourire, un sourire beaucoup trop marqué pour être bienveillant.
Elle se sentait en danger et il fallait qu’elle quitte cet endroit avant de faire une bêtise.

— Est-ce que vous souhaitez vous abandonner ?
Demanda t-elle d’une voix mielleuse et accueillante.

Elle avait attendu le bon moment, elle observait attentivement l’expression de sa proie, elle pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Elle perçut les failles de son âme et elle posa sa question au moment opportun.

Ses jambes refusèrent de bouger, et ses yeux étaient encore rivés sur le contrat d’abandon. Qu’est-ce qui la retenait, finalement ?
Elle savait au fond d’elle que si elle rentrait chez elle aujourd’hui, elle finirait par revenir à nouveau. Est-ce que ce n’était pas une perte de temps de retarder l’inévitable ? Ce n’était qu’un raccourci. Elle était en train de baisser les bras. Ses idées n’étaient pas au clair, elle était sur le point de prendre une décision sous le coup de l’émotion.
Ses mains étaient moites. Elle se mordit les lèvres.
La question l’avait complètement déstabilisée, elle devait répondre et elle était consciente qu’elle faisait patienter la dame qui la fixait d’une manière déroutante.

— O-oui… ?
Répondit-elle sans s’en rendre compte.

Elle était émotionnellement instable et en position de faiblesse. Son interlocutrice avait exploité cet élément. Elle était tétanisée par ses propres mots, elle n’arrivait pas à croire qu’elle venait de prononcer à haute voix cette réponse. Elle était dans un état second.

L’hôtesse bondit de joie, elle s’approcha d’elle et lui attrapa le bras pour l’inciter à la suivre.
Elle n’avait pas été violente, au contraire. Elle avait été d’une extrême douceur, la traitant avec un certain soin. Elle n’arrivait pas à réaliser ce qui lui arrivait, elle n’avait plus aucune énergie pour lutter, elle se faisait emporter par le courant des évènements. Elle n’avait pas dit non, elle ne se sentait pas forcée, elle se laissait faire. Elle avait l’impression d’assister à la scène en tant que spectatrice.
On l’emmena dans le bureau de la directrice, qui ne cacha pas sa surprise.

Elle avait été assise en face d’une femme d’âge mûr, les cheveux grisonnants et un visage sincèrement doux. Elle dégageait une aura agréable. Elle portait des lunettes qu’elle abaissait de temps en temps sur son nez pour mieux voir.
Elle lui avait demandé sa carte d’identité et elle étudiait son profil attentivement.

La plus jeune était intimidée, le bureau qui les séparait était fourni et la pièce comportait beaucoup d’éléments qui attiraient son attention. C’était également une manière de fuir le contact visuel. Elle avait honte d’être là, d’être jugée parce qu’elle était faible, parce qu’elle avait choisi l’option de facilité.

La directrice avait été d’une extrême gentillesse. Elle l’avait questionné sur son parcours, elle l’avait écouté attentivement et elles avaient relu ensemble tout le document. Elle s’inquiétait sincèrement pour elle, mais en même temps elle ne pouvait pas refuser une telle admission. C’était un profil plus qu’intéressant qu’elle avait rarement l’occasion de voir. Ce n’était qu’une personne lambda mais cela en disait long sur les autres personnalités qui défilaient dans son bureau.

— Es-tu sûre de ton choix ?
Avait-elle demandé par principe. Elle percevait son hésitation et ses craintes, et même si c’était son gagne-pain, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine compassion pour la jeune fille en face d’elle.

Elle avait encore la possibilité de changer d’avis, elle aurait pu se lever et s’en aller.
Elle n’était engagée à rien, on lui laissait le choix.
Était-ce une stratégie rondement menée pour lui faire croire qu’elle était en pleine possession de ses sens et de son libre arbitre ?
La directrice avait réussi à la mettre en confiance, à la rassurer et même la convaincre qu’elle n’avait pas plus à craindre que ce à quoi elle s’était déjà mentalement préparée.
Elle connaissait les termes, les conditions et tout ce à quoi elle renonçait.
Son libre arbitre, sa propriété intellectuelle. Qu’elle ne pourrait pas revenir en arrière.
Elle savait tout ça.
Pourtant, elle décida de rester sur sa chaise.

Elle avait eu le courage de pénétrer dans cet endroit, puis elle avait admis qu’elle souhaitait abandonner son humanité. Elle avait été si sincère envers elle-même qu’elle en était encore chamboulée. Rebrousser chemin alors qu’elle était à la dernière étape ? C’était une opportunité qui ne se présenterait peut-être pas de si tôt. Elle se connaissait trop bien, elle savait qu’elle n’oserait plus jamais revenir si elle s’en allait aujourd’hui. Elle était trop lâche.

Elle attrapa le stylo et le leva au dessus des cases à remplir. Le geste tremblant, elle compléta soigneusement la feuille sous ses yeux.
Elle était consciente qu’elle faisait certainement une énorme bêtise. Elle avait l’impression qu’à l’instant où apposerait sa signature, une chose terrible allait s’abattre sur elle. Elle avait la sensation qu’une trappe s’ouvrirait sous ses pieds pour la traîner directement aux enfers.

La directrice vérifia puis signa à son tour les documents. Elle les rangea soigneusement dans une pochette qu’elle posa en haut d’une pile de dossiers.
Elle lui sourit de manière affectueuse et l’accompagna pour la suite.

Tout ce qui la concernait était maintenant la propriété de l’établissement.
Ses biens personnels, ses affaires, sa personne toute entière.
Elle dut se changer et porter un uniforme composé d’un T-shirt et un pantalon, tous les deux délavés et trop grands pour elle.
Elle fut ensuite guidée à sa chambre : une pièce composée de murs, sols et plafond capitonnés. Sur les quatre murs, un seul était une paroi lisse en verre teintée.
Il y avait le stricte nécessaire : un lit simple, un lavabo et des toilettes.
On lui expliqua que les repas lui seraient apportés et qu’on viendrait la chercher pour l’emmener à la douche lorsqu’ils jugeraient cela nécessaire.
La porte se referma derrière elle.

Elle s’avança jusqu’au lit et s’assit sur le matelas. Son épaisseur et sa taille lui rappelaient celui de chez elle. Cela ne la dépaysait pas trop.
Cette pensée lui arracha un rictus.
Les murs étaient mous. Elle s’y adossa et réfléchit.
Son appartement, son travail, son compte en banque. Tout ça n’était plus de son ressort. L’établissement s’occupait de tout, absolument tout. C’était si simple.
Elle n’avait plus qu’à attendre patiemment et profiter de l’instant présent.
Elle ne se rendait pas encore compte des conséquences.
Elle ferma les yeux.
Ses parents avaient peut-être raison, elle était bonne à rien, mais qu’est-ce que c’était agréable de ne devoir penser à rien, de ne plus avoir aucune responsabilité.
Son esprit était libéré de ce fardeau.
Un sourire timide se dessina sur son visage d’ange.
Elle se laissa tomber sur l’oreiller et s’endormit ainsi, dans une émotion de béatitude.

1 – Moineau

La petite tête blonde aux yeux bleus avait pris son indépendance relativement tôt.
Elle avait ressenti le besoin de quitter le foyer familial très rapidement, peut-être même trop rapidement. Elle ne supportait plus l’ambiance chez elle, la relation inexistante qu’elle avait avec ses parents. Ils n’avaient jamais eu de réelles attaches ni d’affection pour elle, et elle avait finit par accepter cette réalité. Il régnait une atmosphère déroutante où elle avait l’impression de vivre avec des inconnus. Ils ne se parlaient presque pas et malgré sa volonté à créer un certain lien, ils l’avaient ignorée tout au long de son adolescence. C’est en écoutant les conversations entre ses camarades de classe, qu’elle s’était rendue compte du décalage et de l’anormalité de sa situation.
Elle n’avait pas été maltraitée, il n’y avait pas eu de violence physique, juste de l’indifférence.
Elle les avait quittés sans vague, elle leur avait annoncé qu’elle s’en allait et ils n’avaient même pas relevé. Peut-être qu’ils n’y avaient pas cru, ils ne pensaient pas qu’elle aurait eu le courage ni la volonté de s’émanciper.
Le jour de son départ, elle emporta avec elle une petite valise dans laquelle elle avait le stricte nécessaire. Malgré les quelques mots blessant qu’ils avaient prononcé durant son enfance, et qu’elle avait ancré dans sa poitrine.
Elle se sentait plus légère.

Elle avait préparé depuis des mois ce projet.
Elle avait dû arrêter ses études, elle n’avait pas des notes excellentes, elle n’était pas non plus médiocres mais il avait fallu faire un choix.
Elle avait besoin d’un petit travail pour mettre de l’argent de côté et pouvoir louer un logement, même minuscule.
Elle avait senti qu’elle deviendrait folle si elle continuait à vivre avec ses géniteurs. C’était étrange, elle n’était pas à plaindre mais quelque chose en elle, son instinct, lui dictait de fuir loin.
Lorsqu’elle partit, sa valise à la main, elle savait exactement ce qu’elle devait faire.
Le billet de train était dans sa poche, elle allait enfin pouvoir voler de ses propres elles.

