Vente

Elle avait fourni les documents nécessaires, signé tous les papiers officiels après les avoir relus.
Elle connaissait les termes, les conditions et tout ce à quoi elle renonçait. Son libre arbitre, sa propriété intellectuelle. Elle savait tout ça.
La gérante lui expliqua tout de même tout cela, pour être sure qu’elle était consciente de son choix, de sa décision.
Qu’elle ne pourrait pas revenir en arrière.
Puis, on lui demanda de retirer ses affaires, tous ses biens personnels furent confisqués et rangés soigneusement. On lui donna une tenue, un haut et un bas, et elle fut accompagnée dans une chambre libre.
Cela ressemblait à une cellule psychiatrique, mais le stricte nécessaire était là.
Une pièce avec un lit, un lavabo et des toilettes.
On lui expliqua que les repas lui seraient apportés et qu’on l’appellerait pour l’emmener à la douche lorsqu’ils jugeraient que ce soit nécessaire.
Elle serait convoquée pour passer des examens médicaux et psychologiques pour compléter son dossier dans les jours à venir.
Elle était là, assise sur ce lit presque trop dur, le matelas fin lui rappelait celui de chez elle, ainsi que la taille. Cela ne la dépaysait pas trop, et à cette pensée, elle esquissa un sourire. Les murs étaient mous.
Elle s’y adossa et réfléchit à tout ce qu’on venait de lui dire.
C’était si simple. Si simple de s’abandonner.
Pour l’instant, elle ne pensait pas aux conséquences.
Son compte en banque, son appartement, son travail.
La maison s’occupait de tout.
De fermer son compte bancaire : pour le peu qu’il contenait, l’argent dessus serait retiré et ajouté à sa valise d’adoption.
On s’occupait de rendre son appartement, contacter le propriétaire, mettre fin à la location, contacter son emploi actuel pour mettre fin à son contrat.
Résilier tous les contrats la concernant.
C’était un système bien organisé.
Elle ferma les yeux.
Ses parents avaient peut-être raison, elle était bonne à rien, mais qu’est-ce que c’était bon de ne devoir penser à rien. S’abandonner.
Un sourire timide se dessina sur son visage d’ange.
Elle se laissa tomber sur l’oreiller et s’endormie ainsi, dans une émotion de béatitude.

*

Cela faisait déjà presque une semaine qu’elle était là.
Elle s’était vite habituée au rythme de son nouvel emploi du temps.
Rien faire à part méditer, en attendant d’être adoptée, en attendant une nouvelle vie aux ordres ou sous la domination d’un inconnu. Peut-être qu’elle donnerait un sens à sa vie, elle l’espérait.
Elle avait fait ses visites médicales, les résultats ne devraient pas tarder. Elle avait été surprise qu’on lui demande si elle se droguait ou autres médications illicites. Elle avait répondu à la négative. Le médecin l’avait regardée en souriant, en lui disant que beaucoup mentaient mais que la prise de sang tirerait ça au
clair.
Elle avait été pesée et mesurée, de haut en bas, en largeur. Il ne fallait pas être pudique.
On lui posa également des questions sur ses menstruations. Si elle était encore fertile.
Des scanners et des échographies pour savoir si elle n’avait rien de sous-jacent. Même le dentiste.
Elle avait été étonnée de la batterie d’examens qu’elle avait dû passer. Elle même, elle n’avait jamais fait tout cela pour elle, lorsqu’elle était encore humaine.
Cela expliquait en partie le prix exorbitant des humains de compagnie, en tout cas, lorsqu’on passait par une entreprise réputée.
La gérante était bavarde, peut-être était-ce parce qu’elle n’avait pas beaucoup de personnes avec qui discuter, en tout cas, elle avait trouvé Annabelle plutôt normale et une interlocutrice convenable.
Elle lui avait expliquée que certaines maisons ne s’embêtaient pas avec ça, et qu’elles vendaient des mineurs désespérés à bas prix, sous le manteau. Pas de certificat, pas d’examens, rien. Qui sait ce que les acheteurs faisaient d’eux, c’étaient des bouts de viande qui disparaissaient dans la nature.
Cela faisait froid dans le dos.

Annabelle avait émis l’idée que peut-être, certains en achetaient pour les sortir de cette pauvreté, de ce désespoir.
La gérante lui avait ri au nez en lui disant qu’elle était bien naïve, bien candide pour son âge.

— Tu vas me manquer quand tu seras adoptée. Tu es presque normale et je n’aurais personne avec qui discuter.
Avait blagué la gérante.

Elle n’était pas qu’un monstre cupide. Elle espérait au fond d’elle que Marianne soit acquise par quelqu’un de pas trop détraqué.
Quoi qu’il en soit, il restait encore quelques jours de répit avant qu’Annabelle soit mise sur le marché de manière officielle.
Elle savait que son profil ne resterait pas longtemps dans son établissement.

*

Annabelle entendait les pas dans le couloir, les voix étouffées par la pièce.
Elle se demandait si elle en viendrait à espérer qu’on l’adopte comme les autres personnes dans les autres cellules. Ceux qui étaient là depuis longtemps, un certain temps.
Elle était comme un animal en cage, en vitrine dans une animalerie. Peut-être qu’avec un peu de chance elle mourrait ici.
Elle appréhendait tout de même son futur acquéreur.
Elle pouvait se rassurer que son tour n’était pas encore venu, alors les bruits qu’elle pouvait entendre autour de sa chambre n’étaient pas trop inquiétants, pour l’instant, parce qu’ils n’étaient pas adressés à elle. Elle ne risquait rien pour le moment. Elle profitait du calme actuel.

*

Elle sursauta. Était-ce le moment d’aller manger ou d’aller à la douche ? La notion du temps était différente lorsqu’on avait pas d’horloge ni de montre.
On venait de frapper à sa porte et la gérante lui dit de se préparer. Qu’exceptionnellement, elle allait partir plus tôt.
Annabelle était prise au dépourvu.

— Bon courage pour la suite.
Lui souhaita-t-elle.

Elle s’attendait à voir un vieil homme, et elle fut assez surprise de voir une femme, propre sur elle, clairement d’un milieu social différent.
Ce qui était assez logique.
Elle se retourna vers la gérante, les yeux plein de questions et d’incompréhension. Elle attendait des réponses mais c’était trop tard, elle était vendue et elle allait devoir suivre sa nouvelle propriétaire.
Elle s’avança avec sa valise, ne sachant pas quoi dire, ni comment se comporter.
Elle n’avait pas été assez préparée psychologiquement. Il ne fallait pas qu’elle baisse sa garde, ce n’était pas parce que c’était une femme qu’elle était moins perverse ou moins méchante. On ne savait pas.
Marianne s’avança vers elle, et lui prit sa valise.
Puis elle retira son manteau pour lui poser sur ses épaules.

— Il ne fait pas très chaud dehors, n’attrape pas froid.
Dit-elle, d’un souffle.

Peut-être était elle aussi déroutée par cette situation.
Annabelle fut touchée par ce geste. Il y avait encore la chaleur de sa propriétaire dedans, et cela réchauffa un peu son cœur. Même si elle restait méfiante.
En sortant, l’air frais de la nuit la fit frissonner, et elle remercia la dame intérieurement.
Elle ne savait pas quoi dire sans paraitre plus bête qu’elle ne l’était.

— La voiture n’est pas loin, il y fera meilleur.
Elle s’avança pour lui montrer le chemin.

Activant la clé pour ouvrir le coffre et y poser la valise.
Annabelle restait ébahie par la luxure de cette voiture.
Quelle marque ? On faisait des voitures aussi belles et sophistiquées de nos jours ? Elles ne vivaient décidément pas dans le même monde.
Obnubilée par ce qu’elle voyait, elle resta plantée là et Marianne la fit revenir sur terre en lui demandant de s’installer sur le siège passager.
Les joues un peu rosies par la honte d’être restée plantée là, comme une idiote, elle ouvrit la portière pour s’installer sans tarder.
Elle cacha en partie son visage dans le manteau chaud et préféra se taire.
L’intérieur de la voiture était encore plus classe.
Ce n’était pas possible que l’intérieur soit aussi propre. On aurait dit qu’elle était neuve. Elle attacha sa ceinture et attendit.
Marianne mit la voiture en route et alluma le chauffage, puis une petite musique de fond envahit l’espace.

— Tu t’appelles Annabelle, c’est ça… ?
— O-oui.
— Ah, moi c’est Marianne. Tu peux m’appeler Marianne.

Elle resta concentrée sur la route et conduisit jusqu’à chez elle. Empruntant une voie rapide avant de prendre une sortie et rejoindre le centre-ville.
Le silence dans la voiture était pesant, s’il n’y avait pas eu cette bande son qui faisait agréablement passer le temps.
Annabelle regardait les lumières de la nuit par la fenêtre, perdue dans ses pensées, elle ne savait toujours pas comment elle devait se comporter. Rien ne l’avait préparée à la suite. Elle savait juste qu’elle devait obéir à son maitre, et dans son cas c’était une femme.
Allait-elle lui demander de faire des choses… sexuelles ? Elle était troublée.
Ou alors allait-elle devenir une employée ? Cette Marianne avait la tête d’une cheffe d’entreprise. C’était cher payé pour juste avoir une simple employée. Quoi qu’elle n’y connaissait rien, peut-être qu’il était moins cher d’acheter un humain et ne pas avoir à le payer à vie.
Dans son fil d’hypothèses, elle ne remarqua pas qu’elles étaient déjà arrivées.
Garée dans un parking souterrain, elle sortit et elles empruntèrent un ascenseur qui les amena dans un couloir d’immeuble.
Cela ressemblait à un hôtel de luxe, aux yeux d’Annabelle.
Tout compte fait, peut-être qu’elles allaient avoir des relations sexuelles, et cela la paniquait, une goutte de sueur froide dans le dos, elle n’avait jamais fait ça avec une femme, et elle n’avait jamais fait ça tout court.
Elle essayait de se calmer intérieurement pour ne pas montrer qu’elle était effrayée à cette idée.
Puis Marianne ouvrit la porte, et entra en première, poussant quelque chose de son pied et invita Annabelle à entrer.

— Je suis vraiment désolée… je ne reçois littéralement personne chez moi… ne fais pas attention au désordre.

Annabelle resta bouche bée.
La porte fut fermée derrière elle et elle resta sans voix devant ce qu’elle voyait. Elle ne savait pas si elle était plus subjuguée par la taille de l’appartement, la décoration, l’ameublement et les équipements sortis d’un magazine ou d’une publicité.
Ce n’était pas un désordre. C’était un capharnaüm. Il y avait des affaires partout, par terre, sur les meubles, la vaisselle accumulée qui n’était pas faite, des vêtements propres ou sales empilés dans un coin, jetés sur un meuble, des paquets de nourriture vides, la poubelle pleine qui débordait.
Comment une femme aussi bien habillée pouvait elle vivre ici ? Cela devait être une blague.
Elle resta là, à regarder ce paysage irréel, pendant que Marianne essayait d’arranger les lieux en attrapant ou poussant des pieds ce qui pouvait gêner le passage.

— Est-ce que tu as faim… ? Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Ma salle de bain est par ici, si tu veux prendre une douche, ou un bain. Je vais te sortir quelques vêtements de rechange, je peux pas te laisser avec ça…

Elle accepta la proposition de la douche avec grand plaisir. Surtout si elles devaient coucher ensemble.
Elle essaya de réunir son courage à deux mains. Il fallait bien qu’elle franchisse le pas un jour. Ce n’était pas de sa faute, elle n’avait jamais eu l’occasion de le faire, et cela ne l’avait jamais vraiment intéressée.
Ou du moins, elle n’en ressentait pas le besoin, elle pensait qu’elle pourrait s’en passer. Maintenant, elle le regrettait.
La salle de bain était à peu près praticable.
Marianne y passa quelques minutes à ramasser ses affaires grossièrement et s’en alla pour laisser Annabelle seule. Fermant la porte derrière elle.
Marianne s’assit sur le canapé qu’elle avait désencombré et plongea son visage dans ses mains.

— Putain, qu’est-ce que j’ai fait.
Soupira-t-elle.

Lorsque Annabelle sortit de la salle de bain, elle était nue, avec ses vêtements et le manteau de Marianne dans les bras.
Marianne ne le remarqua pas tout de suite, elle avait la tête dans son dressing, cherchant quelques vêtements.
Elle entendit la porte de la salle de bain s’ouvrir.

— Je suis désolée, je n’ai pas de pyjama… j’essaye de te trouver quelque chose d’assez confortable pour dormir mais je crois que je n’ai rien d’autre à part des t-shirts. Ils sont à ma taille mais ça devrait faire l’affaire.

Elle prit un t-shirt gris simple et se dirigea vers Annabelle et à sa vue, elle resta bloquée. Sa mâchoire tomba virtuellement par terre.

— Euh… je ne sais pas où je dois poser ces affaires… merci pour le manteau…
Dit Annabelle, un peu gênée.

— Je- de rien, laisse-moi te débarrasser…

Marianne essaya de rester de marbre. Elle lui tendit le t-shirt et la débarrassa des vêtements, empilant le tout sur un autre tas. Et posa son manteau sur le porte manteau à l’entrée. Au moins une chose à sa place.
Marianne était perturbée. Une chose était certaine, Annabelle ne la laissait pas indifférente.
Les joues plus chaude que la normale, lorsqu’elle revint, elle crut faire une syncope.
Elle était plus grande et avait les épaules plus larges qu’Annabelle, mais elle n’avait pas pris en compte la poitrine généreuse de cette dernière, qui se retrouvait presque à l’étroit dans son t-shirt. Et elle n’avait
pas de culotte. Le bas du t-shirt arrivait pile poil au-dessus de son pubis qui était au naturel, d’un blond bouclé.
Elle essaya de ne pas la fixer trop intensément, mais elle la trouvait terriblement craquante.
Elle avait cet air de jeune fille un peu perdue, innocente, telle une poupée.
Elle essaya de penser à autre chose.

— Un bas, j’ai oublié de t’en sortir un. J’espère que la taille ira…
Se précipita-t-elle de nouveau dans son dressing.
Elle n’avait que de la lingerie.

— Je suis désolée, je n’ai que ça à te proposer…
S’excusa-t-elle, les oreilles rouges.

Annabelle l’enfila sans broncher.

— Je n’ai pas de chambre d’ami… mais tu peux dormir dans mon lit. Je risque de ne pas dormir beaucoup de toute façon.

Elle jeta un œil à l’heure et soupira.
Annabelle interpréta ses paroles autrement.
Elle la suivit jusqu’à la chambre, et elle n’osa pas s’y installer.
Marianne dut lui dire explicitement pour qu’elle daigne se glisser sous la couverture.
Elle ressemblait à un animal apeuré.
Marianne baissa la lumière et s’installa sur la couverture, encore toute habillée.
Voyant Annabelle toute tremblotante et roulée en boule dans le lit, elle s’inquiéta.

— Tu as froid… ?
— N-non…
— Mais tu trembles… tu es sûre que ça va… ?
— O-oui.

Puis Marianne réalisa qu’elle avait peut-être peur.
Elle s’approcha d’elle, doucement, elle n’osa pas la toucher, ni même effleurer ses cheveux.
Cette situation était nouvelle pour elles deux, et elle n’avait aucune expérience en la matière. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait faire d’elle. Elle savait qu’elle était maintenant à elle, mais elle n’avait aucune vocation à la forcer à faire des choses, ni la maltraiter.
Espérer qu’elle l’apprécie et que cela se passe bien entre elles. C’est tout ce qu’elle pouvait faire.
Elle vit la réaction d Annabelle lorsqu’elle s’approcha. Elle avait peur. Et cette réaction lui fit mal au cœur.

— Hey… je ne te veux aucun mal. Tu es en sécurité ici. Tu ne risques rien.
Dit-elle d’une voix douce.

Est-ce qu’elle avait peur de Marianne ? Est-ce qu’elle craignait pour sa vie maintenant ?
Elle s’éloigna avec précaution et préféra quitta la pièce. La laissant dormir et se reposer.
Il était presque 6h, et elle n’avait pas trouvé le sommeil.
Elle avait pire, elle avait fait l’acquisition de quelqu’un et elle ne savait pas du tout comment faire pour gérer cette nouvelle personne.
Elle s’assit sur son canapé et elle réussit à s’endormir une petite heure, avant que son réveil ne sonne.
Elle paniqua et l’éteint aussitôt pour éviter de réveiller Annabelle.
Elle jeta un coup d’œil dans sa chambre.
Il y avait une petite tête blonde qui dormait à poings fermés. Elle éteignit la lumière et tira les rideaux pour la protéger des rayons du soleil.
Ce n’était malheureusement pas un rêve.
Elle retourna dans son salon et se prépara à partir.
Claquant la porte derrière elle.

Annabelle s’était endormie comme une masse après que Marianne ait quitté la pièce.
Elle ne comprenait pas ce qui se passait.
Elle pensait qu’elle allait la forcer à avoir une relation intime avec elle, et elle était partie. Elle l’avait laissée.
Puis ses mots l’avaient touchée en plein cœur.
Cela l’avait rassurée, même si elle restait craintive.
Et si elle mentait ?
Elle s’était réveillée presque en sursaut, après avoir fait une nuit réparatrice.
C’est que le lit était plus que confortable. Comment était-il possible de dormir aussi bien dans un matelas aussi moelleux, dans des draps aussi doux. Elle était peut-être morte et elle se retrouvait au paradis.
Elle se leva et se retrouva dans le salon.
La vue qu’elle avait la fit redescendre dans la dure réalité. Ce n’était décidément pas le paradis, ou alors c’était un paradis dépotoir.
Elle vit l’heure. Il était déjà 14h et personne ne l’avait réveillée. L’appartement semblait vide.
Elle visita les autres pièces. Personne.
Elle était seule.
Qu’allait-elle faire en attendant que Marianne rentre.
Elle ne lui avait rien donné comme instructions.
Que devait-elle faire ?
Elle n’osa pas retirer les vêtements qu’elle portait. C’était Marianne qui lui avait donné. Peut-être qu’elle préférait qu’elle les garde sur elle.
Elle avait peur de faire une bêtise.

