Sombre

Dans la forêt.
Une douce odeur l’interpela.
Elle suivit son odorat jusqu’à une entrée de grotte, l’odeur était encore plus forte.
C’était une odeur qui était alléchante, mais cela ne ressemblait en rien à ce qu’elle connaissait.
Pourtant, une certaine nostalgie s’en dégageait.
Cela faisait plusieurs jours qu’elle s’était aventurée dans cet endroit, en ayant aucun espoir de survivre.
Mais cette odeur l’avait intriguée, son ventre criait famine.
Elle pénétra dans la grotte, la lumière du jour s’y engouffrait un peu. L’odeur était de plus en plus forte, elle continua de s’approcher, sans se méfier.
Une voix retentit et la força à s’arrêter.

*

C’était une forme inhumaine qui se tenait devant elle.

*

Elle dormait dans ses bras.
Ce qui lui servait de bras, car il n’avait rien d’humain.
Blottie contre lui, contre sa peau gluante, légèrement tiède. Sa tête avait des énormes globes occulaires et les muscles de sa mâchoire visibles, ses dents étaient pointues et beaucoup plus nombreuses.
Acerés comme des couteaux.
Il n’avait pas de nez, simplement des nasaux.
Les oreilles étaient également absentes, ce qui ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas entendre. Des cavités discrètes servaient à cela.
Il n’avait pas un seul poil. Sa peau était lisse par endroit et luisante mais au toucher, elle était moelleuse et collante. C’était sa manière d’attraper ses proies avant de les consommer.
Et elle, elle était collée à lui, enveloppée dans ce qui lui servait de bras ou de tentacules, elle se maintenait au chaud de cette manière, grâce à lui.
Seule sa tête dépassait pour lui permettre de respirer.
Il ne l’avait pas dévorée.

*

Lorsqu’elle le vit la première fois, c’était une masse énorme immobile mais qui semblait respirer, grossissant et se rétractant faiblement.
Il faisait trop sombre pour réussir à distinguer les détails et la couleur. C’était sombre, et à la fois brillant parce qu’elle pouvait voir le reflet de la lumière derrière elle. Elle ne savait pas ce que c’était et elle était trop curieuse, ne craignant pas le danger, elle se rapprocha. Etait-ce vivant ? Si c’était le cas, c’était en train de dormir.

*

Une sorte de bête.
Sa gueule, ses crocs, ses griffes, ses pattes.
Sa fourrure.
Il sentit l’odeur humaine pénétrer son antre.

Elle cherchait un endroit où s’abriter. La pluie s’était mise à tomber comme des cordes, elle avait été surprise.
Habillée d’un pull à col roulé, un pantalon rentré dans ses chaussures mi-hautes, un gros manteau qu’elle avait entrouvert.
Elle portait un bonnet qu’elle retira aussitôt qu’elle entra dans la grotte.
Elle était trempée et se mit à retirer ses chaussures, son manteau.
Elle se trouva un endroit sec et s’endormit.
Trop fatiguée de ses quelques jours en extérieur.
Elle se recroquevilla sur elle-même et tenta de se réchauffer comme elle put.

La forme de vie étrange était immense.
Elle se rapprocha lentement et tenta de sentir si cet humain était comestible.
Sa patte faisait la taille de la moitié de son corps, il aurait pu l’écraser et la tuer.
Elle avait l’air vulnérable.
C’est ce qui l’intrigua.
Peu de personnes s’aventuraient par ici, et ceux qu’il avait pu voir avaient cherché à le blesser, le tuer, effrayés par son apparence.
Depuis, il avait eu beaucoup moins de visite. Etrangement.
Il hésitait, peut-être devait-il la tuer avant qu’elle ne se réveille, mais il resta là, à la contempler.
Elle dégageait une légère odeur alléchante.

Elle se réveilla, elle avait sentit une présence et elle ouvrit les yeux.
Elle vit une ombre au dessus d’elle et elle paniqua, ne sachant pas si elle était encore en train de rêver ou si c’était la réalité. Elle n’osa pas bouger, ses yeux observant ce qui la surplombait.
C’était fascinant, elle n’avait jamais rien vu de tel.
Etait-ce un animal ?
Il ne semblait pas méchant ni vouloir la dévorer mais il l’observait et elle faisait de même.