Ses économies de départ avaient été constituées d’un petit boulot près de chez ses parents.
Elle avait fait ses recherches et elle avait réussi à trouver un hôtel miteux à bas prix qui lui permettrait de ne pas dormir dehors en attendant d’avoir un emploi et pouvoir faire la demande d’un appartement en location.
Elle était livrée à elle-même et elle devait commencer par chercher un travail stable. C’était le plan de base qu’elle avait mûrement réfléchi, et elle était consciente qu’elle pouvait totalement se tromper et s’écraser au sol. Pour le moment, elle restait positive parce qu’elle le devait.
Elle se convainquait de garder la tête haute, submergée par ses émotions, la boule au ventre, elle essayait de ne pas se laisser aller. Elle avait choisi cet avenir.
Une nouvelle vie dans une nouvelle ville.

Roulée en boule dans un lit, elle appréciait cette aventure inédite. Bien entendu qu’elle avait peur, mais elle essayait de s’accrocher à ce sentiment de liberté et ce fragment de bonheur qu’elle ressentait au creux de sa poitrine. Elle avait encore du mal à croire qu’elle l’avait fait. Ses parents n’avaient aucun moyen de la contacter, elle n’avait pas de téléphone, elle n’avait rien dit et le plus important dans tout cela, elle était majeure. Le lycée finit, le baccalauréat en poche. Pas d’études supérieures pour elle. Elle avait tout juste 19 ans et l’avenir devant elle. Elle n’avait de compte à rendre à personne à part elle-même.

Plusieurs années se sont écoulées et elle vivait maintenant dans son propre appartement.
Elle avait trouvé un emploi stable, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus passionnant mais elle avait un salaire qui lui permettait de payer son loyer et survivre chaque mois.
Il était déjà difficile de trouver un emploi sans aucune qualification alors elle n’avait pas fait la fine bouche, elle avait accepté l’une des premières offres qui se présentait.
Ils étaient satisfaits de son travail et elle n’était pas une employée problématique.
Elle s’était prouvée qu’elle était capable d’aller au bout de ses idées, et par la même occasion, elle prouvait à ses géniteurs qu’elle n’était pas qu’une incompétente. Elle avait réussi à voler de ses propres ailes, même si ce n’était pas très haut, elle battait des ailes et picorait les grains que la vie semait au vent.
Elle ressentait une certaine fierté et c’était agréable.

Les journées, les semaines et les mois s’écoulaient. Chaque jour se ressemblait et aucune étincelle particulière éclairait sa vie. À 22 ans, elle était consciente d’être en bas de l’échelle sociale, elle n’avait pas d’ami, son salaire ne lui permettait pas de faire des folies et ce n’était pas qu’une histoire d’argent. Elle manquait également d’énergie, le temps libre dont elle disposait était généralement utilisé pour se reposer. Le week-end filait à une vitesse folle et c’était reparti pour une nouvelle semaine. Elle voyait clairement le schéma redondant de son quotidien. Quelle autre alternative avait-elle ? Elle ne voyait pas de porte de sortie, maintenant qu’elle avait réussi à avoir une certaine stabilité, avait-elle le courage de tout recommencer à nouveau ?

Rentrée chez elle, elle tria son courrier.
Des factures et de la publicité. Un tract attira son attention : un bout de papier plus épais que les autres, une texture agréable au toucher et une impression impeccable.
Ce n’était pas la première fois qu’elle le recevait.
L’entreprise faisait la promotion de la vente d’humains de compagnie.
Sur le recto : le papier vantait les bienfaits d’adopter un humain de compagnie. Un être qui s’occuperait des tâches ménagères, qui casserait la solitude, la routine ou qui pourrait leur donner de l’affection après une dure journée de travail.
Au verso : on s’adressait aux gens désespérés, à ceux qui n’avaient rien ou ceux qui auraient perdu espoir. On leur faisait miroiter une alternative utopique. Qu’ils seraient chouchoutés par des acheteurs, qu’ils donneraient enfin un sens à leur vie en dédiant la leur à quelqu’un d’autre. Qu’ils feraient parti d’un cercle vertueux.

N’abandonnez pas votre vie, abandonnez votre humanité.
Une nouvelle vie s’offre à vous.

Elle s’assit au rebord de son lit, le papier encore dans la main et elle esquissa un sourire. C’était du n’importe quoi. Elle se demanda qui était le plus désespéré. Les gens ou l’entreprise qui prenait la peine d’envoyer régulièrement de la publicité pour remplir leur magasin d’humains ?

Lorsqu’elle en avait entendu parler pour la première fois, cela avait attisé sa curiosité et elle avait fait ses propres recherches.
Elle avait lu des histoires plus glauques les unes que les autres.
Rien ne garantissait la sécurité des humains de compagnie. Les plus riches avaient parfois des lubies extrêmes et dérangeants. Certains humains de compagnie étaient à peine considérés comme des animaux, sans parler de leur durée de vie courte liée à des problèmes psychologiques ou physiques. Leur bien-être et leur santé étaient souvent négligés. Sous prétexte que cela se passait dans un cadre privé, il était facile pour les plus aisés de détruire des preuves, de cacher leur crime ou acheter leur innocence.
Elle avait retenu les pires abus de ce système.
Elle s’était convaincue que c’était une mauvaise idée en se concentrant principalement sur les points négatifs. C’était en quelque sorte, son moyen de protection pour éviter d’avoir le moindre espoir et ne pas se laisser tenter par cette offre. C’était une mauvaise idée, elle ne devait pas espérer s’échapper par cette porte.

Elle regarda autour d’elle. Elle habitait une chambre de bonne sous les toits.
Son appartement était presque vide, composé du stricte minimum pour survivre.
Il n’avait pas tant changé depuis son arrivée. Elle n’avait rien construit et elle ne pouvait pas se projeter avec son salaire actuel. Cela relevait déjà du miracle qu’elle arrive à joindre les deux bouts.
Elle soupira. Elle était fatiguée et elle se sentait vide. Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait cette impuissance, elle savait que c’était un sentiment passager. Demain serait une nouvelle journée, ça irait mieux. Il fallait qu’elle tienne bon. Sa situation changerait, elle était encore jeune et elle ne savait pas ce que les prochaines années lui réservaient.
Elle devait garder le cap.

Le lendemain soir, après sa journée de travail, elle se balada et fit un détour avant de rentrer chez elle.
Ses pas la menèrent devant le bâtiment. Il y en avait un dans son quartier qu’elle avait toujours pris le soin d’éviter jusqu’à aujourd’hui.
Elle observa la devanture sans oser entrer. Une vitrine tape-à-l’œil, des photos de gens souriants, des textes racoleurs et des slogans marquants.

Le bonheur n’a pas de prix.

Cela faisait déjà plusieurs minutes qu’elle était plantée là, à contempler la façade.
Ses jambes ne voulaient pas bouger, elle était tiraillée.
Maintenant qu’elle était là, sa curiosité était trop grande pour faire demi-tour.
Juste un coup d’œil, et peut-être quelques questions.
Rien de plus.

Elle poussa la porte d’entrée.

Glace

Installées à l’ombre, en plein été.
Elles avaient un tube de glace à l’eau à partager, Annabelle le cassa en deux pour le partager avec Marianne.
Elle avait des pensées qui allaient ailleurs en voyant Annabelle lécher et sucer ce petit tube en plastique.
Rougissant, gênée d’avoir des idées déplacées envers sa femme dans un lieu public, elle essaya de se concentrer sur autre chose, comme son propre tube qui fondait à vue d’oeil dans son emballage.

— Ah… je crois que je me suis coupée avec le plastique…

— Comment ça ? Où ça… ?
Demanda Marianne, inquiète.

— Sur la langue…
— Montre.

Et cela dérapa, elle embrassa Annabelle, sa bouche fraîche et sa langue presque gelée au contact de la sienne, au goût du parfum de la glace.
Elle fut surprise mais ne s’en plaint pas et fut comme ennivrée puisqu’elle demanda à demi-mot qu’elle en voulait plus.

2022.07.14

Gâteau

Ils se mirent en couple de manière assez naturelle.
Duncan n’osait pas et Annabelle non plus, puis, un soir, ils étaient assis sur le canapé de chez Marianne et il était sur le point de partir, quand Annabelle le retint.

Il était doux avec elle, il avait appris à l’être, et très attentionné. Depuis qu’ils étaient ensemble, Annabelle avait remarqué qu’il était plus inquiet et plus derrière elle.
Alors elle lui avait dit, et il s’était confus en excuse.

— Je ne sais pas trop comment me comporter en tant que… petit ami… à vrai dire… enfin, pas juste un plan cul, tu vois ?
— Comme ce que tu faisais avant, avec moi… ? Par exemple… ?
— Ah…
— Je ne dis pas que ça me dérange… c’est plutôt mignon, mais je me disais que tu avais l’air de te forcer…

Il l’embrassa, en guise de réponse.

— Et ça, c’est mignon… ?

— Hm… on dirait que tu te forces…
Répondit-elle pour le taquiner.

Ce qui eut pour effet qu’il l’embrasse de plus belle.

*

Annabelle ne voulait pas se remarier. Elle avait encore du mal à passer à autre chose même si elle était heureuse avec Duncan. Pour elle, Marianne était encore sa femme, et elle ne voulait pas oublier cela.
Duncan comprenait son raisonnement et il ne lui força pas la main. Ils décidèrent de se pacser et ils rédigèrent un testament.