Par contre. Elle ne pouvait pas laisser son appartement dans cet état. C’était sûr.
Vu la tête qu’elle tirait lorsqu’elle arriva, l’état actuel n’était pas une direction artistique voulue.
Alors elle se mit à ranger. À réunir les vêtements, jeter les emballages à la poubelle.
Au bout de plusieurs heures de dur labeur, elle réussit à voir le sol de l’appartement.
Elle essaya de deviner ou étaient rangés les outils et autres sans trop fouiller ni déplacer les choses qui étaient à leur place.
Ne sachant pas quel programme elle utilisait sur sa machine à laver, elle empila les vêtements sur un même tas, qu’elle réunit dans la buanderie. Le panier à linge sale était plein et débordait au sol.
Elle put faire la vaisselle, faire un peu la poussière.
Lorsqu’elle eut fini, elle retourna dans la chambre pour y faire le lit, et comme elle avait un peu froid dans cette tenue, elle se glissa à nouveau dans ce lit douillet et se rendormit.

*

Marianne avait l’habitude d’aller travailler à pieds. L’appartement n’était pas très loin de l’établissement qu’elle tenait et aujourd’hui, elle avait en plus besoin de réfléchir.
Elle imaginait déjà Duncan se payer sa tête lorsqu’elle lui dirait qu’elle avait acheté un humain.
Elle était tombée bien bas.
Le seul côté positif, c’était qu’elle était passée par une maison qui semblait sérieuse. Elle avait tous les papiers nécessaires pour prouver qu’elle était en ordre.
En parlant de papiers, elle avait oublié la valise dans le coffre de sa voiture. Elle avait la tête à autre chose hier soir, enfin, il y a quelques heures, et cela lui était sorti de la tête.
Elle déjeunait avec Duncan qui s’inquiéta du teint pâle de son amie. Elle lui raconta sa nuit.

— Tu te fous de moi ?
— Non non… je suis sérieuse… tu peux te moquer… je devais vraiment être au fond du gouffre hier soir…
— J’y crois pas… t’es sûre que c’est un établissement clean, hein ? Et elle est comment la fille ?
— Bah… timide ? Pas très bavarde ? Effrayée ?
— Tu l’as laissée chez toi ?
— Bah oui. Je n’allais pas l’emmener avec moi, elle aurait paniqué si elle avait vu dans quoi je travaille. Vu sa réaction hier soir…
— Elle est toute seule chez toi ?
— Oui… et ?
— T’as pas peur qu’elle te vole des trucs… ?
— Euh… non. Vu à quoi ressemble mon appartement actuellement, sauf si elle veut revendre mes vêtements sales, et si elle arrive à porter mes meubles. Elle est plus petite que moi et je ne pense pas qu’elle fasse beaucoup d’exercices. Sauf si elle cache bien ses muscles.
— Et si jamais elle s’enfuit ? T’as fermé la porte avant de partir ?
— … Putain, c’est vrai ça. Rien ne l’empêcherait de s’en aller.
— Ça serait con, vu le prix que t’as payé !
— Merde, imagine elle sort et elle a des problèmes… si elle se met en danger…
— Non mais, imagine c’est elle qui va causer des problèmes. Elle est sous ta
responsabilité, ça va te retomber dessus.
— Je l’imagine pas faire du mal à d’autres.
— C’est ce qu’on dit, les gens cachent bien leur jeu. Ça se trouve elle t’a berné avec son jeu d’actrice.

Marianne était inquiète pour d’autres raisons, et elle ne pouvait pas non plus s’absenter à son travail pour rentrer chez elle juste pour vérifier qu’Annabelle était encore là.
Si elle était partie, c’était de toute manière trop tard.
Si elle était encore là, elle ne voulait pas non plus l’enfermer et la séquestrer.
Quoi qu’il en soit, elle avait trop de travail aujourd’hui pour pouvoir s’éclipser même un court instant.
C’est après 16h qu’elle put enfin se poser.
Assise dans son bureau, elle s’étira et vérifia qu’elle n’avait plus rien sur le feu.
Elle regarda l’heure et prévint ses employés qu’elle s’en allait. Qu’elle restait joignable si besoin, mais qu’elle avait une autre urgence à gérer chez elle.

Cette fois ci, elle se rappela de la valise et elle passa par le parking la récupérer.
Devant la porte de son appartement, elle appréhendait. Est-ce qu’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur?
Elle inspira un grand coup et ouvrit.
Et ce fut la surprise. Elle se demanda si elle ne s’était pas trompée d’appartement.
Elle recula et vérifia qu’elle ne s’était pas trompée de porte, puis en retournant à l’intérieur, elle reconnut ses meubles, mais les lieux étaient méconnaissables comparé au moment de son départ.
Où étaient ses affaires ?
Duncan avait peut-être raison, Annabelle était partie avec toutes ses affaires pour les revendre.
Elle ne remarqua pas la vaisselle faite. La seule chose qui la frappa de plein fouet, fut que son appartement paraissait vide.
Elle soupira et ouvrit la valise sur le comptoir.
Si Annabelle était partie, elle devait lancer les démarches pour la retrouver, et pour cela elle aurait besoin des documents officiels attestant qu’elle était bien sa propriété. Rien qu’à l’idée de devoir aller au poste de police faire une déclaration d’humain perdu, elle était déjà fatiguée d’avance.
La malle n’était pas très lourde et en l’ouvrant, elle remarqua des vêtements à l’intérieur. Cela devait être les anciens habits qu’elle avait.
Ils n’étaient pas sales, mais ils étaient abîmés, vieux et surtout, beaucoup trop grands pour elle.
Il y avait un pantalon avec une ceinture, une chemise, un pull et une veste. À vue de nez, ce n’étaient pas des vêtements très féminins, et plus elle les regardait, plus elle se disait qu’ils étaient de seconde main.
Quelque chose traversa son esprit : Annabelle n’était pas riche. Au contraire.
Elle reposa les vêtements et elle prit le porte document contenant les dossiers à son sujet.
En l’ouvrant, une enveloppe contenant quelques billets. Une lettre l’accompagnant qui expliquait que c’était ce qu’il restait de son compte bancaire. Le total n’était pas tres élevé et lui confirma qu’elle n’était pas aisée.
Cependant, elle avait de quoi survivre. C’était le mot. « Survivre »
Elle n’était pas non plus sans toit dans sa vie d’avant, et elle avait ses papiers.
C’était bien fait pour sa pomme, se dit-elle. Elle n’aurait jamais dû faire cet achat irréfléchi. Et maintenant elle en payait le prix fort. Elle essayait de rester positive.
Peut-être qu’Annabelle arriverait à tirer quelque chose de la vente de ses biens et qu’elle mènerait une vie moins pauvre.
Elle se dirigea vers sa chambre, dépitée, et qu’elle fut sa surprise de constater que boucle d’or était encore dans son lit.
En y regardant de plus près, l’appartement n’avait pas été cambriolé, il semblait plus vide parce que plus rien ne trainait par terre.
Elle vérifia les autres pièces, elle retrouva le tas de ses vêtements devant la machine à laver, et elle sursauta lorsqu’elle vit Annabelle debout, dans le couloir.

— Tu m’as fait peur… !
Souffla-t-elle, la main sur sa poitrine.

— P-pardon… je ne voulais pas-
— C’est moi, je ne voulais pas te réveiller… tu as bien dormi… ?
— O-oui. Merci… votre lit est très confortable…
— Je suis contente que tu aies pu te reposer… mais… tu n’aurais pas dû t’occuper du ménage…
— Je suis désolée… je pensais vous aider…
— Ne sois pas désolée, je… ça m’aide beaucoup. C’est juste que je ne veux pas te forcer à faire des tâches ingrates comme celles-ci… je devrais m’occuper de mon propre bazar…
— Ça m’a fait plaisir de vous aider… je vous appartiens… vous pouvez me demander de faire tout ce que vous voulez…
— Il ne faut pas dire des choses comme ça… tu ne devrais pas dire ça…

Elle proposa à Annabelle de s’installer dans le canapé du salon et de discuter.
Elle devait lui avouer qu’elle était perturbée par cette nouvelle situation. Qu’elle avait pris cette décision sur un coup de tête et qu’elle ne savait pas encore comment elle devait se comporter vis à vis d’elle.

Annabelle n’était pas contrariante mais elle n’avait pas non plus d’initiatives, et Marianne se retrouva fort embêtée de devoir prendre des décisions.
Elle savait qu’elle était obligée de laisser Annabelle chez elle en semaine.
Elle réfléchit à ce qu’elle pourrait faire pour ne pas s’ennuyer et sans abuser de sa personne.

— … Tu es sûre que ça ne te dérange pas de t’occuper de mon appartement… ? Ça me gêne de l’avouer… mais je n’ai pas le courage de le faire moi-même et je sais que j’ai besoin d’aide là-dessus…

Annabelle acquiesça sans un mot.
Marianne soupira encore une fois et se résigna.

— D’accord, dans ce cas je dois commencer par retrouver la notice de ma machine à laver le linge… je vais également te montrer où se trouve les outils, comme l’étendoir…

Annabelle suivit Marianne et écouta consciencieusement les instructions.
Marianne regarda l’état de sa poubelle et en conclu qu’il était temps de la sortir.
Elle regarda Annabelle qui était encore en t-shirt et culotte.
Il fallait qu’elle enfile au moins un pantalon, si elle voulait lui montrer le local des poubelles qui se trouvait au rez-de-chaussée.

— J’avais oublié la valise dans mon coffre. Tu vas pouvoir récupérer tes vêtements. Tu sais que tu aurais pu te changer en te servant dans ma garde-robe… ?
— Je… je pensais que ça vous ferait plaisir que je reste habillée comme ça…
— Oui… enfin, c’est vrai… mais tu risques d’attraper froid, je voulais te montrer un peu les alentours.

Annabelle enfila son pantalon et ajusta sa ceinture pour qu’il ne tombe pas de ses hanches.
Elle avait gardé le t-shirt de Marianne. Sa poitrine étirant légèrement le tissu sur le devant. Elle n’avait pas de soutien-gorge, ses mamelons étaient en relief trahissant qu’elle avait un peu froid.
Elle attrapa son gilet et le mit par-dessus.
Marianne lui fit faire le tour du propriétaire, en lui montrant l’emplacement du local poubelle.
Elle en profita pour lui laisser un double de ses clés.
Elles croisèrent des voisins qui s’étonnèrent de voir Marianne accompagnée.
Elle la présenta comme sa colocataire, un peu gênée, elle préféra ne pas s’attarder sur les détails, et prétexta qu’elle était occupée pour s’éclipser sans paraitre trop impolie.
En retournant à l’appartement, elle s’excusa de n’avoir pas dit la vérité, mais elle souhaitait que leur relation commence ainsi, comme une bonne collocation. Elle l’espérait.
Lors de leur discussion, le ventre d’Annabelle grogna et Marianne lui demanda si elle avait mangé.
Annabelle n’avait pas osé se servir dans le frigo, et elle avait faim. Très faim. Mais elle n’avait pas osé à le signaler non plus. Craignant la réaction de Marianne, elle avait peur qu’elle ne la prive intentionnellement de se nourrir.

— À quand remonte ton dernier repas… ?
S’inquiéta-t-elle.

Annabelle réfléchit. Cela faisait-il plus de 24h ?
Marianne se leva pour ouvrir son frigo, mais il était presque vide. Rien qui ne pouvait permettre de préparer quoi que ce soit.
Au vue de l’état de sa cuisine, même bien équipée, elle avait abandonné l’idée de se préparer à manger et elle passait la majeure partie de ses repas dans des restaurants. Elle n’avait pas le temps ni la patience de se préparer quoi que ce soit.
Cela lui convenait lorsqu’elle vivait seule, mais maintenant qu’Annabelle était là, elle ne pouvait pas la laisser sans nourriture.
Il restait une cannette de soda, une de bière, une bouteille d’eau pétillante au frais, et un pot de compote de pommes.
Le congélateur ne contenait pas mieux. Des légumes surgelés qui étaient là depuis beaucoup trop longtemps.
Elle se rappela de les avoir préparé lorsqu’elle était arrivée dans son appartement et qu’elle avait utilisé la cuisine pour la première fois. Ils étaient là depuis tout ce temps et elle en avait même oublie leur existence.
Elle referma son frigo avec honte et jeta un coup d’œil dans ses tiroirs. Elle trouva un sachet de riz et de pâtes. Heureusement que ces denrées là ne périmaient pas.
Elle referma la porte du placard.
Elle ne pouvait pas lui proposer un repas descent.
Elle se retourna vers Annabelle, et lui demanda ce qu’elle aimait comme nourriture.
Annabelle n’était pas difficile et à la fois, c’était déroutant et pénible pour Marianne parce qu’elle n’exprimait pas ses préférences.

— Tout me va.
Répondit Annabelle.

Marianne n’était pas plus avancée. Elle se gratta la tête.
D’habitude elle serait sortie dîner dehors, mais elle ne pouvait pas sortir avec Annabelle qui n’avait pas encore de vêtements adéquats à se mettre.
Pour Marianne, il était hors de question qu’elle remettre ses anciens vêtements.
Elle décida de se faire livrer un repas simple, pour continuer à faire connaissance avec sa nouvelle colocataire, et organiser les jours à venir en sa compagnie.

— Pizza, ça te va… ?
— O-oui…

Annabelle s’attendait à une pizza surgelée, elle avait déjà mangé des plats surgelés parce qu’ils étaient moins chers, mais ils étaient également moins bons. Elle n’avait pas de four et le micro-ondes ne réchauffait pas efficacement, rendant la pâte de la pizza trop molle et presque liquide.
Quoi qu’il en soit, elle aurait dit oui à n’importe quelle nourriture, même la plus mauvaise des pizzas.
Marianne prit son téléphone pour chercher une bonne adresse de pizzeria et appela.
En attendant leur livraison, elles purent discuter un peu plus.
Annabelle était assise sagement, timide, sur le canapé du salon.
Marianne s’était posée au niveau du sol, pour pouvoir regarder Annabelle et essayer de lire ses expressions de visage.
Elle était assise sur un tapis moelleux, juste à côté de sa table basse qui était devant la télévision écran plat d’une taille impressionnante pour Annabelle.
Marianne était curieuse. Elle voulait savoir pourquoi une jolie fille comme Annabelle était venue à se vendre.
Mais elle savait que c’était peut-être impoli. Elle devinait maintenant qu’Annabelle n’était pas riche, elle n’était peut-être pas dans la moyenne des gens, mais qu’elle était peut-être pauvre. Peut-être qu’elle avait des raisons difficiles qui l’ont poussée à abandonner son statut d’humain, de citoyen de la société.
Elle ne voulait pas la juger, elle cherchait juste à comprendre, mais sa question était indiscrète.
Et puis, Annabelle pourrait lui retourner la question.
Marianne ne saurait pas quoi répondre.
Elle avait eu pitié d Annabelle ? Non, ça sonnait vraiment moche. Elle aurait voulu la sauver des griffes d’un pervers, et de manière plus égoïste, elle se sentait seule et elle avait été attirée par le physique d’Annabelle. C’était la pire chose à dire.
Marianne était en train de se torturer mentalement et Annabelle était restée silencieuse sur le canapé.
Un silence assez pesant s’était installé, jusqu’à l’arrivée des pizzas.
Marianne s’était levée pour aller chercher la commande, elle avait pris deux pizzas en ne sachant pas la quantité qu’Annabelle pourrait manger, et ayant peur qu’il n’y ait pas assez.
Elle les posa sur la table basse, ramena les deux cannettes de bière qui restaient dans le frigo.

— Tu bois un peu ? J’ai ça qui traine depuis des mois dans mon frigo…
— D’accord.

Marianne était presque agacée qu’Annabelle soit si docile. Elle se retrouvait à faire la conversation toute seule. Au moins, elle avait quelqu’un à qui parler, même si elle avait très peu de répondant.
Elle ouvrit la première boite et invita Annabelle à se servir.
Annabelle en avait l’eau à la bouche, l’odeur de la nourriture lui parvenant.
Et lorsqu’elle l’apporta à sa bouche, elle pleura presque d’émotion. Elle avait l’impression de manger de la pizza pour la première fois de sa vie.
C’était délicieux. La pâte était croustillante, pas brûlante, pas trop chaude ni trop tiède.
Marianne remarqua son changement d’expression.

— Est-ce que tout va bien… ? Tu n’es pas obligée de finir si tu n’aimes pas…
S’inquiétait-elle

— C-c’est trop bon !
Réussit à dire Annabelle, après avoir avalé ce qu’il lui restait dans la bouche.

Cette fois-ci, elle était expressive et Marianne explosa de rire.
Elle ne s’attendait pas à une telle réaction.

— C’est qu’une pizza, tu sais ? Si ça te plaît autant, la prochaine fois on ira au restaurant. Elles sont meilleures sur place. Tu n’en avais jamais mangé avant… ?
— Si… mais surgelées.

— C’est pas de la pizza, ça.
Grimaça Marianne.

Puis elle se rendit compte qu’Annabelle n’avait peut-être pas les moyens de manger une vraie pizza, et elle n’insista pas plus.
Le silence revint. Annabelle dégustait sa nourriture.
Elle ne buvait pas souvent mais trouva que la bière accompagnait parfaitement ce repas.
Les bulles dans sa boisson la firent rôter et elle fut elle-même surprise puis gênée, elle s’excusa les joues rouges. La main devant sa bouche.

— Ne t’en fais pas, c’est tout à fait normal avec la bière. Ne te prive pas, je veux que tu te sentes à l’aise. On risque de passer un certain temps ensemble.
Sourit Marianne, qui ne se retint pas de rôter de manière ostentatoire, pour montrer l’exemple.

Annabelle écarquilla les yeux.
Marianne qui donnait l’impression d’être quelqu’un de distingué, venait de rôter.

— Ah, je suis désolée, c’est le genre de choses que je ne peux pas me permettre dans la vie de tous les jours… celui la venait de loin.

Annabelle se mit à rire et elles partagèrent ce petit moment ensemble.
Elles avaient bien mangé et la seconde pizza était de trop. Elle partit rejoindre le frigo et Marianne revint avec son pot de compote qu’elles partagèrent avec une cuillère.

Marianne avait cette capacité à mettre les gens à l’aise, elle avait proposé le pot et la cuillère à Annabelle.
Elle n’osait pas encore s’asseoir trop près d’Annabelle parce qu’elle ne voulait pas qu’elle se sente menacée par sa proximité, elle se souvenait de sa peur la veille.
Alors elle était restée sur le tapis, à observer Annabelle, un peu comme un animal. Un chat qu’on vient de recueillir et qu’on apprend à connaitre en observant ses réactions.
Elle la nourrissait et elle ne savait pas trop pourquoi mais elle se sentait bien en sa compagnie.
Certainement parce que l’appartement ne faisait plus vide, parce qu’il y avait un peu plus de vie.
Cette simple soirée autour d’une pizza lui rappelait sa jeunesse, lorsqu’elle était encore étudiante et qu’elle passait ses soirées à boire, rire, refaire le monde avec ses amis. Cette insouciante. Elle l’avait presque oublié.

