Elle avait commencé sa nouvelle vie au château du comte.
Leur premier entretien avait été mouvementé.
Elle ne savait pas comment l’interprêter.
Le comte l’avait congédié de manière assez abrupte alors qu’elle avait enchaîne les bourdes.
*
Il avait arrêté sa chute et elle se trouvait dans ses bras.
À cette distance et au contact de son corps frêle qu’il arrivait à deviner à travers l’uniforme trop grand pour sa silhouette. Il se rendit compte à quel point elle était fragile. De part sa condition humaine, et de sa condition physique.
Lorsqu’elle se mit à saigner du nez, il retint sa respiration.
L’odeur bien particulière et alléchante pour lui, embauma son bureau.
Il ne pensait pas que cette odeur lui ferait autant d’effet. Il ne savait plus depuis combien de temps il n’avait pas humé cette fragrance.
Il eut l’irrésistible envie d’y goûter. Sa gorge se faisait sèche et à la fois l’eau lui montait à la bouche.
Il l’aida à regagner son équilibre et il aurait voulu s’éloigner et regagner son bureau.
Elle, sentit son nez couler lentement, jusqu’à ses lèvres. Elle toucha du bout des doigts et vit la couleur sombre, dans la pénombre de la pièce.
Il ne put résister plus longtemps et il lui attrapa le poignet pour lui lécher le bout de ses doigts tachés.
Et il se retourna vers elle, et lui embrassa ses lèvres pour lui lécher le rouge qui les teintait.
— Vous devriez faire attention à ne pas vous blesser dans l’enceinte du château… rien qu’une goutte de sang pourrait faire perdre la tête à certains de mes serviteurs..
Elle resta muette.
— J’espère que la nourriture siéra à votre palais ici. Je peux vous affirmer que votre sang comporte des carences.
Son visage devint rouge, honteuse qu’il ait pu analyser son bilan sanguin rien qu’en goûtant un échantillon de son sang.
Il continuait de la regarder. Souriant et analysant sa réaction.
Allait-elle avoir peur ?
Elle ne dit rien.
*
Le temps avait passé, elle s’était faite à sa routine.
Elle passait une grande partie de son temps dans la grande bibliothèque.
Lorsqu’elle en avait le temps, elle avait le droit d’étudier et de lire des ouvrages sur la magie.
Elle s’était dirigée vers eux, naturellement, sans savoir de quoi il s’agissait. Ils l’avaient appelée et elle avait attrapé la tranche. Un courant électrique l’avait parcourue.
Elle était sous la protection du comte qui la surveillait de son omniprésence.
*
Elle prit l’avertissement très au sérieux.
Ne sachant pas trop à qui en parler, elle se donna la mission de trouver un moyen de ne pas avoir ses règles, de ne plus les avoir.
Elle s’était essayé à appliquer ce qu’elle avait appris dans les livres, ignorant que cela était de la magie noire.
*
Elle avait ignoré l’avertissement du bibliothécaire et elle avait tenté d’exercer la magie.
Sa tentative devint incontrôlable.
Le froid invoqué était beaucoup trop puissant et elle n’arrivait plus à l’arrêter. Devenant de plus en plus glacial, ses mains ne pouvaient plus le supporter.
La forme de glace se libéra et elle utilisa ses bras pour se protéger, l’air autour d’elle tourbillonnait et des éclats gelés étaient tels des lames de rasoirs qui lui entaillaient la peau et les vêtements.
Ne pouvant s’échapper, le sort fit le tour de la jeune fille et revint sur elle pour lui retomber dessus.
Le choc fut violent et avec son corps d’humaine, elle finit à terre, écrasée par la puissance de sa propre magie.
Le bibliothécaire accourut au bruit et lorsqu’il ressentit la magie. Il s’approcha d’elle, elle était glacée, il n’eut pas le temps de dire ni de faire quoi que ce soit. Dans les minutes qui suivirent, une autre personne alertée par la magie environnante, arriva dans la pièce.
— Homa ! Qu’as-tu fait ?!
S’écria t-il, horrifié.
Il préféra ne pas répondre, sachant qu’elle était sous sa responsabilité.
— Je t’avais confié sa protection !
Il s’approcha également du corps.
— Elle l’a fait d’elle-même. Il fallait qu’elle applique ce qu’elle a appris dans les livres.
Se contenta t-il de dire, comme si c’était inévitable.
Le comte observa les dégâts. Ils se doutaient qu’elle avait une afinité avec la magie noire mais de là à avoir une telle puissance, cela était prometteur. Même si pour l’instant, ce qui était préoccupant c’était son état.
Il toucha ses mains, prit son pouls. Elle respirait encore mais elle était frigorifiée. Il n’hésita pas et passa ses bras sous son corps pour la soulever et la porter dans ses bras. Il n’était pas plus chaud mais il était préférable qu’elle ne reste pas au sol, sur lequel de la glace s’était formée tout autour d’elle.
— Je te laisse t’occuper de remettre tout ceci en ordre.
Dit-il sans même le regarder.
— Bien… j’imagine que tout ceci tombe sous ma responsabilité…
Répondit-il dans un soupir.
Il se releva avec peine et alla chercher un livre sur son bureau pour y chercher une page précise.
Le comte quitta les lieux, laissant son viel ami dans sa corvée.
Il avait des scrupules à la ramener dans sa chambre de bonne et sur un coup de tête il l’emmena dans sa propre chambre. Il maudit Homa, qui avait certainement fait tout ceci pour qu’il franchisse le pas. Il savait qu’il avait des sentiments pour cette humaine mais il préférait se voiler la face.
Elle y serait mieux, se dit-il comme excuse, pour se convaincre.
Son lit double à baldaquin et aux draps épais et soyeux, la réchaufferait mieux que n’importe quel lit dans l’enceinte du château. Se convainquant de ses propres arguments.
Il la deposa sur ce lit luxieux et se rendit compte qu’il ne pouvait pas la faire dormir dans son uniforme déchiré par endroits et gelé.
Il la déshabilla et la fit enfiler une de ses chemises propres qui était tellement grande pour sa petite corpulence, qu’elle suffisait à elle seule à recouvrir une grande partie de son corps, jusqu’au dessus de ses genoux.
Satisfait, il l’allongea au fond des draps et la recouvrit.
Il resta à l’observer un moment.
Elle était si appétissante à ses yeux, sa chair pourtant pas pâle, laissait apparaître ses veines, remplies et battantes du sang certainement chaud et doux à son palais. Il avait une envie irrésistible d’y gouter.
Elle était à sa merci, inconsciente encore, la nuque à quelques centimètres de son visage.
Il se reprit et s’éloigna vivement.
Combien de temps s’était écoulé ?
Suffisament pour qu’elle commence à reprendre ses esprits. La douceur du tissu sur sa peau et la chaleur des draps qui commençaient à la réchauffer, c’était agréable et elle finit par reprendre connaissance, elle ouvrit ses paupières et ce fut à sa grande surprise qu’elle se réveilla dans cet endroit beaucoup trop beau et avec le comte à ses côtés.
Il était assis sur le rebord du lit et son visage était résigné, triste. Cette expression qu’il avait l’habitude d’arborer. Cela lui faisait tellement de peine de le voir ainsi.
— Suis-je morte ?
Demanda t-elle, ne croyant pas réel ce qu’elle vivait actuellement.
Cela le sorti de son état morose et il rit.
— Non, pas encore. Homa ne perd rien pour attendre.
Répondit-il en souriant, d’un sourire bien sadique rien qu’à la pensée de son viel ami.
— Il n’y est pour rien. C’est moi qui ait—
Se justifia t-elle pour le défendre.
— Tss tss tss.
Il l’arrêta.
— Tu as fait exactement ce qu’il souhaitait, ce vieux manipulateur a bien assez vécu pour contrôler les pensées des gens. J’imagine qu’il t’a interdit de le faire, tout en te donnant assez de détails pour que tu en sois capable.
Elle réfléchit et préféra garder le silence.
Il lâcha un soupir, cela confirmait ce qu’il pensait. Il le connaissait que trop bien, ou alors était-ce l’inverse. Et la voici dans son lit.
La main sur son visage, il semblait ruminer.
— Est-ce que ça va… ?
S’inquiéta t-elle.
— Est-ce que toi, ça va ?
Lui demanda t-il, laissant sa main et montrant ainsi son visage mélancolique à la jeune fille. Il n’osait pas la regarder trop longtemps.
— Merci… grâce à vous. Elle baissa les yeux.
Elle lui était tellement reconnaissante et elle lui devait tant, mais elle n’avait rien à lui offrir en échange.