Lorsqu’elle tomba enceinte, Annabelle se rendit chez les parents de Marianne pour leur annoncer la nouvelle.
Elle y était allée seule et appréhendait, elle leur expliqua la situation et qu’ils connaissaient Duncan. Qu’il reconnaitrait l’enfant mais que sur les papiers, il porterait le nom de famille de Marianne et celui de Duncan. Qu’elle ne comptait pas se remarier, du moins pas pour l’instant.
Les parents furent touchés, et un peu déçu que Duncan n’ait pas fait le déplacement.
Ce à quoi elle répondit avec honnêteté qu’il était plutôt contre sa venue. Elle garda pour elle la raison.
Il avait peur que sa visite soit interprêtée comme une demande de pension pour l’enfant.

En repartant, ils voulurent offrir une enveloppe de liquide mais Annabelle refusa, en explicant qu’elle n’était pas venue pour ça et qu’elle avait de quoi s’occuper de l’enfant.
Ils demandèrent s’ils pourraient voir l’enfant à sa naissance et elle accepta avec joie.

*

Duncan était un papa gâteux et il sur-protégeait Annabelle pendant sa grossesse.
Elle avait une santé de fer et elle eut aucun problème à l’accouchement.
Ils eurent un garçon, qu’ils appelèrent Brian.
Un bébé à la peau claire, aux cheveux blonds pâles et des yeux bleus cristalins.
Ce fut compliqué parce que l’appartement de Duncan ou celui de Marianne étaient tous les deux avec une seule chambre, dans un premier temps, Annabelle vit dans celui de Marianne et Duncan mit en vente son appartement pour financer l’achat d’un appartement plus grand et plus adéquat à la vie de famille.
Annabelle avait une attache émotionnelle à l’appartement de Marianne mais elle devait tourner la page. Elle le mit en location dans l’espoir qu’il revienne à Brian lorsqu’il sera en âge d’y habiter.

*

Brian grandit en partie dans la maison entreprise de Marianne. Chouchouté par les employés, il était devenu une sorte de mascotte.
C’était sa seconde maison, il y faisait bon vivre même si c’était mal vu d’un certain point de vue. Il n’y voyait pas de problème.
Il passa également un peu de temps avec ses grands-parents, du côté de Marianne mais également Duncan, qui n’arrêtait pas de leur demander d’en faire plein d’autres.

*

Sur la table du salon, une photo de Marianne et Annabelle, et une photo d’Annabelle Duncan et Brian.

2022.07.12

Pot

Ils avaient fini par se rapprocher.
Cela faisait des années qu’ils se connaissaient et après que chacun ait pu faire leur deuil de Marianne, à leur manière, la vie avait reprit son cours et Duncan avait commencé et continué à nourrir une certaine affection pour Annabelle.
Cette épreuve qu’ils avaient tous les deux traversés, ils avaient passé du temps ensemble et Duncan avait vu Annabelle mûrir, mais également découvrir la sincérité et sa véritable personnalité. Il comprenait pourquoi et comment Marianne s’était attachée à elle.

Il se rappelait du moment où Marianne avait discuté avec lui, sur son lit d’hôpital. Elle savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps, pourtant elle souriait, elle affichait un visage serein. Elle lui avait alors dit, sans tourner autour du pot.

— Prends soin d’Annabelle… je sais que c’est beaucoup te demander, je m’inquiète certainement pour rien, mais ça me ferait de la peine qu’on profite d’elle lorsque je ne serai plus là.
— Je crois qu’elle est assez grande pour se défendre, tu ne crois pas ?
— Si jamais vous vous mettez ensemble, sachez que vous avez toute ma bénédiction. Ça me rassurerait presque que ce soit toi qui me remplace.

Elle souriait, mais il savait qu’elle était sérieuse.
Il n’avait pas su quoi répondre.

— Je sais que tu as ta propre vie, bien entendu que je ne vais pas te demander de prendre en charge Annabelle. Ce n’est plus une humaine de compagnie, elle est autonome maintenant.
— Je le sais…
— Garde juste un oeil sur elle, comme tu gardais un oeil sur moi. S’il-te-plaît.
— Comment veux-tu que je refuse… ?
— Merci.

Quelques jours plus tard, comme si elle partait l’esprit plus léger, elle décéda.
Et Duncan respecta sa promesse, sans se forcer parce qu’il l’aurait fait même sans la demande de Marianne.
Il ne pouvait pas ignorer la tristesse d’Annabelle.

*

Même si elle savait que c’était inévitable, même si elle ne voulait pas y penser, vivre le moment présent avec Marianne, sourire, oublier qu’elle était à l’hôpital.
Lorsque Marianne s’endormit pour toujours, Annabelle réalisa qu’à ce moment là ce qui se passait.
Son monde s’effondra. Elle espérait au fond d’elle que ce soit une erreur médicale, qu’on lui dise qu’elle s’en sortirait et que tout allait s’arranger, jusqu’au dernier moment elle espérait un retournement de situation.
Elle se voilait la face et quand la mauvaise nouvelle tomba, elle perdit pieds.
Duncan fut présent pour la soutenir, elle ne se souvint de rien après. Elle avait tant pleuré qu’elle ne se souvenait plus du temps autour d’elle.
Il l’avait ramenée à la réalité en lui disant qu’il y avait des rendez-vous avec des notaires, des papiers à signer, des gens à rencontrer. Elle avait dû sécher ses larmes et faire le travail en temps et en heure.

2022.06.27

Rouleau

Après plusieurs années de bonheur et de joie.
Marianne finit par quitter ce monde.
Elle avait tout prévu, le testament avec son notaire, une lettre qu’elle avait rédigée pour Annabelle et une autre pour Duncan.

Annabelle était inconsolable et Duncan la soutint autant qu’il put.
Elle dut se reprendre rapidement, elle avait beaucoup de choses à gérer, comme les obsèques de Marianne, même si beaucoup de choses avaient été réglées en amont, il lui restait tout le reste.
Elle avait hérité de la totalité de ses biens parce qu’elles étaient mariées mais Annabelle avait le choix de reprendre le poste de Marianne ou plutôt le confier à quelqu’un d’autre. Elle demanda conseil à Duncan qui fut du même avis qu’elle, qu’elle pouvait faire confiance à la plus ancienne des employées en qui Marianne avait une entière confiance.

Elle fut convoquée au bureau.
Certains des autres employés se méfiaient d’Annabelle. Ceux qui ne la connaissait pas. D’un point de vue extérieur, elle avait profité de la situation et la mort de Marianne avait donné raison à leurs suppositions.

— Tu te rends compte, elles se sont mariées et pouf, Marianne est décédée… c’est vraiment le bon plan pour hériter de tout ça.
— Elle n’est pas comme ça, Annabelle, tu ne la connais pas.
— Pas besoin de la connaître, c’est une profiteuse. Je suis sûre qu’elle va reprendre le contrôle et nous virer, p’tre même tout revendre.
— Vu comment elle est devenue proche de Duncan juste après les obsèques, elle se remet vite. C’est une bonne comédienne quand même.

L’ancienne employée n’était pas du même avis, et même si les faits étaient ainsi, elle préférait laisser place à la confiance envers Annabelle.

— Ayez un minimum de respect, je comprends vos craintes au sujet de l’avenir mais je ne pense pas qu’elle va détruire tout ce que Marianne a construit.
— Tu nous diras ça, après votre entretien. Ça se trouve elle t’a convoquée pour te virer.
— Je comprends même pas pourquoi Marianne ne t’a pas légué quelque chose. T’es quand même la plus qualifiée pour reprendre sa suite…
— Ça se trouve, c’est Annabelle qui l’a manipulée pour hériter de tout.
— Stop. Arrêtez.

Elle était irritée d’entendre toutes ces complotations, et jalousies. Elle ne voulait pas y croire.
C’est avec une certaine appréhension qu’elle se rendit dans le bureau de Marianne, pour avoir cet entretien avec Annabelle, et Duncan.
Elle fut d’abord surprise et un peu intimidée de ne pas être seule avec l’intéressée.

— Excuse-moi, j’ai préféré que Duncan soit présent pour me conseiller… tout ça est assez nouveau pour moi…
— Ah… euh, oui bien sûr…

Elle n’était pas en position de dire quoi que ce soit.
Elle s’attendait au pire. Et si ses collègues avaient raison ? Qu’Annabelle manipulait maintenant Duncan pour tout s’approprier… ? L’angoisse naissait en elle mais elle essayait de ne rien montrer.
Annabelle l’invita à s’asseoir dans le fauteuil devant elle, Duncan occupait celui juste à côté.
Elle le salua poliment et se posa.

À cette distance, elle remarqua les yeux rouges et la figure encore plus pâle qu’à l’accoutumée d’Annabelle.
Elle faisait peine à voir. Elle avait certainement passé de courtes nuits à réfléchir à ses nouvelles responsabilités et la perte de sa femme.
Annabelle lui sourit timidement.

— Je ne vais pas tourner autour du pot et je vais essayer de ne pas te faire perdre trop de temps… j’en ai discuté avec Duncan, et je pense que tu devrais remplacer Marianne…
— P-pardon… ?
— Désolée si c’est soudain… Marianne m’a laissée tout un tas d’instructions… et même si on en a assez peu parlé de son vivant… je sais qu’elle t’accordait une grande confiance et elle avait une grande estime de tes compétences… je veux pas non plus te forcer la main mais… je ne me sens pas capable de faire ce qu’elle faisait. Actuellement… je n’ai ni les épaules ni ton expérience en la matière… Puis ça rassurerait tout le monde que ce soit toi… je me rends bien compte de la méfiance à mon sujet…
— Mais…
— Enfin, c’est une proposition, tu peux la refuser… je t’avoue que cela m’arrangerait que tu l’acceptes… je m’en sors pas trop avec tout ça, pour être tout à fait honnête avec toi…

Annabelle força un sourire, et des larmes montèrent à ses yeux. Un paquet de mouchoir à moitié entamé était sur son bureau.

