Platre

Après sa discussion, Chris rejoint Alexandra aussitôt.
Elle fit comme si elle n’avait pas remarqué son absence et lorsqu’elle lui parlait, elle ne regardait jamais dans sa direction.
Elle était froide avec lui, elle lui en voulait encore et elle essayait de lui rendre la froideur de son comportement mais il ne laissait rien paraître et c’est ce qui la frustrait encore plus.

Ils prenaient leur repas à la cantine où tout le monde était et Alexandra s’asseyait là où il y avait de la place, au milieu de tout les autres. Sans se soucier de sa sécurité. Chris en intimidait plus d’un, mais il restait là. Près d’elle. Silencieux. Elle n’avait rien de plus à lui dire.
Les autres personnes savaient qui elle était, elle était devenue populaire.

— Tu as vu, c’est Alexandra…
— Celle qui a sauvé Gabriel ?
— Elle aide à la reconstruction aussi, elle cache bien ses pouvoirs…

Les gens parlaient plus ou moins forts, elle ny prêtait pas attention.
Certains n’hésitaient pas à la remercier et la saluer en personne, ce qui la gênait.

— Son garde du corps me fait flipper… il sourit jamais.
— Je le trouve plutôt beau…
— Il la suit partout, il doit être très dévoué.

*

Elle téléphonait régulièrement à son père pour le rassurer et lui tenir au courant de la situation.

— Oui papa, non, je fais attention, je ne me mets pas en danger, je serai prudente ! Et toi, comment ça se passe de ton côté ? Tu as eu un assaut ? Mais ça va… ? D’accord. Ici, on reconstruit progressivement, j’aide un peu et dès que Gabriel se réveillera et sera en état de se lever, on rentre.
Elle avait raccroché en soupirant.

Elle n’avait qu’une hâte, c’était de rentrer mais elle était bloquée ici pour au moins quelques jours encore.

— Tout va bien ?
Demanda Chris.

Ce qui lui valu un second soupir plus prononcé.

— Ouais… comme avait prévu papa, quelqu’un a lancé une attaque chez nous, mais ils ont maitrisé la situation.

Chris avait l’air contrarié et ne dit rien de plus.

— On a encore quelques jours à attendre, dès que Gabriel est sur pieds, on s’en va. Je ne veux pas m’attarder ici trop longtemps.
— Tu es sure pour les travaux… ?
— … On ne va pas rester les bras croisés à juste attendre. J’ai promis à mon père que je ne me mettrai pas en danger, je peux au moins aider à reconstruire le bâtiment, ça ne me coûte pas grand chose.

Chris resta silencieux. Il ne savait pas quoi répondre.
Il était méfiant envers ce Gabriel et tout cet endroit. Ils l’avaient sauvé mais il pensait que ça serait fini et qu’ils rentreraient, mais Alexandra avait décidé de rester au cas où il y aurait une seconde attaque.
Puis elle avait pris en main certaines tâches pour aider à l’organisation et ce n’était pas tout, elle voyait qu’ils avaient besoin d’aide et elle ne s’était pas posée plus de questions. Elle les aidait à reconstruire et déblayer certaines zones.
Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle ressemblait à son père, elle arrivait à donner des directives, orienter les gens vers des tâches appropriées.
Elle n’était plus la même qu’il avait connu lorsqu’ils étaient ensemble.
Elle avait grandit terriblement vite sans qu’il ne s’en rende compte et il avait un sentiment de respect à son égard.

*

Elle faisait une ronde pour vérifier que tout se passait bien et qu’elle n’avait pas besoin d’intervenir dans certains lieux. Chris la suivait silencieusement comme à son habitude.
Surveillant les alentours, il n’arrivait pas à être serein.
Ils dormaient dans la même pièce, il y avait deux lits simples qu’on avait fait déplacer exprès pour eux, et Alexandra avait éloigné le sien à l’autre bout de la chambre pour ne pas être obligée de supporter sa présence de trop près.