Annabelle s’était détendue. Marianne était amicale, bienveillante et elle avait cette chaleur humaine.
Elle l’avait accueillie chez elle et la traitait comme une amie de longue date. C’était étrange.
Ce n’était pas du tout ce qu’elle imaginait en se faisant adopter. Elle pensait qu’on la soumettrait, qu’on la traiterait comme un animal en cage, avec des chaînes et un collier au cou. Ok, elle avait peut-être trop imaginé le pire des scénarios, mais même avec ce scenario terrible, elle n’avait pas peur. Elle était tellement au fond du gouffre que même devenir une sorte d’esclave à recevoir des ordres, lui convenait. Mais Marianne n’était rien de tout ça.

C’est vrai qu’elle la nourrissait comme un animal abandonné mais, les intéractions qu’elle avait avec elle.
C’était nouveau.
Si elle l’avait rencontrée avant, si elles étaient devenues amies avant qu’elle fasse ce choix, est-ce que sa vie aurait été plus douce ? Avec une amie comme elle, peut-être qu’elle ne se serait pas sentie aussi seule, peut-être que sa vie aurait eu plus de sens.
Non, elle savait qu’elle n’aurait jamais pu croiser Marianne dans sa vie d’avant. Elles ne vivaient pas dans le même monde. Elle ne se serait jamais intéressée à une pauvre fille comme elle.
Annabelle n’avait jamais eu d’amie comme Marianne, et elle se disait que Marianne était trop gentille et trop bonne avec elle.
La bière lui faisait tourner légèrement la tête.
Elle était perturbée, elle avait l’impression d’être avec une amie qu’elle n’avait jamais connue, elle se sentait à l’aise. Une amie très bordelière, mais qui l’avait accueillie sans méfiance.
C’était trop beau pour être vrai. Même dans ses rêves les plus fous, elle ne pensait pas tomber sur une propriétaire de la classe haute et qui s’occuperait aussi bien d’elle.
Mais ce qui lui faisait perdre pieds, c’est qu’elle ne lui donnait pas d’ordres explicites. Elle ne savait pas quoi faire pour elle.
Il commençait à se faire tard.
Marianne lui expliqua ce qu’elle avait prévu pour les prochains jours, pour qu’elle sache ce qui allait se passer, et qu’elle ne soit pas surprise.

— J’ai encore une journée de travail demain, mais je devrais avoir mon week-end de libre. Fais comme chez toi, hésite pas à te servir dans le frigo… pour le peu qui reste dedans.

Marianne était en train de planifier le programme du week-end avec Annabelle.
En priorité, elle voulait lui acheter des vêtements à sa taille et qui lui aillent. Elle ne pouvait pas la laisser dans ces fripes. Puis, la seconde priorité était de remplir ce pauvre frigo, de bonnes nourritures.
Elle réfléchit également au fait qu’elle ne pouvait pas la contacter si jamais elle avait un souci. Elle allait devoir ouvrir une ligne téléphonique pour Annabelle. Elle savait qu’elle avait un ancien modèle de téléphone encore en état de marche qui pourrait faire l’affaire.
Personnellement, elle utilisait le dernier modèle parce que c’était également une question d’être bien vu et de montrer qu’elle en avait les moyens, même si elle n’utilisait pas toutes les fonctionnalités.
Il commençait à se faire tard, Annabelle était en train de s’assoupir avec les effets de l’alcool.
Marianne se leva et partit chercher une brosse à dent neuve qu’elle tendit à Annabelle.

— Excuse-moi, j’aurais dû te sortir ça hier soir…
Dit-elle gênée.

Par chance, il lui en restait une.
Annabelle se sentait bien.
La tête lui tournait juste un peu, elle avait les joues légèrement roses et chaudes, il faisait bon et elle avait bien mangé.
Le canapé était confortable et elle se serait endormie dessus si Marianne n’était pas revenue.
C’était étrange qu’elle se sente aussi bien chez quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Il s’y dégageait une sorte de chaleur.
Marianne, voyant qu’Annabelle n’était pas là psychiquement, elle s’approcha d’elle pour lui demander si tout allait bien.
Elle se leva un peu rapidement, et eut un petit vertige.
Marianne s’inquiéta et la prit dans ses bras.

— Tu n’as pas l’habitude de boire… ?
Demanda Marianne.

Ce n’était qu’une bière.
Annabelle acquiesça un peu gênée.
Marianne l’accompagna à la salle de bain.
Annabelle se brossa les dents et se rafraichit le visage avant de s’allonger sur le lit, de tout son long.
Elle s’assoupit et lorsque Marianne vint voir si tout se passait bien, elle tenta de la réveiller avec délicatesse parce qu’elle s’était endormie toute habillée sur le lit.
Elle l’aida à se déshabiller, Annabelle n’opposa que très peu de résistance. Et elle la coucha sous la couverture.

Il y avait quelques chose d’adorable, Annabelle ressemblait à un enfant dans son comportement et Marianne en avait le cœur attendri. Elle observait et contemplait les longs cils blonds de cette jeune fille, ses cheveux bouclés, fins et doux.
Elle n’abusa pas plus de cette proximité et décida de la laisser se reposer.
Refermant doucement la porte derrière elle.
Elle lâcha un long soupir.
Elle avait le cœur qui battait un peu plus vite.
Annabelle ne la laissait pas indifférente, mais elle essayait de se raisonner. Elle ne pouvait pas forcer ses désirs sur cette personne, même si c’était son acquisition. Elle ne voulait pas tomber dans ce piège. Elle restait humaine, et elle voulait que cela se passe bien entre elles. Déjà en tant qu’amies, et si jamais
cela devait être plus, cela se ferait. Mais c’était un rêve un peu lointain.
Marianne se ressaisit et retourna dans le salon pour débarrasser leur repas. Elle fit le stricte minimum pour que la table basse soit libérée, posant le bocal de compote vide dans l’évier, le carton de pizza vide sur la table de travail de la cuisine, et rangeant celle avec la pizza dans le frigo. Elle n’était pas sûre que
le carton rentre entièrement dedans.
Les cannettes de bière vides furent posées à côté du carton vide, et elle se rendit dans la salle de bain pour se préparer à dormir.
Elle attrapa un plaid et s’allongea sur son canapé, avec ses vêtements.
Cela lui rappela l’époque où elle dormait sur le divan de son bureau, un petit sourire apparut sur ses lèvres.
Elle avait passé une excellente soirée. Elle ne savait pas où ça allait la mener, mais pour l’instant elle était plutôt satisfaite. Ce n’était pas trop mal.
Elle réussit à trouver le sommeil assez facilement. Etrangement. Le canapé était confortable. Elle avait bien fait de choisir cette marque.
Elle s’endormit d’une traite et le réveil sonna.
Elle se réveilla en sursaut. Il était déjà l’heure.
Elle passa légèrement la tête dans sa chambre, Annabelle dormait encore.
Elle essaya de ne pas faire de bruit en rentrant dans la pièce pour récupérer des vêtements propres.

*

Annabelle se réveilla doucement.
Elle entendit Marianne dans la salle de bain
Elle essaya de se souvenir de la veille.
C’était flou, elle ne se rappelait pas d’avoir retiré ses vêtements. Ni d’avoir fait autre chose. Elle s’inquiéta, mais le lit n’était pas défait de l’autre côté. Cela supposait que Marianne n’avait pas dormi avec elle.
Elle se leva, tout de même, pour voir ce qu’elle pouvait faire pour aider Marianne.
Elle était en train de se recoiffer devant la glace du lavabo, et elle jeta un regard amusé à Annabelle, la saluant.

— Ah, bonjour. Je t’ai réveillée ? Pardon.

— B-bonjour… non, j’ai assez dormi…
Répondit-elle, timidement.

Marianne semblait pressée, ses gestes étaient réfléchis et lorsqu’elle finit d’attacher ses longs cheveux sombres et lisses en queue de cheval, elle vérifia qu’aucune mèche ne dépassait.
Quelques cheveux blancs éclatants qui ressortaient de sa chevelure noire, parsemaient sa coiffure comme des fils d’argent dans la pénombre.

— Je dois y aller, je te laisse la salle de bain. Fais comme chez toi, d’accord ? Je vais essayer de rentrer tôt.

Elle lui sourit et marcha d’un pas rapide dans le salon pour récupérer ses affaires et emprunter la porte.
Annabelle était de nouveau seule dans l’appartement.
C’était étrange comme elle avait l’impression d’être abandonnée, alors qu’elle savait que Marianne se souciait d’elle, et qu’elle reviendrait.
Elle voulait faire quelque chose pour Marianne, pour la remercier de l’avoir recueillie ainsi, et la considérer plus qu’un animal de compagnie.
À commencer, par s’occuper de la pile de vêtements sales et de linge qui s’était accumulée dans un coin de la buanderie.

C’était dans ses cordes et maintenant que Marianne lui avait montré où se trouvait la plupart des objets, et que la notice d’utilisation était sortie.
En attendant que la machine tourne. Elle avait réussi à la faire marcher. C’était différent que les machines à laver dans les lavomatiques, Marianne avait certainement un modèle dernier cri qui devait faire également le café, mais Annabelle s’en sortit.
Elle retourna dans le salon et elle débarrassa correctement la table de travail, faisant le peu de vaisselle laissée dans l’évier.
Les sacs de poubelle étaient en train de se multiplier près de la poubelle et elle enfila un pantalon pour pouvoir sortir le tout dans le local de l’immeuble, dans une tenue adéquate.
L’appartement commençait tout juste à ressembler à quelque chose. Si on oubliait la couche de poussière et des moutons et boules de poussière qui s’étaient réfugiés au bords des pièces.
Elle chercha un balai et une pelle, et elle fut agréablement surprise de découvrir un aspirateur flambant neuf. Il était encore sous emballage, à côté de sa boite. Il n’avait jamais été utilisé.
Annabelle commençait à dresser le portrait de Marianne. Trop occupée par son travail ou son quotidien pour prendre le temps pour elle et son chez elle. Elle ne savait pas dans quel milieu elle travaillait mais elle devait avoir un emploi bien payé pour pouvoir s’offrir des appareils électroménagers de ce genre.
C’était au tour d’Annabelle de se mettre au travail.
La matinée passa plutôt rapidement et lorsqu’elle eut fini de passer l’aspirateur, faire rapidement les poussières, étendre la machine finie. Il était déjà midi et son estomac lui rappela qu’elle avait faim.
Elle put réchauffer une part de pizza dans le micro-ondes et elle le savoura sur le canapé.
C’était fatiguant mais elle se sentait bien.
Elle se sentait utile et surtout elle avait cette satisfaction de travail bien fait.
L’appartement était propre et sentait la lessive.

Elle ne s’était jamais sentie ainsi chez elle. Elle avait un appartement miteux, le bâtiment était vétuste et elle avait très peu de meubles et d’affaires.
C’était rangé chez elle mais surtout parce qu’il y avait peu de choses à ranger.
Même lorsqu’elle prenait le temps d’y faire le ménage, les murs et le sol étaient dans un tel état délabré qu’il s’y dégageait toujours une ambiance sale.
Elle avait fini par s’y habituer et ne connaissant pas mieux, elle avait fini par apprécier son chez elle pour ce qu’il était : juste un endroit où elle se reposait avant de retourner travailler.
C’est pour cela qu’elle passait pas mal de temps à se balader et flâner dans les ruelles, les parcs, les expositions.
Elle faisait rarement, presque jamais, de lèche-vitrine, elle évitait les magasins. C’était beaucoup trop déprimant de voir toutes les choses qu’elle ne serait jamais capable de de s’offrir.

Chez Marianne c’était diffèrent.
Son appartement était agréable. Neuf, il avait été conçu pour que les habitants se sentent bien et l’agencement était fonctionnel.
À condition qu’on ne laisse pas s’accumuler ses affaires en immondices à différents endroits.
Annabelle avait l’impression d’être dans un hôtel luxueux plus que chez quelqu’un.
Elle s’était posée. Elle espérait qu’elle n’avait pas fait de bêtise en prenant l’initiative de s’occuper des lieux.
Elle comprenait qu’on puisse se sentir seul quand on occupait un espace aussi grand.
Il y avait cette sensation de vide et de froid.
Peut-être que Marianne se sentait seule ainsi.
Après avoir mangé la moitié de la part de pizza, elle débarrassa.
Puis, elle ne savait pas quoi faire de plus, à part nettoyer l’appartement de fond en comble.

*

Marianne était partie au travail.
Elle culpabilisait d’être partie aussi rapidement et de manière pressée, mais les horaires étaient les horaires.
Elle aurait voulu rester plus longtemps auprès d’Annabelle et apprendre à la connaitre.
Finalement, tous ses congés qu’elle n’avait jamais pris, elle avait maintenant une raison et une envie de les prendre.
Sur le chemin, elle put réfléchir et se calmer.
Elle se remettait de ses émotions. Elle avait cru qu’Annabelle était partie et était malhonnête. Elle se sentait idiote. Plus le temps passait et plus elle se confirmait d’avoir un crush sur elle. Elle avait eu envie de l’embrasser hier soir.
Même dans ses habits de Cendrillon, elle la trouvait mignonne et plus elle en apprenait plus sur elle, et plus elle avait le cœur qui chavirait. Ce n’était pas bon.
Elle savait qu’elle s’emportait, et il fallait qu’elle se reprenne.
D’abord, elle avait des urgences à s’occuper : lui donner un téléphone, comme ça elles pourraient communiquer quand elle serait au travail.
Secondo : lui acheter de vrais vêtements et un nécessaire de toilettes, si besoin.

En arrivant à son travail, elle était de bonne humeur, de meilleure humeur que d’habitude et les employées le remarquèrent aussitôt.
Elle évita la question, seul Duncan était pour l’instant au courant.
Elle reçut un courrier recommandé, elle avait totalement oublié les résultats médicaux d’Annabelle.
Elle avait une petite appréhension qui s’évapora lorsqu’elle lu les documents. Elle avait une santé normale.
Elle devait garder précieusement ce document avec ceux du dossier.
Elle s’installa à son bureau et commença par fouiller dans ses tiroirs. Elle savait qu’elle avait rangé son ancien téléphone quelque part et elle n’eut pas à chercher très longtemps avant de tomber dessus.
La prise de recharge était au même endroit et elle le brancha pour vérifier qu’il marchait et le configurer si besoin.
Pendant que l’appareil se rechargeait, elle put se mettre au travail et penser à autre chose.

*

La journée passa lentement mais Marianne était d’humeur joyeuse. Elle dut rester un peu plus tard pour terminer un dernier détail relatif à son travail. Elle s’étira de tout son long et se leva pour rentrer.
Sur l’horaire du midi, elle avait pu configurer rapidement son ancien téléphone pour le formater et le restaurer dans la configuration d’usine, puis elle y installa une application de communication en s’y ajoutant.
De cette manière, Annabelle pourrait la contacter.
Il ne restait plus qu’elle le configure sur le réseau wi-fi de son appartement en attendant de recevoir la carte SIM pour qu’elle ait son propre numéro.

*

En rentrant chez elle, Marianne en tomba des nues.
Elle ne reconnut pas son appartement une nouvelle fois. Elle vérifia de nouveau si elle ne s’était pas trompée de porte.
Elle avait l’impression de le visiter comme la première fois.
Aucune trace d’Annabelle, mais cette fois-ci, elle ne s’inquiéta pas.
Elle prit le temps d’enlever son manteau et poser ses affaires.
Puis elle chercha Annabelle, elle était allongée sur le lit fait, en boule avec le plaid sur elle. Elle semblait faire une petite sieste.
Marianne était impressionnée de l’état de son appartement. Il sentait bon et il était brillant comme neuf.
Elle ne savait pas si elle devait la réveiller ou la laisser dormir. Il n’était pas encore l’heure de dîner.
Elle opta pour laisser Annabelle se reposer.
En parlant de dîner, elle vérifia l’état de son frigo. Il ne restait qu’une demi part de pizza et des légumes congelés.
Elle soupira et se décida à préparer le reste de légumes pour enfin les consommer.
Du riz sauté aux légumes, cela irait très bien pour accompagner le reste de pizza. Quelque chose d’un peu plus sain.
Elle avait dû annuler ses séances de sport ces derniers jours, d’habitude elle y allait après le travail et rentrait chez elle après le diner.

*

Annabelle fut réveillée par l’odeur de la nourriture.
Elle émergea et se leva aussitôt.
Marianne était rentrée alors qu’elle s’était assoupie.
Tel un petit chat, elle se rendit timidement dans le salon avec la cuisine ouverte.

— Bien dormi ? J’ai bientôt fini de préparer le repas. J’en ai pour quelques minutes.

Annabelle acquiesça sans répondre et s’approcha pour voir ce que Marianne préparait.

— Ah, ça sera riz et légumes, il ne reste pas assez de pizza pour ce soir. Ça te va ?

Annabelle continua d’acquiescer en silence.
Marianne sourit.

— Au fait, regarde sur la table, ce n’est pas grand-chose mais tu peux utiliser mon ancien téléphone. Ça sera plus pratique pour me joindre lorsque je suis au bureau. Je devrais recevoir la carte SIM dans quelques jours, comme ça même en dehors de l’appartement, on pourra rester en contact.

Annabelle vit cela et n’osa pas le toucher.
Pour elle ce n’était pas un ancien modèle de téléphoné, c’était un très récent. Il était a peine différent de celui de Marianne.
Marianne mit a réserver la nourriture et vint voir Annabelle.

— Prends-le, je ne m’en sers plus. Il est à toi.
— Je…

Marianne prit le téléphone et le posa dans les mains d’Annabelle.
La voyant hésitante.

— Hésite pas à le configurer comme tu le souhaites. Je me suis permise de m’ajouter dans les contacts.
— M-merci, merci beaucoup…
— Je t’en prie, c’est normal et puis ça sera beaucoup plus pratique. D’ailleurs, demain c’est shopping ! On essayera d’y aller en matinée pour avoir le temps et la journée.

Annabelle resta sans voix.

— Je ne peux pas te laisser dans tes anciens vêtements, ils sont beaucoup trop grands pour toi et ils ne te mettent pas en valeur. On va te trouver quelque chose de mieux. Puis des sous-vêtements… même si ça me dérange pas que tu empruntes les miens, ils ne doivent pas être si confortable que ça. On ira acheter tout ça pour toi. D’ailleurs, si tu as besoin de quelque chose en particulier, ça sera l’occasion.