— Désolée… c’est encore… tout me paraît compliqué sans elle…
Dit Annabelle, en ravalant ses sanglots.

Elle était touchée et émue, elle ne pensait pas qu’on lui accorderait cette confiance et ce poste.
Elle resta muette, ne sachant pas quoi répondre.

— Je suis du même avis qu’Annabelle.
Ajouta Duncan.

L’ancienne accepta la proposition et fut reconnaissante. Duncan lui tendit les papiers à signer, et lui expliqua les démarches que ça allait impliquer pour la suite.
Annabelle resterait propriétaire des lieux, mais elle donnait la présidence et toutes les responsabilités à l’ancienne, Anisa, qui avait la possibilité d’assigner les employés à d’autres postes et même créer des postes pour soulager ses tâches.

— Merci beaucoup. Je peux te confier tout ça l’esprit serein, je reste disponible si tu as besoin de quoi que ce soit, hésite pas à m’envoyer un message ou m’appeler. Tu as mon numéro.
— Tu peux également m’appeler, si jamais tu as des questions ou qu’Annabelle n’est pas joignable.
— Mais… tu n’es pas censé travailler ?
— Ahah… si, mais avec le décès de Marianne, j’ai pris quelques jours de congé pour aider Annabelle… quoiqu’il en soit, tu peux également m’envoyer des messages si tu as peur de me déranger avec un appel.
— Merci… merci pour tout ce que vous faites…
— C’est un peu condensé ces derniers temps, mais dès que ça sera réglé, on pourra souffler.
— Je vais m’absenter ces prochains jours, je dois passer chez le notaire et m’occuper d’autres rendez-vous, ne t’inquiète pas si tu ne me vois pas ici. Je te laisse les rennes, encore merci Anisa.
— Je t’en prie… si je peux aider…
— Tu m’ôtes une énorme épine du pied en acceptant, merci.

Anisa observait, elle voyait Annabelle au bout du rouleau et Duncan, qui lui avait paru intimidant, était en réalité nécessaire pour la rassurer, mais également pour l’épauler dans cette épreuve. Sa présence était douce et protectrice vis à vis d’Annabelle. Il avait un regard triste et il la surveillait pour qu’elle ne s’épuise pas trop.

*

— Rentre chez toi.
Lui avait-il dit.

— J’ai encore des trucs à gérer.
S’obstinait Annabelle, avec des cernes marquées.

— Ça suffit, tu es épuisée, va te reposer. Ça ne sert à rien que tu te fatigues encore plus, tu risques de faire des erreurs. C’est contre-productif.
Répondit Duncan, exaspéré.

Il s’approcha d’elle pour la forcer à fermer ses dossiers, et la décolla de son bureau.

— Allez, soit raisonnable.

Annabelle avait fini par avouer à Duncan qu’elle dormait peu et mal. C’était dur de rentrer et se retrouver seule dans cet appartement sans Marianne.
Il lui avait proposé de passer chez lui, sans aucune mauvaises intentions, il voyait bien qu’elle était maussade rien qu’à l’idée de rentrer et elle ne refusa pas son offre.
Sur le trajet relativement court jusqu’à chez lui, elle s’était endormie sur le siege passager.
Il eut de la peine à la réveiller et, elle pleurait dans son sommeil, les larmes naissant au creux de ses yeux.
Il décida de la porter jusqu’à chez lui et la coucha dans son lit, avant de quitter la chambre et lui-même s’installer dans son canapé.

C’était également dur pour lui.
Il avait perdu sa plus grande amie et confidente, celle qu’il avait toujours considéré comme sa soeur. Elle n’était plus et elle lui avait laissé la mission d’épauler Annabelle dans cette épreuve.

*

Après quelques années, Annabelle avait retrouvé une vie presque normale. Passé la paperasse dont elle devait s’occuper après le départ de Marianne, elle avait pu retourner à son ancien poste, celui d’assistante de direction, de directrice adjointe.
Anisa était plus que ravie d’avoir Annabelle en support et les affaires se déroulaient comme sur des roulettes.

Duncan avait gardé contact avec elle et continuait de la croiser à certaines soirées professionnelles.
Elle ne les appréciait pas plus que ça, mais cela lui rappelait le bon vieux temps avec Marianne.
Elle s’y rendait par obligation professionnelle mais également parce qu’elle pouvait y revoir Duncan par la même occasion.
Cela lui faisait plaisir de voir Annabelle aller mieux. Elle dégageait une aura différente depuis, plus sûre d’elle, plus détendue. Anisa était également de la partie, et elle avait convié quelques uns de ses employés pour leur faire profiter de ce moment.

Annabelle avait aperçu Duncan dans la foule et lui faisait des signes, tout en se rapprochant de lui.

— Hé ! Bonsoir ! Toujours aussi ravissant…
Le salua t-elle, avec un verre à la main.

Elle aimait le taquiner gentiment, et il sourit.

— Qui vois-je ? Déjà en train de boire ?
— Tu devrais en faire autant.
— Laisse-moi le temps d’arriver…

Ils se retrouvaient comme de vieux amis.
Elle passait la majeure de la soirée en sa compagnie.
Depuis qu’elle avait eu des mésaventures avec des vautours qui en avaient après son héritage, Duncan s’était interposé pour les dissuader.
Les rumeurs allaient de bon train, et certains jasaient au sujet de Duncan intéressé par les biens d’Annabelle, ou encore d’Annabelle qui serait à la chasse d’une nouvelle proie depuis la mort de Marianne.
Ils n’en avaient que faire de ces commérages.
De temps en temps, certains saluaient et cherchaient à avoir des discussions avec elle pour des affaires, et Duncan était assez intimidant pour filtrer le sérieux et la volonté de ses interlocuteurs.

— Tu devrais venir à la salle avec moi, et suivre les cours de combat.
Avait suggéré Duncan.

— Je ne pense pas que je sois faite pour ça…
— Tu ne le sais pas encore, juste pour pouvoir te défendre au cas où, et qui sait, tu vas peut-être y prendre goût !
— Je ne sais pas…
— Tu n’as pas d’excuse. Je sais que depuis qu’Anisa s’occupe de la maison, tu as beaucoup de temps libre. Viens essayer au moins une fois, après je te laisse tranquille.
— … Ok… parce que c’est toi. Rien qu’une fois, hein !

Il affichait un sourire ravi.

*

Ils s’étaient retrouvés à la salle et Duncan avait prévenu son professeur de la présence d’Annabelle.
Elle était arrivée, un peu perdue, jetant encore une fois son regard sur sa montre, mais Duncan lui faisait signe, alors elle fut rassurée de ne s’être pas trompée de lieux ni d’heure. Son sac de sport à l’épaule, elle s’était changée pour l’occasion, un haut simple et un jogging sombre. Les cheveux réunis grossièrement en queue de cheval. Des bouclettes rebelles échappées de l’élastique.
Il lui avait donné quelques explications et exercices pour débutants et avait demandé à Duncan de l’épauler et lui expliquer plus en détails pendant qu’il s’occupait des autres.

2022.06.15

Panoramique

À son départ de l’hôpital, Annabelle et Duncan l’attendaient pour rentrer.
Il les raccompagna chez elles.
Il était rassuré que Marianne aille bien et se retira pour les laisser seule à seule.
Il pouvait se sentir rassuré de savoir que Marianne n’était pas seule. Et il savait qu’Annabelle prendrait soin d’elle. Il n’avait aucun doute là-dessus

Marianne était plus qu’heureuse d’enfin retrouver sa liberté, son chez soi, et Annabelle.
Lorsque Duncan partit, elle lui sauta au cou pour la serrer fort contre elle. Cette effusion d’affection lui avait manquée. L’odeur d’Annabelle, la douceur et sa chaleur. Ce n’était que quelques jours mais elle avait l’impression que c’était plusieurs semaines.
La maison était propre et sentait bon, Annabelle s’était occupée de tout pour que Marianne soit comblée.
Annabelle lui avait interdit de retourner sur les lieux de son travail le premier jour, alors Marianne ne pouvait que ronger son frein et essayer de penser à autre chose.
Elle profita des heures qui suivirent pour ranger ses affaires et juste se poser avec Annabelle.

*

Le lendemain aux premières heures, Marianne était prête pour aller au travail.
Annabelle soupira et consentit à l’y accompagner.
Arrivées, il y avait une petite fête de retour organisée pour Marianne. Les employés étaient heureux de la retrouver en meilleure forme.
Cela ne dura pas très longtemps avant que Marianne ne s’éclipse pour se rendre dans son bureau.
Annabelle l’y suivit.
Marianne fut surprise agréablement de ne pas être submergée de dossiers urgents.
Annabelle lui expliqua qu’elle et l’aînée des employés avaient réussi à régler la plupart du travail qu’il restait à faire. Elles avaient constitué un petit tas de ce que Marianne devait faire, parce que c’était de son ressort.

— Tu es sûre que tu ne veux pas profiter de la fête… ? Tu pourras boucler ce tas en quelques heures seulement…
Essaya de la convaincre Annabelle.