Comme s’il lisait dans ses pensées, il lui répondit.
— Si tu pouvais arrêter de te mettre en danger de cette manière… cela m’arrangerait.
Marmona t-il entre ses dents.
— Pardon…
— Cet idiot d’Homa semble ne pas être un assez bon professeur de magie. Je vais devoir m’en occuper moi-même.
Il disait cela en sachant qu’il s’était fait piéger par ce dernier.
Il posa sa main dans la sienne qui traînait sur le dessus du drap.
Elle le laissa faire, la fraîcheur du contact de sa peau la fit frissonner un bref instant.
— Qui aurait pu croire que tu détenais une telle puissance entre des mains si fragiles…
Comme ennivré par son odeur humaine, il se livra à elle et parla.
— Ta présence m’est extrêmement précieuse…
— Pourquoi êtes-vous si triste… ?
S’osa t-elle formuler, voyant dans son regard cette lueur mausade.
Il la regarda sans prononcer un mot. Ne sachant pas comment lui expliquer.
Il finit par émettre un son, même plusieurs.
— J’aimerais pouvoir te garder à mes côtés. Que tu restes ici à jamais. J’ai été seul pendant si longtemps… ton arrivée ici a redonné des couleurs à mon existence… Expliqua t-il, comme à lui-même.
— Je suis à vous, monsieur.
Répondit-elle tout simplement.
— Ne dis pas ça…
Il semblait lutter intérieurement.
— C’est la vérité. Vous avez tellement fait pour moi. Je m’offre à vous, sans regret. Si vous ne m’aviez pas accueillie, je serais certainement plus de ce monde.
— Tu ne sais pas ce que tu dis. N’en dis pas plus…
Elle serra sa main glacée entre ses doigts.
— Que puis je faire pour combler cette solitude qui vous chagrine tant… ? Cher maêtre.
— Je… je ne peux pas faire de toi quelqu’un comme moi… je souhaite préserver ton humanité…
— Quelqu’un comme vous… ?
Il ouvrit grand sa bouche pour lui montrer ses canines pointues et acérées.
— Ce que je suis… un monstre.
— Vous êtes beau.
Prononca t-elle sans aucune crainte.
— Tu es bien étrange, petite humaine.
Ses mots semblaient lui avoir redonné un semblant de sourire.
— Vous m’avez recueillie et vous avez pris soin de moi. Ce que tout humain que j’ai pu croiser durant ma courte vie n’a jamais fait à mon égard. Je ne vous vois pas comme un monstre. Faites ce que vous souhaitez de moi. J’ai pu être heureuse grâce à vous.
— Ne parle pas ainsi. On dirait que je vais te tuer.
— … Ce n’est pas le cas ?
— Non. Enfin pas tout de suite et pas réellement. Tu es encore trop jeune pour rejoindre le monde des ténèbres, et ce n’est pas une décision à prendre à la légère. La vie éternelle est beaucoup plus complexe à appréhender que celle humaine… je sais de quoi je parle.
— … Je n’ai pas peur de viellir, ni de mourir.
— Je l’ai bien compris. Je vais me contenter de te garder auprès de moi, pour l’instant.
*
Lorsqu’elle se réveilla, le comte était à son chevet et à la vue de son expression, il n’était pas de bonne humeur.
Elle n’eut pas le temps de se demander où elle se trouvait ni ce qu’elle faisait ici.
— Demoiselle, j’espère pour vous qu’un tel incident ne se reproduira plus.
Sa voix était posée mais dure. C’était une réprimande.
Elle ne savait pas quoi dire à par s’excuser, mais elle préféra garder le silence, acquiesçant d’un simple hochement de tête. Elle n’était pas fière de ce qu’elle avait fait, mais la curiosité et sa confiance en elle l’avaient poussée à passer outre l’avertissement du bibliothécaire.
Il ne lui adressa presque pas un regard. Il se releva du lit.
— Vous pouvez rester vous reposer encore un moment. Lorsque vous vous sentirez mieux, vous pourrez quitter cette chambre. Je vais demander à ce qu’on vous amène un nouvel uniforme.
Il s’éloigna d’elle, gardant étrangement ses distances.
Sa voix portait très bien malgré son éloignement.
— Votre journée est finie pour aujourd’hui. Le viel homme doit s’occuper de remettre en ordre les dégâts causés par votre… expérimentation.
Son ton restait neutre et c’est ce qui était encore plus angoissant.
Elle resserra les draps entre ses doigts, se sentant extrêmement coupable.
— Je suis… désolée…
Dit-elle, la mâchoire crispée par la culpabilité.
— … Homa a également sa part de responsabilité. Ce vieux renard vous a certainement soufflé cette brillante idée. Quoi qu’il en soit, la pratique de la magie vous est maintenant interdite.
Elle ravala sa fierté et acquiesça, s’estimant déjà heureuse qu’il ne la congédie pas.
Les nouvelles avaient circulé comme une traînée de poudre et lors du dîner, Frekio l’interpela pour qu’elle vienne s’asseoir à sa table pour manger à ses côtés.
Il était d humeur joyeuse et décontractée, comme à son habitude.
— Bah alors ? T’as quelque chose à me raconter ?
— … Comment ça ?
Elle fit l’innocente. Ne souhaitant pas se remémorer son échec en magie.
— Allez, ne fais pas ta cachotière. Presque tout le château est au courant…
Dit-il avec un sourire en coin.
Elle lâcha un énorme soupir et baissa le visage, restant silencieuse.
— Bon. Tu me racontes ? C’était comment avec le comte ? Promis je ne suis pas jaloux.
Il lui donna un coup de coude dans les côtes pour la pousser à s’exprimer.
Elle étouffa un cri de surprise et de douleur. Le bougre ne contrôlait pas sa force.
Se massant les flancs, elle lui répondit entre les dents.
— Je croyais que tout le monde était au courant.
Grogna t-elle.
— Oula… si t’es de si mauvaise humeur, c’est que ça devait pas être terrible…Répondit-il en étant moins curieux.
— J’ai cru qu’il allait me virer. Apparemment j’ai encore de la chance ou il a trop pitié de moi pour me laisser encore travailler ici…
— Pourquoi te virer… alors que c’est lui qui t’a emmenée dans sa piaule ?
Demanda t-il confus.
— Parce que j’ai failli transformer la bibliothèque en glacière, pardi !
Lui dit-elle.
— … Q-quoi ?!
Dit-il beaucoup plus fort.
Les autres employés autour d’eux se retournèrent dans leur direction, malgré le brouhaha ambiant.
Frekio s’excusa maladroitement tandis que Chloé essayait de se faire le plus petit possible. Ignorant le jeune homme.
— Comment ça… ?
Chuchota t-il, cette fois-ci.
— C’est pas de ça dont tout le monde parle ?
Demanda t-elle, pleine d’interrogations.
— Pas vraiment…
Se forca t-il à sourire, gêné.
— Dis-moi, alors.
Insista t-elle. Curieuse de ce qui se disait.
— Comment dire… le comte et toi… dans sa chambre… tu veux un dessin ?
Elle devint écarlate.
— Mais ça va pas !?
Bafouilla t-elle.
— Bon, voilà tu sais, c’est quoi cette histoire de glacière ? C’était à son tour d’être curieux.
Elle lui raconta sa mésaventure dans la bibliothèque. En messes basses. Elle s’approcha de son oreille et positionna ses deux mains pour qu’il entende clairement sans que les personnes aux alentours ne puisse avoir des bribes de son récit.
Il la regarda avec des yeux écarquillés.
Puis il regarda ses mains, il prit sa main pour l’inspecter de plus près et la reposa.
— Je ne suis pas une bête de foire non plus.
Se vexa t-elle.
— Je suis juste étonné de ton exploit…
Se défendit-il.
— Si tu pouvais garder cette information pour toi. Ça m’arrangerait…
— Ne t’en fais pas pour ça.
Soupira t-il.
Ils continuèrent leur repas en s’échangeant des banalités.
Le comte put les observer de loin sans être vu.
Il ressentit une certaine jalousie que ces deux personnages puissent avoir cette proximité naturelle.
*
Elle put retourner à la bibliothèque et s’excuser auprès d’Homa, qui la rassura en disant que la faute était sur lui, le responsable des lieux.
Il s’enquit de sa santé et elle s’inclina pour le remercier.
Des jours et des semaines passèrent.
Elle se fit convoquer une nouvelle fois dans le bureau du comte.
La boule au ventre, elle se demandait si elle avait fait une autre bêtise ces derniers jours.