Annabelle secoua de la tête.
C’était trop, beaucoup trop pour elle.
Marianne était toute enjouée et semblait se faire une joie de pouvoir faire les boutiques alors Annabelle ne dit rien de plus.

*

Cette nuit-là, Annabelle arrêta Marianne lorsqu’elle sortit de sa chambre pour la lui laisser.
Elle trouvait cela injuste qu’elle dorme dans son lit et qu’elle doive occuper le canapé.
Marianne fut assez surprise et touchée de cette attention.
Annabelle attrapa le bras de Marianne.

— Je peux dormir dans le canapé…
— Oh… non, je ne peux pas te laisser dormir dans le canapé, tu es mon invitée.
— Mais-

— C’est vraiment gentil de t’en soucier, mais ne t’inquiète pas, le canapé est très
confortable.
Sourit Marianne.

Annabelle ne lâchait toujours pas le bras de Marianne

— Oui… ? Il y a autre chose… ?
Demanda Marianne.

— On ne peut partager le lit… ?
Formula timidement Annabelle.

Marianne écarquilla les yeux.

— Oui, mais… Je me disais que tu préfèrerais dormir seule…

Annabelle secoua la tête en guise de réponse.

— Ok d’accord, on peut effectivement dormir ensemble. Juste dormir, promis.
Rassura-t-elle Annabelle, en levant sa main droite comme une promesse.

*

Apres s’être apprêtées pour se coucher, elles s’allongèrent sous la couverture et se couchèrent dos à dos.
Marianne avait l’habitude de dormir nue mais elle ne se voyait pas imposer sa nudité à Annabelle et elle avait peur que cela soit mal interprèté.
Elle enfila un débardeur et garda sa culotte. Elle allait peut-être devoir s’acheter un pyjama, aussi.
La lumière éteinte, le rideau occultant tiré, il y avait un petit filet de lumière provenant des lampadaires de la ville qui éclairait légèrement la pièce autour des rideaux.

— Tu dors… ?
Chuchota Marianne.

— Non…

Marianne se tourna dans l’autre sens pour mieux l’entendre, et Annabelle fit de même.

— Est-ce que tu veux discuter un peu… ?
Demanda Marianne

*

— J’espère que tu te sens à l’aise ici… merci encore pour l’appartement. Je suis vraiment gênée que tu aies du t’en occuper, encore plus de t’avoir accueillie dans cet état…
— Merci… ça m’a fait plaisir de m’en occuper… si ça vous fait plaisir… si je peux vous être utile…

— Alors, tu peux me tutoyer, je préfèrerai. Je sais que je suis beaucoup plus vieille que toi, mais si on pouvait être sur un certain pied d’égalité…
Blagua Marianne.

— Pardon… je ne voulais pas-
— Je plaisante, je sais que je suis âgée, je le vis plutôt bien, mais ça me ferait plaisir qu’on se tutoie et tu peux m’appeler par mon prénom.
— D’accord…
— Et oui, ça m’a fait très plaisir de voir mon appartement dans un état de propreté inédit. Merci. Tu étais une fée du logis, avant ?
— …
— Ah, excuse-moi, peut-être que tu ne veux pas en parler… j’ai été indiscrète.
— Non non… il n’y a pas de souci… je. J’étais une simple secrétaire.
— Quelque chose s’est passée pour que tu…
— Non, pas spécialement…
— Ne te sens pas obligée de me raconter si tu n’en as pas envie… je suis juste trop curieuse… oublie ma question.
— C’est que, ce n’est pas très intéressant…
— Ça m’intéresse. J’aimerais te connaitre un peu plus. Comment ça se fait qu’une jeune femme aussi mignonne que toi se retrouve là-bas… enfin… tu peux me retourner cette question. Comment ça se fait qu’une vieille femme comme moi se retrouve à chercher un humain de compagnie…

Annabelle sourit.

— Vou- tu n’es pas si vieille.
— Tu me donnes quel âge ?
— Hm… 35… ? Plus… ?
— Ah, presque. 40. Mes origines me sauvent la peau. Je suis à moitie asiatique.
— Ma vie était ennuyante…
— Ennuyante au point de t’abandonner… ?
— Oui…
— Pardon, je ne voulais pas te juger… je… je vais t’avouer quelque chose. J’étais inquiète lorsque je t’ai vue là-bas. La manière dont la vendeuse m’a présenté ton profil… j’avais une telle crainte que tu te retrouves chez un vieux pervers lubrique qui abuserait de toi… puis je ne sais pas pourquoi, j’ai flashé sur ton profil… je ne sais pas si tu gagnes au change. Tu as atterri chez une vieille lesbienne lubrique.

— Je trouve que je m’en sors plutôt bien, pour l’instant.
Annabelle rit timidement.

— Et tes parents… ?
Demanda Marianne.

— Je n’étais pas vraiment proche de mes parents… je suis partie de la maison assez tôt.
— Ah… la famille… ce n’est jamais évident. Moi aussi je suis partie de chez moi… enfin, j’imagine que les circonstances sont assez différentes.

Annabelle se sentait en confiance avec Marianne.
C’était une sensation nouvelle de pouvoir se confier à quelqu’un, de s’ouvrir et d’échanger sur soi-même.
Marianne s’intéressait à elle, elle lui posait des questions et elle essayait de ne pas être trop indiscrète mais elle était curieuse. Elle souhaitait lire en elle.
Annabelle était prise au dépourvu, mais ce n’était pas désagréable. Alors elle s’ouvrit et elle lui raconta ce qu’elle n’avait jamais raconté à personne. Elle se confia sur ses craintes, sur les mots pesants et blessants de ses parents qui la marquaient encore aujourd’hui.
Qui la faisait douter sur sa propre existence.
Et Marianne fut touchée en plein cœur.
Annabelle était une petite chose fragile. Une poupée de porcelaine. Elle n’avait pas eu la chance de grandir dans une famille aisée ni bienveillante, mais elle avait réussi à s’en sortir de manière indépendante.
Les blessures du passé nous rattrapent toujours et c’est ce que Marianne avait compris.

— Je peux te prendre dans mes bras… ?
Demanda Marianne.

Annabelle s’avança timidement, et Marianne l’enlaça dans ses bras, et la câlina.

— Tu n’es pas inutile. Je ne te connais pas encore assez bien pour te jeter plein de fleurs, mais je te trouve adorable, touchante, et bienveillante. Je pense que j’ai eu de la chance de te rencontrer ce soir-là.

Annabelle sanglota dans les bras chaleureux de Marianne. Cette chaleur humaine qu’elle n’avait jamais connue, ce réconfort… elle était submergée et elle se sentait bien dans ses bras. Comme une mère qu’elle n’avait jamais eue.
C’était elle qui se sentait chanceuse d’avoir été adoptée par une personne telle que Marianne.
Elle s endormit ainsi.

*

Le lendemain matin, le réveil sonna et elles émergèrent doucement.

— Bien dormie… ?

— Oui…
Bailla Annabelle.

Marianne essaya de trouver des vêtements qui pourraient aller à Annabelle.
Malheureusement elles n’avaient pas la même morphologie.
Annabelle était un peu ronde, avec une poitrine genreuse et des hanches plus larges que Marianne.
Plus petite en taille, Marianne dut accepter à regret qu’elle remette ses anciens vêtements.
Annabelle ne voyait pas le problème.
Elles se rendirent dans le parking pour prendre la voiture et conduire jusqu’au centre commercial.
Marianne avait choisi un grand complexe de magasins de vêtements. Elle savait qu’il y aurait beaucoup de choix et de la qualité. Elle avait ses habitudes et ses préférences.
Elles commencèrent par une boutique de sous-vêtements et elle en profita pour regarder les pyjamas pendant qu’Annabelle était sous les mains d’une vendeuse qui prenait ses mensurations.
Marianne ne trouvait pas le genre de pyjama qu’elle cherchait et finalement, elle en conclut qu’un simple t-shirt large devrait suffire.
Elle avait horreur de dormir avec un bas, et si le t-shirt était assez long, elle n’aurait peut-être pas besoin de bas.
Elle retourna voir Annabelle qui était plus que gênée.
La vendeuse lui avait fait essayer un soutien-gorge à dentelles rouge qui ressortait sur sa peau blanche et claire, englobant parfaitement sa poitrine et la remontant assez. Marianne rougit également en voyant cela.
Voyant le visage embarrassé d’Annabelle, elle en discuta avec elle.

— Cela te va super bien, après si tu préfères ne pas en porter, je comprends.
— Tu n’en portes pas… ?

— Moi ? Je suis plate comme une limande.
Dit-elle en mimant une planche à pain sur sa poitrine.

Annabelle réussit à se détendre et sourit.
— Mais le prix…
— Ne regarde pas le prix. Si ça te plaît, on le prend. D’ailleurs on pourrait en profiter pour connaitre ta taille pour le bas, on va acheter quelques culottes. À moins que tu préfères des strings… ?
— Des culottes ! Ça sera très bien !

Marianne esquissa un sourire taquin.
La vendeuse revint avec le bas assorti au soutien-gorge rouge, et elles purent connaitre la taille d’Annabelle.
Elles hésitèrent et Annabelle ne sachant pas faire de choix, ce fut Marianne qui trancha.

— Tu n’aimes pas ? Est-ce qu’ils sont confortables ?
— Si, mais…

Il y avait plusieurs modèles que la vendeuse avait amené qui convenaient à la taille d’Annabelle.

— Dans ce cas-là, on prend ces deux là.
Décida Marianne.

Elle avait choisi un modèle simple, sans trop de fioriture mais très joli et discret en noir, et un second en blanc. Elle avait pris l’ensemble.
Elle demanda ensuite à Annabelle de choisir des culottes mais elle était en train de regarder les prix et Marianne se fâcha.

— Ne regarde pas les étiquettes de prix ! Choisis ceux que tu préfères !

Annabelle obéit et fini par choisir ceux qu’elle préférait.
Elles sortirent enfin de la boutique.
Marianne se promena dans les galeries de boutique et demanda à Annabelle de s’arrêter si elle voyait une boutique qui lui plaisait.
Malheureusement elle ne put pas trop compter dessus.
Elle dut observer attentivement ce qu’elle regardait et la pousser à entrer dans le magasin.

— On peut juste regarder si ça te plait, d’accord ?
Essaya-t-elle de la rassurer.

Annabelle n’était pas très coopérative.
Marianne réussit à lui trouver des vêtements de tous les jours : un jean, des t-shirts à sa taille, un pull, un manteau, et des chaussures.
Le principal c’était que Marianne avait pu noter la taille d’Annabelle et qu’elle pourrait lui offrir d’autres vêtements plus tard.
Annabelle n’appréciait pas spécialement faire du shopping et Marianne l’avait bien compris.
Elles réussirent à trouver une boutique qui vendait des t-shirts oversize et Annabelle ne comprit pas tout de suite.

— Pyjama !
S’écria Marianne.

— Qu’est-ce que tu en penses ?
Ajouta-t-elle, en sachant que c’était peine perdue.

Annabelle n’était pas tres expressive sur ses gouts.

— C’est pour moi.
Précisa Marianne.

— Ah. Euh… c’est joli… ?
Répondit Annabelle. Elle n’avait pas d’avis.

Marianne essaya les tailles par-dessus Annabelle et sur elle pour comparer. Puis elle se décida à en prendre deux différents. Un pour elle et un pour Annabelle. En faisant attention à la taille.
Il y avait moins de risque si cela était de l’oversize mais tout de même.
Il était déjà 13h et elles se posèrent dans un restaurant pour déjeuner.

2022.01.18

Humain de compagnie

Elle en avait marre de sa vie.
Elle avait pris son indépendance relativement tôt, elle ne supportait plus de dépendre de sa famille et elle n’avait jamais eu de réelles attaches ni d’affection.
Alors dès qu’elle eut l’âge de travailler, elle fit ses bagages et s’en alla vivre sa propre vie.
Elle n’avait pas de haine ni de rancœur envers ses parents mais elle avait besoin de s’en éloigner.
Alors elle choisit un petit travail qui ne payait pas de mine, de quoi payer son logement et se nourrir. Le strict minimum.
Elle arrivait à s’en sortir en faisant attention à ses dépenses, travailler pour manger, très peu de loisirs.
En tout cas, pas de loisirs chers. Elle se débrouillait avec les offres gratuites de sa ville. Les médiathèques, les balades dans les parcs ou juste dans les ruelles. Des expositions. Finalement, son travail ne lui laissait pas beaucoup de temps ni d’énergie pour se divertir.
Les jours passaient et ils se ressemblaient, elle n’avait aucune étincelle.
À quoi bon, finalement. Elle se sentait vide et inutile.
25 ans. Déjà 25 ans et elle était au bas de l’échelle. Elle était solitaire et elle n’avait pas créé de liens d’amitiés parce qu’elle aimait sa solitude, son calme intérieur.
De cette manière elle pouvait ruminer son mal être sans être gênée, ni embêter d’autres personnes.

En rentrant chez elle, elle avait reçu un tract dans sa boîte aux lettres.
Un petit bout de papier sur lequel on faisait la promotion de l’entreprise qui vendait des humains en tant qu’humain de compagnie.
Elle en avait déjà entendu parler et elle avait vu les publicités beaucoup trop alléchantes pour être vraies.
Elle était loin d’être stupide ou crédule.
Sur le recto, le papier vendait du rêve en proposant aux gens aisés d’adopter un humain de compagnie qui pourrait s’occuper des tâches ménagères, qui casserait la solitude et qui leur donnerait de l’affection après une dure journée de travail.
Elle sourit. Elle savait que les humains de compagnie étaient rarement bien traités.
Les plus riches avaient des lubies parfois étranges et que ces humains de compagnie étaient à peine considérés comme de simples animaux.
Puis, souvent, la durée de vie de ces humains était réduite parce qu’ils avaient des
problèmes psychologiques et leurs acheteurs les négligeaient en terme de santé.
En retournant le papier, la publicité s’adressait aux gens désespérés. Il vendait aux gens qui n’avaient rien, une vie de rêve. Qu’ils seraient chouchoutés par des acheteurs, qu’ils donneraient un sens à leur vie en dédiant leur vie à quelqu’un d’autre.
Qu’ils se rendraient utiles.
Le message caché criait :

« Ne vous suicidez pas, votre vie peut valoir quelque chose,
nous nous chargeons de tout. »

Si ce n’était pas un appel au désespoir de la population.
Elle posa le papier sur la table et s’affala sur son lit.
Elle s’était déjà renseignée. Elle était de nature curieuse et elle savait qu’une partie d’elle voulait s’abandonner à cette issue mais elle avait fait ses recherches sur les conditions et dans quoi elle s’engageait si elle voulait vraiment prendre cette voie.
Elle avait une idée globale de comment cela se passait.
Elle savait qu’elle ne devait pas se faire des films sur la vie rêvée que le prospectus vendait. Cela n’arrivait que dans les films et d’après les témoignages et retours sur internet, elle savait que la réalité était beaucoup plus dure, plus crue.
Dans le pire des cas, elle serait achetée par un pervers qui la traiterait en esclave et qui la maintiendrait en vie juste assez pour qu’il n’y ait pas de problème au niveau de la loi.
Dans le meilleur des cas, elleserait dans une famille dans laquelle elle serait une domestique.
C’était le scenario le plus probable.
Tout ce qu’elle avait à fournir c’étaient ses papiers et des infos bancaires et personnelles. Cela paraissait si simple et la fois, c’était un chemin sans retour.
Elle avait lu le contrat et elle savait qu’elle n’était à rien d’abandonner son humanité pour devenir un simple animal aux yeux de la société.
Pourquoi pas, après tout ? Sa vie était ennuyante.
Ses parents lui avaient tant répété qu’elle ne servait à rien et qu’elle était bonne à rien, qu’elle avait gardé cette cicatrice profonde en elle.
Si seulement elle pouvait donner un sens à sa vie, si seulement ce trou béant en elle pouvait être comblé en donnant sa vie pour quelqu’un. Au service de quelqu’un.
N’importe qui, même un détraqué, peut-être qu’elle se sentirait moins vide. Elle avait mal à l’intérieur.
Elle essayait de se raisonner et de se raccrocher à quelque chose.
Elle regarda autour d’elle.
Elle habitait une chambre de bonne, miteuse, mal isolée, avec le strict minimum.

Elle n’avait rien construit et ne pouvait rien projeter avec son salaire de misère. Et pourtant elle arrivait à joindre les deux bouts. Miraculeusement.
Elle avait prouvé à ses parents qu’elle arriverait à quelque chose, à être indépendante et voler de ses propres ailes, même si elle ne volait pas très haut.
C’était un faible oiseau, libre, qui se battait pour survivre en picorant le peu de grain que la vie pouvait lui laisser.
Elle se frappa les joues avec ses paumes, le bruit du claquement coupa le silence pesant de la pièce.

— Tu ne vas pas te laisser abattre ! On ne va pas céder à cette option !
Se dit elle à elle-même pour se donner du courage.

Le lendemain soir.
Elle était devant le bâtiment.
Il y en avait un dans son quartier et elle n’avait qu’à faire un léger détour entre son travail et son domicile pour y arriver.
Elle observait la devanture sans oser entrer.
Ses pas et sa curiosité l’avaient amenée jusque-là.
Des photos de gens souriants, des textes racoleurs avec des phrases qui accrochent.

« Le bonheur n’a pas de prix »

Elle riait intérieurement, elle savait à quel point c’était coûteux de s’offrir un humain de compagnie.
Pas étonnant que la façade soit si jolie et tape-à-l’œil.
Des lumières de partout.
Combien de temps cela faisait qu’elle était devant ? Quelques minutes ? Ses jambes ne voulaient pas bouger. Oh, et puis zut. Maintenant qu’elle était là, autant voir ce que l’intérieur était, elle allait juste se renseigner en vrai et poser quelques questions. Rien de plus.

– Marianne
Elle était une femme avec de l’ambition.
Maintenant passé la quarantaine, elle gagnait quelques années grâce à ses origines généalogiques : une métisse asiatique caucasienne. Seul son teint de peau ainsi que ses yeux légèrement en amande pouvaient laisser deviner cela, car physiquement elle était plutôt grande, les épaules larges et carrées,
elle faisait régulièrement du sport pour conserver une certaine forme physique, et elle aimait ça. Elle était musclée, et sa poitrine presque inexistante pouvait la faire passer pour un homme.
Ses traits de visages quant à eux restaient féminins, elle avait les yeux sombres et les cheveux noirs lisses qu’elle avait laissé pousser à leur guise.
Ils n’étaient pas négligés, rien chez elle n’était négligé.
Elle prenait soin de ses longs cheveux qui étaient toujours biens coiffés sans aucune mèche qui ne dépasse, elle faisait également extrêmement attention à ses tenues vestimentaires, toujours très chics, de bonne qualité, sans non plus être extravagantes, elle savait les choisir sobres tout en sachant qu’ils étaient de qualité et qu’ils renvoyaient une image d’elle qui avait réussi. Elle ne se maquillait pas, ou très rarement lors des occasions, mais elle prenait soin de sa peau avec différentes crèmes.
Son apparence était importante, pas seulement parce que cela renvoyait une image positive d’elle-même, mais également pour elle.
Elle avait fait ses preuves.