Marianne sourit et posa les dossiers empilés. Elle prit la main d’Annabelle et elles sortirent du bureau pour retourner à la petite fête en son honneur.
Marianne remercia tous ses employés avant de retourner travailler.
Elle ne devait pas forcer mais elle devait finir son travail avant toute chose. Cela lui trottait dans un coin de sa tête.
Annabelle resta à ses côtés pour lui demander de lui expliquer certaines choses, pour qu’elle puisse prendre en charge plus de responsabilités pour la décharger.
Marianne n’avait pas trop le choix, elle aurait préféré prendre le temps de lui déléguer peu à peu des tâches mais elle savait qu’elle n’avait pas tort. Il fallait qu’elle lâche du leste.

Les jours qui suivirent furent riches pour Annabelle, qui prit des notes et qui essaya d’emmagasiner le plus d’informations.
Marianne était vraiment reconnaissante pour le travail abattu et elle en profita pour s’avancer et préparer de vraies vacances.
Elle en discuta en privé avec la plus ancienne de ses employés en qui elle avait entièrement confiance. Elle savait tenir la boutique pour les affaires courantes.
Elle avait fait preuve de beaucoup de professionnalisme pendant sa convalescence et elle lui confia son idée de vacances préparées.
Elle approuva à cent pour cent et Marianne s’organisa pour choisir le lieux et la période, ainsi que la surprise qu’elle voulait préparer pour Annabelle.

Annabelle était maintenant collée à Marianne, trop inquiète puis voulant bien faire pour que Marianne travaille le moins possible.
Marianne eut un mal fou à la forcer à se reposer et se dégager au moins une journée sans elle à son bureau.
Ce jour de libre durement négocié, Duncan en profita pour passer la voir et discuter avec elle.
Elle lui exposa son plan et Il resta bouche bée.

— Tu vas quoi… ?
— La demander en mariage, tu as très bien entendu.
— Ah.
— Tu n’as rien d’autre à dire de plus… ? Je pensais que tu allais t’y opposer
— J’aurais pu, mais en fait, je n’ai pas de contre-argument. Tu as raison… je crois.
— T’es sérieux… ?
— Bah… je n’ai aucune raison de penser que c’est une mauvaise idée. Annabelle… j’ai vu de mes propres yeux à quel point elle tenait à toi. Puis, elle t’a beaucoup aidée pour ton travail, non ?
— Oui… le seul problème… c’est que je n’ai aucune idée de si elle acceptera… en plus du fait qu’on ne peut pas épouser un humain de compagnie.
— Ah. C’est vrai ça. Tu comptes faire comment.. ? À la base c’était juste pour lui léguer ton entreprise, non ?
— Oui et non. Je voudrais quelque chose de plus sexy qu’un simple testament…
— Effectivement.
— J’ai une solution mais il faut qu’elle accepte de retrouver son statut d’humain. Tu crois qu’elle serait capable de refuser… ?
— J’en ai aucune idée… je ne savais même pas que c’était possible.
— Moi non plus. Mais je me suis beaucoup fait chier à l’hôpital, j’ai lu beaucoup de paperasse à ce sujet et c’est une possibilité.
— Je vois ça. Du coup tu vas faire comment… ?
— D’abord… je dois lui faire ma demander en mariage… et si elle accepte, je lui présenterai les possibilités…
— Et, si elle refuse… ?
— Bah, ça sert à rien que je me prenne la tête avec les papiers à signer…
— Te connaissant, ils sont déjà prêts quelque part…
— Oui… au cas où, hein.
— Bien sûr… tu voulais me demander conseil sur quoi déjà ?
— Ah, oui ! Je suis en train d’organiser des vacances à la montagne, je me demandais si tu avais des stations de ski ou des endroits à me recommander ?
— Hm… pour faire ta demande en mariage.
— Entre autres.
— Je t’enverrai ça par mail, avec les photos à l’appuie, je pense que ça devrait te plaire.
— Super, ça serait parfait !

*

Marianne avait choisi un endroit qu’elle ne connaissait pas pour pouvoir le découvrir avec Annabelle.
Elle lui fit la surprise de ce voyage juste entre elles.
Mis à part des vêtements chauds qu’elle pu prêter à Annabelle, elles firent quelques achats pour qu’Annabelle soit équipée convenablement, et habillée assez chaudement pour faire du ski.

Annabelle avait à la fois hâte et appréhendait.
C’était la première fois qu’elle partait au ski mais également en vacances. Elle ne savait pas ce que c’était de se couper du monde pendant une durée déterminée.
Elles avaient une grosse valise pleine à craquer pour toutes les deux et elles prirent le train.
C’était une expédition.

Marianne avait loué un petit chalet isolé. Heureusement qu’il était possible de se faire aider par des locations de voiture électriques pour pouvoir charger leurs affaires dans leur logement isolé.
Une semaine entière avec très peu de réseau téléphonique.
Une cheminée, des balades dans la neige, une initiation de ski pour Annabelle.
Les soirées au coin du feu et dans les bras de chacune.
Marianne insista pour manger dans des établissements pour qu’Annabelle ne soit pas obligée de préparer les repas.
Elles se rendirent dans une tour panoramique se situant tout en haut d’une montagne. Il se trouvait un restaurant et Marianne avait prévu de rester dîner avec Annabelle.
Une table réservée à son nom.

Annabelle avait l’impression de vivre un rêve éveillé.
Elle passait les meilleurs moments de sa vie, elle rayonnait et ses yeux brillaient de voir ce que c’était la montagne, cette immensité et cette vue.
Marianne était heureuse par procuration.
Elle ne réussit pas à trouver le bon moment pour aborder le sujet et elles profitèrent tout simplement du repas.

*

À l’extérieur, elles avaient vue sur la vallée.
Tout semblait si petit et le paysage était magnifique.
Annabelle avait un sourire radieux, le soleil et la neige étaient éblouissants.
Ce fut Annabelle qui brisa le silence.

— M-merci Marianne. Merci de me faire découvrir la montagne… je suis si heureuse d’être avec toi…
Dit-elle, le vent frais soufflant sur son visage pâle. Ses cheveux maintenus sous son bonnet et sa tête enfouie dans son gros manteau d’hiver et une écharpe moelleuse.

— Merci à toi, Annabelle… ces vacances n’auraient pas la même saveur sans toi… merci de m’accompagner et de m’apporter tant de bonheur…

— Qu’est-ce que tu racontes… ?
Se moqua Annabelle, gentiment, gênée par les propos.

— Ma vie a radicalement changé depuis que je t’ai rencontrée… je suis beaucoup plus épanouie… je t’aime tant…
— Moi aussi, Marianne…

Elles se tenaient les mains et se faisaient face, émues et profitant de cet instant magique.
Ce fut le moment pour que Marianne s’exprime.

— Dis, Annabelle… est-ce que tu veux m’épouser ?
Annabelle resta silencieuse.

Elle connaissait assez Marianne pour savoir qu’elle était sérieuse et qu’elle ne pouvait pas répondre à la légère. Etait-ce même possible ?
Elle doutait de la faisabilité de la question mais pas de ses sentiments.
Marianne attendait patiemment une réponse.

— Marianne…
— Si tu écoutes ton coeur, Annabelle… sans te soucier de ce qu’il y a autour… est-ce que tu m’épouserais… ?
— Bien sûr… là n’est pas la question…
— Si je te disais que c’est possible… à une seule condition ?
— Laquelle… ?
— Que tu récupères ton statut d’humaine. Tout ce que tu dois faire, c’est signer un document pour recouvrer ton humanité…
— Mais… ça veut dire…
— Je te rends ta liberté.
— Tu ne veux plus de moi… ?
— Au contraire. Je te veux mon égale. Je veux que tu sois ma compagne, officiellement, que tu ne te préoccupes plus de ce contrat d’adoption.
— Marianne…

Annabelle n’avait pas les mots.
Elle l’aimait de tout son coeur et ses mots la comblait comme jamais, mais le fait de redevenir une humaine la terrorisait. Elle avait envie de dire oui, de faire confiance à Marianne, même si sa peur était forte et présente.
Emue au plus profond d’elle, elle avait réunit ses mains sur sa bouche. Et elle acquiesça, d’un mouvement de tête. Et si elle faisait confiance à Marianne ?
Oui, cette idée de mariage la faisait rêver.

— C’est un « oui » ?
Demanda Marianne, pour confirmer. Elle n’arrivait pas à cacher sa joie.

Elle se doutait qu’Annabelle accepterait mais il restait une faible probabilité qu’elle refuse.
Annabelle acquiesça une nouvelle fois, de manière plus marquée et elles se prirent dans les bras.
Elles rayonnaient toutes les deux de bonheur.

*

Lovées ensemble dans le canapé, en face de la cheminée allumée, où le feu de bois faisait craqueler et chanter les bûches.
Elles étaient emmitouflées dans une couverture, observant les flammes danser comme hypnotisées par ce spectacle aléatoire.
Elles se réchauffaient et se câlinaient tout simplement, dans les bras l’une de l’autre.

— À quoi tu penses… ?
Demanda Marianne. Elle sentait Annabelle songeuse, inquiète.

— … Tu sais que ça m’angoisse… de perdre mon statut d’humain de compagnie… ?
Hésita Annabelle.