Il ne pouvait oublier leur relation, mais il prenait sur lui pour ne rien laisser paraître.
Cela lui brisa le coeur lorsqu’elle éloigna le lit, mais il devait accepter son choix. Il était convaincu que c’était pour son bien, et la voir le dépasser le confortait dans cette idée.
Il ne contrôlait pas la boule qu’il ressentait dans le creux de sa poitrine. Bien entendu qu’il aurait souhaité la serrer dans ses bras, retourner à leur relation, mais c’était fini et parce que c’était lui qui y avait mis fin.
Il était convaincu qu’il ne la méritait pas. Qu’il n’était pas assez bien pour elle.
Il n’était qu’un orphelin qu’on avait recueilli et on l’avait formé pour être un soldat. Quel avenir pouvait il espérer ? Il ne s’était jamais posé cette question, il n’avait jamais pensé qu’il tomberait amoureux, ce sentiment était nouveau pour lui, et encore moins que cet amour soit réciproque.
Il avait pris peur, il ne savait pas dans quoi il s’engageait et il avait peut-être peur de ne pas être à la hauteur, il s’était peut-être et certainement caché derrière le rang d’Alexandra, c’était qu’une bonne excuse pour qu’il se retire, prétexant que c’était pour son bien. Quoi qu’il en soit, il était maintenant trop tard pour regretter et avoir des remords.
Il ne pouvait même pas en vouloir à Alexandra d’être si froide et de le haïr pour son choix.
Ces pensées l’accompagnèrent avant qu’il ne trouve le sommeil.
Avant tout, il était inquiet dans cet environnement.

*

En se baladant dans les couloirs, ils entendirent soudainement un cri et des appels à l’aide.
Alexandra accourut et Chris la suivit, un groupe de personnes étaient en train de reconstituer et déblayer une partie d’un mur, mais un morceau du plafond fragilisé qui était passé inaperçu, s’était décroché et tombé sur une des personnes, ses amis étaient autour de lui et en train d’essayer de déplacer le bloc qui immobilisait une partie de son corps, heureusement le morceau était tombé sur des gravats autour et il n’avait pas écrasé les os, cependant il était assez lourd pour l’empêcher de se dégager, mais petit à petit, il arrivait à s’extirper avec l’aide des autres autour de lui.
Ils y allaient avec précaution pour éviter que les gravats ne se déplacent et que la pierre ne finisse par lui tomber dessus de tout son poids.
Alexandra arriva au plus vite et elle se positionna pour utiliser sa magie et soulever le bloc problématique.

— Ecartez vous ! Chris, aide-moi, s’il te plaît.

Il était déjà aux côtés du blessé, se positionnant pour déplacer la personne en dessous dès que le bloc sera assez soulevé. Il savait qu’il devait faire vite parce qu’Alexandra faisait de son mieux pour contrôler sa magie et porter ce poids.
Elle y allait avec précaution pour ne pas forcer avec sa magie.
Elle entendit un bruit suspect.
Un autre bout du plafond se mit à se décrocher juste au dessus de Chris et du blessé.
Alexandra eut le temps de réagir et de voir le danger. Elle somma Chris de se dépêcher, elle réussit à retenir les débris qui étaient en train de tomber sur les deux personnes, et Chris dégagea la personne aussitôt qu’il ne put pour se mettre tous les deux loin de l’endroit.
Quelques secondes après, tout s’écroulait en un tas de rochers et de pans de murs.
Alexandra était en sueurs, et se tenait les genoux pour tenter de reprendre son souffle, elle avait eu si peur pour Chris, et aussi l’autre personne. Et la magie qu’elle avait utilisé l’avait épuisée. Elle n’avait pas l’habitude de contrôler des objets aussi conséquents.
La chute des morceaux de plafond fit un bruit ahurissant, et qui laissa place à une onde de choc qui était perceptible, faisant trembler légèrement les murs et le sol.
Quelques poussières tombèrent du plafond et certains lévèrent leurs yeux, inquiets.
Alexandra était trop préoccupée par sa fatigue.
Le coeur battant encore à toute allure, elle ne remarqua pas la poussière qui tomba, ni la mince fissure qui était en train de se créer au dessus d’elle.