Après avoir abandonné les bancs de l’école de commerce, elle avait réussi à monter sa propre entreprise.
Elle avait choisi de construire un environnement sain pour les travailleurs du sexe, et elle savait que c’était un domaine qui pouvait rapporter gros.
Elle avait déjà vu des établissements qui ne faisaient que profiter de la misère sexuelle et qui proposaient un environnement totalement délabré, parce que l’important était juste de proposer un endroit pour faire leur affaire.
Non, elle voulait proposer mieux, elle voulait montrer qu’il était possible de créer un endroit meilleur pour les clients ainsi que les employés, qu’ils ne soient pas traités comme de la viande, qu’ils aient des droits et qu’ils soient respectés. Elle savait que si c’était elle qui s’en chargeait, elle ferait en sorte que cela se passe autrement.
Ses parents n’avaient pas approuvé.
Déjà qu’ils avaient été extrêmement déçus qu’elle abandonne ses études alors qu’ils avaient payé tous les frais de scolarité. Elle avait eu droit au savon de sa vie, elle, privilégiée, ayant accès à une école de commerce.
Ce n’était pas donné à tout le monde de pouvoir en payer les frais. Et elle avait jeté cela.
Alors, lorsqu’elle avait expliqué à ses parents son projet, ils lui avaient ri au nez, en pensant qu’elle se moquait d’eux ou qu’elle faisait exprès de les provoquer.
Ils avaient tout fait pour lui offrir des études et qu’elle puisse avoir une vie aisée.
Comment pouvait-elle être aussi ingrate.
Ils avaient essayé de la convaincre de changer d’avis, de s’excuser et de reprendre ses études dans la même école, quitte à refaire une année, qu’elle sorte avec ce diplôme et qu’elle revienne sur le droit chemin.
Ils ne s’étaient pas compris.
Elle avait l’impression de perdre son temps à étudier des matières abstraites. On enseignait des notions qu’elle avait déjà, elle avait essayé d’expliquer à ses parents mais ils ne la croyaient pas. Ce qui importait pour eux, c’était le diplôme.
Seul lui attestait de ses connaissances et compétences.

Une année à peine lui avait suffit pour se rendre compte de la blague de son cursus. Elle ne voulait pas perdre plus de temps ni faire jeter autant d’argent par la fenêtre a ses parents.
Puis à quoi bon, ils ne croyaient pas en elle, encore moins à son projet. Pourquoi essayait-elle de les rallier à sa cause, elle riait amèrement. De toute façon, ils ne l’aideraient pas financièrement à se lancer. Alors elle s’en alla.
Ils étaient tous les trois trop sur les nerfs, sur leurs propres positions, pour entendre raison.

Elle se débrouilla.
Heureusement elle avait quelques amis sur qui compter, qui ne comprenaient pas non plus sa décision mais qui étaient là pour elle.
Elle fut hébergée chez quelques-uns, ceux qui avaient la chance d’avoir leur propre appartement, le temps qu’elle puisse retomber sur ses pattes, trouver un petit job, et de contacts en contacts, parce
qu’elle avait la chance d’avoir un bon sens du relationnel, elle réussit à trouver un travail plutôt bien payé. Elle avait les connaissances et des facilités dans beaucoup de domaines surtout concernant la
gestion d’une entreprise, et elle réussit à gagner assez pour pouvoir s’émanciper de ses amis, et se loger dans une chambre de bonne. Elle savait qu’il n’était pas bon d’abuser de la générosité de ses bienfaiteurs, et elle voulait continuer d’entretenir de bonnes relations avec ses amis.
Avec sa volonté et beaucoup d’économies, elle réussit à avoir assez de budget pour commencer à faire quelque chose pour son projet.
Ce n’était toujours pas assez mais elle avait pu se confier à un de ses amis le plus proche. Un certain Duncan avec qui elle s’était liée d’amitié et à qui elle accordait toute sa confiance.
Il avait eu le temps de finir leur cursus scolaire, contrairement à elle, et il avait commencé à occuper un poste très bien payé.
Il avait confiance en elle et lorsqu’il la vit dépitée de ne pas pouvoir réaliser son projet, il lui proposa de lui prêter ce qu’il lui manquait.
Elle n’en croyait pas ses yeux.
Elle avait refusé parce qu’elle avait trop peur de mettre en jeu leur amitié.
Elle n’avait jamais accepté d’argent de la part de ses amis parce qu’elle ne voulait pas de ce genre de relation. Et Duncan était la dernière personne avec qui elle voulait se fâcher pour une histoire pécuniaire.
Il avait insisté en lui disant qu’avec son salaire actuel, ce n’était pas grand-chose et que ce n’était qu’un prêt.
Que si jamais elle ne lui remboursait pas, il savait où elle habitait, ou bien elle devrait travailler pour lui pour lui rembourser la somme qu’elle lui doit.
Elle ne savait pas si c’était pire que de perdre son amitié. Elle hésitait encore.
Elle avait besoin de cet argent mais elle pouvait encore travailler un certain moment avant de réunir la somme exacte et monter son entreprise.
Le seul problème était qu’elle avait repéré l’endroit parfait pour mettre en route ce rêve.
Le bâtiment était en vente et il n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un d’autre ne décide de l’acquérir.
Et si elle devait attendre elle savait que cette occasion en or risquait de lui filer sous le nez. Duncan lui força la main en lui disant que si elle n’acceptait pas son prêt, il achèterait le bâtiment lui-même.
Et elle était bien trop fière pour travailler aux ordres de quelqu’un d’autre.
Il la connaissait trop bien.
Concours de circonstances et planètes alignées.
Elle réussit à signer le contrat de vente avec la somme totale.
Par chance, personne n’avait encore fait de proposition pour acheter cet endroit.

Les lieux étaient en ruines, elle avait acheté cela pour une bouchée de pain, et même cette bouchée de pain elle n’était même pas capable de l’acheter elle-même, seule.
Mais maintenant, il était à elle et elle devait en faire quelque chose.
Ce n’était que le commencement.
Les yeux plein d’émotions, elle n’avait pas le temps de s’émouvoir.
Tout était à refaire et tout son budget était parti dans cette ruine.
Duncan était venu visiter et était arrivé à la même conclusion.
Elle ne pouvait rien faire de ce lieu en l’état.
Au moins, elle pouvait rendre sa chambre de bonne et dormir dans cette demeure.

Elle continua à travailler pour accumuler des économies pour les investir dans les travaux.
Elle continuait à avoir ses amis qui lui donnèrent des contacts de confiance pour l’aider dans son chantier, à prix d’ami.
Et contre toute attente, quelques-uns vinrent sur place l’aider.
Des décorateurs d’intérieurs, des électriciens, des maçons, des plombiers, elle eut droit à des gens qualifiés.
En moins d’un an, le lieu était devenu méconnaissable et si elle l’avait voulu, elle aurait pu le revendre pour au moins 3 fois son prix d’achat.
Elle avait réussi à dénicher des meubles pas chers et parfois gratuits sur des sites.
Chaque économie était bonne à prendre.
Elle avait accumulé différents emplois pour pouvoir renflouer les caisses et pour avoir de quoi débuter son activité.
Le plus dur allait être de trouver des personnes voulant bien travailler dans son établissement.
Elle ne pouvait pas pour l’instant faire de contrat de travail mais elle pouvait déjà proposer un endroit plus que confortable.
Le meilleur moyen était d’aller sur le terrain et discuter avec les personnes concernées.
Au premiers abords, les filles qu’elle croisa, ne la prirent pas au sérieux. Elles étaient moins méfiantes que si c’était un homme qui leur vendait monts et merveilles, mais cela restait une proposition trop alléchante.
Elles qui avaient l’habitude de faire ça dans la rue, n’avaient pas grand-chose à y perdre, elles n’avaient rien ou presque rien. Même en vivant sans toit, elles étaient solidaires et elles avaient peur qu’on se moque d’elle.
Marianne avait réussi à les convaincre de venir chez elle pour voir.
Celle qui semblait être l’aînée du groupe, avait finalement accepté de la suivre avec toutes les autres.
Marianne avait été honnête et leur avait avoué qu’elle n’aurait pas de quoi les payer pour l’instant, mais qu’en échange de les loger et de leur offrir de quoi se laver, elle demanderait qu’un petit pourcentage de leur recette.

L’aînée du groupe l’avait regardée les yeux écarquillés.
En pénétrant dans l’entrée, elle avait en face d’elle une demeure luxueuse, propre, chaleureuse. Jamais elle n’aurait pensé pouvoir entrer dans un tel endroit, alors y rester pour dormir.
Et elle pensait que Marianne voulait les voler en les endettant à vie, mais au contraire.
Marianne leur proposait un deal plus que raisonnable.
Elle en discuta avec ses sœurs de travail.
Une partie de leur recette en échange de pouvoir vivre dans ce manoir ?
Est-ce qu’elle était une princesse charmante leur offrant une vie de rêve ?
C’était beaucoup trop beau pour être vrai et en même temps, Marianne avait l’air beaucoup trop honnête.
Elle n’avait que 25-30 ans, elle paraissait être une petite jeunette sans expérience dans la vie.
Et pourtant.
Les travailleuses du sexe acceptèrent son offre mais elles mirent comme condition que si Marianne avait menti sur sa proposition, elles s’en iraient.

Marianne était aux anges.
Elle avait ses premières habitantes et partenaires de travail.
C’était déjà un très bon début.
Elle aurait pu craindre qu’elles saccagent les lieux, qu’elles profitent d’elle en ne lui rapportant aucun bénéfice, mais cela ne lui traversa même pas l’esprit.
Parce qu’elle avait vu dans leurs yeux le désespoir, elles avaient touché le fond et elles ne pensaient pas entrevoir de lueur d’espoir que lui offrait Marianne.
Elle leur avait expliqué son projet, qu’à long terme elle voulait leur proposer un vrai salaire, une véritable protection. Que ce métier ne soit pas dénigré.
Et qu’elles puissent, si elles le souhaitent, changer de voie et de métier.

— Elle est folle, ça ne marchera jamais.
— C’est du délire, elle marche en plein délire.
— C’est pas un peu trop beau comme rêve ?
— C’est qui cette gamine ?
— Moi j’y crois, j’ai envie de croire en son rêve.
— Moi aussi.
— Et si ça marche pas ?
— Moi je préfère faire ça ici que dehors. Et je veux bien céder la moitié même la totalité de ce qu’on me paye pour pouvoir dormir dans un vrai lit et pouvoir me laver.
— 50% ça me parait raisonnable si on peut dormir ici. On se débrouillera pour manger avec le reste.
— Et si c’est du pipeau ?
— On pourra toujours retourner dehors.
— T’as aucun moyen de nous forcer à devenir tes esclaves, n’est-ce pas ?

Voici comment tout commença.
Les premières filles adorèrent les lieux.
Elles décidèrent de s’en occuper pour qu’il reste aussi beau qu’à leur arrivée, et Marianne les en remercia parce qu’elle n’avait pour l’instant pas le budget pour payer un employé pour faire le ménage.
Elles avaient réussi à faire passer le message qu’elles étaient maintenant dans cet établissement et les clients venaient directement là.
Ils étaient bien accueillis et chouchoutés, ils payaient d’abord et étaient ensuite amenés à une chambre à l’étage.
Le bureau de Marianne était au rez-de-chaussée, il y avait l’entrée dans laquelle des canapés et de quoi se désaltérer avaient été installés, les filles pouvaient se poser là et papoter en attendant, lorsqu’elles n’avaient pas de clients et lorsque quelqu’un arrivait, il y en avait toujours pour se jeter sur les potentiels clients et ils choisissaient celle qui leur plaisait le plus.
Il y avait également des salles de bain à l’étage.
Une cuisine au rez-de-chaussée et des toilettes.
Les combles avaient été aménagées en chambres dortoir à coucher.
Il y avait une certaine harmonie avec les filles.
Tous les bénéfices étaient partagés de manière équitables entre elles, après le pourcentage dû à Marianne.
Lorsqu’il y avait besoin de quelque chose, que ce soit des vêtements, un appareil électroménager pour faire des lessives, Marianne s’occupait de faire livrer le nécessaire, elle était débordée par son autre travail qu’elle avait conservé pour pouvoir payer les factures, et lorsqu’elle avait le temps, elle s’occupait de gérer son établissement. Elle montait les meubles qu’il fallait pour les filles.
Elle avait fait très bonne impression et les filles savaient qu’elle leur revaudrait cela.
Elle avait gagné leur confiance.
Duncan avait pu passer voir comment son affaire commençait à tourner et il était impressionné.
Les filles lui avaient sauté dessus pour qu’il en choisisse une avant de voir Marianne rire aux éclats.
Il était gêné.
Un soir, Marianne était rentrée exténuée, après ses horaires de travail normal, elle s’attelait à la tâche pour pouvoir offrir aux filles le rêve dont elle avait parlé, son rêve qu’elle avait partagé.
Elle devait compter le budget dont elle disposait pour pouvoir les rémunérer correctement, dépendant du pourcentage des recettes. Son but était de pouvoir les rémunérer équitablement sur la durée, tout en pensant à déclarer tout ce qu’elle gagnait et les dépenses liées à cette activité.
Elle n’oubliait pas la somme d’argent qu’elle devait à Duncan et pour l’instant elle n’y était pas. C’était sa priorité numéro un.
Elle dormait peu la nuit, et elle s’endormait sur un divan dans la pièce de son bureau.

Elle était rentrée plus fatiguée que d’habitude.
L’accumulation de mois et de mois de travail sans repos, les filles l’avaient regardée, inquiètes.
La maison marchait de mieux en mieux, les clients affluaient et lorsqu’il y en avait trop, elles devaient attendre que les chambres se libèrent, et pour ça, elles les divertissaient dans le hall. Certains qui n’étaient pas patients, ne se gênaient pas de demander à faire leur affaire dans les escaliers ou les couloirs supérieurs, ou même la salle de bain commune.
Les filles avaient réussi à en faire de la publicité par le bouche à oreille et les clients également.
Le dortoir pouvait encore accueillir d’autres personnes et la maison devint progressivement un refuge pour d’autres travailleurs du sexe, de tous genres et sexes.
Marianne sortit de son bureau, plus pâle que d’habitude et les filles s’inquiétèrent.

Elle partit en direction de la cuisine pour se chercher à boire et le bruit d’une chute.
Elles se ruèrent vers elle, elle venait de faire un malaise.
Elles la transportèrent dans son bureau pour l’allonger sur le divan et elles appelèrent un médecin.
Quelqu’un demanda si elles avaient le numéro de Duncan, et par chance, une des filles avait récupéré son numéro grâce à sa carte de visite.
Il arriva au plus vite.
Le médecin l’osculta et leur expliqua la situation, qu’elle avait surtout besoin de repos, qu’il fallait qu’elle fasse attention à son hygiène de vie et à sa santé.
Elle se surmenait.
Duncan expliqua qu’elle avait encore son ancien travail.
Les filles ne se rendaient pas compte de tout le travail qu’elle faisait en plus.

— Lorsqu’elle m’en parle, elle a les yeux qui brillent, elle dit qu’elle veut que ce rêve aboutisse le plus tôt possible.
—Je pensais qu’elle s’amusait le reste du temps pendant qu’on ramenait de l’argent.
— Non, moi je sais que le soir elle dort ici.
— Alors qu’on a de vrais lits en haut ?
— Elle a pas un endroit où dormir ? Avec tous les meubles ici, je pensais qu’elle était riche.

Duncan dut leur raconter comment elle avait réussi à faire des ruines un manoir de luxe avec son petit budget.
Et qu’il lui avait prêté de quoi financer l’achat du bâtiment.

— Mais attends, c’est pour ça qu’elle garde ce deuxième travail.
— Pas possible, je lui ai dit d’oublier ce petit prêt de rien du tout.
— La connaissant, elle n’a pas oublié.
— Cette idiote…
— Elle te doit combien ?
— Si c’est vraiment ce qui l’empêche de dormir, on peut l’aider à te rembourser.
— Elle a vraiment changé notre vie.
— On peut au moins faire ça pour elle.

*

Lorsqu’elle était tombée, elle s’était cognée et elle avait saigné.
La personne qui l’avait trouvée était paniquée.
Les filles se rendaient compte que si jamais elle n’était plus là, elles ne savaient pas ce qu’elles allaient devenir.
L’aînée aurait pu reprendre le flambeau mais elle ne s’y connaissait pas pour gérer tout ce que Marianne faisait.
La plupart découvrirent qu’elle faisait un autre travail en parallèle.

— Pourquoi ? Un seul travail ne te suffit pas.. ?
— Notre revenu ne te suffit pas ?
— Ne te détruit pas la santé, tu penses à nous ? On fera quoi si t’es plus là ?

Les filles s’inquiétaient à leur manière.

— Ce n’est pas ça… j’ai une dette envers quelqu’un que je souhaiterai acquitter le plus tôt possible…

*

Duncan était passé un soir et l’aînée l’avait pris a part pour lui poser des questions.

— Est-ce que par hasard tu saurais à qui Marianne a emprunté de l’argent ?
— Pardon… ? Ça vient d’où cette question ?
— Elle a fait un malaise récemment, on s’est toutes inquiétées, il semblerait qu’elle se surmene et on ne sait pas pour quelle raison. On ne manque de rien ici. Ça pourrait être mieux, mais c’est déjà le luxe de pouvoir continuer à faire notre affaire ici.
— Quoi ? Comment ça elle a fait un malaise ?
— Elle ne t’en a pas parlé ? Elle a perdu connaissance et elle s’est cognée à la tête.
— Cette idiote ! Elle m’a dit qu’elle avait trop bu et qu’elle était tombée… !
— Elle nous a parlé d’une somme qu’elle devait rembourser à quelqu’un, et que c’était urgent… on ne veut pas qu’elle dégrade sa santé ainsi, et si on peut l’aider à quoi que ce soit…
— Je n’ai pas souvenir qu’elle ait emprunté de l’argent à quelqu’un d’autre… elle a horreur d’avoir des dettes…
— Quelqu’un d’autre ? Ca veut dire… ?
— J’espère que cette imbécile ne pense pas à cet argent là…
— Quelle somme… ? À qui… ?