— Pourquoi… ? Je ne vais pas changer la manière dont je vais me comporter avec toi après.
Essaya de comprendre Marianne, maladroitement

— Je… c’était rassurant de ne pas avoir à m’occuper de… tout ça… ces responsabilités d’humain… j’ai peur… ça me fait si peur…
— Tu te rends même pas compte que tu fais déjà beaucoup plus que ce simple statut… et si ça peut te rassurer, je ne te demanderai pas plus que ce que tu ne fais déjà à présent.
— Si cela ne change pas grand chose… pourquoi m’épouser… ?
— J’aurais envie de dire « pour que tu sois à moi » mais ce n’est pas vraiment ça… je veux qu’on s’appartienne d’égale à égale… que tu sois ma femme tout comme je serai la tienne… est-ce que je suis trop niaise… ?
— Non… ça me parait juste… irréel…

— Je te signale que tu as déjà accepté… est-ce que tu vas revenir sur ta décision… ?
S’inquiéta Marianne.

— Non… ! Non, pas du tout ! …
— Tu me rassures… mon coeur n’aurait pas survécu à cet ascenseur émotionnel…
— Pas de chantage affectif avec moi !

— Je n’oserai pas…
Blagua Marianne.

— Pourquoi tu penses que c’est irréel… ?
Questionna Marianne, curieuse.

— Comment… pourquoi moi… ? Comment une personne aussi formidable que toi… voudrait de moi… ? Je ne te mérite pas…
— Moi je sais ce que tu vaux. Tu m’apportes beaucoup plus que tu ne le penses. Moi, je sais ce que tu vaux et tu mérites d’être heureuse. Si cela fait ton bonheur d’être à mes côtés… bien entendu.

Annabelle resta silencieuse. Acceptant les mots de Marianne et digérant lentement ses paroles.
Elle se serrait un peu plus fort dans les bras de Marianne. Elle voulait être assez bien pour que Marianne ne regrette pas son choix.

— Qu’est ce qu’on va faire… ?
Demanda finalement Annabelle.

— Moi je sais. Est-ce que tu veux que je te dise les prochaines étapes… ?
— Oui… j’ai envie de savoir ce que tu as manigancé…

*

Marianne avait prévu le rendez-vous avec la directrice de l’établissement où elle avait rencontré Annabelle.
La directrice avait bien voulu la recevoir malgré l’objet incongru de son mail. Marianne était reconnaissante qu’elle accepte.

La directrice avait un bon fond, elle s’était réjouit que ce soit Marianne qui adopte Annabelle, pensant qu’elle était une personne assez saine pour ne pas abuser de la jeune fille. Qu’elle soit de nouveau contactée par un propriétaire n’était pas rare, mais c’était généralement pour des nouvelles plus funèbres.
Lorsqu’il y avait un décès d’humain de compagnie, il était nécessaire de le signaler pour qu’elle puisse clôturer le dossier, avec le justificatif confirmant la mort. C’était la première fois qu’elle avait un cas aussi complexe, et surtout inédit que le propriétaire cherche à rendre sa liberté à son humain de compagnie.
De manière générale, il arrivait que le propriétaire ne soit pas satisfait ou se lasse de son humain de compagnie, et finisse par retourner dans l’établissement d’adoption pour le rendre et qu’il soit de nouveau possible d’être adopté par un nouveau propriétaire.
Mais le cas de Marianne était différent. Elle ne rendait pas Annabelle. Elle voulait lui rendre sa liberté en lui rendant son humanité.

*

La directrice les convoqua pour essayer de comprendre ce qu’il se passait et si Annabelle allait signer de sa propre volonté. Qu’elle n’était pas forcée ou qu’on ne lui faisait pas du chantage pour qu’elle soit libre, et qu’elle soit ensuite abusée sans aucune impunité pour Marianne. Elle cherchait à comprendre la démarche.
Lorsqu’elle les vit, elle comprit que leur relation était toute autre. Marianne était changée mais Annabelle également. Elles étaient toutes les deux différentes de leur première rencontre.

Annabelle était anxieuse mais elle prit son courage à deux mains pour signer le document, attestant qu’elle acceptait la décision de sa propriétaire de lui rendre sa liberté, en toute connaissance de cause et de sa propre volonté. Elle était consentante.
Marianne dut également signer.
La directrice était bouche bée de voir ce développement de situation.
Marianne était honnête et lui expliqua sa démarche, et qu’elle souhaitait épouser Annabelle.
La directrice dut s’asseoir pour digérer l’information.
Annabelle avait proposé de lui demander d’être témoin de leur union, ce qui la laissa sans voix.
Elle pouvait voir l’amour et l’affection qu’il y avait entre ces deux femmes.
Elle mit un certain temps avant de tout intégrer et elle accepta avec joie d’être leur témoin. Elle signa également un papier attestant de l’intégrité des papiers précédents, qu’elle avait pu voir qu’aucun des deux partis n’était menacé ou autre.
Elle leur assura que les documents officiels seraient réglés dans la semaine, le dossier d’Annabelle allait être classé et qu’elle ne devait s’inquiéter de rien.

Marianne avait déjà les documents d’identité d’Annabelle et elle avait préparé les papiers à remplir pour qu’Annabelle soit de nouveau considérée comme une humaine normale dans la base de données.

*

Il eut le choix des alliances, de la robe d’Annabelle.
Marianne ne se sentait pas à l’aise dans une robe et elle opta pour un costume.
Marianne souhaitait que ce soit parfait et qu’elles n’aient pratiquement rien à gérer le jour J.
Elles s’occupèrent des détails ensemble et Marianne s’occupa de contacter une entreprise qui s’occuperait de la mise en place jusqu’à la fin des festivités.
Elles avaient décidé que cette journée devait être un jour spécial pour l’ensemble des invités, et il n’y en avait pas beaucoup.
Cela s’arrêtait aux amis proches de Marianne qui étaient principalement ses employés. Elle s’entendait à merveille avec eux et elle les considérait comme faisant partie entière de sa famille.
Ceux qui étaient partis pour choisir une autre vie avaient tenus à faire un cadeau, ils avaient été invités au vin d’honneur.
Annabelle n’avait pas de famille ni d’amis à inviter, et elle le vivait bien.
La directrice de l’établissement fut invitée au vin d’honneur.
Duncan fut évidemment de la partie.

Le plus difficile, fut d’annoncer la nouvelle aux parents de Marianne.
Elle reprit contact avec eux et elle y dîna.
Ce fut après tout le repas qu’elle prit son courage à deux mains pour aborder le principal sujet.

— Je sais que ça fait longtemps que je ne prends plus le temps de venir vous voir…
— On sait que tu es occupée avec ton travail… quoi qu’on puisse en dire, tu gères ta vie professionnelle avec brio.
— Merci… si je suis rentrée… c’est pour vous annoncer quelque chose… je vais me marier…

Ses parents restèrent bouche bée. Ils ne savaient pas comment réagir à cette nouvelle. Si c’était une blague ou si c’était un miracle qu’ils ne pensaient plus possible.

— V-vraiment… ?
— Oui, c’est sérieux.
— Est-ce qu’on peut savoir avec qui… ? Tu peux nous en dire plus… ?
— Vous vous doutez que je ne suis pas restée célibataire pendant tout ce temps pour une raison…
— Ton travail… ?
— Pas que… elle s’appelle Annabelle.
— Pardon ?

Son père faillit s’étouffer avec sa salive.

— Je préfère que vous soyez au courant de mon mariage, même si vous ne l’approuvez pas. Ca m’a paru plus honnête que de vous le cacher et que vous finissiez par l’apprendre d’une manière ou d’une autre.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Marianne… ?
Reprit sa mère, qui laissa son père digérer l’information.

— Je l’aime, et elle me rend heureuse. Je sais que je pourrais compter sur elle pour le restant de mes jours.
— Tu ne comptes pas nous la présenter… ? Tu aurais pu l’amener avec toi… pour qu’on puisse la voir.
— Je ne savais pas comment vous aurez pu réagir et je ne souhaite pas que vous l’intimidiez ou que vous l’insultiez.
— V-voilà une bonne image que tu te fais de nous.
— Je vois bien que vous avez du mal à avaler mon annonce…
— C’est que… on avait fini par tirer un trait sur tes enfants… et c’est un peu inattendu que tu te décides à enfin te marier à ton âge…
— Merci pour le repas, je vais rentrer.
— Laisse-nous digérer la nouvelle… et d’ici là… songe à revenir en compagnie de ton… amie. Nous aimerions bien la rencontrer…
— … Je vais y réfléchir…

Marianne lâcha un gros soupir de soulagement.
C’était fait et ses parents avaient presque bien pris la nouvelle. Ils ne s’étaient pas mis à crier ni à l’insulter. Ils avaient été plutôt calme.

— Remets-toi.
Avait dit sa mère, après que Marianne soit partie.

— Mais… elle…
— On s’en doutait. Jamais un petit copain, c’était évident…
— Et sa… copine ? Qui c’est ?
— Qu’est-ce que j’en sais ?!

Marianne était sereine, elle voulait juste leur faire part de cette nouvelle, elle n’attendait rien en retour, elle n’avait pas besoin qu’ils approuvent sa décision.
Elle se sentait plus légère, comme libérée d’un poids. Elle venait en quelque sorte de faire son coming out.
Elle ne les avait pas conviés à l’événement, elle voulait que cela reste en petit comité et surtout dans la bonne humeur. Elle ne voulait surtout pas s’imposer ses parents qui seraient venus juste pour faire acte de présence.
Le visage serein, elle inspira un grand coup, ses cheveux ramenés en arrière par un vent léger, comme son cœur. Libéré d’un poids.
Elle avait hâte de rentrer pour retrouver Annabelle et la serrer dans ses bras.