Lorsque Chris se tourna vers elle pour s’enquérir de son état, il était encore aux côtés de la personne qu’il avait aidé à sauver. Elle était secoué et essayait de réaliser qu’il était encore en vie.
Il constata avec effroi que la chute du plafond était en train de créer un évènement en chaîne, la fissure était visible et il était trop loin pour pousser Alexandra et la mettre à l’abri.
Il ne pouvait que la prévenir en lui criant de faire attention.
Elle ne comprit pas tout de suite, et en voyant l’expression paniquée de Chris, elle leva enfin les yeux pour constater que les fissures étaient en train de se créer juste au dessus d’elle.
Elle réfléchit un court instant pour analyser vers où les fissures risquaient de s’accentuer pour bouger et se déplacer du côté où elle serait en sécurité.
Finalement, elle choisit de courir vers Chris, mais il était trop tard.
Elle eut le temps de faire quelques mètres avant que plusieurs morceau ne s’écroule sur elle, au niveau de son épaule, ce qui la fit trébucher par surprise, et la douleur. Puis elle se pencha et essaya de continuer sa route, mais d’autres blocs se détachèrent et atterrirent sur son dos, et ses jambes.

Elle tomba au sol, les gravats recouvrant la partie basse de son corps.
Sonnée, elle ne savait pas ce qu’il se passait.
Elle ressentait une douleur au niveau de ses jambes, et un peu partout dans son corps.
Les personnes autour étaient en état de stupeur, Chris était sur le point de se ruer sur Alexandra quand quelqu’un lui dit de ne pas se précipiter.

— Tu ne sais pas s’il va avoir un autre éboulement, c’est super dangereux si tu t’approches… tu n’es pas dôté de pouvoirs pour t’en tirer si jamais…
— Mais… ! Elle a besoin d’aide !
— Nous ne sommes pas assez compétents pour ça… regarde nous.

Celui qui avait été sauvé par Alexandra ne pouvait pas rester les bras croisés et il se dirigea en titubant vers l’infirmerie pour prévenir les personnes capables de faire quoi que ce soit.
Chris pensa qu’il s’enfuyait et préféra ne pas relever que de s’énerver.
Il repoussa celle qui voulait l’empêcher de s’approcher.

— Je prends le risque, mais je dois la sortir de là !

Il y alla tout seul, en restant aux aguets de la moindre secousse. Il réussit à atteindre Alexandra et lui toucha le pouls pour attester de son état, rapidement.

— Alexandra ? Tu m’entends ?
— O-oui…
— Je suis tellement rassuré… ok, je vais te sortir de là, je vais essayer de retirer les gravats.
— Chris… je sais pas si c’est une bonne chose… c’est dangereux, je m’en voudrais si tu te retrouves coincé comme moi, par ma faute…
— Ne t’inquiète pas pour moi, c’est toi la priorité.
— Chris…
— … Oui ?
— Je ne sens plus le bas de mon corps… je sais pas si c’est un bon signe, peut-être parce que je suis immobilisé mais… si jamais… je m’en sors pas…
— Arrête, tu vas t’en sortir, les gens vont appeler les secours, on va venir t’aider.
— Ok, mais si jamais, parce que je sais qu’ils sont débordés et… bref. Je voulais te dire que je suis désolée de t’avoir fait la tête pendant tout ce temps…
— … C’est compréhensible Alexandra, je ne t’en veux pas. C’est de ma faute si on est dans cette situation.
— Enfin, c’est pas de ta faute si j’suis coincée ici.
— Non, c’est vrai, mais c’est pas de ça dont je voulais parler…
— Je sais.

Elle essayait de sourire. Elle avait le sentiment que c’était fini et elle ne voulait pas mourir en laissant Chris avec l’image d’elle qui est froide.

— Tu arrives encore à avoir de l’humour dans cette situation ? Tu me surprendras toujours.