Les mains moites, la gorge serrée, elle avala sa salive et frappa à sa porte, qui s’ouvrit aussitôt pour la laisser entrer.
Il était là, lui montrant son dos, comme perdu dans ses pensées le visage tourné vers l’exterieur de sa fenêtre.
Les bras croisés et une main à son menton, comme s’il ne l’avait pas vue.
Elle annonca sa venue.
— Vous désiriez me voir… ?
Dit-elle d’une petite voix.
— Demoiselle Chloé.
Dit-il sans bouger.
Son timbre de voix la surprennait toujours, clair et dur, presque froid.
Elle se raidit et des frissons lui parcoururent le long de sa colonne vertébrale.
— Oui !?
Répondit elle, par mécanisme. Presque surprise qu’il s’adresse à elle.
Il leva sa main et la porte se referma derrière eux.
Il se tourna enfin vers elle.
— Nous devons aborder un point important qui vous concerne.
Lâchant un soupire presque imperceptible.
Il marcha vers elle, le dos droit avec une telle grâce, sans aucun geste inutile.
Ses mains rangées maintenant derrière lui, il s’approcha d’elle.
Elle resta raide, se repassant les derniers jours et ce qu’elle avait pu faire comme erreurs dans les tâches qui lui avaient été confiées.
Son attitude envers elle l’inquiétait.
Elle baissa les yeux machinalement, elle sentait son regard sur elle et elle ne se sentait pas de taille à soutenir le sien.
Il attrapa une de ses mains et l’osculta sous tous ses angles.
Sa peau etait particulièrement douce mais surtout froide. Elle se laissa faire. Attendant le verdict décidant de son sort.
— Vous n’avez pas réessayé d’utiliser la magie, n’est-ce pas ?
Dit-il tout en regardant sa main sous toutes ses coutures, avant de la relâcher.
Il s’éloigna de nouveau, lui tournant le dos. Elle put alors relever ses yeux pour l’observer sans être embarrassée.
— C’est exact.
Répondit-elle.
— Bien. Demain, Homa vous préparera quelques livres que vous amenerez dans mon bureau.
— C’est entendu. Que puis-je faire d’autre ?
Elle s’inclina.
Il sembla réfléchir, le silence se fit dans la pièce pendant un moment qui sembla durer une éternité pour la jeune employée.
— Dites moi… Êtes-vous accoutumée à ces lieux et votre emploi ?
Demanda t-il enfin. Sa voix était plus calme et douce.
— O-oui… ?
Répondit-elle, perplexe qu’il puisse s’en soucier.
— Bien. Si vous avez une quelconque remarque, n’hésitez pas à m’en faire part.
Ajouta t-il. Toujours se tenant à l’écart d’elle. Comme si elle dégageait une odeur nauséabonde.
Elle se demanda si le problème venait d’elle.
— Je n’y manquerai pas.
Leur discussion était de plus en plus gênante, ne sachant pas comment l’alimenter.
Elle attendait qu’il lui dise quelque chose, et lui ne semblait pas enclin à être plus bavard.
Patiente, elle lui laissa le temps qu’il lui fallu pour la congédier. Elle s’était déjà fait réprimander une fois d’avoir pris la décision de quitter la pièce d’elle-même et elle s’en souvenait.
— Dans ce cas, vous pouvez disposer. Je vous revois demain.
Finit-il par dire.
Elle s’inclina de manière plus prononcée et elle s’en alla.
Dans le couloir, elle sembla pouvoir reprendre sa respiration.
*
Le lendemain, Homa ne fut pas plus bavard. Il avait effectivement préparé une pile de livres sur le coin de son bureau mais il n’en dit pas plus.
Il lui fit signe de le débarrasser de ces livres et il retourna à sa lecture, ignorant presque la jeune femme.
Elle les fit glisser sur le bois et essaya de les porter sans en faire tomber. Ils étaient lourds et elle n’avait pas spécialement de force dans ses bras fins.
Elle ne se plaint pas et essaya de les soulever et les garder dans ses bras.
Ses muscles tremblaient, elle trouva une position plus confortable pour faciliter le transport pour son corps.
Il n’y avait pas tant de livres, mais leur couverture en cuir et leurs reliures dorées , pesaient leur poids.
Elle tituba presque jusqu’au bureau du comte.
Les autres servantes se moquaient de loin de la frêle silhouette et de son colis dont elle pénait à soutenir le poids. Ayant franchi une bonne partie du chemin sous l’oeil amusé des autres employés.
Elle croisa Frekio, qui l’aborda sans hésiter une seconde.
— Tu fais quoi là ?
— Ça ne se voit pas… ?
Répondit-elle essouflée.
— … Tu vas où comme ça ?
Demanda t-il. Marchant à ses côtés.
— Bureau du comte. Me parle pas, je suis concentrée…
— Tu veux un coup de main… ?
Dit-il partagé entre la pitié et la moquerie de la voir tellement en difficulté pour quelques malheureux livres.
— Ça ira, c’est ma mission…
Lui adressant un regard en biais, sachant très bien qu’il se retenait de rire.
— Je vais tout de même t’accompagner. Au cas où tu te retrouverais ensevelie sous ce que tu… essayes de porter.
Pouffa t-il.
— Vas-y, ne te prive pas et ris à gorge déployée…
Elle continua son chemin en faisant mine de l’ignorer.
Il marchait à son rythme sans aucune difficulté.
— Qu’est-ce qu’il te veut le comte ?
Demanda encore le curieux.
— Aucune idée. Certainement me punir…
Prononca t-elle avec mal en essayant de respirer correctement en portant les ouvrages.
— Effectivement… t’es sûre que tu ne veux pas que je t’aide ?
Cette fois-ci, le ton de sa voix était plus compatisant.
— C’est bon, je suis presque arrivée…
Ils étaient en face de la porte du bureau du comte.
— Bon, dans ce cas, je te laisse. À plus !
Il s’éclipsa aussitôt, comme s’il ne souhaitait pas croiser ledit comte.
Elle lâcha un énorme soupir et frappa sans attendre pour essayer d’écourter cette livraison qui lui avait semblée interminable.
— Je vous attendais.
La porte s’était ouverte comme la dernière fois et elle était maintenant à l’intérieur.
Contrairement à la dernière fois, il lui faisait face et la surprise se lut sur son visage lorsqu’il la vit presque en sueur et essouflée, tremblante avec le paquet de livres dans ses bras.
Il s’avança vers elle et la décharcha du poids.
— J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop… J’ai tendance à oublier la difficulté à porter des objets lourds pour les humains…
Sa voix était douce et basse.
Elle resta bouche bée avec quelle facilité il prit en main les produits de sa livraison. D’une seule main, il déplaça le tas jusqu’à son bureau.
— Savez-vous pour quelle raison je vous ai fait venir aujourd’hui ?
Enchaîna t-il.
— Non… ?
Répondit-elle, pensant en son fort intérieur que c’était certainement une sorte de punition, maintenant que ses muscles étaient meurtris.
Il prit un des livres posés et le feuilleta rapidement.
— Pour pratiquer la magie. Votre magie. Je ne suis pas très fan de la manière qu’à Homa de former les débutants…
Il racla sa gorge puis se tourna vers elle en lui tendant le livre sur les pages qu’il venait d’ouvrir.
Elle le prit en le remerciant mais elle ne savait pas quoi dire. Ni faire.
— Vous pourrez expérimenter la magie en ma présence. Je vous expliquerai ce qui est autorisé de faire ou non.
— Ici… ?
Elle regarda autour d’elle.
Les bibelots et autres sculpures sur les étagères, les meubles dans le bureau. Inquiète d’abîmer quoi que ce soit.
— Oui. Ne vous inquiétez pas pour la décoration. Je préfère que vos prédispositions pour la magie ne soit pas ébruitée. Nous ne serons pas dérangée ici.
Elle regarda plus en détails les pages du livre qu’elle tenait entre ses mains.
Il était beaucoup moins complexe que ce qu’elle avait essayé de déchiffrer la dernière fois. Concentrée sur sa lecture, il la laissa s’imprégner du texte.
Elle releva les yeux et il hocha la tête en signe d’approbation, répondant à sa question sans l’avoir entendue. Elle pouvait s’essayer à appliquer ce qu’elle avait lu.
Le regard oscillant entre le livre dans une main, et son autre main sur laquelle elle s’efforcait de faire apparaître quelque chose.
L’exercice consistait à faire apparaître un peu de glace au creux de la main, le livre expliquait les bases et il semblait être fait pour les débutants.
