9 – Sommeil

Annabelle s’était détendue.
Marianne était amicale, et d’une bienveillance certaine. Elle la traitait comme une amie de longue date. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi attentionné à son égard et cela la déstabilisait. Elle restait méfiante mais elle avait envie de croire à cette gentillesse.
Ce n’était pas du tout ce qu’elle avait imaginé en se faisant adopter. Elle s’attendait à être soumise, mise en cage, attachée pour ne pas avoir la possibilité de fuir, voire même violentée. Elle avait peut-être imaginé le pire des scénarios. Elle avait été dans un état d’esprit tellement négatif que même cet avenir fictif sombre lui convenait.
Marianne n’était rien de tout ça, elle n’arrivait pas à y croire.
Elle craignait que ce rêve se dissipe subitement.
Elle reconnaissait qu’elle était nourrie comme un animal abandonné, mais il y avait quelque chose dans leurs interactions. Quelque chose de particulier et intriguant.
Elle imagina un monde où elles seraient devenues amies avant qu’elle abandonne son humanité. Est-ce que sa vie aurait été plus douce avec une amie comme elle ? Est-ce qu’elle aurait eu cette étincelle qui lui manquait dans sa solitude ?
Elle réalisait qu’elle n’aurait probablement jamais eu l’occasion de la rencontrer dans son ancienne vie. Elles venaient d’un monde trop différent. Comment aurait elle pu s’intéresser à une pauvre fille comme elle ?

— J’ai encore une journée de travail demain, mais je devrais avoir mon week-end de libre. Fais comme chez toi, hésite pas à te servir dans les placards de la cuisine.
Expliqua Marianne.

Elle exposa ce qu’elle avait de prévu pour les prochains jours, et elle planifia le programme du week-end avec Annabelle.
Sa priorité était de lui acheter des vêtements. Elle ne pouvait pas la laisser dans ces fripes.
Ensuite, elle allait devoir faire quelques courses pour remplir ce pauvre frigo.
Elle réfléchit à un moyen pour contacter Annabelle lorsqu’elle était à son travail. Il était nécessaire de lui ouvrir une ligne et lui donner un ordiphone.
Elle était certaine d’avoir un ancien modèle dans un de ses tiroirs.
Marianne réfléchissait à toute vitesse, notant sur son téléphone sa liste de tâches et naviguant dans les différents onglets pour regarder les horaires des boutiques proches.
Annabelle resta bouche bée et acquiesça à tout, ne comprenant pas exactement ce que ça impliquait.

Marianne se leva brusquement pour s’éclipser dans la salle de bain.
Annabelle avait bien mangé, elle se sentait bien. Le canapé était confortable.
Elle ferma les yeux un instant, posant sa tête sur le dossier.
Elle se remémora tout ce qui venait de se passer.
La digestion faisant son effet, elle était en train de s’assoupir.

— Excuse-moi, j’aurais dû te sortir ça hier soir.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Marianne lui tendait une brosse à dents neuve.

— Je suis désolée, je suis en train de dormir debout, je vais pas faire long feu.
Ajouta t-elle en baillant.

Elle retourna dans la salle de bain pour se préparer à aller se coucher.
Pendant ce temps, Annabelle débarrassa la table et lorsqu’elle vit Marianne s’allonger dans le canapé, elle ne put s’empêcher d’hurler d’effroi.

— Qu’est-ce qui se passe ?!
S’exclama Marianne, alertée, et en se relevant immédiatement.

Annabelle dut prendre son courage à deux mains pour s’exprimer, mais elle réussit à formuler sa pensée et insister pour que Marianne dorme dans son lit.

— Je ne vais pas te faire dormir dans le canapé, c’est hors de question.
Argumenta Marianne.

— Dormir ensemble… ?
Réussit-elle à dire, à demi-mot.

Marianne resta figée un court instant.
Elle n’y avait pas songé et elle se rendait compte des efforts qu’Annabelle avait dû faire pour formuler ces quelques mots.
Elle se gratta le haut de la tête et finit par accepter. Elle était beaucoup trop fatiguée pour essayer de la convaincre du contraire.
Ce n’était que partager un lit, rien de plus.

Marianne avait l’habitude de dormir nue mais elle considéra enfiler un débardeur et une culotte.
Annabelle retira son pantalon et sa veste et attendit que Marianne se glisse sous la couverture en première. Elle craignait qu’elle ne la dupe en la laissant seule dans sa chambre une fois qu’elle se serait installée dans le lit.
Toutes les deux allongées l’une à côté de l’autre, elles fixaient le plafond sans oser se regarder. Marianne finit par se tourner vers le côté extérieur.
Annabelle osa l’observer un instant, les cheveux sombres et lâchés formaient des vagues noires parsemés de quelques filets argentés sur son oreiller.
Elle se tourna également de l’autre côté du lit.

Lorsque Marianne ouvrit les yeux, Annabelle lui faisait face.
Elle contempla les longs cils blonds de la jeune fille assoupie, ses cheveux fins clairs et soyeux. Elle dormait comme une bienheureuse et cette vision attendrit son cœur.
Elle n’abusa pas plus longtemps de cette proximité, elle chercha son téléphone pour vérifier l’heure et éteindre son réveil. Elle avait émergé quelques minutes avant qu’il ne sonne.
Elle ne se rappelait plus la dernière fois qu’elle avait aussi bien dormi. La nuit écourtée avait aidé à la recaler provisoirement.
Elle tâcha de se lever discrètement sans faire de mouvements brusques dans le lit, puis elle chercha des vêtements de rechange dans son dressing avant de quitter la chambre à pas de louve. Elle referma doucement la porte derrière elle, la laissant légèrement entrouverte pour que le bruit ne dérange pas le sommeil d’Annabelle.