Même avec la force de Chris, il devait faire attention à quels gravats retirer en premier.
S’il faisait une erreur, il pouvait aggraver la situation.

*

Pendant ce temps, à l’infirmerie.
On frappa à peine à la porte et un petit groupe de personnes entrèrent en panique, Chrystal alla à leur encontre pour leur demander ce qui se passait.
Elle n’appréciait pas qu’on entre sans prévénir et surtout avec un tel vacarme.

— Il y a… la fille, l’étrangère.
— Alexandra ?
— Oui ! Il y a eu un éboulement, elle est coincée dessous !
— Quoi !? Vous êtes sûrs que c’est elle ?
— Elle m’a sauvé avec l’autre, à la peau mate, et le plafond est tombé… !

Les explications étaient confuses mais Chrystal était aux aguets, que ce soit Alexandra ou pas, il fallait l’aider.

— Vous avez demandé une équipe ? Ils sont où ?
— Je ne sais pas, ils sont occupés sur une autre zone certainement.
— C’est une urgence, dites leur et que c’est un ordre direct.

Chrystal avait cette importance pendant que Gabriel était en convalescence forcée.
Il entendit la conversation et se leva de son lit.
Chrystal le regarda d’un air mécontent

— C’est une urgence. J’irai plus vite.
— Gabriel… !
— Je ne suis pas mal en point, et je ne vais pas me battre ! Je devrais pouvoir aider un tant soit peu. Surtout si c’est Alexandra, elle nous a tellement aidé. On perd du temps. Emmenez moi où elle est.

Il avait enfilé une chemise à la va-vite, déboutonnée, on voyait les bandages sur son torse, et il avait un pantalon léger sombre.
Des espadrilles aux pieds, il se dépêcha sur les lieux et il analysa tout de suite la situation.
Chris était en train d’essayer de retirer les gravats à la main et il vit Alexandra au sol, ensevelie.
Il ne perdit aucune seconde.
Il cria à Chris de s’écarter, ce qu’il fit sans se poser de questions.
Gabriel utilisa sa magie pour soulever tous les gravats et les maintenir en l’air, laissant un espace d’à peine un mètre au dessus d’Alexandra qui n’osait pas bouger.
Il s’approcha sans se précipiter auprès d’elle, il l’extirpa et la porta avec un de ses bras, puis tout en quittant la zone dangereuse.
Il reposa lentement les gravats sans secousse.

— Je-j-… merci…
Babultia Alexandra maladroitement et gênée.

— Tu es consciente, tant mieux. Je t’emmène à l’infirmerie.

Il l’osculta rapidement mais ne posa pas plus de questions et se dépêcha de retourner à l’infirmerie.
Chris était resté scotché par la facilité d’exécution de Gabriel alors qu’il semblait être encore en convalescence.
Il les suivit silencieusement et en gardant une certaine distance avec Gabriel, il ne le sentait pas.

Elle n’avait pas le souvenir qu’il était si imposant, dans ses bras, elle paraîssait minuscule.
Sa chaleur corporelle était rassurante et atténuait les douleurs qu’elle ressentait dans son corps.
Elle n’arrivait pas à décrire ce qu’elle ressentait, mais elle était juste heureuse d’être en vie. Elle n’avait pas tout compris, mais Gabriel était venu la secourir.
Finalement, il n’était pas qu’un vieux connard.

De retour avec Chrystal, elle étouffa un cri.
Elle prit tout de suite en charge Alexandra qui ne comprenait pas pourquoi tant d’inquiétude.
Elle était en vie. Bon ok. Blessée mais en vie. Elle devrait guérir relativement vite et son père. Mince son père. Est-ce qu’elle tairait ce fâcheux évènement à son père ?

— Comment te sens tu. Alexandra… ?
Demanda Chrystal avec une pointe d’appréhension.

— Relativement bien… ? Pourquoi vous me regardez comme ça… ? Et euh… merci beaucoup Gabriel…
— Si tu pouvais éviter de te mettre en danger cela m’arrangerait… ton père risque de m’arracher les yeux.