*

Duncan fut choisi comme témoin.
L’établissement fut fermé pour le week-end, exceptionnellement.
Un photographe leur fut conseillé, qui prit des photos sur le vif et réussit à capturer le bonheur de cette journée.
Il eut le passage à la mairie, l’ambiance était joyeuse.
Le lieu réservé pour le vin d’honneur et le repas du soir.
Une liste de chansons calmes diffusée en fond durant le repas, puis la possibilité de danser et même chanter.
Ils étaient vraiment en petit comité, Marianne, Annabelle, Duncan, et les employés de l’établissement avec qui Marianne était le plus proche.
La liste complète des invités ne dépassait pas 25 personnes.
Les tables étaient agencées de manière à ce que tout le monde pouvait pratiquement discuter ensemble.
La musique était assez basse pour que ce ne soit qu’une ambiance et les gens pouvaient s’entendre sans crier.
C’était une petite salle privatisée dans un restaurant réputé.

Annabelle avait trop bu, elle était beaucoup trop joyeuse et Marianne l’avait laissée boire sans la freiner, pour une fois.
Duncan était ému et à la fois heureux pour elles.
Dans d’autres circonstances, s’il n’avait pas appris à connaître Annabelle, il aurait tout fait pour éviter que cela arrive, mais il savait maintenant que Marianne était entre de bonnes mains.

Annabelle s’était assise à côté de lui, elle était saoule.

— Je t’aime bien, tu sais ? Même si t’as joué au méchant… t’es un gentil en fait, hein… !
Dit Annabelle, en se collant un peu trop à Duncan.

Duncan ne savait pas comment réagir, il comprenait mieux pourquoi Marianne surveillait Annabelle concernant la boisson. C’était une toute autre personne.

— Tu dis rien… t’es jaloux… ? Moi qui pensais que vous finiriez par vous marier… tout compte fait, c’est moi qu’elle a choisit ! Sois pas trop triste… d’accord ? Je prendrai soin d’elle… !
— Oui oui… je te fais confiance, Annabelle… prends bien soin de Marianne pour moi…

2022.04.02

Démarche

Marianne avait eu le temps de réfléchir durant son séjour à l’hôpital.
Elle avait fait une liste de choses à faire avant… avant qu’elle ne soit plus de ce monde et dans les priorités, elle voulait épouser Annabelle.
C’était maintenant une certitude, elle ne voulait pas mourir et laisser Annabelle sans rien, c’était comme l’abandonner deux fois.
Elle avait tourné le problème dans tous les sens, il y avait un obstacle. Elle ne pouvait pas épouser un humain de compagnie. Il n’y avait rien dans la loi qui autorisait cela.
Elle ne pouvait pas la contourner et la seule solution possible, c’était encore de redonner ses droits d’humanité à Annabelle, et cela, elle n’était pas sûre qu’elle accepte. La connaissant, il était possible qu’elle refuse. Elle avait tout de même prit la décision de l’abandonner.

La démarche pour redevenir humain était complexe.
Tout d’abord, il fallait que ce soit le propriétaire de l’animal de compagnie qui prenne cette décision, et ensuite, il fallait que la personne concernée accepte de redevenir humain.
Les documents administratifs à remplir par plusieurs partis : l’établissement dans laquelle elle avait adopté Annabelle devait signer et s’occuper de classer le dossier d’Annabelle pour qu’il n’y ait pas de problèmes et que tout soit en ordre. Ensuite, Marianne devait s’occuper d’autres documents à signer et recréer des documents officiels attestant qu’Annabelle était de nouveau humaine, qu’elle avait des papiers. Mais le plus simple et aussi le plus complexe, c’était qu’Annabelle donne son accord et signe les papiers.
Il fallait l’accord des trois partis.
L’établissement pouvait également refuser. Cette situation était très rare voire inédite.

Il arrivait que des propriétaires en ait marre de leur humain de compagnie. La marchandise pouvait être reprise mais pas échangée ni remboursée.
Avant de signer ou faire signer quoi que ce soit, Marianne devait préparer et réunir tous les documents nécessaires. Et surtout, avoir l’accord d’Annabelle.

*

Le séjour à l’hôpital fut moins pénible à partir du moment où Marianne avait pu avoir son téléphone portable et la prise de recharge.
Elle n’était pas du genre à rester immobile et laisser le temps passer. Mais elle n’eut pas trop le choix et elle en profita pour faire ses recherches sur sa potentielle demande en mariage et le statut d’Annabelle.
Puis. Elle devait réfléchir à quand et dans quel cadre elle voulait faire sa demande. Elle voulait que ce moment soit parfait.
Rien que d’imaginer Annabelle en robe de mariée, elle en avait le coeur qui battait plus fort.

*

Annabelle se sentait seule dans l’appartement sans Marianne. Elle était inquiète mais elle ne pouvait pas rester à l’hôpital, les visites n’étaient pas tout le temps autorisées et il fallait qu’elle laisse les médecins faire leur travail, et Marianne se reposer.
Elle était allongée dans ce lit trop grand pour elle. La chaleur, la présence de Marianne lui manquait.
Elle prit son téléphone et lui envoya un message.
Elle n’arrivait pas à dormir et elle espérait qu’elle ne soit pas la seule à avoir du mal à trouver le sommeil.

[Tu dors… ?] [Non, et toi ?]

La réponse ne se fit pas attendre.
Elles s’échangèrent des banalités, des photos selfies.
Des sourires, des mots doux.

Marianne avait hâte de rentrer.
Les examens complémentaires n’avaient rien donné et les médecins ne savaient pas expliquer son hospitalisation, à part la garder encore 24h de plus pour écarter toutes les pistes.
Quoi qu’il en soit, il fallait qu’elle continue de faire attention à sa santé, ce qu’elle faisait déjà.
Ils lui conseillèrent de se reposer.
Elle eut un sourire en coin puis elle y réfléchit.
Ils n’avaient pas tort, elle avait rarement des vacances, et si jamais elle devait en prendre, elle devait les préparer. Ca pourrait être une bonne occasion pour couper avec le quotidien en compagnie d’Annabelle.
Lorsque sa date de sortie fut décidée, Duncan et Annabelle furent présents pour la récupérer.

2022.03.16

Flot

Marianne était plus âgée de beaucoup et elle ne pouvait pas échapper à ce qui l’attendait : des problèmes de santé.

C’était une journée comme les autres. Elle était à son bureau pour gérer des documents comme à son habitude, traiter des mails, s’occuper des dossiers administratifs urgents concernant son entreprise.
La matinée venait de passer en un rien de temps, elle jetait un regard sur l’heure. Il était presque midi.
Pas étonnant que son estomac commence à lui signifier sa faim. Elle s’étira de tout son long, s’éloignant légèrement de son bureau. Elle lâcha un soupir satisfait. C’était du bon travail abattu, elle s’autorisait cette pause pour se restaurer.
Elle prit soin de sauvegarder le nécessaire sur son ordinateur et de fermer sa session. On était jamais trop prudent concernant son poste de travail.
Elle se leva de son siège pour se diriger vers la sortie de son bureau.

Cela arriva d’un coup. Une douleur dans sa poitrine, vive, extrêmement forte, comme si quelqu’un lui avait tiré une balle invisible dans le corps.
Elle s’arrêta net. Elle porta sa main sur son torse, cherchant l’endroit exact où cela lui faisait tant mal, sans y parvenir. Elle arrêta de respirer, espérant atténuer la douleur, mais rien n’y faisait.
Ses jambes fléchirent et elle se retrouva à genoux, au sol, comme si l’énergie en elle venait de disparaître, elle avait trop mal pour rester debout.
Elle aurait pu appeler quelqu’un, mais en cet instant, elle espérait encore que la douleur s’estompe et s’en aille, aussi rapidement qu’elle était venue se loger dans sa poitrine. Elle essaya de retrouver une respiration normale et adéquate, puis, le vide.
Elle s’écroula sur le sol.

Elle était là, au sol, pendant plusieurs minutes, sans que personne ne se rende compte de son état. Elle était dans son bureau.
À l’extérieur, ses employés ne se doutaient de rien.
Ne la voyant pas sortir passé midi, puis midi trente.
Certains commencèrent par se demander si elle était partie déjeuner. Ils la connaissaient assez bien pour savoir qu’elle appréciait ses horaires et que la pause de midi était importante.

— Marianne est déjà partie manger ?
— Je ne l’ai pas vue depuis ce matin, elle est pas encore dans son bureau ?
— Je ne l’ai pas vue en sortir, elle doit encore y être, non ?
— Encore en train de bosser… elle a dû oublier l’heure ou elle saute le repas…
— Même quand elle a trop de travail, elle prend toujours le temps de manger le midi…
— Ca se trouve elle est sortie sans que vous vous en rendiez compte !
— On l’aurait vu passer, on est dans l’entrée !
— En vrai, on s’en fiche, non ? Elle a le droit de faire ce qu’elle veut de sa pause déjeuner.
— Oui, mais je voulais la voir pour lui demander quelque chose…
— Ben, va frapper à sa porte.

Il se dirigea vers son bureau et la porte était close.
Elle avait l’habitude de la laisser ouverte lorsqu’elle n’y était pas, pour éviter qu’on frappe inutilement à la porte si on la cherchait.
Alors ça le rassura de savoir qu’elle était close, elle devait encore être à l’intérieur et il n’aurait pas à chercher ailleurs.
Il frappa. Une fois. Puis deux fois. En attendant qu’elle lui réponde d’entrer.
Rien.
Il frappa une troisième fois, au cas où elle n’aurait pas entendu. Il avait le doute qu’elle soit tellement occupée qu’elle n’ait pas prêté attention au bruit à sa porte.
Il colla son oreille sur le bois et essaya de percevoir le moindre son. Rien.
C’était étrange. Elle n’avait pas l’air d’être là, peut-être qu’elle était partie aux toilettes ou qu’elle avait refermé la porte derrière elle sans faire attention, en partant.
C’était probable et il soupira, agacé de devoir trouver un autre moment pour s’entretenir avec elle.
Il ouvrit la porte pour que la prochaine personne ne frappe pas en vain tout comme il venait de faire.