Duncan avait son visage dans ses mains, il culpabilisait.

— Je lui avais dit de ne pas se presser et qu’elle me rembourserait lorsqu’elle pourra, je ne pensais pas qu’elle avait encore ça en tête. J’avais presque oublié et j’espérais qu’elle oublie.
— De quoi tu parles ?
— C’est à moi qu’elle doit de l’argent.
— Comment ça ?

Duncan lui expliqua la situation et toute l’histoire.

— Combien elle te doit. Je veux participer. Ça fait des mois que nous sommes ici et je pense que je ne serai pas la seule à vouloir aider à rembourser ce prêt. Je veux rendre cet endroit pérenne et si j’y apporte ma part financière, je m’y sentirai encore plus chez
moi. Elle ne nous a jamais fait payer de loyer, c’est le moins qu’on puisse faire.
— Si elle l’apprend, elle va me tuer.
— C’est pas mon problème, je ne veux pas qu’elle endosse cette responsabilité seule. Crache le morceau et je vais voir avec les filles combien on peut réunir toutes ensemble.

Duncan avait réussi à toucher quelques mots à l’employeur de Marianne pour lui dire qu’elle avait eu quelques soucis de santé mais qu’elle ne préférait pas en parler, pour qu’elle ait légèrement moins de travail. Ils se connaissaient et il consentit parce qu’elle avait toujours bien travaillé, fait des heures supplémentaires quand il fallait. Elle en demandait toujours plus parce qu’elle avait besoin de ce salaire.

— Tu prends soin d’elle… C’est adorable, tu es sûr qu’il n’y a rien entre vous deux ?
Avait demandé l’employeur, en espérant être dans la confidence.

— C’est juste une amie de longue date, en qui j’ai confiance. Rien de plus.
Sourit Duncan.

Il se rappela lors de leur première rencontre, ils étaient tous les deux des têtes fortes et des têtes brulées, ils s’étaient tout de suite entendus, il y avait une sorte d’étincelle de complicité et de fraternité entre eux.
Elle était forte, indépendante, prétentieuse et elle avait une attitude très joueuse avec les filles de leur promotion. Ils avaient leur groupe d’amis et elle n’avait pas eu besoin de faite son coming out, il était
assez clair qu’elle n’avait aucun intérêt pour les garçons, et elle se comportait comme eux, elle avait leurs codes.

*

Les filles qui travaillaient pour Marianne, s’étaient concertées et la plupart était d’accord pour participer pour rembourser ce prêt, chacune ne pouvait pas mettre la même somme, mais le tout accumulé faisait un petit pactole.
Duncan avait craché le morceau sur la somme exacte qu’elle lui devait.
Même avec l’argent de toutes les filles réunies, elles étaient encore loin du compte.
L’ainée avait rediscuté avec Duncan pour lui donner cette enveloppe, qu’il avait refusé.

— Je ne peux pas accepter. Marianne risque de m’en vouloir et cette histoire de dette est ridicule. Elle se met la pression toute seule alors que je n’ai même pas besoin de cet argent. Toute cette situation est ridicule.

Il s’était dirigé vers son bureau pour lui en parler directement. Cela le tracassait et l’empêchait de dormir convenablement.

— Il faut qu’on parle.
— Oui… ? Qu’y a-t-il… ?
— Tes filles m’ont dit pour ton malaise. Pourquoi tu me l’as caché… ?
— … Ce n’était pas important, tu te serais inquièté pour rien. Regarde, je vais déjà mieux.
— Et j’aurais eu raison de m’inquiéter ! Lève un peu le pied.
— Tu ne sais rien.
— Si je sais. Oublie cette dette que tu me dois.

Le ton commençait doucement à monter entre eux.
Ils étaient tous les deux têtus et bornés.

— Ca ne marche pas comme ça.
— Si, ou au moins, arrête de te presser autant pour me rembourser, tu sais que je ne suis pas en manque d’argent, je ne suis pas pressé et tu peux tout aussi bien me faire ce foutu virement dans 5 ans.
— Pour moi c’est important !
— Que ce soit fait maintenant ? Foutaises !

Elle était perturbée, elle qui voulait que tout soit fait dans les temps, que ce soit parfait, elle voulait que ça aille plus vite mais ce n’était pas en son pouvoir.
Elle s’assit, les mains sur son visage, elle était perdue. Duncan lui exposait en plein visage à quel point elle était un échec. Elle n’y arrivait pas.
Elle n’était pas assez forte pour y arriver. Ses parents avaient peut-être raison, elle n’avait pas les épaules pour ça. Toutes ces pensées se bousculèrent dans sa tête, elle était dévastée.
Duncan vit qu’elle s’était écroulée psychologiquement.
Il se calma et s’approcha pour lui demander si ça allait.

— Non, non ça va pas…
La voix tremblotante, elle était aux bords des larmes.

— Hey… je suis désolé, d accord… ?
— Non mais… tu as raison, tu n’as pas à être désolé… C’est juste que…
— Les filles s’inquiètent pour ta santé, et moi aussi. Je ne te demande pas de me rembourser le plus rapidement possible, je ne te le demande même pas, mais si tu y tiens tant que ça, on peut décider d’un accord pour que tu me verses une somme fixe chaque mois, ok ? Tu as tout le temps qu’il faut et je ne vais pas te prendre d’intérêts, alors rassure toi.
— Je… je voulais que ça aille plus vite, je voulais faire les choses bien…
— Hey, regarde ce que tu as déjà fait, C’est déjà impressionnant pour une petite femme comme toi.
— Je ne suis pas petite !
— Ok ok, mais tu as déjà fait avancer beaucoup de choses, c’est pas grave si le reste te prend un peu plus de temps.
— Ça m’énerve de le dire… mais tu as raison.

Duncan la prit dans ses bras et la consola comme il le pouvait.
Elle était épuisée, elle portait ce poids sur les épaules seules, et c’était la dernière chose qu’il voulait, de compter parmi les fardeaux qu’elle portait.
C’était rare de la voir dans cet état, sauf quand ils avaient fait des soirées arrosées lorsqu’ils étaient encore étudiants, bien entendu.

— Promets-moi de prendre plus soin de toi, d’accord ? Et si tu es suffisamment stable financièrement, démissionne de ton travail pour prendre à 100% les rennes de ta boutique. Une chose à la fois.
— Tu sais que t’es énervant ?
— Oui mais j’ai raison.
— Ne me dis pas que cest parce que tu es sorti diplômé, sinon je te frappe.
— Ok, je le dis pas.

Elle le frappa quand même, d’un coup de poing sur son épaule.

— Aïe !
— Tu l’as pensé trop fort.
— Tu sais, tu m’impressionnes, parce que même si j’ai un diplôme et les fonds, jamais je n’aurais ton ambition de créer quelque chose, de monter un projet comme le tien, alors rien que pour ça, je suis admiratif et je suis content d’avoir pu t’aider à te lancer. Quand
je vois ce à quoi ça ressemble aujourd’hui, j’ai hâte de voir l’avenir.
— Mais si j’avais été diplômée, j’aurais peut-être mieux gére-
— Non, crois-moi, tu t’en tires déjà comme une cheffe. Cheffe.
— Oh arrête… ça ne t’apportera rien de me lancer des fleurs.
— Même pas du bon moment avec les filles gratuitement ?
— Tu vois ça avec elles.

*

Les années passèrent.
L’établissement s’installa avec de plus en plus de notoriété, il était connu pour son ambiance saine et son respect des employés, ils avaient également de plus en plus de personnes souhaitant y travailler. Les lieux, les chambres et lits n’étaient pas extensibles.
Marianne avait réussi à mettre en place un système aidant les personnes souhaitant sortir de ce travail.
Elle les encadrait, elle offrait également de quoi les suivre médicalement.
C’était un groupe d’entraide et chacun prenait soin de l’autre. La figure de grande sœur qui était toujours là pour materner les autres, filles, garçons, transexuels, intersexués. C’était devenu le refuge
de beaucoup de personnes.
Elle avait fini par rembourser Duncan, son entreprise était maintenant pérenne, elle avait un chiffre d’affaire conséquent et elle pouvait en être fière.
Elle pouvait se consacrer pleinement à la gestion, s’enquérir des besoins de ses employés et améliorer leur quotidien de jour en jour.

La seule chose qu’elle oubliait, c’était elle-même.
Arrivée à 35-40 ans, elle s’était tellement concentrée sur sa carrière professionnelle, son rêve professionnel, qu’elle ne s’était jamais posée pour penser à elle.
Les relations amoureuses n’étaient pas sa priorité et maintenant qu’elle avait atteint son objectif, qu’elle pouvait faire une pause pour observer tout ce qu’elle avait accompli derrière elle.
Elle se sentait seule.
Elle avait beau être entourée, que ses journées soient remplies d’interactions sociales, elle n’avait personne à ses cotes à qui se confier. Bien entendu elle avait son meilleur ami Duncan, mais elle ne couchait pas avec lui, rien que l’idée la révulsait. Il avait également sa propre vie et elle ne pouvait pas le déranger à n’importe quelle heure de la journée pour se plaindre ou vider son sac de pensées noires.
Elle avait ses moments bas, elle savait que même si professionnellement elle avait réussi, même si elle avait pu renouer rapidement avec ses parents, elle se sentait vide. Certains critiquaient son activité sans comprendre, c’était un bordel, une maison close, peu importe si c’était bourré de bonnes intentions.
Ses parents avaient fini par se rendre compte qu’elle avait réussi ce qu’elle avait entrepri. Cela avait pris un certain temps mais les nouvelles allaient de bon train, et même si le secteur d’activité laissait à désirer, les chiffres d’affaire ne mentaient pas. Ils avaient finalement reconnu qu’elle était allée au bout de ses idées.
Puis la vieillesse approchant, ils ne pouvaient renier leur propre fille indéfiniment. Ils avaient eu le temps de réfléchir et ils s’étaient même excusés de s’être emportés à l’époque.
Force de constater, Marianne s’était également excusée d’avoir été la fille trop gâtée de ses parents.
Ils avaient mis une certaine pression sur le fait qu’elle devait se marier et avoir des enfants, mais elle leur avait dit qu’elle n’avait pas la tête à ça. Les années passant, elle n’avait toujours pas osé avouer à ses parents qu’elle aimait les filles.
Et maintenant qu’elle approchait la ménopause, ils étaient passés à autre chose. La laissant sur ses choix.

*

Cette nuit-là, elle faisait encore une insomnie.
Ces crises de sommeil se faisaient de plus en plus fréquentes et cela l’agaçait.
D’habitude, elle utilisait ces heures de non-sommeil pour s’avancer dans les tâches quotidiennes, mais ces derniers temps, elle en avait tellement enchaîné qu’elle s’était avancée sur tout et n’avait plus rien à faire. Du moins concernant son travail.
Elle était chez elle. Depuis qu’elle avait réussi à rembourser ses dettes, mettre de cote assez d’argent, elle s’était offert un petit appartement rien qu’à elle. C’était idiot parce qu’elle y passait très peu de temps, mais c’était bien vu et puis elle ne pouvait pas passer son temps à dormir dans son bureau.
Elle avait fait en sorte de prendre un rythme de vie un peu plus sain, des horaires presque normaux et du temps pour elle, faire du sport, aller à ses cours d’art martiaux.
Bref, son appartement était presque trop grand pour elle seule, mais surtout il était dans un état lamentable parce que ses affaires n’étaient absolument pas rangées, lorsqu’elle rentrait, elle entreposait ses affaires là où il y avait de la place, et heureusement pour elle, la surface de son logement lui permettait d’accumuler un certain nombre de choses avant qu’elle ne s’inquiète de les ranger convenablement.
Elle ne recevait personne chez elle et elle ne comptait pas le faire prochainement.
Ainsi, allongée sans pouvoir se rendormir, elle se décida à se lever et s’habiller.
Il était peut-être deux heures du matin ou trois, mais le train du sommeil ne daignant pas s’arrêter à quai, ni la laisser monter à bord, elle se décida à faire un tour en ville.
Prendre sa voiture et faire une balade nocturne.
Elle repensa à la discussion qu’elle avait eue avec Duncan.
Il lui avait parlé de ces entreprises qui vendaient des humains. C’était glauque, mais était-ce si glauque comparé à ce que elle faisait en vendant du temps particulier à d’autres personnes ?
Ces entreprises de vente étaient populaires près des plus riches, et Duncan avait mis ce sujet sur le tapis parce qu’il fréquentait ces milieux autant qu’elle et c’était le sujet en vogue ces derniers temps.
Ils s’étaient regardés et Duncan lui avait demandé si cela l’intéresserait.
Elle était beaucoup trop méfiante pour s’y intéresser.
Elle lui retourna la question et il était beaucoup moins réfractaire à cette idée.

— Imagine, je trouve la perle rare.
— Oui, une esclave ? Je te signale qu’ils ne sont même plus considérés comme des humains. Et tu penses pouvoir t’occuper d’elle si jamais elle dépend entièrement de toi ?
— Tu vois tout de suite le mauvais côté des choses.
— Je suis réaliste. Ne te laisse pas berner par les publicités qui te vendent un mirage.
—Ne détruits pas mes rêves…
— Tu chercherais pas plutôt une femme ? Plutôt que d’adopter une enfant ?
— Elles sont pas toutes si jeunes et je ne suis pas un pédophile.
— Tu fais ce que tu veux avec, après, je ne juge pas, enfin, c’est ta propriété si tu t’engages là-dessus.
— Je vais vomir.
— Tu évites de salir ma moquette, j’ai pas envie de sentir tes sucs gastrique pendant des semaines.
— Plus sérieusement, ça laisse rêveur mais j’ai entendu dire qu’il fallait faire super gaffe à l’endroit où on s’achetait ça.
— Tu m’étonnes. Si j’avais le temps, je me renseignerais un peu plus à ce sujet, mais non. Je ne suis pas encore assez désespérée pour m’acheter une esclave.
— On dit « humain de compagnie », pas esclave.
— Ça sonne pareil…
— Toujours aussi cynique.

Elle se rappelait ce bout de conversation et elle se rendait compte que peut-être. Elle était si désespérée que ça.
Qu’est-ce que ça pouvait être de sentir la chaleur humaine de quelqu’un à ses côtés.
Perdue dans ses pensées, elle roulait dans la nuit et elle vit ce bâtiment. Ce fameux bâtiment qui vendait des humains de compagnie.
Elle n’avait pas remarqué qu’il y en avait un pas si loin de chez elle. Combien de kilomètres avait-elle parcouru depuis qu’elle avait quitté son appartement ? Aucune idée.
Non, elle n’allait tout de même pas.
Puis zut, elle n’avait rien de mieux à faire et quoi de plus vrai que d’aller demander de vive voix et voir de ses propres yeux ce que cet établissement avait dans le ventre.
Elle gara sa voiture sur le parking.
Elle ne passa pas inaperçu, le parking était presque vide et elle avait une très belle voiture.
Elle éteignit les feux et poussa la porte, après avoir poussé un énorme soupir.
Elle fut tout de suite accueillie par une voix chaleureuse.
Une bonne dame souriante, les horaires de travail étaient de nuit, vraisemblablement.

— Bonsoir madame, puis-je vous renseigner ?
Sa voix était mielleuse, elle avait vu que Marianne était très bien habillée, qu’elle semblait venir de la classe haute et si elle pouvait conclure une vente, c’était le jackpot.

Marianne observait les alentours et n’avait toujours pas répondu à la question.

— Est-ce que vous cherchez quelque chose en particulier ? Nous avons des jeunes garçons qui pourraient vous plaire.
— Bonsoir, c’est la première fois… est-ce que vous pouvez m’éclairer sur comment ça se passe… ?

Marianne était un peu déboussolée mais elle s’approcha et garda son attitude, elle était neutre, mais elle ne montra pas son hésitation, sa voix était posée, elle ne voulait pas qu’on la prenne de haut ou pour
une idiote, et la vendeuse n’allait pas s’y risquer.

— Il n’y a aucun problème. J’ai ici une liste des profils que nous avons actuellement à disposition. Il y a plusieurs tranches d’âge, éthnie, type de cheveux, couleur, comme cela vous plait, si vous avez une idée de quelle utilisation vous en ferez, n’hésitez pas à m’en faire part. Je serai plus à même de vous orienter vers le profil adéquat.
— Est-ce que je peux jeter un œil à vos listes… ?
— Oui oui, bien sûr.

Elle sortit de sous son comptoir un porte-document dans lequel des fiches étaient rangées avec une photo de face avec des informations en dessous.
Elle les étala devant elle pour que Marianne puisse les voir.
Une fiche attira son œil. C’était une jeune femme blonde aux yeux bleus. La vendeuse remarqua son intérêt.

— Ah, excusez-moi, j’ai mal rangé mes fiches, vous avez l’œil, c’est la dernière arrivée mais je n’ai pas encore eu le temps de finaliser son dossier. Elle risque de partir rapidement, on ne voit plus des profils comme celui-ci.

— Il y a des profils plus rares ?
Demanda Marianne curieuse.

La vendeuse plutôt bavarde continua.

— Eh bien oui, même si elle est plus âgée que ce que nous avons l’habitude de recevoir, elle est encore vierge, et sur le marché cela augmente considérablement son prix. Nous avons pas encore fini de passer ses examens médicaux mais les résultats de son
examen psychologique est au-dessus de la moyenne.
— Qu’est-ce que cela veut dire… ?
— Je ne veux pas non plus vous alarmer, mais quelques humains de compagnie sont psychologiquement instables, c’est pour cela que nous l’indiquons dans leur dossier ce détail là.
Les acheteurs font ce qu’ils veulent avec leurs humains, mais je sais que certains ont des pratiques qui sortent de l’ordinaire, il semblerait que certains apprécient particulièrement ceux qui n’ont eu aucune expérience sexuelle auparavant, et ils sont prêts à payer le prix fort, si vous voyez ce que je veux dire. Quoi qu’il en soit, tous nos humains sont majeurs, nous sommes sérieux ici.

Marianne ne se sentait pas bien, une certaine colère montait en elle. Cette jeune fille qui était sur ce papier allait se faire acheter pour devenir une sorte de jouet sexuel, pour un pervers adorateur de vierges ?
La vendeuse vit que cela la mettait mal à l’aise et tenta de la rassurer.