Gabriel semblait avoir une migraine.

— Vous n’étiez pas censé être en convalescence… ?
Osa demander Alexandra

— Si. D’ailleurs il va retourner au lit.
Chrystal s’exprima et ordonna avec des gros yeux à Gabriel.

Il leva les mains en guise de défense.

— Je vais beaucoup mieux et c’était une mesure exceptionnelle. Je suis sûr que je pourrais sortir de ma convalescence.
— Je te connais, tu vas forcer et tu ne vas pas bien cicatriser !

— Excusez moi d’être désagréable… mais… Alexandra ? C’est grave ce qu’elle a, non… ?
Demanda Chris qui osa élever la voix, parce qu’il était vraiment inquiet et il voyait l’état du corps.

Ce n’était pas beau à voir et elle ne semblait pas s’en rendre compte.
Ils se tournèrent tous vers lui et Chrystal se racla la gorge.

— Erm… Alexandra. Je vais te manipuler un peu, hésite pas à me dire si tu as mal.

Chrystal commenca à tâter ses membres et les parties basses de son corps, ses cuisses et ses jambes.
Lorsqu’elle arriva à la jambe gauche, les mollets et les chevilles, Alexandra se crispa et eut une larme à l’oeil.

— Ca fait mal ?
— T-terriblement… !
— Ok, c’est un miracle que ta jambe ne soit pas complètement détruite. À vue de nez, ça va être long à réconstituer. Bon, les garçons, vous sortez. Je vais l’osculter partout ailleurs.

Chrystal tira les rideaux et les deux hommes se retrouvèrent penauds.

— Gabriel… je voulaIs vous remercier… d’avoir extirpé Alexandra de cette situation.
Chris s’inclina même pour lui signifier à quel point il était reconnaissant.

— Pas de ça avec moi, Chris, c’est bien ça ? C’est normal, vous m’avez sauvé la vie et c’est naturel que j’en fasse de même. Que ce soit pour elle ou pour n’importe qui d’autre, d’ailleurs.
— Vous êtes en convalescence…
— Chrystal est pire qu’une mère poule concernant ma santé, je ne suis pas, plus, mal en point. Et en grosse partie grâce à vous.
— Quoi qu’il en soit, merci infiniment.
— Le fait qu’elle soit en vie m’arrange également, je souhaiterais entretenir des relations amicales avec vous. Si jamais il lui arrivait quelque chose, j’imagine très bien son père rayer mon domaine de la carte.
— C’est… fort possible…
— Puis… je suis consciens de n’avoir pas commencé de la meilleure des façons… je reconnais avoir mal agi, mais mes voeux de bonne entente sont sincères. Vous êtes des alliés en qui je peux avoir confiance et vous me l’avez prouvé à plusieurs reprises. Je souhaiterais pouvoir en faire de même pour vous.
— Je… ne suis qu’un simple garde du corps, mais j’espère pouvoir également rester en bons termes avec vous.

Chris tendit la main et Gabriel la lui serra avec poigne.

*

— C’est si grave que ça… ? Je pensais que j’allais guérir rapidement et…
— … En sachant ta particularité génétique, tu vas devoir au moins avoir la jambe dans le plâtre pendant un mois entier… l’autre a l’air pas trop fracturée, quelques jours devraient suffire et tu pourras t’appuyer dessus.
— Ne me dites pas que je vais devoir me déplacer en fauteuil roulant…
— Ca ne dépendra que de toi. Si la guérison se passe comme prévu, les béquilles devraient être suffisantes. Tu as quelques blessures superficielles dans le dos et au niveau de tes côtes. Tu ne t’en tires pas trop mal pour un accident de ce genre.
— … Je… je pense que mon père va m’achever lorsque je vais lui dire ça…
— Il ne sera pas content que sa fille soit en vie ?
— Je lui avais promis de ne pas me mettre en danger et voilà que je suis blessée. Il ne me laissera plus jamais sortir…

*

Alexandra dut attendre que l’une de ses jambes soit pratiquement guérie pour pouvoir sortir, et se déplacer, mais elle avait besoin de béquilles.
Elle était têtue et avait refusé le fauteuil roulant.