Des flocons se formèrent et tourbillonèrent au creux de ses doigts, puis de plus en plus vite jusqu’à former une petite boule de neige, qui se posa sur sa paume.
— Ce n’est pas mal.
La voix du comte la sortit de sa bulle et elle sursauta.
Il s’était tue depuis qu’elle s’était plongée dans sa lecture et assit derrière son bureau, il feuilletait les autres ouvrages qu’elle avait amenés.
Quant à elle, elle avait fini par s’asseoir par terre, elle sentait que cette simple réussite avait puisé dans ses forces. Forces qui avaient déjà été bien amenuisées lors de sa livraison.
Elle voulu eviter d avoir la tete qui tourne. Pour l instant, cela semblait aller. Elle reprit sa respiration, pour se remettre en état.
La petite boule de neige était déjà en train de fondre.
L’homme derrière son bureau ne réalisa que maintenant que la jeune humaine devait être épuisée. Il se leva de son siège pour aller vers elle et s’accroupir devant elle.
Comme s’il avait des scrupules à la laisser par terre alors qu’il était confortablement assis dans son siège.
Il s’approcha pour voir de plus près le fruit de sa magie, et vérifia si elle n’avait pas de retour de bâton.
Il avança doucement sa main vers son visage et posa le dos de sa main glacée sur son front.
Elle frissonna mais cela lui fit du bien.
Elle avait étrangement chaud, comme si son sang bouillonnait en elle.
Il toucha son poignet, pour tâter son pouls tout en gardant cette main sur le front.
— Comment vous sentez vous ?
— Ça va.
— Si vous vous sentez fatiguée, il ne faut pas hésiter à me le dire. L’utilisation de la magie peut vite être éreintante.
Sermona t-il.
— Je suis un peu fatiguée… mais ça va. Je peux continuer.
Dit-elle déterminée.
— Ça a l’air d’aller… au moindre signe de fatigue intense, on s’arrête. Est-ce clair ?
Le verdict de son oscultation semblait le rassurer mais il restait inquiet.
— Oui, monsieur.
Elle tourna la page sur un autre exercice.
Cette fois-ci c’était le feu.
Des petites étincelles apparurent et elle sentit des picotements chauds presque brûlant dans sa main.
Le feu était plus effrayant et gênant que la glace.
Les étincelles se multiplièrent et sa peur avait un impact sur leur matérialisation, elles tremblaient et dansaient de manière désordonnée.
Leur vitesse augmenta et elle ne contrôla plus rien. Une boule de feu apparut à leur place. Beaucoup plus chaude et brûlante, elle ne savait pas comment faire pour la faire disparaître.
Autant la boule de neige s’était mise à fondre, cette fois-ci, elle ne savait pas si elle devait fermer ses doigts sur la flamme ou la laisser s’éteindre d’elle-même.
La flamme augmenta au lieu de diminuer et elle semblait se détacher de sa main.
Il intervint, claquant des doigts, la flamme disparut.
— Il faut contrôler ses émotions. Ne pas céder à la panique.
Il prit sa main dans la sienne.
— Pour l’éteindre il suffit de se détendre et vider son esprit. Refermer ses doigts est une option, ou poser son autre main dessus pour l’éteindre. Dans ce cas là, il faut garder son calme. Recommencez.
Elle obéit.
Sa main qui soutenait la sienne était rassurante.
Elle réussit cette seconde tentative.
Les étincelles étaient un peu plus stables et les flammes avaient une taille normale.
La surprise de la chaleur fut moins présente et elle put se calmer.
Elle ferma les yeux pour essayer de penser au vide.
Elle sentit la chaleur diminuer pour finalement disparaître.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la flamme avait disparu.
— Il faudra apprendre à le faire en gardant les yeux ouverts. Pour aujourd hui, ça suffira.
Il relâcha sa main et ramassa les livres pour les empiler sur le coin de son bureau.
Il revint vers elle pour l’aider à se relever.
Elle ressentit cette fatigue tomber sur elle d’un coup.
Comme vidée de son énergie, ses jambes avaient du mal à supporter son poids plume.
Lorsqu’il vint l’aider à la soutenir, elle fut très reconnaissante, mais étant restée à terre depuis tout ce temps, elle eut un semblant de vertige, elle perdit l’équilibre et il la rattrapa dans ses bras.
Elle n’osa pas bouger
— P-pardon.
Balbutia t-elle.
Ils restèrent ainsi un moment, sans un mot.
Elle n’osa pas le regarder, son coeur battait à tout rompre. L’effet secondaire de l’utilisation de la magie.
— Ça va ?
Demanda t-il, brisant le silence.
— O-oui. Ça devrait aller.
Elle reprenait ses esprits, elle s’écarta.
— Vous pouvez vous reposer pour le reste de la journée. Les livres resteront ici.
— Merci…
— Je ne serai pas disponible tous les jours pour vous assister. Je préviendrai Homa lorsque cela sera possible. Le reste du temps vous pourrez travailler à la bibliothèque, comme à votre habitude.
Elle s’inclina pour signifier qu’elle avait compris.
Il marcha vers elle et releva son visage avec ses doigts.
Vérifiant son teint et qu’elle allait vraiment bien.
— N’allez pas perdre connaissance quelque part dans le château.
Rassuré, il retourna à son bureau.
— Vous pouvez y aller.
Il leva sa main et la porte s’ouvrit.
— Bien.
Elle sortit et la porte se referma derrière elle.
Elle souffla, comme si une grande pression venait de retomber.
Elle regarda ses mains.
Elle venait de pratiquer réellement la magie.
C’était une sensation étrange. Elle avait accompli quelque chose, même si ce n’était que le début.
*
De retour dans sa chambre, il n’était encore que l’après-midi. Elle s’allongea sur son lit et son regard se perdit sur le plafond en pierres, et ses pensées.
Elle ressentait la fatigue revenir à grands pas.
Les questions se bousculèrent dans sa tête.
Pourquoi le comte lui apprenait la magie ?
Était-ce pour une raison en particulier ? Était-ce pour occuper un poste nouveau dans le futur ? Lorsqu’elle saurait se servir convenablement de ce pouvoir.
Était-ce pour qu’elle puisse se défendre ?
Quoi qu’il en soit, elle se posa de nombreuses questions. Finalement, elle n’avait rien à craindre ici. Ces cours lui étaient bénéfiques et si c’est ce que souhaitait son employeur, elle n’avait pas son mot à dire.
Elle ferma ses paupières qui commençaient à se faire lourdes, et elle s’endormit rapidement.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux il faisait déjà nuit et elle se releva en panique pour regarder l’heure.
Avait-elle raté le dîner ?
Qu’allait dire le comte et les autres employés si elle ne s’était pas présentée pour le dîner ?
La panique l’envahit.
Elle se recoiffa en vitesse et heureusement il lui restait un quart d’heure avant l’heure de manger.
Elle s’était endormie comme une masse.
Elle put rejoindre la cantine sans se presser.
Elle rejoignit Frekio en cours de route.
— Ah bah te voilà !
— Comment ça ? Quelqu’un me cherche ?…
Demanda t-elle sur la défensive.
— Pas spécialement, je t’ai pas vue de la journée, je me suis demandé si le comte ne t’avait pas dévorée, avec les livres…
— Très drôle.
Elle le repoussa, faisant mine de bouder.
— Plus sérieusement, vous avez fait quoi dans son bureau ?
Sans aucune mauvaise arrière pensée, il posait cette question par curiosité.
Elle se souvint de ce qu’avait dit le comte au sujet de la magie. Même à Frekio, il valait mieux ne rien dire. Elle lui en avait parlé la première fois et elle devait réparer sa bourde. Même s’il était mis dans la confidence, les murs avaient des oreilles et il n’était jamais trop prudent.
— Il m’a réprimandée pour ce que j’ai fait la dernière fois à la bibliothèque… et m’a dit de ne plus jamais recommencer.
Soupira t-elle.
— Ah… c’était bien une punition, du coup.
Elle acquiesça.
Elle garda le silence et il comprit qu’il ne fallait pas en parler en public lorsqu’elle lui lança un regard qui signifiait de ne rien dire.
— T’étais où cet aprem’ ? Je ne t’ai pas vue avec Homa.
Il changea de sujet.
— … Tu travailles des fois ? Comment tu peux avoir le temps de te balader dans les couloirs pour vérifier si je suis là ?
Répondit-elle exaspérée.
— C’est une partie de mon travail de te traquer.
Sourit-il, à pleines dents.
— J’étais dans ma chambre.
— Oh.
— J’ai failli rater le dîner, je me suis écroulée de fatigue après… avoir porté tous ces livres.