Annabelle se réveilla doucement, son cycle de sommeil profond venait de se terminer.
Elle entendit du bruit provenant de la salle de bain. Elle était seule dans le lit. Culpabilisant de rester à dormir alors que Marianne était déjà levée, elle s’extirpa de la couette pour la rejoindre.
La grande brune était en train de se recoiffer devant la glace du lavabo.
Elle jeta un regard vers la jeune femme qui se frottait les yeux.

— Ah, bonjour. Pardon, je t’ai réveillée ?

— B-bonjour… Non, pas du tout, j’ai assez dormi…
Répondit-elle timidement, en étouffant un baillement.

Marianne semblait pressée, ses gestes étaient réfléchis. Elle finit d’attacher ses longs cheveux en une queue de cheval basse, et elle vérifia qu’aucune mèche ne dépassait.
Quelques cheveux blancs éclatants ressortaient de sa chevelure noire mais elle n’y prêta pas attention. Elle jeta un œil à la montre attachée à son poignet.

— Je dois y aller. Fais comme chez toi, d’accord ? Je t’ai laissée un double des clés sur le meuble de l’entrée. Je vais essayer de rentrer tôt.
Lui sourit-elle.

Elle marcha d’un pas rapide dans le salon pour y récupérer ses affaires et elle emprunta la porte, laissant Annabelle seule dans l’appartement.

La petite blonde resta figée un instant, plusieurs pensées traversèrent son esprit : elle n’arrivait pas à croire que Marianne lui accordait sa confiance au point de lui laisser les clés.
Était-elle totalement inconsciente ? Elles se connaissaient à peine !
Elle ne se sentait pas légitime d’être là, elle avait l’impression de ne pas mériter ce qui lui arrivait. Elle déréalisait ce qui se passait. Elle se trouvait dans un appartement luxueux, c’était trop beau pour être vrai. Il fallait qu’elle fasse quelque chose pour remercier sa propriétaire, elle ne pouvait pas accepter cette situation sans rien faire en retour. Elle se sentait redevable.
Elle réfléchit et elle se rappela de la demande de Marianne : elle allait commencer par s’occuper de la pile de vêtements et de linge sale accumulée dans un coin de la buanderie.
C’était dans ses cordes, elle lui avait montré où se trouvait la notice et les produits d’entretien. Avec beaucoup d’appréhension devant la machine à laver dernier cri, elle étudia attentivement la notice entre ses mains et les yeux rivés sur le mini-écran et tous les boutons autour. Il existait des modes qu’elle n’aurait jamais soupçonnés, c’était un modèle totalement différent de ce qu’elle avait l’habitude d’utiliser dans les lavomatiques. Elle avait l’impression d’être devant une bombe à désamorcer. Lorsqu’elle réussit à la faire fonctionner, un soulagement certain suivi d’une petite fierté l’envahirent.

En attendant, elle retourna dans le salon.
Il restait un peu de vaisselle de la veille, elle s’en occupa rapidement.
Il s’était accumulé une fine couche de poussière et de miettes sous ses pieds nus, et elle pouvait apercevoir des moutons de saletés réfugiés aux recoins des pièces.
Elle partit à la recherche d’un balai et d’une pelle, ce fut avec une agréable surprise qu’elle tomba nez à nez avec un aspirateur flambant neuf. Il était encore dans son emballage en plastique, posé à côté de sa boîte en carton. Il n’avait jamais été utilisé.
Annabelle commençait à dresser un portrait de Marianne : une femme d’affaire trop occupée par son travail pour prendre le temps de s’occuper de son habitat.
Elle retroussa ses manches imaginaires et elle se mit au travail.
Après le passage de l’aspirateur incroyablement silencieux et puissant, elle étendit le linge propre. Une douce odeur de lessive envahit les lieux.
Il était déjà midi et son estomac lui rappela qu’elle avait faim.
Elle réchauffa une part de pizza dans le micro-ondes qu’elle savoura dans le canapé.
Elle s’installa confortablement et observa avec satisfaction les alentours.
Le goût du travail bien fait.

Elle se remémora son ancien appartement.
C’était un endroit miteux, le bâtiment en lui-même était vétuste. Là où le papier peint se décollait, on pouvait voir que les murs étaient fissurés par endroits, elle avait de vieilles fenêtres simple vitrage qui laissaient passer l’air frais de l’extérieur en hiver, le sol était fait d’un vieux parquet qui avait bien vécu, les lattes avaient bougé avec le temps et certaines grinçaient sous son poids.
Elle avait très peu d’affaires, juste quelques meubles de rangement. Elle avait beau prendre le temps de faire le ménage, les murs et le sol étaient dans un tel état délabré qu’il s’y dégageait toujours une ambiance sale.
Elle avait fini par s’y habituer parce qu’elle ne connaissait pas beaucoup mieux, ça avait le mérite d’être chez elle, d’être un endroit où elle pouvait se reposer avant de retourner travailler. Son cocon et sa zone de réconfort.
Maintenant qu’elle avait un point de comparaison, certes l’extrême opposé, elle se rendait compte de tout ce qui n’allait pas.
L’appartement de Marianne était agréable. Il avait été conçu pour qu’on s’y sente bien. L’agencement était pensé pour être fonctionnel, les matériaux étaient de qualité. Les murs étaient sans imperfection, les pièces à vivre étaient recouvertes d’un parquet agréable et chaleureux. Les lumières étaient diffuses et douces. Elle avait l’impression d’être dans une chambre d’un palace. Il y avait juste une sensation de vide et de froid dans un espace aussi grand et épuré.

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