Lors de sa convalescence, Gabriel avait réussit à négocier avec Chrystal pour quitter l’infirmerie et il avait pu reprendre ses affaires, ses papiers administratifs.
Il se rendit compte à quel point Alexandra avait bien travaillé et il n’hésita pas à lui en toucher quelques mots à ce sujet.

Elle ne fit que le remercier sans y prêter attention, pour elle, ce n’était pas plus dur que de gérer chez elle avec l’aide de son père.
Sa jambe intacte n’était pas complètement guérie, elle marchait tant bien que mal, et forçant trop, elle fléchit et les béquilles ne purent rien y faire, elle perdit l’équilibre et s’écroula par terre, elle s’aida du mur pour se relever mais la douleur était encore présente et elle resta au sol, en essayant de se remettre debout pour ne pas paraître misérable. Les larmes commencèrent à lui monter aux yeux.
Chris n’était pas là, et heureusement, il était aller assister les autres personnes pour restaurer le château. Elle avait décidé de sortir toute seule pour prouver qu’elle s’était remise
Elle avait tort.
Elle était bloquée à cet endroit, sa jambe trop faible pour suporter son poids, et l’autre dans le plâtre.
Les béquilles à portée de main, elle se sentait idiote.

Gabriel passait par là et il la remarqua dépitée et il crut la voir pleurer.

Elle essuya aussitôt ses larmes et il fit mine de n’avoir rien vu.

— Qu’est-ce que tu fais là… ?

— J-j’ai glissé… ahah…
Se forca t-elle à rire et à sourire, en frottant les dernières gouttes du coin de ses yeux avec son bras.

Il ne releva pas et l’aida à se mettre debout, en ramassant les béquilles.
Il la maintenait avec tellement de facilité qu’elle avait l’impression d’être une poupée de chiffons.
Sans trop de surprise, elle ne réussit pas à se tenir sur sa jambe, et elle faillit basculer à nouveau.
Gabriel remarqua sa faiblesse et la rattrapa pour qu’elle puisse garder l’équilibre en s’appuyant sur son bras.
Elle baissait le visage et n’osait pas dire un mot.
Il ne chercha pas à la destabiliser ni se moquer d’elle. Il voyait combien elle était désemparée et heurtée dans son fort intérieur.
Sans poser de question, il la porta, laissant les béquilles posées debout contre le mur.

— Je te ramene à l’infirmerie.

Ils restèrent tous les deux silencieux jusqu’à ce qu’elle retourne sur son lit.
Cet incident ne fut pas ébruité, Chris n’en sut rien.

*

Le jour du départ, Gabriel fit atteler une voiture pour qu’Alexandra puisse rentrer dans de bonnes conditions.
La situation à son château s’était stabilisée.

*

— Je suis confuse, je… merci pour tout.

Alexandra était gênée, elle n’avait servi à rien à la fin de son séjour, et Gabriel avait préparé de quoi la renvoyer alors qu’il était dans une situation délicate.
Ils avaient gardé pour eux ce petit moment gênant où elle était tombée avec ses béquilles.
Depuis lors, elle n’avait plus essayé de contredire l’aide qu’on voulait lui apporter.
Sa jambe avait finit par guérir mais celle blessée était encore dans le plâtre, et elle ravala sa fierté. Quelque chose s’était passé en elle.
Lorsqu’on lui proposait de l’aide, elle acceptait sans rechigner.

Quant à Gabriel, il avait été touché par cette jeune femme. Il ne savait pas comment la remercier, pour le travail qu’elle avait fait lors de sa convalescence.
Il ne voulait pas passer pour quelqu’un de désagréable, et compte tenu de leur première rencontre, il fit de son mieux pour ne pasêtre intrusif et ne pas paraître de la draguer lourdement.

— Excuse moi, je ne peux pas te raccompagner jusque chez vous compte tenu de la situation…
Commença t-il à lui dire, elle était installée dans la voiture et Chris à ses côtés.