Expliqua t-elle.
— La vie d’un être humain aussi faible, n’est pas facile.
Acquiesça t-il, moqueur.
Elle essaya de lui donner un coup de coude dans les côtes mais il s’esquiva.
— Tu veux que je t’apprenne à te défendre ?
Rit-il, mais sa proposition était à moitié sérieuse.
Qu’avaient-ils tous à lui donner des cours ?
Elle réfléchit et c’est vrai qu’elle était plutôt intéressée mais comment trouver le temps dans leur emploi du temps. Vu son temps de réponse, et de réflection, son ami continua.
— Je peux t’accorder quelques minutes après le dîner. Juste avant d’aller à la salle d’eau. Ça ne mange pas de pain.
— On verra…
Dit-elle tout simplement. Vexée.
Ils dînèrent tranquillement et il l’emmena au jardin dans la cour intérieure.
Il y avait un peu de place et très peu de passage.
— Je vais juste t’apprendre quelques bases, il va falloir que tu fasses quelques exercices de ton côté pour muscler ce que tu as.
Il la regarda de haut en bas.
Cela ne dura pas plus d’une demi-heure, elle était un peu essouflée et il s’arrêta.
Il lui apprit de quoi se défendre si jamais elle se faisait attaquer, et si l’adversaire n’était pas très fort.
Il se rendit compte à quelle point elle était une proie facile. Elle était maigre, même si les jours au château et la nourriture l’avaient aidée à retrouver quelques formes et qu’elle n’avait plus autant la peau sur les os.
Elle était faible. Petite et sans aucune force dans les muscles. Elle n’avait jamais fait d’exercice et il savait qu’elle partait de zéro.
— Merci…
— Ne me remercie pas tout de suite.
De plus, il n’était pas facile de se déplacer dans son uniforme.
— Tu n’as pas une autre tenue ? Le mieux ça serait que tu puisses renforcer tes capacités cardiaques en faisant un peu de sport, par exemple…. courir. On pourrait faire le tour du château pour commencer.
— Maintenant ?!
— Plutôt demain soir.
Elle soupira de soulagement.
— Je n’ai pas d’autre tenue…
— Hm… je vais voir si je peux récupérer une tenue plus adéquate dans la caserne demain. On va se laver ?
Elle ne refusa pas un bain bien chaud dans cette salle d’eau. Contrairement à sa première visite. À cette heure-ci, après le dîner, il y avait un monde fou.
Les gens se bousculaient presque pour se déplacer. Les casiers étaient pratiquement tous utilisés.
Heureusement que Frekio était avec elle, parce qu’elle n’aurait jamais pu s’imposer entre les corps musclés d’une grande majorité des employés qui fréquentaient les lieux.
Il réussit à trouver deux casiers libres l’un à côté de l’autre.
*
Le bain lui fit un bien fou et il insista pour la raccompagner à sa chambre.
— Merci encore.
Elle eut à peine le temps de prononcer ces mots qu’il était déjà en train de partir.
— À demain !
Dit-il en la saluant de sa main, sans même se retourner.
Elle se déshabilla pour mettre sa robe de nuit et se coucha.
Elle ne lutta pas pour trouver le sommeil qui s’abattu sur elle.
Quelque chose d’étrange se passa.
Elle se leva et sortit du lit, ses yeux étaient ouverts mais leurs pupilles étaient ternes et son regard était vide.
Elle marchait de manière monotone, comme un pantin. Elle sortit de sa chambre et déambula dans les couloirs du château.
Comme si elle était en quête de quelque chose.
Le comte était encore dans son bureau. Il observait son domaine par la fenêtre et une silhouette blanche sur les toits attira son attention.
Il crut voir une illusion.
La jeune fille était à l’extérieur, debout sur les tuiles en ardoise. Le vent soufflait à cette hauteur et sa robe blanche virevoletait et se collait sur son corps. Ses cheveux faisaient de même, dansant au gré des bourrasques.
Les bras le long du corps, la lune l’éclairait et la lueur se reflétait sur sa robe couleur ivoire.
Le coeur du compte fit un tour dans sa poitrine lorsqu’il reconnut le visage de la demoiselle.
Elle continuait d’avancer prudemment.
Il ouvrit sa fenêtre qui semblait n’avoir jamais été ouverte, ou peut-être il y a des décennies voire plus. Et il bondit à l’extérieur, pour attérir en un clin d’oeil, sur le toit, à quelques mètres de son employée.
Que faisait-elle là ?
Il remarqua qu’elle n’était pas dans son état habituel.
Elle ne réagit pas à sa présence.
Ce qui lui mit la puce à l’oreille.
Il hésitait à l’interpeler mais comme elle semblait suivre quelque chose, il l’observa de loin et la suivit pour savoir qui ou quoi lui avait jeté un tel sort.
Elle posa son pied sur une tuile qui glissa, et elle perdit l’équilibre, son corps fut comme emporté par le vent frais nocturne et elle était sur le point de s’écrouler sur la toiture.
Le comte courut vers elle pour la rattraper avant la chute. Il la serra dans ses bras.
Elle ne se réveilla pas, au contraire, le sort semblait s’être dissipé au moment où elle avait glissé, elle referma les yeux comme si elle replongeait dans un sommeil profond.
Elle était gelée, moins gelée que lorsqu’elle avait joué à la reine des glaces dans la bibliothèque mais cette température n’était pas bonne pour un humain.
Il regarda autour de lui, essayant de sentir la présence de celui ou celle à l’origine de cette manipulation.
Rien. Il ne pouvait pas s’attarder dehors avec l’humaine dans ses bras. Ce n’était que partie remise.
Il se dirigea directement vers sa chambre, la fenêtre s’ouvrit par magie.
À l’interieur, il referma la vitre et il alluma le feu de la cheminée. Il en profita également pour pouvoir l’observer en détails. Elle dormait à poings fermés.
Elle grelotait tout de même.
Il la posa délicatement dans son lit, sous la couverture.
Ses lèvres qui étaient devenues un peu violettes, reprirent une couleur normale, ses tremblements s’arrêtèrent lentement et elle sembla juste dormir paisiblement.
Il prit une de ses longues mèches de cheveux noirs entre ses doigts. Ils étaient fins et doux, encore un peu frais du vent de l’extérieur.
Il les apporta jusqu’à son visage pour les humer.
Ils sentaient encore l’air de dehors.
La couverture jusqu’au dessus de ses épaules, elle se tourna dans son sommeil.
Il esquissa un sourire.
Relâchant ses cheveux, du dos de sa main. Il lui caressa le visage. Elle frissonna à son toucher.
Il retira sa main aussitôt, comme si ce contact l’avait brûlé.
*
Son rêve était étrange, elle suivait un sentier éclairé par une lueur alors que tout autour d’elle : il n’y avait que le néant.
Un vent soufflait mais elle continuait de marcher, s’engouffrant dans une sorte de tunnel sombre.
Ses jambes semblaient être dotés d’une volonté propre et elle se retrouvait spectatrice tout en étant emprisonnée dans son propre corps.
Tout à coup, elle crut tomber mais une ombre se matérialisa du néant et apparut sur le sentier et l’attrapa. Elle baignait dans une masse sombre maintenant. L’odeur lui était familière et elle se sentait étrangement en sécurité. L’étreinte était douce.
Quel étrange rêve.
Le sentier lumineux n’était plus.
La chaleur commença à revenir, peu à peu, elle ressentait un bien-être et l’ambiance angoissante du rêve s’était estompée.
*
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle était dans une chambre qu’elle avait déjà vue. Elle reconnaissait les draps et les meubles.
Elle était seule et elle s’inquiéta. Que faisait-elle ici ?
Comment avait-elle fait pour attérir dans cette chambre.
Elle paniqua. Était-elle somnanbule ? Elle était encore en robe de nuit.
Que s’était-il passé ?
Le comte était-il seulement au courant ?
Elle entendit du bruit se rapprocher et juste avant que la porte ne s’ouvre, elle fit semblant de dormir.
Les voix se firent plus distinctes. Elle reconnaissait le timbre de voix du comte. Elle devina une certaine lassitude.
La porte se referma derrière eux.
— Maître, je suis navré mais je n’en ai aucune idée…
C’était la voix du majordome. C’était bien la première fois qu’elle entendait des excuses et autant de désespoir de sa bouche.
— Je te demande d’enquêter. Je veux savoir quelles sont les motivations de cette personne.
Son ton était calme, quoiqu’agacé.
— Je ferai de mon mieux, maître…
Sa voix était basse et se faisait humble.