Sa fourrure, ses crocs, ses babines, ses pupilles, la respiration qu’il dégageait.
Il se rapprocha d’elle et posa son museau sur ses vêtements pour la renifler.
Elle essaya de ne pas bouger mais son coeur battait à tout rompre, elle avait peur, peur de faire un geste brusque.
Puis le museau remonta jusqu’à son visage, et les poils la chatouillèrent, elle ne put s’empêcher de sourire, de laisser échapper un petit rire.
C’était la première fois qu’il entendait cela, cela le surprit et il la regarda avec des yeux étonnés.
Elle craignit de lui avoir fait peur, alors elle lui tendit sa main, se relevant légèrement.
Il avait senti, elle n’avait aucune arme sur elle, il n’avait rien à craindre, normalement.

— Est-ce que je peux te caresser… ?
Avait-elle demandé, comme elle l’aurait fait à un animal.

D’une voix douce et fluette, qui résonna dans la grotte.
Il avait été enchanté par ce son.
Il se rapprocha, et elle glissa doucement ses mains dans sa fourrure.
Il frissonna. C’était bien la première fois qu’il recevait un contact de la sorte, c’était loin d’être désagréable, au contraire. Ces endroits qu’il ne pouvait lui-même atteindre et pas avec une telle douceur.
Ses petits doigts le chatouillaient presque.
Elle vit quel effet cela lui faisait et elle continua, timidement, en cherchant d’autres endroits qui pourraient lui plaire. C’était amusant.
Elle entendit un certain ronronnement, c’était étrange, un son qui résonnait à l’intérieur du corps de l’animal.

Soudain, il ouvrit sa gueule et attrapa le corps de la jeune fille dedans, sans fermer ses crocs sur elle.
Il l’emmena au fond de la grotte, où il faisait noir intense, il la déposa et s’en alla.
Il avait sentit une autre présence, mais cette fois-ci, c’était hostile.

Des humains étaient venus avec des armes, et ils cherchaient quelque chose.
Ils virent les vêtements laissés par la fille à l’entrée et ils paniquèrent.
Quand la bête revint vers eux, ils cherchèrent à la blesser avec leurs armes. Il ne se laissa pas faire et il les attaqua avec ses griffes, déchiquetant leur corps, ils furent projetés contre une paroi et il n’hésita pas à les achever en les écrasant d’une patte, de tout son poids.
Il savait que s’il les laissait en vie, ils risquaient de revenir et avec plus de force pour chercher à le tuer.
Il ne voulait pas risquer sa tranquilité.

Il revint vers l’inconnue qui était restée l’attendre au fond de la grotte.
Elle n’avait pas le choix, elle ne s’était pas encore habituée à l’obscurité.
Elle entendit le bruit se rapprocher, et la chaleur se blottir contre elle. Il demandait des câlins.
Elle avait entendu des cris et des grognements mais elle ne s’en inquiéta pas plus, elle aurait dû avoir peur mais non.
Elle avait un problème, elle ignorait le danger qu’était cette forme de vie qui aurait pu la tuer d’un seul coup.

Ils étaient devenus amis.

Lorsqu’elle se dirigea pour récupérer ses affaires.
Elle vit les corps sans vie. Elle comprit aussitôt.
Elle vit les armes.
Elle en ramassa une, et la bête se mit sur ses gardes.
Elle débarrassa les affaires et les corps pour les enterrer dans la forêt et elle revint. Les mains vides.
L’animal craignait qu’elle retourne les armes contre lui, mais elle n’en fit rien.
Elle s’approcha de lui et tenta de le consoler, comme si elle comprenait sa douleur d’être seul, d’être traqué.

— Je resterai à tes côtés.
Dit-elle, en le serrant comme elle pouvait dans ses bras.

— Es-tu sûre… ?
Répondit-il. Sa voix était grave, grondante, résonnant au fin fond de lui.