— Oh non, c’est déjà beaucoup trop généreux de votre part de nous prêter la voiture… tout ça parce que je ne peux pas monter à cheval…
— C’est la moindre des choses, vous avez fait tellement pour nous.
— Ce n’est vraiment rien. Je pense qu’avec ceci, nous devrions être quittes.
— Largement. Je vous souhaite un bon retour. Prenez soin de vous.
— Vous également.

Alexandra souhaita dans sa tête de n’avoir jamais plus à le revoir.

Gabriel souhaitait pouvoir avoir la chance de la revoir pour lui dire ce qu’il avait sur le coeur. Quelque chose le travaillait depuis qu’elle était là, mais il devait d’abord remettre son domaine en état.

Ils se quittèrent sur ces mots.

*

Gabriel réfléchissait à sa situation. Le fait qu’il ait frôlé la mort le travaillait. Si jamais il n’était plus là, il n’avait personne pour reprendre en main les lieux.
Il n’avait jamais songé à cette possibilité parce qu’il était trop confiant, il ne pensait pas que sa vie était si fragile, et à vrai dire, peut-être qu’il s en fichait.
Il ne voulait pas que tout soit perdu, que tout ce qu’il ait construit soit perdu.
Il aurait voulu être plus démonstratif sur sa reconnaissance envers Alexandra mais il se souvenait de son rejet lorsqu’elle était plus jeune, il reconnaissait ses torts et il ne voulait pas réiterer ce comportement.

Une idée lui occupait l’esprit.
Il souhaitait épouser Alexandra, mais cette fois-ci, ce n’était pas pour servir son propre intérêt, pas directement.
Il voulait assurer ses arrières et faire en sorte que son domaine lui revienne si jamais il venait à mourir.
Il se rendait compte qu’il n’avait personne d’autre sur qui compter et qui serait aussi capable ou presque, de reprendre le flambeau.
Il avait vu comment elle gérait les tâches et il avait une entière confiance. C’était une assurance pour lui.

Il devait encore réfléchir aux détails avant de proposer cette offre à Alexandra et à son père, qui devait approuver également ce contrat blanc, en quelque sorte.
Sachant qu’ils ne se reverraient pas de si tôt, il décida de rédiger deux lettres. Une adressée à Alexandra directement, et l’autre à son père.
L’une remerciait officiellement son père, l’autre décrivait la proposition dans les détails.

Lorsqu’Alexandra reçut cette lettre, elle ne sut pas quoi penser. Elle la relut en se demandant si c’était elle qui n’avait pas compris, puis en se demandant si Gabriel n’avait pas perdu la tête, puis au final, elle douta d’une blague.
Elle en parla à son père, directement.

— C’est incensé, qu’en penses-tu, papa ? C’est pas un piège… ?
— Je ne pense pas… sur le papier, l’offre est aléchante mais cela ne me concerne pas. Qu’en penses-tu ? Toi ?
— C’est idiot… je ne vais pas l’épouser juste pour l’héritage…
— Tu sais que cela se fait beaucoup entre nobles…
— Je sais… mais j’avais l’espoir que cela change.
— Je dois reconnaître que cette proposition est plutôt équitable, et s’il vient à décéder rapidement, tu pourras toujours te remarier.
— Papa ! On ne va pas l’assassiner juste pour ça !
— Non non, je ne disais pas ça pour l’assassinat… Alexandra, voyons !

Alexandra réfléchit au contenu de la lettre.
Son père n’avait pas tort mais elle ne savait pas encore quel réponse donner à Gabriel.
Elle ne ressentait rien pour lui. Ce qui était plutôt une bonne nouvelle pour lui, elle n’avait plus de haine ou d’apriori négatif depuis le temps, cependant cela pouvait rapidement changer s’il venait à dire ou faire quelque chose de travers.
Elle se demandait si son père avait mis Chris au courant.
Elle espérait qu’il réagisse, qu’il ait encore un semblant de sentiments envers elle, mais il ne fit aucune remarque ni ne montra une quelconque émotion.