— Je ne t’en veux pas, Bréto. Moi-même je n’ai pas réussi à sentir de présence ennemie ni à la traquer.
— Ce qui veut dire…
— Exactement. C’est pour ça que j’ai besoin de toi. Je suis réticent mais elle va devoir continuer sa routine pour brouiller les pistes.
— Je garderai un oeil sur elle.
— Merci. Je sais que je peux te faire confiance à ce sujet.
Le silence se fit.
Elle sentit les regards sur elle.
Leur présence se rapprochait d’elle.
Est-ce qu’ils sentaient qu’elle était réveillée ?
Elle ouvrit lentement ses yeux et ils l’observaient.
— Bonjour Chloé. Excusez-nous de vous questionner dès votre réveil… mais nous aurions besoin de réponses de votre part.
Breto s’adressa à elle, tout en étant gêné, il s’inclina.
Elle ne comprenait toujours pas la situation, les bouts de la conversation lui étaient étranges.
— Bonjour… ?
Répondit-elle timidement.
Elle essaya de se relever et s’asseoir pour mieux les voir et parler.
Le comte s’approcha pour la soutenir et l’aider à s’asseoir.
— Comment vous sentez-vous ?
S’enquit-il, inquiet.
— Euh… bien ? Pourquoi ?
Demanda t-elle, comprennant de moins en moins ce qui lui arrivait.
Elle était reposée, le seul détail qui la dérangeait c’était qu’elle n’avait aucune idée de comment ni pourquoi elle se trouvait ici. Elle avait même passé une excellente nuit.
Les deux hommes s’échangèrent un regard.
— Est-ce que vous vous souvenez de ce que vous avez fait hier soir… ?
— Oui… vaguement… après le diner, j’étais avec Frekio, nous sommes allés à la salle d’eau et il m’a raccompagnée à ma chambre. Ensuite je me suis endormie…Réfléchissait-elle, tout en se remémorant les derniers détails de la veille.
Ils se firent silencieux, analysant sa réponse.
— Et après cela ?
Breto demanda.
— Je me suis réveillée ici.
C’était à son tour de les regarder insistement, attendant des explications de leur part.
— Il s’est passé quelque chose ?
Demanda t-elle enfin. Souhaitant qu’on la mette dans la confidence.
— Un peu oui… Je vous ai retrouvée sur les toits du château…
Le comte racla sa gorge.
Elle resta sans voix, abasourdie par cette information.
— M-mais… je ne sais même pas comment accéder aux toits…
Murmura t-elle, presque en état de choc.
Le comte n’avait pas l’air de blaguer.
— Tout va bien maintenant. Ne vous inquiétez pas. Je vous ai couchée ici au cas où vous auriez de nouveau envie de faire une balade dans la nuit…
Elle semblait perdue dans ses pensées.
Le comte continua de parler, s’adressant à la fois à Breto et à elle.
— Votre uniforme est resté dans votre chambre. Le service va bientôt reprendre. Breto, je vous laisse la raccompagner.
Le majordome acquiesça et attendit en silence.
Elle se reprit un peu et retira la couverture pour se lever. Ses pieds étaient dans un sale état. Confirmant les dires du comte au sujet de son escapade nocturne inconsciente.
Elle se tint debout, près du comte, prête à suivre Breto.
Les cheveux longs décoiffés mais lisses, retombant sur sa robe de nuit, derrière et dans son dos, laissant à découvert ses frêles épaules.
Le comte la regarda rapidement puis retira sa cape pour lui recouvrir les épaules.
C’était un tissu de velours à l’extérieur, rouge bordeaux doublé de satin noir à l’intérieur qui était extrêmement doux. Et surtout lourd. Il la recouvrait parfaitement, la traîne touchait le sol.
Elle sentit le poids sur elle.
Une capuche était présente également.
Il le lui attacha sur le devant.
— Il fait encore frais dans les couloirs. Ça serait regrétable que vous attrapiez froid.
Elle se contenta de le remercier et de l’observer lui attacher le manteau.
Breto lui fit signe de le suivre et ils se rendirent jusque dans sa chambre. Les couloirs étaient encore calmes mais on entendait le début d’une certaine agitation.
Il ne prononça pas un mot du trajet mais elle avait fini par ne plus être gênée par ce silence.
Elle défit le lacet du manteau et le tendit en le repliant correctement au majordome.
— Merci infiniment.
Elle s’inclina et retourna dans sa chambre.
Breto semblait avoir l’esprit occupé, il ne fit qu’acquiescer mais arrêta Chloé lorsqu’elle posa la main sur la porte.
— Laissez-moi vérifier qu’il n’y a aucun danger dans votre pièce.
— Euh…. d’accord.
Répondit-elle prise au dépourvu et en reculant.
Il s’exécuta. Il ouvrit et son regard balaya concencieusement toute la chambre, qui n’était pas très grande. Il prit son temps et finit par arrêter la vérification et la laissa se préparer.
Il s’en alla, plus préoccupé que d’habitude.
Elle put enfin s’asseoir sur son lit et regarder plus en détails l’état de ses pieds. Se massant la plante, elle n’arrivait pas à croire sa dernière nuit.
Elle se rendit compte que le vent s’engouffrait de manière différente par la fenêtre, le bruit du sifflement n’était pas le même que d’habitude.
Elle se leva pour s’en approcher et elle vit que la fenêtre était effectivement mal fermée.
Elle dut la rouvrir pour la fermer correctement.
À l’ouverture du loquet, le vent s’engouffra encore plus violemment, même trop. Le souffle lui coupa presque la respiration, les battants claquèrent sur le mur en s’ouvrant en grand.
Elle croisa ses bras devant elle, par réflexe, pour éviter d’être aveuglée par les débris et la poussière.
Elle essaya à tâtons de refermer un battant puis l’autre, en tendant une de ses mains et l’autre bras devant son visage.
Quelque chose lui attrapa le poignet et la tira à l’extérieur, par la fenêtre.
Puis elle ressentit un énorme coup dans le creux du ventre qui lui coupa son propre souffle, net.
Elle perdit connaissance avant de pouvoir voir l’attaquant.
Elle se sentait tomber, d’une chute interminable.
Le vent semblait s’être calmé mais elle avait encore cette sensation de flottement.
Elle était comme dans un cocon chaud, la chose qui l’enveloppait dégageait de la chaleur, le toucher était également agréable.
Pendant ce temps. Breto était allé chercher Frekio pour lui parler des évènements de la veille et le mettre rapidement dans la confidence.
Il était en plein préparatifs du matin et la visite du majordome le surprit, se demandant s’il avait quelque chose à lui reprocher. Dans ses quartiers, ils purent discuter en privé, dans sa chambre, après qu’il l’ai invité à entrer, un peu à contre-coeur.
— Que me vaut cette visite… ?
Demanda t-il sur ses gardes.
— Je vais faire vite puisque j’ai d’autres tâches sur le feu. Hier soir, mademoiselle Chloé se baladait sur les toits du château, il semblerait qu’elle n’était pas consciente de ses propres actions. Puisqu’elle nous a fait part de ses derniers souvenirs, vous êtes la dernière personne à l’avoir croisée la veille.
Frekio l’écouta attentivement mais ne put masquer sa panique au sujet de cette information.
— Effectivement. Je l’ai quittée devant sa chambre.
— Est-ce que vous avez senti une présence malveillante envers elle ou tout autre détail étrange ces derniers temps autour d’elle ?
— … Hm… pas spécialement. En tout cas pas de présence étrangère… ce qui veut dire…
— C’est là où je veux en venir. Cela signifie que c’est une entité interne au château qui est à l’origine de ce petit tour… le comte vous confit en partie sa protection. Nous avons décidé qu’elle ferait comme si de rien n’était aujourd’hui. Nous resterons vigilants et sur nos gardes. Cela nous permettra peut-être à débusquer cette personne.
— Où est-elle… ?
— Dans sa chambre. Je viens de l’y laisser. Je retourne à mes tâches. Soyez prudent, Frekio.
Il partit de manière solonelle, le manteau du comte sur le bras.
Frekio referma la porte derrière lui et se recoiffa machinalement en passant sa main dans sa tignasse.
Ces nouvelles ne le rassuraient pas et il décida de se dépêcher et passer voir la victime avant de prendre son service et ses devoirs d’aujourd’hui.
Il marcha à pas pressés jusqu’à la chambre de bonne de Chloé et frappa à sa porte.
Il n’entendit rien, mis à part le vent, dont le courant d’air se ressentait entre la porte et la pierre.
— Chloé ? C’est Frekio. Tu vas bien ?