— Ne vous inquiétez pas, elle a décidé en pleine âme et conscience d’abandonner son humanité, elle savait dans quoi elle s’engageait et tout acheteur doit s’occuper convenablement de son humain. C’est sur le contrat et si on ne le respecte pas, on risque des poursuites judiciaires.
Marianne était révoltée, et elle ne pouvait rien y faire.
La vendeuse rangea le dossier et lui montra d’autres profils qui pourraient l’intéresser.

— Je vois que vous préférez les femmes, j’en ai plusieurs qui sont disponibles et qui pourraient vous plaire. Celle-ci, elle a tout juste vingt ans, une brune aux formes généreuses, qu’en dites-vous ? Est-ce que vous préférez une docile ou plus farouche ? Je sais que certains aiment bien dresser et éduquer leur humain…

Marianne réfléchissait, elle observait les autres profils mais rien n’y faisait, elle avait flashé sur la blonde aux yeux bleus. Et surtout elle se demandait ce qu’elle foutait ici. Elle ne comptait pas acquérir quelqu’un.
Elle décida de pousser le délire plus loin, combien cela lui coûterait ?

— Dites-moi. C’est possible de les voir en vrai avant ?
— Oui bien sûr. Laissez-moi juste le temps de fermer l’entrée avant de vous emmener dans les coulisses.

La gérante semblait être la seule personne à s’occuper des lieux, du moins, à cette heure si tardive.
Elle la suivit et elles arrivèrent dans un long couloir avec des portes tout du long.
Il y avait des vitres qui donnaient sur chacune des cellules qui servaient de chambre personnelle.
Certaines personnes avaient des camisoles de force et Marianne en avait des sueurs froides. Était-ce de la maltraitance. Elle avait déjà entendu des histoires mais le fait de pouvoir voir cela de ses propres yeux était diffèrent.

— Ne vous inquiétez pas, les vitres sont teintées.
— Pourquoi sont-ils dans des cellules individuelles, ainsi… ?
— C’est pour éviter qu’ils se battent. Cela serait fâcheux qu’ils se blessent, d’où les camisoles pour certains. Les troubles psychologiques ne sont pas rares sur le marché… malheureusement, mais c’est comme ça.

La vendeuse haussa les épaules.
Ils savaient que c’était une vitre teintée, pour certains.
Et les bruits de pas, même étouffés, arrivaient à leur parvenir, ils étaient aux aguets des clients potentiels.
Certains faisaient exprès de retirer leurs vêtements pour se mettre en valeur, aguicher et avoir un espoir de se faire adopter.
D’autres étaient en camisole de force et même avec une protection dans la bouche pour les empêcher de crier. Difficile de croire qu’ils se soient rendus de leur propre volonté ici.
Marianne reconnut la jeune fille qu’elle avait vu sur la fiche, et elle ne put détourner son regard.
Elle n’avait pas de camisole de force, juste un simple t-shirt manches longues et un bas de pantalon presque trop large pour elle.
Elle était allongée sur le lit simple, par-dessus la couverture, le regard bleu dans le vide. Mélancolique. Elle semblait attendre une sentence.
Les pas de Marianne s’arrêtèrent devant sa cellule et la vendeuse le remarqua.

— Combien ?
Demanda Marianne.

La vendeuse soupira.

— Venez, retournons dans mon bureau pour discuter.

Elle réussit à faire bouger Marianne.
De retour dans un environnement plus adéquat pour traiter de ce genre de sujet, la gérante commença par lui exposer la situation.

— Je n’ai pas encore eu le temps d’estimer son prix. Vous savez, chez nous, les humains sont bien traités et nous tenons à tracer leur origine, pour que vous soyez certain que nous ne forçons personne contre son gré à devenir notre produit. Nous sommes très à cheval sur la procédure.

*

Marianne avait insisté.
Elle ne savait pas trop pourquoi elle-même.
Lorsqu’elle avait vu la jeune fille, son regard bleuté avait fixé dans la direction de Marianne. Elle savait que c’était une vitre teintée et qu’elle ne pouvait pas la voir. Ce n’était que le hasard, mais ses yeux avaient transpercé son cœur. Elle avait été frappée de plein fouet, et même si elle ne croyait pas au coup
de foudre, elle avait ressenti une émotion forte dans sa poitrine.
Elle était révoltée de savoir qu’il était possible que cette fille qui n’avait rien demandé, cette jeune femme à l’apparence d’une poupée, puisse servir d’objet sexuel à un pervers libidineux. C’était ce que la vendeuse avait sous-entendu, et Marianne savait que ce n’étaient pas que des rumeurs.
Elle ne pouvait pas sauver tout le monde, mais quelque chose en elle ne pouvait pas laisser cette potentielle victime se faire violer. Surtout si elle pouvait éviter cette situation. Elle n’était pas dupe, elle savait qu’elle avait eu un faible pour elle, elle ne pouvait pas se mentir et jouer les sauveuses pour se donner bonne conscience.
Elle s’ennuyait, c’est pour cela qu’elle jouait avec la vendeuse pour savoir si elle était capable de la pousser à lui vendre cette jolie blonde.

— Et si je payais le double de son prix.
— Pardon ? Vous n’êtes pas sérieuse ? Nous ne vendons pas aux enchères ici. Elle sera sur le marché lorsque que j’aurai finalisé son dossier. Et cela dépend du retour des analyses médicales.

Marianne savait qu’elle ne remettrait pas les pieds ici.
La partie avait assez duré, elle avait vu de quoi il en était et le paysage était triste, mais elle allait rentrer chez elle. Elle se leva et se décida à partir.
La blonde qui lui avait tapé dans l’œil deviendrait la propriété de quelqu’un d’autre. Elle priait intérieurement que son acheteur soit quelqu’un de pas trop pourri.

— Attendez… si vous tenez vraiment à cette fille… je peux vous la céder au prix de sa fourchette supérieure. Avec l’absence de son dossier médical, vous ne savez pas dans quoi vous vous engagez. Il est possible qu’elle soit malade ou qu’elle ait des antécédents qui diminuent sa durée de vie. Êtes-vous sûre ? C’est peut-être votre jour de chance, je sais que même si son dossier médical est mauvais, elle risque de partir rapidement.

La marchande, voyant Marianne se lever et sur le point de partir, interpréta ça comme une cliente de perdue.
Elle pouvait faire une vente même si elle transgressait une partie des règles, le dossier n’était pas complet mais dans quelques jours seulement, elle recevrait la totalité des documents. Elle ne pouvait pas vendre la jeune fille le double de son prix, même si la proposition de Marianne était alléchante. Cela ferait trop louche sur les comptes. Cependant elle pouvait la faire payer légèrement plus cher. C’était rare mais pas commun d’avoir un profil qui vale ce prix-là. Elle supposa que son dossier médical soit parfait et le calcul était fait par la machine. Cela n’arrivait jamais que l’état de santé physique soit sans tache. Tout le monde avait des antécédents ou des problèmes de santé minimes.

— Voilà à quel prix je peux vous la proposer

— Je pensais que vous étiez très à cheval sur le protocole et les démarches à suivre ?
Se méfia Marianne, à moitie moqueuse.

Le nombre de chiffres aurait pu faire fuir n’importe qui, sauf les personnes assez riches.
Marianne ne broncha pas.
Elle leva un sourcil. Était-ce cela, le prix de la vie ?

— On peut convenir d’un arrangement. Je devrais avoir les documents manquants dans la semaine et je vous en enverrai une copie.
— C’est tout ?
— Si vous finalisez votre achat, je vous remettrai une valise avec les documents que vous devrez conserver, telle que sa carte d’identité, son dossier, le certificat d’adoption, ainsi que ses affaires personnelles à son arrivée ici.

La vendeuse ne pouvait pas proposer plus ni mieux.
C’était ce prix et rien d’autre, pour faire un léger écart dans la vente.
Elle attendait que Marianne se décide.
Marianne ne savait pas ce qu’elle faisait.
Elle était venue juste pour une simple visite, pour assouvir sa curiosité, elle ne comptait pas consommer.
Et pourtant, elle était sur le point de faire une énorme bêtise.
Le prix affiché n’était pas un problème. Elle avait les moyens de payer sans prendre de prêt.
Elle ne pensait pas qu’elle serait capable d’acheter cette pauvre fille paumée mais qui l’attendrissait.
Elle hésitait mais son cœur parla pour elle, elle fit quelque chose de stupide.
Elle dit oui.
La vendeuse remarqua que Marianne mettait un certain temps avant de se decider et lorsqu’elle tendit sa carte bancaire, elle se dépêcha de l’enregistrer, de peur qu’elle ne change d’avis.

— Comptant ou à crédit ?
Demanda-t-elle

— Comptant.
La voix de Marianne était distante.

Elle ne réalisait pas encore ce qu’elle venait de faire.
C’était trop tard, elle venait d’acquérir quelqu’un. Dans quoi elle s’aventurait.
La vendeuse finalisa le paiement et rendit la carte à Marianne.

— J’aurais besoin de votre carte d’identité, également…

Marianne lui tendit la carte.

— Nous gardons dans notre base de données ces informations, au cas où il y aurait un problème…
— Oui oui, je comprends.

La vendeuse n’arrivait pas à croire qu’elle venait de conclure une telle vente. Le bonus sur le prix était conséquent. Au vu de la réaction de Marianne, elle savait qu’elle n’avait pas affaire à n’importe qui.
Elle avait l’habitude de traiter avec des clients fortunés, et Marianne n’était certainement pas la plus riche d’entre eux, mais elle était aisée et il ne fallait pas l’oublier.

*

Les papiers signés, la vendeuse s’était absentée pour aller chercher les affaires ainsi que la marchandise.
Marianne était restée seule dans le bureau, ne réalisant pas encore son acte.
Un quart d’heure s’était peut-être écoulé avant qu’elles reviennent toutes les deux, une valise à la main.
La fille aux cheveux blonds avait l’air encore plus perdue qu’elle.
Elle ne pouvait plus revenir en arrière.
Elle était dans la même tenue que dans sa cellule, un simple t-shirt aux manches longues trop grand, et son pantalon trop large.
La vendeuse les accompagna jusqu’à l’entrée et les observa partir.

Marianne ne savait pas comment réagir. Son rythme cardiaque était devenu irrégulier, les mains un peu moites, elle prit la valise et retira son manteau pour le poser sur les épaules de la jeune fille.
Elle ne pouvait pas la laisser sortir avec juste ça sur le dos, il faisait nuit et les températures n’étaient pas hautes.
Elle l’invita à la suivre, elles sortirent de la boutique.
Elles se dirigèrent vers la voiture, Marianne ouvrit le coffre pour y poser sa valise et voyant que la fille ne bougeait pas, elle lui dit de s’installer sur le siège passager. Elle s’exécuta sans rien dire.
Marianne la ramena à son appartement.

2022.01.13

Deux

L’une, au visage un peu plus dur et carré. Même son choix de coiffure laisse supposer sa rigueur au quotidien : les cheveux plaqués, réunis et attachés dans une queue de cheval haute. Noirs, brillants, lisses. Ils retombent tout de même avec légèreté et souplesse dans son dos.
Dans sa robe de soirée noire, moulante qui lui va comme un gant. Elle est plutôt fine mais musclée, une poitrine pas très généreuse mais bien ferme.
Elle ne porte pas de soutien-gorge.
Le dos nu de sa robe.
Le lacet-ruban qui passe derrière sa nuque.
Elle a des origines asiatique, la peau légèrement jaune et les yeux en amandes.
Les talons pas trop hauts, ni trop fins. Juste de quoi mettre en valeur sa silhouette et ses courbes féminines.
La couleur est bien choisie.
Le tissu est fluide mais assez épais pour ne pas être trop fragile. Incrusté de quelques paillettes discrètes qui s’illuminent lorsque les lumières se posent dessus.

À son bras, une autre jeune femme.
À la peau pâle qui contraste avec la précédante et sa robe foncée. Des cheveux blonds et très fins, légèrement ondulés et courts, juste au dessus des épaules. Quelques mèches sont ramenées derrière sa tête.
Elle a des boucles d’oreilles en forme de perles discrètes.
Un léger gloss sur ses fines lèvres pâles.
Un ruban blanc crème autour du cou et une belle robe blanche ivoire sur ses épaules.
Le bas est un peu plus fluide et volant, les lanières sur les épaules forment un noeud.
Des petits talons ornent ses pieds.
Elle a l’air plus jeune, et ne semble pas à l’aise en ces lieux.
Ses yeux n’arrivent pas à se poser sur un sujet et sa tête ne trouve pas le repos.

— Détends-toi, tout ira bien.
Lui murmure son amie, tout en posant sa main sur son bras pour la rassurer, elle se penche légèrement vers son oreille.

C’était une soirée particulière, un évènement auquel il fallait assister pour bien-être vu et elle avait hâte d’y emmener sa petite protégée, malheureusement trop stressée pour profiter de la nuit.
Quelques personnes importantes étaient présentes ici.

2020.03.11

Convalescence

Amenée en salle d’opération puis de réanimation.
Elle fut ensuite assignée dans une chambre.

Duncan avait appelé Marianne pour la prévenir.
Il s’était rendu à l’hôpital juste après et Marianne était arrivée aussi vite que possible.
Ils étaient tous les deux dans la salle d’attente.
Il faisait nuit et il n’y avait pas grand monde à part quelques urgences, ce qui était déjà pas mal.
Totalement essoufflée elle se tint les genoux pour reprendre sa respiration lorsqu’elle vit Duncan.
Il la regarda surpris.

— Tu n’avais pas besoin de venir aussi rapidement… tu sais ?
Dit-il pour détendre l’atmosphère.

— … Où est Annabelle… ?
Réussit-elle à prononcer entre plusieurs respirations.

— … Elle est en salle de réanimation.
Répondit-il en reprenant son sérieux.

Il changea de ton et baissa la tête.

— Raconte-moi ce qu’il s’est passé.
Dit-elle, après avoir finalement repris son souffle.

Elle lui donna une tape dans le dos pour le rassurer, également pour se rassurer.
Ils s’assirent sur des chaises à côté d’un distributeur et il expliqua à Marianne les évènements.

— Je suis désolé…
Dit-il après avoir fini.

— … Ce n’est pas ta faute, elle s’est mise devant toi. Tu n’as rien à te reprocher… si tu es fautif je le suis tout autant de l’avoir jetée dans tes pattes.

Elle essaya de rester calme et de consoler son ami mais sa voix tremblait.

— Elle va se réveiller, c’est une battante.
Dit-il à haute voix, comme une prière.

— Au fait, il ne faut pas prévenir sa famille ?
Demanda t-il soudainement.

— … Non, elle est majeure et je suis désignée comme sa tutrice. C’est un peu compliqué mais elle ne souhaite pas revoir ses parents…

Un infirmier vint les voir au bout d’un moment.

— Vous êtes les proches de la patiente qui a pris une balle, c’est bien ça ?

Ils acquiescèrent.

— J’aurais besoin que vous remplissiez quelques documents.

— Est-ce qu’elle va bien ?
Demanda Marianne inquiète.

— Ah, oui. Excusez-moi, j’ai omis de vous dire que son état s’est stabilisé, elle ne recevra pas de visite avant demain. Après ces documents, rentrez chez vous et reposez vous. Elle devrait être reveillée pour demain.
Expliqua t-il, lui-même exténué de sa journée.

— Merci monsieur.
— Merci à vous, bonne soirée.
— Bon courage.

*

Annabelle se réveilla la tête embrumée.
Elle vit qu’elle était dans un lit et une chambre qu’elle ne connaissait pas. Tentant de se remémorer les derniers évènements.
Ses sens revinrent progressivement et elle sentit une douleur d’abord gênante, puis plus présente jusqu’à vraiment lui faire mal.
Elle essaya de bouger mais son corps tout entier la faisait souffrir et elle préféra s’écouter sagement et bouger le moins possible pour se ménager.
Elle observa minutieusement les alentours et elle put deviner qu’elle était dans une chambre d’hôpital.
Sa mémoire lui revint lentement.
Elle prit son mal en patience et attendit, fermant les yeux et essayant de se rendormir jusqu’à ce que quelqu’un lui explique la situation.

Une infirmière entra la voir et sembla surprise de la voir éveillée.

— B-bonjour. Comment vous sentez-vous ?
Demanda t-elle.

— Bonjour…
Sa voix était un peu rauque.

*

Quelques jours après, Annabelle demanda à sortir mais les médecins durent la forcer à rester au repos pour que son corps puisse guérir complètement.

La semaine écoulée, après son réveil, elle put finalement rentrer chez Marianne.
Duncan s’était arrangé pour se libérer et l’accueillir à la sortie de l’hôpital, il avait rassemblé ses affaires pour lui rendre. Entre temps il avait apporté des vêtements de rechange puisque les anciens étaient imbibés de sang et abîmés.

Marianne conduit Annabelle dans son entreprise, chez elle. Là où elle avait sa chambre.

2019.11.14

Visite

Marianne inquiète comme jamais, s’était assise au chevet d’Annabelle et lui serrait la main dans les siennes.

— Ne me refais plus jamais une frayeur comme celle là…
Disait-elle avec émotion, des trémolos dans la voix.

Elle posa son front sur sa main.
Duncan était derrière et observait la scène, spectateur et à la fois ému de la relation entre ces deux femmes.
Se sentant de trop dans cette pièce.

— Je dois passer un appel…
Mentit-il pour les laisser seules.

Il sortit et attendit dans le hall.
Il se dirigea vers l’entrée, et s’assit sur un des nombreux sièges libres. Il poussa un long soupir et se prit le visage dans les mains. Perdu dans ses pensées, laissant aller ses émotions.
Rassuré qu’Annabelle se soit réveillée, et redécouvrant ce doux sentiment d’affection qu’il ressentait à son égard.
À la fois fustré de voir que ses sentiments plus forts étaient certainement à sens unique.
La fatigue ne l’aidant pas, il ne savait plus trop quoi penser pour se vider la tête.

— … Je suis tellement désolée… si je ne t’avais pas demandé de l’assister…
Marianne n’eut pas le temps de finir.

2019.11.11

Décrocher

Retour au quotidien
Duncan

Il quitta les lieux un peu précipitamment, laissant Annabelle retourner auprès de son employée, ou plutôt sa propriétaire.
Rien qu’en y pensant, il passa sa main dans ses cheveux et soupira. Ce séjour imposé était enfin fini.
Il retourna s’installer dans sa voiture, après avoir attaché sa ceinture, inconsciemment il jeta un coup d oeil sur son siège passager.
Il avait pris l’habitude de le faire.
Il poussa un autre soupir en le voyant innocupé et demarra le moteur.