*

Affalée sur son bureau, le papier à lettre entre ses doigts, elle regardait sans voir les mots manuscrits posés sur ce papier. Elle réfléchissait. Plusieurs pensées lui traversèrent l’esprit. Le papier était de très bonne qualité, il avait dû choisir méticuleusement son support pour lui adresser cette proposition.
En jouant avec la perspective, elle pouvait voir l’encre de la plume briller à la lumiere. Il était vieux jeu, cela lui arracha un sourire.
Elle pouvait deviner l’inclinaison de sa plume grâce à quelques accroches sur les fibres de la feuille.
Elle devait le reconnaître : Il s’était appliqué et son écriture était plus que lisible. Même son père n’écrivait pas aussi bien et pourtant, ses documents manuscrits étaient beaux et soigneusement rédigés.

Elle ne savait toujours pas quel réponse donner.
Que pouvait-elle penser de cette proposition sordide.
Quelle idée avait-il derrière la tête.
Elle ne pouvait penser qu’à un piège, l’offre était trop alléchante. Matérielle mais alléchante.
Elle n’avait pas l’expérience pour rédiger une réponse convenable, elle ne trouvait pas les mots et elle sentait qu’elle devait l’avoir en face à face pour sonder ses intentions profondes.
Son offre tenait et n’avait aucune faille et c’est cela qui la rendait anxieuse.
Il avait evoqué et insisté sur les nombreux points qui étaient intéressants pour elle, mais la contrepartie était trop inégale pour lui. Juste gérer son domaine ? Il ne pouvait pas y avoir que ça.

Une autre pensée trottait dans sa tête. Chris. Les derniers évènements les avaient en quelque sorte réconciliés mais il y avait toujours ce mur invisible et froid entre eux.
Elle espérait qu’il ressente encore quelque chose pour elle. Qu’il soit jaloux et qu’il change d’avis au sujet de cette proposition de mariage qu’elle pourrait accepter.
Il ne lui montra rien de tout ça et ce fut douloureux pour elle.
Comment cela pouvait-il être aussi douloureux ? Elle en avait les larmes aux yeux et elle ne savait pas si c’était dû à la tristesse ou à la colère. Puis, après s’être calmée dans sa chambre, elle en rit. Elle se trouvait ridicule. Elle était adulte maintenant, et elle restait bloquée sur une histoire de coeur d’il y a plusieurs années, alors qu’il avait tourné la page, lui.
C’était puéril de sa part et elle s’en rendait compte.

Elle essuya ses larmes.
Elle devait se comporter comme une adulte et elle réfléchit plus sérieusement à cette offre.
Elle devait tout d’abord répondre par une lettre.
Elle prit son courage à deux mains et rédigea à la plume, une réponse adéquate, l’invitant à bien vouloir la revoir pour en discuter de vive voix.

*

Chris était dans sa chambre et laissa ses émotions s’exprimer sur son visage. Il savait pour la proposition de Gabriel. C’était le père d’Alexandra qui lui avait dit.

— Es-tu sûr de n’avoir rien à regretter… ? Alexandra a encore des sentiments pour toi. Tu le sais.
Avait dit Sephyl.

Chris n’avait pas besoin d’entendre ça mais il savait que son boss disait ça parce qu’il se souciait de Chris.
Il s’en alla pour ne pas avoir à répondre à cette question. Il était certain mais c’était dur aussi pour lui, et il ne souhaitait surtout pas montrer cette faiblesse à quiconque.
Il pensait au bien d’Alexandra. Il feintait de ne rien ressentir mais bien entendu qu’il avait encore de l’affection pour elle.
Oui, c’était la meilleure option. Gabriel était de son rang et elle vivrait une meilleure vie, c’était certain.
Il ressentait un énorme pincement dans sa poitrine, mais il ne devait pas y prêter attention.
Même si elle ne choisissait pas d’accepter, elle aurait d’autres prétendants.

 

2021.10.11

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