Retenta t-il de frapper.
Toujours aucune réponse.
Cela était étrange surtout qu’il était encore tôt.
Breto ne l’avait quittée qu’il y a peu de temps et Frekio n’avait pas tardé à se préparer pour venir jusque ici.
Peut-être qu’elle était déjà partie dans la tour d’Homa. Se dit-il.
Dans le doute, il tenta d’ouvrir la porte et vérifier par lui-même.
Quelle fut sa surprise de découvrir la chambre vide, mais surtout les draps du lit étaient défaits, la fenêtre grande ouverte laissait pénétrer le vent qui avait dû souffler assez fort pour retourner les draps du lit, et l’uniforme de la jeune femme était par terre.
Connaissant sa manie, elle n’aurait jamais laissé son lit dans cet état, et encore moins son uniforme qu’elle chérissait comme un bien de luxe, par terre ainsi.
Il s’inquiéta puis essaya de raisonner.
Il renifla et l’odeur de l’employée était encore dans la pièce malgré le vent. C’est qu’elle était là il y a récemment. Son parfum mêlé à une autre odeur familière… celle du comte, il ne releva pas cette information. Puis une troisième qu’il connaissait moins bien. Il s’approcha de la fenêtre et la troisième odeur fut plus persistante.
D’après son flair, il pouvait deviner que le ravisseur était parti avec Chloé et s’était dirigé dans la forêt du domaine.
Pas le temps de tergiverser, pour suivre la trace encore fraîche il fallait réagir maintenant.
Il se positionna sur le rebord de la fenêtre et il sauta pour traquer les bribes d’odeur et de phéromones qui restaient encore dans l’air, l’herbe et le sentier.
— Tant pis pour mon service. Je n’ai pas le temps d’y aller pour les prévenir.
Se dit-il à lui-même. En espérant que Breto ne lui passe pas un savon à son retour.
Il prit soin de marquer visiblement son trajet pour qu’on puisse le suivre à la trace, même tardivement.
Il fut rassuré d’être sur la bonne piste, l’odeur et la présence de Chloé étaient subtilement plus proche.
Il était maintenant sorti du domaine et il s’enfonçait dans une forêt beaucoup moins accueillante. Celle du domaine ne l’était pas spécialement mais là, il ressentait qu’elle était dangeureuse.
Les arbres étaient plus nombreux, les branches feuillues se croisaient à leur cime, ne permettant presque pas à la lumière de pénétrer à l’intérieur, ce qui donnait l’impression d’une nuit artificielle.
Il était difficile de s’y déplacer, les racines étaient nombreuses, larges et sortaient de terre par endroit.
À se demander si la forêt en elle-même n’avait pas sa propre volonté et cherchait à y piéger ses malheureux visiteurs.
Frekio avait l’impression de tourner en rond lorsqu’il se fiait à sa vue. Les arbres se ressemblaient et il avait même l’impression que les troncs se refermaient derrière lui.
Cependant l’odorat ne le trompait pas.
La verdure étouffait également les sons.
Au bout d’un moment, il réussit à percevoir du bruit et des voix. Il ralentit ses pas et se fit plus discret.
Il trouva un buisson pour s’y cacher et observer la scène.
Il arrivait à deviner une petite clairière dans laquelle plusieurs personnes discutaient.
L’une d’entre elle ne lui était pas totalement inconnue. Peut-être qu’il l’avait croisée une ou deux fois dans les couloirs du château.
Il était de dos, un grand spécimen anthropomorphe de loup croisé avec un humain. Sa fourrure était sombre mais bien entretenue. Vivre au château avait du bon.
Sa voix rauque était reconnaissable même s’il ne se souvenait plus de son prénom.
— Tu vas lui faire quoi ?
Demanda la voix rauque, inquiète.
— En quoi ça te regarde ? Ne t’en soucie pas. Donne-la moi.
L’autre voix était plus féminine, féline. Il arrivait à apercevoir vaguement son pelage. Sa voix ne lui était pas non plus étrangère mais cela remontait à loin dans ses souvenirs.
— Le comte semble y tenir…
— C’est justement pour ça que je la veux. Et pour ses prédispositions à la magie. Insista t-elle.
— Après ça, on est quitte ?
Demanda t-il.
— Oui oui. Si tu veux. Je ne t’ai pas demandé grand chose. C’était une tâche bien simple.
— Je risque gros si le comte l’apprend… et si cela était si simple, tu n’aurais pas échoué hier soir.
Rétorqua t-il. Sur la défensive.
— Roh, ça va. Ça arrive de pas avoir de chance. Tu ne m’avais pas prévenu pour le comte !
— Il vit la nuit, à quoi tu t’attendais de plus… ?
— Bon, donne-la moi qu’on en finisse.
Exigea t-elle.
La féline, une anthropomorphe lionne, s’approcha de son interlocuteur et tendit ses bras pour accueillir sa proie. Il lui donna à contre-coeur.
Elle l’observa attentivement.
Passant ses griffes sur son minois d’humaine.
— C’est donc ce type de femme que le comte apprécie…
Dit-elle à voix haute.
Elle la porta tel un vulgaire sac à légumes sous son aisselle, avec une grande aisance.
— Moi je rentre. Mon absence risque d’attirer l’attention, mon service ne commence que dans quelques heures… mais je préfère être prudent.
— Fais donc.
Elle l’ignorait déjà, son attention était portée sur la jeune femme, songeant déjà à la suite de son plan.
D’un geste de la main elle salua son complice et tourna les talons pour s’en aller.
L’employé du château, quant à lui, fut malin et décica d’emprunter un chemin différent pour rentrer, et ainsi brouiller les pistes vers lui. Cependant ce choix permit à Frekio de passer inaperçu. Cela allait être plus simple également de traquer la ravisseuse seule.
*
Elle était arrivée avec son ami pour postuler dans le domaine du comte qui avait une bonne réputation.
Ils furent tous les deux pris en essai et cela se passait à merveilles.
Elle eut des sentiments forts pour le comte et ce, dès les premiers jours. Lorsqu’elle pouvait être avec lui en tête à tête, elle n’hésitait pas à lui faire des avances, et elle créait des occasions de le croiser et le voir.
Il la repoussa à de nombreuses reprises, ne voyant pas d’un bon oeil son comportement.
Jusqu’au jour où elle tenta d’être plus intime avec lui, la fois de trop, et il la congédia de rage.
Elle fut mise à la porte du domaine et il lui interdit d’y remettre les pieds.
Ordre qu’elle respecta et surtout sans avoir le choix, puisqu’une barrière magique était présente, qui l’empêchait de mettre un pied sur son terrain sans l’alerter, et sans qu’elle se prenne une décharge assez violente. Elle avait essayé à de nombreuses reprises sans succès et elle avait fini par abandonner, par dépit.
Elle cherchait depuis tout ce temps un moyen de se venger d’avoir été ainsi rejetée et traîtée.
Une certaine rancoeur envers son ami qui y était encore. Il garda contact avec elle parce qu’elle était à l’origine de son emploi de rêve. Elle lui avait dit qu’il détenait une dette envers elle et le jour arriva.
Elle vit la jeune étrangère arriver dans le territoire. Une aura spécifique l’enveloppait et curieuse, elle resta au loin à l’observer. Les autres créatures de la forêt semblaient craintives et ne cherchèrent pas à l’attaquer.
C’est là qu’elle la vit entrer au château. Pénétrer dans la demeure.
Aussitôt, le lendemain, elle demanda des informations à son ami loup, qui lui rapporta tout ce qu’il savait.
Qu’elle avait été affectée à la tour de l’horloge.
La lionne en tomba des nues. C’était un poste pas anodin et il lui avait été confié dès son arrivée.
Elle suivit au compte goutte les péripéties de cette nouvelle et elle décida qu’elle voulait faire souffrir le comte autant qu’elle avait souffert, si ce n’est plus.
Son intérêt pour cette employée était certain. Elle qui n’avait jamais eu droit à ce genre de traitement, elle bouillonnait de jalousie et de colère.
Elle eut une idée pour récupérer cette humaine sans devoir pénétrer sur le domaine.
Elle demanda à son ami de lui apporter un cheveu au moins, de la jeune femme.
Il profita de la croiser dans la salle d’eau pour en ramasser un. Cette dernière ayant des cheveux noirs fins très longs, il fut facile de les distinguer et de les différencier des autres poils et cheveux qui auraient pu traîner dans cet endroit.
Pour être sûr à 100%, il attendit de pouvoir la bousculer pour récupérer un cheveu mort sur elle.