Il repensa au jour de son arrivée et étrangement, lorsqu’il ouvrit la porte de son appartement, il ressentit comme un vide.
Son air maussade était revenu et il se dirigea de manière nonchalante vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur en quête de nourriture.
Il commençait à se faire tard et il était déjà l’heure du dîner.
Il fut d’abord surpris, puis il eut un sourire jusqu’aux oreilles en voyant qu’il y avait des petits plats préparés accompagnés de quelques mots.
« Manger avant le… » ainsi que le nom du contenu.
Il en choisit un au hasard, les dates étant les mêmes.
Il le réchauffa et le mangea dans son salon, sans aucun bruit. Il était bien trop occupé à réfléchir et à se perdre dans ses propres pensées.
Il se remémora les quelques jours qui ne furent pas aussi longs, ni aussi pénibles qu’il l’avait imaginé.

Après avoir débarassé et fait la vaisselle, il alla se déshabiller et faire sa toilette de nuit.
Les vêtements sales dans la corbeille à linge sale, il les jeta par dessus ceux qu’il lui avait prêtés en lieu de pyjama.
Il se rendit dans sa chambre pour s’écrouler dans son lit, sur la couverture.
Il était sur le dos au milieu du lit, il resta un moment ainsi puis se tourna du côté gauche.
C’était de ce côté-ci qu’elle avait dormi, et il sentit une odeur différente, la sienne.
Ce n’était pas une odeur désagréable, c’était celle de sa peau. Il s’approcha et enfouit son visage dans le côté de sa couverture, et inspira.
Il s’arrêta un instant, encore perdu dans ses pensées.

Son téléphone sonna.
Il décrocha.

2019.09.19

Dossiers

Quelqu’un sur qui compter.
Marianne s’écroula sur le sol de son bureau.
Annabelle, entra par la porte entrouverte, après avoir entendu le bruit de la chute. Inquiète.
Marianne était sur le côté, le front en sueurs et les cheveux humides. Ses mèches collaient sur sa peau et jonchaient sur le sol.
Annabelle accourut aussitôt. Elle s’accroupit à ses côtés et toucha son pouls. Sa température n’était pas habituelle et sa respiration difficile.
Avec difficulté, elle tenta de la porter et l’allonger sur le divan dans le bureau.
Elle retourna chercher de quoi éponger le visage de sa patronne, et la rafraîchir par la même occasion.
Pendant qu’elle se reposait, Annabelle reprit les tâches de Marianne en rangeant son bureau, et en triant ses dossiers. Elle éteignit l’écran de son ordinateur en prenant soin de mettre en veille sa session au préalable.
Lorsqu’elle reprit ses esprits, Annabelle avait préparé de quoi la requinquer.

— Mademoiselle, il faut prendre soin de votre santé…
Soupira t-elle.

— … J’ai dormi pendant combien de temps ?
Demanda t-elle, un peu irritée.

— Quatre bonnes heures, je dirais… ?
Réfléchit-elle à haute voix.

— J… j’avais des dossiers urgents à finir.
Dit-elle exaspérée et souhaitant se relever sur le champ.
Elle la retint de bouger.

— Je m’en suis occupée, en partie.
La rassura t-elle.

— Les dossiers les plus urgents sont préparés et vous n’aurez qu’à les finir quand vous serez remise sur pieds.
La sermona t-elle.

Elle la remercia.

— Comment faisiez-vous quand je n’étais pas là… ?
Dit-elle exaspérée.

— J’étais bien embêtéee…

2019.09.14

Curriculum Vitae

Assit dans le fauteuil juste en face du bureau.
À la fois décontracté et tendu.
Il se demandait ce qu’il faisait là.

— Ne fais pas cette tête. Je sais que tu mourais d’envie de revenir me rendre visite.
Lui dit-elle, exaspérée.

— Je ne vois pas où tu veux en venir…
Lui répondit-il en détournant son regard.

— Fais pas ton timide, tu attendais juste une bonne raison pour faire le déplacement. On ne me la fait pas.

— Bon bon, si tu veux.
S’avoua t-il, vaincu.

— Tu vas me le demander directement ou il faut que je te livre tout sur un plateau, cher ami ? Le taquina t-elle.

Elle semblait prendre un malin plaisir à le voir embarrassé à ce point.

— Q-quoi… de neuf, depuis la dernière fois… ?
Finit-il par articuler, avec le plus grand mal.

Elle soupira.

— Comment tu vas, toi ? La dernière fois tu avais l’air en pleine dépression.

Il se remémora rapidement cette période et son visage s’assombrit subitement.

— Ça va mieux… C’est certain.

— Elle te manque… ? Ma petite Annabelle.
Dit-elle avec sincérité et compassion.

— Si on veut.

Il joua également la carte de la sincérité.

— Je sais qu’on a pas eu l’occasion d’en parler l’autre fois, mais elle m’a terriblement manquée lorsqu’elle était avec toi. C’est mon assistante et même plus. Elle m’est indispensable. Je songe même à l’ajouter sur mon testament. Elle manque encore d’un peu d’expériences mais je lui lèguerai ma firme. Je sais que ce que j’ai construit serait entre de bonnes mains si c’était elle. Je ne crois pas t’avoir raconté son histoire.

Il l’écouta avec attention. Toutes les informations à son sujet étaient bonnes à prendre.
Il l’incita à continuer, d’un hochement de tête et d’un mouvement de main.
Elle prit une grande inspiration.

— Ça risque d’être un peu long.

*

Elle arriva avec une petite malle. Des vêtements sobres : une chemise et une robe longue. Ses cheveux étaient longs et attachés en une tresse.
Elle venait pour une candidature spontannée.
Elle tremblait un peu et semblait anxieuse mais avec tout son courage elle aborda l’accueil.

— Non mademoiselle, nous ne cherchons personne actuellement.

Il souhaitait la renvoyer aussi vite qu’elle était arrivée, le ton était froid.
Elle insista.

— Veuillez au moins prendre mon CV… et cette lettre de motivation.
Ajoutait-elle en sortant les papiers de sa malle.

Elle-même embarrassée d’avoir fait le déplacement pour rien.
L’hôte ne savait pas comment réagir à cette situation.

— Mademoiselle…

La directrice passait par hasard et voyant l’hôte avoir du mal, elle observa la scène de loin pour jauger de la pertinence de son intervention.
Touchée par la sincérité dans cette jeune fille, elle s’approcha du guichet.
L’hôte, voyant la gérante arriver pensa avoir mal géré cette situation et s’excusa aussitôt.

— Madame, veuillez m’excuser-

Elle l’arrêta d’un geste.

— C’est bon, je prends la relève. Bonjour, que puis-je faire pour vous ?
S’adressa t-elle directement à la visiteuse, avec un sourire bienveillant.

Trop gênée d’avoir en face d’elle, la directrice en personne, elle bafouilla maladroitement.
La directrice tendit sa main vers l’employé et il lui tendit les papiers. Elle jeta un oeil rapide au CV et à la lettre de motivation manuscrite. L’écriture était appliquée et fluide.

— Je vous invite à continuer cette conversation dans mon bureau… mademoiselle Estival ?
Dit-elle en lisant le nom sur le papier.

Installée dans le fauteuil, elle était plus que tendue et l’assurance dans la personne qui lui faisait face la destabilisait. Elle se mettait la pression pour faire bonne impression.
La directrice s’installa derrière son bureau et continua la lecture de la lettre de motivation.

— Je vous écoute, vous souhaiteriez travailler ici ? Je lis dans votre lettre que n’importe quel poste vous irait.

Elle restait silencieuse, de plus en plus tendue.

— Détendez-vous, je suis curieuse de ce qui vous motive à travailler dans mon établissement.Votre CV est intéressant mais il ne me dit pas ce que vous valez sur le terrain.

2019.09.14

Bercail

Retour au bercail.
Elle entra dans le bureau.
À peine la porte fermée, elle lui sauta dessus, en l’enlaçant.

— Tu m’as terriblement manquée… je ne sais rien faire sans toi… Ces derniers jours furent longs…
Chouinait-elle.

— Mademoiselle… n’exagérez pas…
Répondit-elle gênée.

Elle reprit son sérieux et l’interrogea.

— Comment s’est passé ton sejour ? Raconte moi ! Comment est ce cher Duncan en privé ?
Questionna t-elle, curieuse.

— Bien… il est… gentil ? Il m’a prêtée un de ses vêtements pour dormir…
Réfléchissait-elle, en essayant de rester concise.

— Oh ? Je vois, comment était son appartement ? Est-ce qu’il y avait une chambre d’ami ?

— L’appartement était bien entretenu, je n’ai pas eu énormément de travail. Il n’y avait pas de chambre d’ami, nous avons partagé son lit.

*

Elle reprit ses fonctions et ses habitudes auprès de sa patronne.
Alors qu’elle servait le thé, Marianne qui était derrière son bureau, dans son siège, attrapa son employée par la taille.

— Je suis contente que tu sois rentrée… tout est plus simple lorsque tu es à mes côtés…
Avoua t-elle en enfonçant son visage dans la taille et l’uniforme de la jeune femme.

*

Retour au quotidien de Duncan.
Il conduit et jette un regard sur le siège passager qui est maintenant vide. Il soupire en se rappelant qu’elle n’est bien évidemment, plus là.
Arrive chez lui, après avoir fermé la porte de son appartement.
Il se sent seul, et il a du mal à se l’avouer mais sa présence lui manque déjà.
Il ouvre son réfrigérateur et voit quelques plats préparés avec des petits mots.
« À manger avant… » ainsi que le nom du plat.
Il sourit et attrape le plat avec la date la plus proche pour le réchauffer au micro-ondes.

Il s’allonge dans son lit.
Il roule du côté où elle avait dormi durant son séjour, et essaye de sentir s’il reste son odeur.
Il réunit la couverture de ce côté du lit entre ses bras et plonge son visage dedans.

— Qu’est-ce que je fais, sérieux… ?!
Pense t-il.

Son coeur bat à tout rompre, et il ressent quelque chose au creux de sa poitrine.

Son téléphone sonne.

— Allô ?
Décroche t-il.

— Salut, c’est moi.

Il reconnait sa voix et exaspère déjà.

— Qu’il y a t-il ?

— Je voulais juste savoir comment tu allais… et j’attends que tu me racontes comment s’est passé le séjour avec ma petite Annabelle… alors alors ?
Dit-elle curieuse.

— Tu n’as pas voulu rester pour me le raconter de vive voix.

— Ok…
Accepta t-il à contre-coeur.

— Tout s’est relativement bien passé, elle est en effet compétente et plutôt… agréable.
Reconnut-il, en rougissant.

Il était rassuré que son interlocutrice ne se trouve pas dans la même pièce que lui.

— Je suis contente de te l’entendre dire.
— Je suis surpris de son efficacité en tant qu’assistante, elle m’a vraiment été d’une aide formidable. Est-ce qu’elle a suivi une formation en particulier ? Je songe à vraiment engager quelqu’un. Ça m’a fait gagner un temps fou dans mes dossier.
— Non, elle fait à l’instinct. Parfois elle pose des questions très simples et évidentes pour nous, et c’est ça qui me le rappelle…

— Bon, par contre, tu peux m’expliquer ce qu’elle fait toute nue avec toi… ?
Demanda t-il encore plus rouge.

— Comment ça… ?!
— Elle s’est déshabillée dans ma chambre pour dormir dans mon lit.
Dit-il d’une traite.

Il l’entendit rire à l’autre bout du combiné.

— Tu as fini… ?
Dit-il vexé.

— Non, enfin oui, plus sérieusement. Tu as réagi comment ?

Elle avait reprit son sérieux.

— … À ton avis ? Je lui ai jeté un pyjama ! Déjà que partager mon lit avec elle était gênant… !!!

— Ah, elle a quand même dormi avec toi. N’est-elle pas mignonne quand elle dort ?
Dit-elle, totalement gaga de son assistante.

— Oui- enfin, certes mais c’est pas la question. Est-ce qu’elle t’a parlé de quelque chose qui s’est passé… ?
Se racla t-il la gorge.

— … Non… ? Quel genre de chose ?

Elle réfléchissait mais ne trouvait pas.

— À mon bureau…
— Oui… ?
— Bon, en bref elle s’est fait emmerder par un de mes collègues, et elle n’était pas super à l’aise avec son comportement de forceur… j’ai dû intervenir.
— Oh…
— Ce que je veux dire par là, c’est qu’elle risque de se faire aborder de cette manière à l’avenir, et… il n’y aura pas toujours quelqu’un pour la tirer d’affaire.

— Ah ! Tu es inquiet pour elle ! C’est chou !
S’exclama t-elle.

— Je suis sérieux Marianne. Elle avait vraiment pas l’air bien en face de ce… trou de balle.
— Ok ok, je vais voir ce que je peux faire, je vais en discuter avec elle… Dis ?
— Hm ?
— Tu ne te serais pas un peu attaché à elle ?

— Pfff- q-q-qu’est-ce que tu racontes ?
Baffouilla t-il.

— Je suis sûre tu es en train de renifler le pyjama que tu lui as prêté, ou un truc dans le genre.

— Pour qui me prends-tu !? Allez je raccroche, demain je bosse !

Il coupa net.
Puis pensant à ce quelle venait de dire, il alla dans sa salle de bain pour regarder dans le panier à linge sale.
Le pyjama qu’elle avait porté était dedans.
Il hésita quelques secondes. Puis il prit le tissu.
Hésitant quelques secondes de plus. Il finit par le porter à son visage et inspira profondément.

Elle coupa son téléphone, contente d’elle.
Elle était dans une autre pièce de son appartement, qui faisait partie intégrante de l’entreprise.
Elle retourna dans la chambre, sur le lit deux places, Annabelle était endormie enroulée dans la couverture.
Lorsque Marianne s’assit sur le rebord du lit, elle se réveilla à moitié.

— Vous étiez au téléphone… ?
Demanda t-elle, les yeux encore clos.

— Oui, excuse-moi, je t’ai réveillée. C’était Duncan.

Elle était en peignoir et nue en dessous, elle le retira pour le poser sur un support près du lit et se glissa également sous la couverture.
La lumière était basse pour ne pas perturber le sommeil.
Annabelle était sur le côté du lit et se tourna sur l’autre côté pour faire face à Marianne, toujours les yeux clos.
Marianne s’allongea également sur le côté pour se retrouver en face.
Elle l’embrassa sur le front , éteignit la lumière et s’endormit.

2019.08.25

Hall

Le sejour se déroula sans encombre.
Malgré une petite intervention de Duncan.

Alors qu’elle se baladait dans les couloirs des bureaux, en revenant des toilettes. Elle se fit aborder par quelques hommes qui souhaitaient en savoir plus sur elle, et l’inviter à dîner.
Gênée par leurs demandes, elle essaya de décliner leur offre mais elle fut intimidée par leur manière de faire plutôt insistante.
Il s’inquiétait un peu et passa voir ce qui se tramait à quelques pas de son bureau.
Il vit son assistante assaillie et mal à l’aise. Il pressa le pas pour s’interposer et décliner de manière plus sèche les invitations forcées des hommes.

— Ça suffit ! C’est quoi ces manières ?! Que je ne vous vois plus lui tourner autour !
Dit-il énervé.

Il se tourna vers elle.

— Ça va ? Je suis désolé que tu aies dû subir ça… il ne faut pas hésiter à les envoyer paître, tu sais.
Sourit-il, embarrassé.

Elle semblait ne pas retrouver le sourire et garda la tête baissée, gênée d’avoir montré un tel spectacle et honteuse qu’il ait dû intervenir.

— Hé, tu n’y es pour rien.
Tenta t-il de la rassurer.

— On y va… ?
Dit-il en restant derrière elle.

*

Dans la voiture, il conduisait vers chez Marianne.

— J’espère que tu as tout de même passé un moment agréable durant ce séjour imposé…
Commença t-il.

Il n’arrivait pas à croire que ces quelques jours étaient déjà passés et que ça n’avait pas été aussi contraignant qu’il l’aurait imaginé.

— C’était très bien, merci beaucoup pour votre hospitalité. J’espère que j’ai été à la hauteur de mes fonctions.

Ils restèrent silencieux le reste du trajet.
Arrivés dans le hall, après avoir garé la voiture.
Marianne était au comptoir en train de discuter avec l’hôte d’accueil et elle fut agréablement surprise de les voir.

— De retour ? J’ai eu peur que tu ne veuilles pas me la rendre.
Blagua t-elle.

Elle fit signe à Annabelle de s’approcher et elle l’enlaça avec tout l’amour qu’une mère puisse avoir pour son enfant.
Elle lui rendit son étreinte et Duncan songea à l’idée de garder un peu plus longtemps Annabelle. Un peu jaloux de cette étreinte et de la relation que partageait ces deux femmes. Il attendit gêné, qu’elles finissent.

— Tout s’est bien passé ?
Murmura t-elle dans son oreille.

— Oui, mademoiselle.
Répondit-elle de sa douce voix.

Elle se retourna pour faire face à Duncan et elle s’inclina pour remercier Duncan et lui dire aurevoir.
Et elle s’en alla avec sa malle dans les étages.
Laissant Marianne avec lui pour discuter entre eux.

— Tu veux qu’on aille dans le bureau pour parler ?
Proposa t-elle, joyeuse de retrouver sa protégée.

— Non non, ça ira, je vais y aller.
Refusa t-il poliment.

— T’es sûr… ? Tu ne me déranges pas tu sais. Qu’est-ce que tu en as pensé ? Est-ce que tu te sens mieux… ?
S’enquit-elle.

— Oui, je ne vais pas tarder. Merci. Je reconnais que c’était pas trop… chiant… je me sens… un peu mieux.
— « Pas trop chiant » hein… ?
— Ok ok, c’était rafraîchissant. Elle m’a énormement aidé au bureau.

— Elle t’a accompagné au bureau, donc ?
Répétait-elle, intéressée et amusée.

Il soupira et tourna les talons pour repartir, en faisant un signe de main pour dire aurevoir.

— Rentre bien !
Dit-elle joyeusement.

Elle resta accoudée sur le comptoir et échangea un regard avec l’hôte.

— Tu crois qu’elle lui a plu ?
Demanda t-elle sournoise.

— En tout cas, elle ne l’a pas laissé indifférent.

Elle était dans sa chambre et rangeait ses affaires.
Elle empila soigneusement les tenues qu’il lui avait offertes.
Elle ne put s’empêcher de sourire tendrement en repensant à ce geste.
Puis elle reprit ses esprits pour retourner auprès de Marianne qu’elle recroisa dans les escaliers.

— Dans mon bureau.
Ordonna t-elle.

2019.08.24