C’était la première fois qu’elle entendait une telle voix, comme si elle entrait en résonnance avec tout son être, elle était magnifique et à la fois si triste.
Elle resserra son étreinte.
Comme si sa destinée était de le trouver.
Elle qui n’avait aucun but particulier dans la vie, elle venait de rencontrer cet être qui semblait donner un sens à son existence. Le début d’une amitié, bien plus qu’une simple amitié.
Elle ressentait cette attirance, comme s’il comblait le vide qu’elle ressentait dans son coeur.
On lui avait toujours dit qu’elle était étrange, bizarre, et elle se remémora ces mots. Elle sourit. Ils avaient raison. Son coeur s’était mis à battre plus fort pour cet être solitaire, juste un instant. Elle s’était sentie bien. Acceptée avec toute son étrangeté.

Le temps passa et elle se défit de ses vêtements.
Ils avaient fini par s’abîmer et elle n’avait que ceux-là.
Elle vivait avec lui maintenant et il faisait tout pour la protéger. Elle lui était précieuse.
Il était heureux, il n’était plus seul, il avait de la compagnie.
Elle s’endormait dans sa fourrure.

*

— Il y a quelqu un.
Il était sur le point de se lever pour défendre la grotte.

— Attends. Laisse-moi leur parler.
— … Je ne suis pas confiant.
— Laisse-moi essayer, pour une fois.
— … D’accord, mais je reste aux aguets.

Elle sortit de l’obscurité pour les accueillir.

— Il y a quelqu’un ?
Demanda les intrus.

— Tu crois vraiment que le monstre va te répondre ?
— Bah… qui sait ?

— Je peux vous aider… ?
Demanda la jeune fille, qui sortit progressivement, nue.

— Wow, pardon, euh, on ne voulait pas-
Ils détournèrent le regard, surpris.

— On ne s’attendait pas…

— Vous cherchez quelque chose… ?
Demanda t-elle, en ignorant leur réaction.

— Eh bien… vous n’auriez pas vu un monstre dans les parages… ?
— Un monstre… ? De quoi parlez-vous… ?

— On s’est trompé de grotte, j’en étais sûr !
Répondit son ami.

— Tais-toi ! Et bien, une rumeur court qu’il y a une bête féroce qui vit dans les environs, vous devriez faire attention. Cela ne nous regarde pas, mais… que faites-vous ici ?
— Je… je vis ici. Et je n’ai pas vu de bête féroce ni de monstre.
— C’est dangereux, surtout pour une fille seule… vous vivez ici depuis longtemps ?
— Allez-vous-en.
— Hey, on cherchait juste à être sympathique, pas besoin d’être désagréable.
— Je n’ai pas besoin de votre sympathie.
— Et si on a pas envie de s’en aller… ?

Ils commençaient à trouver cela étrange. Une personne seule en plein milieu de la forêt. Ce n’était pas commun et une jeune fille, qui plus est.
Un des deux avait une idée derrière la tête, il comptait profiter de cette situation et assouvir ses pulsions.
L’autre ne semblait pas comprendre ce que son compagnait avait comme idée.

Il sentit le danger pour son amie.
Elle commençait à perdre le contrôle de la situation.

— Je vous recommande de partir…
Dit-elle, en reculant dans la pénombre.

— Sinon quoi ?
Renchérit celui qui s’approchait d’elle.

Ils n’avaient pas l’air bien costaud mais ils étaient jeunes et en forme, comparé à elle, chétive et sans rien pour se défendre.

— Elle vous a dit de partir !
La voix gronda et résonna dans la grotte.

Les deux garçons se figèrent.

— Qui est là ?
— Montrez-vous !
Dirent-ils, en tremblant et pointant leurs armes devant eux.

Il savait que c’était peine perdue.
Même s’il ne se montrait pas, ils risquaient de revenir.
Il sortit de sa cachette et les hommes effrayés, lachèrent leurs armes pour s’enfuir.
Il faisait facilement le double voire le triple de leur taille.
Elle resta sans bouger tandis qu’il fonça sur eux pour les dévorer.
Elle avait l’air maussade.

— Je t’avais dit qu’ils ne t’écouteraient pas…
— Je sais… je suis désolée…
— Je ne t’en veux pas d’avoir essayé.

Elle enfouit son visage dans la fourrure de son ami.

*

Ils souhaitaient simplement vivre en paix, sans qu’on les dérange, sans avoir besoin de se cacher.

2022.02.28

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