Elle était avec Frekio qui le dévisagea lorsqu’il fit exprès de lui rentrer dedans. Il s’excusa sur le champ et lui demanda si ça allait. Elle ne lui en voulut même pas.
La lionne put alors préparer un envoûtement pour le soir-même et la victime de son sort devait arpenter les toits jusqu’à se rapprocher de la limite de la zone protégée.
Elle avait choisi les toits pour éviter de croiser des témoins dans les couloirs. Elle ne s’attendait pas à ce que le comte en personne intervienne.
Heureusement elle était assez loin pour qu’il ne sente pas sa présence, mais ce plan tomba à l’eau.
Dès le lendemain, elle contacta son complice pour accélérer les choses. Il fallait agir maintenant ou abandonner l’idée de se venger pour les prochains jours, voire semaines, si ce n’étaient pas des mois.
Son complice avait pour mission de ramener directement la proie à son amie.
Elle put enfin observer de près cette chose humaine, si fragile qu’elle pourrait broyer d’un geste. Cette chair fraîche, succulente, qu’elle pourrait croquer.
Elle se retint. La vengeance était un plat qui se mangeait froid.
Il fallait que son colis ignore ou n’éprouver aucun sentiment pour le comte, qu’elle éprouve même du rejet pour cet homme, pour qu’il ressente ce qu’elle avait pu ressentir lorsqu’il l’avait jetée.
L’hypnose faisait des merveilles et elle allait s’entraîner pour atteindre son but.
Une odeur familière et chère à son coeur se retrouvait sur elle. C’était celle du comte. Son coeur se resserra. Ce parfum particulier lui avait manqué, mais que cette odeur si personnelle se retrouve sur cette humaine l’insupportait.
— Pourquoi elle ? Pourquoi elle et pas moi ?
Grognait-elle intérieurement.
Tourmentée par ses sentiments, elle faillit ne pas remarquer qu’elle était suivie.
Depuis combien de temps ? Elle l’ignorait mais cela ne vallait rien qui vaille.
La présence était seule, si elle l’éliminait maintenant, elle devrait assurer ses arrières.
Son complice était parti, retourné à sa vie de château, sa vie de rêve.
Elle s’arrêta, faisant mine de chercher son chemin.
La présence qui la suivait se dissipa.
Elle le somma de sortir de sa cachette, en menacant de déchirer l’humaine sous ses yeux.
Il obéit à contre-coeur. Marquant encore une fois son pasage, il se mit à découvert et s’approcha de l’ennemie.
Il reconnut l’ancienne employée et cacha sa surprise.
Elle aussi le reconnut. Elle ne cacha pas son amusement.
— Qui vois-je là… le toutou du comte… !
Il préféra garder le silence.
— Tss tss tss, ne songe même pas à récupérer l’humaine.
Ajouta t-elle.
En parlant de l’intéressée, elle commençait à reprendre conscience, balotée par sa ravisseuse, elle entendait les voix de plus en plus nettes.
On la lâcha et elle tomba au sol. Pliée en deux par la douleur qu’elle avait reçu auparavantt, elle était encore débousolée, ne sachant plus trop où était l’endroit de l’envers. Elle tenta d’ouvrir ses yeux, sa vision était encore trouble. Sa tête cogna quelque chose de dur. Une pierre ou une racine mais la douleur lui lança un moment et un liquide tiède s’écoula de son crâne.
Elle tenta de se relever et elle posa sa main sur la bosse en devenir pour la voir tachée de rouge.
Elle était assise au sol et regardait autour d’elle, sa vision devint plus nette et elle fut rassurée de voir Frekio.
Son soulagement fut de courte durée.
La lionne l’attrapa par la taille et lui mit ses griffes sous le menton. Et elle sortit les griffes de la patte qui se trouvait sur sa taille.
Elle n’osait plus bouger.
— Je te conseille de ne rien faire d’insensé, ou je risque d’égorger la petite chose. Il parait que ça saigne énormement chez un humain…
— Qu’est-ce que tu veux ?
Demanda t-il, sur la défensive. Il essayait de gagner du temps mais il fallait que cela ne se voit pas.
— Laisse-moi réfléchir… que tu arrêtes de me suivre ? Attends, je crois que ça va être compliqué… et si tu mourrais sous nos yeux ? Mais sans mon aide.
— Tu veux que je me.. suicide…. ?
— C’est ca. C’est bien, tu as compris ! C’est un bon chien-chien !
Il trembla.
Elle riait à pleine dents et pour le pousser à le faire, elle serra un peu plus fort ses griffes sur la taille de l’humaine, ce qui la fit grimacer, elle ne devait pas bouger mais c’était dur de rester immobile lorsque des griffes vous empoignaient la taille et le ventre.
Dans son mouvement, la brunette s’entailla le dessous du menton sur une autre griffe.
Du sang apparut le long de la cicatrice.
La lionne déchira en partie la robe de nuit, laissant apparaître la peau nue au niveau de la taille.
— Allez, dépêche-toi.
Le pressa t-elle.
Il sortit une de ses dagues de son fourreau et la tint devant lui.
— Non ! Ne fais pas ça Frekio !!
Cria Chloé, les larmes aux yeux.
La lionne enfonça la pointe des griffes dans son ventre.
— Tais-toi, toi. Fais moins la fière…
Frekio essaya mais ne put pas se résoudre à s’oter la vie, au bout de plusieurs minutes, tremblant, il laissa retomber son bras avec la dague.
La lutte entre l’ordre que lui avait donné le comte au sujet de Chloé, sa propre vie et celle de la jeune femme.
Il ne pouvait pas simplement se sacrifier.
— Je suis désolé, Chloé…
Dit-il, baissant le visage, dépité.
Elle fut rassurée qu’il ne se donne pas la mort mais la lionne ne fut pas du même avis. Même si le voir lutter était un spectacle qu’elle avait apprécié.
— Pff, alors on se dégonfle ?
Chloé songea à faire usage de sa magie pour aider Frekio et faire diversion.
L’ennemie ressentit son intention et l’arrêta net.
— N’y songe même pas. Si tu tentes quelque chose, je t’égorge.
Elle lui adressa à peine un regard.
*
— Dis-moi ce que je dois faire, Frekio…
Implorait-elle, se sentant totalement inutile.
Les larmes au bord des yeux, les griffes acérées de sa ravisseuse sur sa gorge.
— Ne bouge pas ! Tout va bien se passer…
Se rassurait-il lui-même.
— « Bouge pas » ? Tu parles d’un conseil !
L’ennemie explosa de rire. Elle en pleurait presque de rire.
Alors que Frekio avait jeté son arme au sol, elle gardait ses distances, sachant qu’elle ne devait pas baisser sa garde. Sous estimer un combatant sous l’ordre du compte pouvait lui être fatal.
Elle songeait à un moyen de le mettre hors d’état de nuire sans qu’elle ait à intervenir mais elle commençait à être à court d’idées.
*
Pendant ce temps au château.
Breto faisait le tour des services et il en profitait pour faire un contrôle du personnel présent, en toute discrétion.
Quelqu’un vint lui reporter que Frekio ne s’était pas présenté à son poste.
Sans surprise, Homa lui envoya un messager pour le prévenir que sa petite employée n’avait pas montré le bout de son nez, non plus.
Il fit exprès de soupirer comme il l’aurait fait à son habitude et finit son inspection.
Il alla de suite prévenir le maître des lieux qui était, vraisemblablement déjà au courant. Sur le point de partir, il avait enfilé son manteau et prit son épée qu’il rangea dans son foureau, à sa taille.
Il prenait son rôle de seigneur au sérieux et il se devait de défendre sa terre et les personnes sous ses ordres, mais également sous sa protection.
— Maître…
Commença t-il.
— Je sais. Je sors. Je te laisse t’occuper du reste.
Sa voix était comme à son habitude mais son serviteur le connaissait assez bien pour percevoir une certaine hâte.
Il s’inclina et le laissa sortir sans un mot.
Son arme cachée sous sa cape, il arpenta le château. Il alla tout d’abord vérifier dans la chambre de Chloé.
La porte était entrouverte et il vit rouge lorsqu’il vit l’état de la pièce. Le vent avait mis tout sens dessus dessous. L’uniforme se trouvait au sol, échoué sur la pierre.
Il alla regarder par la fenêtre et il put voir les traces laissées en évidence du sentier à suivre.
Il esquissa un sourire en pensant à Frekio.
— Brave garçon.
Dit-il, comme si son homme de main était à ses côtés.
Il se précipita sans tarder, à suivre les indices laissés.
2020.09.02