Il ne s’attendait pas à voir le corps de Marianne étalé sur le sol.
Son sang se glaça et il ne sut pas tout de suite quoi faire.
Il se figea, la poignée encore dans sa main, il étouffa un cri, puis il recula.
Il courut au rez-de-chaussée en panique, le coeur battant à toute allure, et il prévint les autres de ce qu’il avait vu.

Une ambulance fut appelée et Marianne fut emmenée à l’hôpital où elle fut prise en charge.
Les employés étaient choqués, certains étaient inquiets et d’autres sensibles, pleuraient en ayant la crainte que la vie de leur patronne soit en danger.
On appela Duncan pour le prévenir de la situation

— Je t’appelle parce que je ne sais pas comment annoncer ça à Annabelle…
— Elle n’est pas au courant ?!
— Non… pas encore. Ca fait qu’une demi-heure que Marianne est partie avec l’ambulance…
— Ok. Merci de m’avoir prévenu.
— De rien… je ne sais pas ce qu’on va faire…
— Tout va bien se passer, faites comme d’habitude, connaissant Marianne, même si elle est absente pendant quelques semaines, vous n’avez pas à vous inquiéter. Elle a dû tout prévoir.

— Je me doute… c’est juste qu’on est inquiet pour elle… et puis si vraiment… enfin…
Sa voix s’étrangla. Elle préférait ne pas penser au pire.

—Je sais. Fais comme d’habitude. J’appelle Annabelle et on va s’occuper du reste. D’accord ?
— Oui… merci…

Duncan raccrocha et soupira.
Il était super inquiet. Marianne avait une santé de fer.
Il devait se ressaisir et ne pas laisser la panique l’envahir. Tout d’abord. Il devait prévenir Annabelle.
Si une personne devait être mise au courant, c’était elle. Par la suite, il voulait absolument aller voir Marianne et s’enquérir de son état. Annabelle souhaiterait certainement faire la même chose.
Il chercha la fiche de contact dans son téléphone et hésitait à l’appeler.
Non, le mieux était qu’il se rende directement chez elle. Ils iraient voir Marianne ensemble après qu’il lui annonce la mauvaise nouvelle.

Il sonna chez elles.
Annabelle fut surprise qu’on sonne à l’interphone.
Elle n’attendait personne et Marianne oubliait rarement ses clés.
Elle s’étonna de voir Duncan, mais elle lui ouvrit. Ce n’était pas commun qu’il vienne leur rendre visite, mais soit.
Lorsqu’il entra dans l’appartement, le temps qu’il prenne l’ascenseur et qu’il arrive à leur étage.
Elle l’accueillit normalement, en lui demandant ce qu’il faisait ici, sans aucune animosité mais surtout de la curiosité. Quel bon vent l’amenait chez elle ?
Son attitude l’intrigua.
Elle essaya de deviner mais il semblait blême et hésitant. Cherchant ses mots.

— Marianne… elle est à l’hôpital…
Duncan la regarda, sans réussir à trouver plus adéquat.

Il ne savait pas quoi ajouter de plus.
Annabelle se décomposa devant lui.
Duncan n’avait pas l’air de blaguer, il était sérieux et semblait tout autant affecté qu’elle.

— Comment ça… ? Que s’est-il passé ?

Annabelle avait le souffle court, son coeur lui faisait mal dans sa poitrine, elle avait beaucoup trop de questions à poser. Pourquoi.
Duncan prit les devants pour qu’elle se calme.

— Prends le stricte minimum, je sais dans quel hôpital elle est, on y va, maintenant.

Annabelle acquiesça et se dépêcha d’enfiler des chaussures, elle attrapa un manteau et pensa à prendre ses clés.
Elle avait une boule dans la gorge, les larmes aux yeux, mais les instructions de Duncan lui avait permis de ne pas céder à la panique, pas trop.
En moins de 5 minutes, elle était prête et ils se rendirent dans la voiture de Duncan qui était garée en bas de leur immeuble
Annabelle resta silencieuse, les mains crispées sur ses genoux, elle regardait Duncan du coin de l’oeil, et regardait dehors pour se changer les idées. Il fallait qu’elle arrête le flot d’émotions négatives au fond d’elle.
Comment Duncan arrivait à garder son calme.

— On la retrouvée évanouie dans son bureau. Je n’en sais pas plus que toi. On en saura plus quand on sera sur place, on pourra demander aux médecins.
Finit par dire Duncan, pour briser le silence pesant.

Sa voix tremblait, il était également inquiet mais il ne laissait pas transparaître son émotion sur son visage.
Annabelle ne savait pas quoi répondre.
Elle acquiesça et resta silencieuse jusqu’à l’arrivée.

À l’accueil, il fut assez simple de leur demander la chambre de Marianne, et ils purent s’y rendre sans problème.
Lorsqu’ils frappèrent et entendirent la voix de Marianne leur répondre d’entrer, ils furent tellement rassurés.

*

Marianne était assise, adossée à un oreiller et le regard perdu, elle observait par la fenêtre.
La douleur était enfin passée. Elle s’était réveillée entourée de personnel qui s’étaient chargé de son cas.
Quelle frayeur. Elle crut que c’était la fin et la panique l’avait envahie. Cela aurait pu être la fin et il restait tant de choses à faire.
Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Pas avant qu’elle se soit occupée de certaines choses.
Elle observa ses mains, qu’elle resserra et desserra.
C’était le cours naturel des choses, elle se faisait vieille et même avec son alimentation équilibrée, ses séances de sport régulières, elle ne pouvait pas échapper à la maladie. Elle eut un rictus.
Elle posa sa main sur sa poitrine. La douleur qu’elle avait ressentie quelques heures auparavant n’était plus, mais elle se rappelait la sensation très désagréable d’une aiguille plantée dans son coeur.
Elle respira un grand coup.
Quelle situation.
Elle n’avait rien pour prévenir ses proches.
Elle s’affala sur l’oreiller, détendue, exaspérée. Un soupir. Elle n’avait pas d’autre choix que d’attendre et elle sentait que le temps allait être long.

*

Marianne ne pensait pas les voir.
Depuis qu’elle s’était réveillée, les médecins et les infirmiers et infirmières lui avaient posé beaucoup de questions et elle était raccordée à certaines machines. Elle pensait que c’était encore un médecin qui allait lui faire un examen de contrôle. Elle était déjà fatiguée de cette batterie de tests de santé à passer.

Quelle fut sa surprise quand elle vit Duncan, puis Annabelle

— Vous tombez à point nommé. Je me demandais comment j’allais faire pour vous prévenir… mon téléphone est resté au bureau.
Sourit Marianne.

— Tes employés m’ont appelé, t’en fais pas. Comment tu te sens ? Tu nous racontes ?

Annabelle accourut, les yeux mouillés, elle avait envie de la serrer dans ses bras, trop émue de voir Marianne éveillée, elle s’avança jusqu’à son lit et prit ses mains dans les siennes.

— Oh, ma douce Annabelle, ne fais pas cette tête. Regarde, je vais bien !
Dit Marianne, touchée de son attitude.

Elle fit une pause.

— Un petit problème au coeur… je vais beaucoup mieux maintenant. La mauvaise nouvelle c’est qu’ils vont me garder quelques jours pour faire des tests complémentaires…
— Tu as besoin que je te ramène quelque chose ?
— Mes affaires ? Ca serait top ! Merci !
— Ton téléphone, je veux bien, mais repos. Tu ne vas pas travailler à l’hôpital.
— Mais—
— Non.
— … D’accord. Mon téléphone, au moins… et quelques affaires de change… si c’est possible ?
— Ca devrait le faire, j’y vais alors.

Duncan voyait comment était Annabelle et Marianne, et il se sentait de trop dans la pièce.
Il voulait les laisser seule à seule.

— J’arrive.
Dit Annabelle, contre toute attente

— Tu peux rester ici… je reviendrai te chercher à mon retour.
— Comment tu vas faire pour choisir les affaires de Marianne… ?
— … C’est vrai.

*

Ils retournèrent chercher le téléphone de Marianne, en profitèrent pour rassurer ses employés sur son état, et ils passèrent à l’appartement pour qu’Annabelle prépare un sac avec des affaires.
Duncan attendit dans le salon pendant qu’Annabelle s’activait.
Il observa l’appartement.
Ca avait bien changé depuis qu’Annabelle était là. Il ne pouvait qu’imaginer son état avant son arrivée parce que Marianne ne lui avait jamais autorisé à venir, et la connaissant, elle n’avait pas le temps de se préoccuper de l’entretien des lieux.
C’était touchant de voir à quel point Annabelle était impliquée et s’occupait de Marianne.
En moins d’un quart d’heure, elle avait rempli un sac de sport avec tout ce qu’il fallait. Il était plutôt impressionné.

En réalité, il était un peu jaloux que Marianne ait quelqu’un qui soit à ses côtés. C’était donc ça, avoir quelqu’un avec qui partager son quotidien.

2022.03.15