8 – Nourriture

Marianne referma doucement la porte et resta figée un instant.
Elle était encore sous le choc. Elle ne savait pas comment elle devait réagir, elle s’était imaginée tout un film sur Annabelle alors qu’elle n’était pas partie.
Elle réalisa que son appartement n’avait pas été cambriolé, il semblait juste plus vide parce que plus rien ne trainait par terre.
Elle fit un tour dans les autres pièces, elle retrouva ses vêtements sales dans un unique tas devant sa machine à laver, sa vaisselle était faite et rangée, les déchets avaient été jetés à la poubelle.

Elle sursauta lorsqu’elle vit Annabelle en plein milieu du couloir.
Elle était debout, dans la même tenue que la veille, et elle l’observait sans rien dire.

— Tu m’as fait peur… !
Souffla Marianne, la main sur sa poitrine.

— P-pardon… je ne voulais pas…
Bafouilla Annabelle, embarrassée.

— C’est moi, je ne voulais pas te réveiller… Tu as bien dormi… ?
Enchaîna Marianne, pour ne pas l’incommoder plus.

— O-oui. Merci… votre lit est très confortable…
— Je suis contente que tu aies pu te reposer… mais… tu n’aurais pas dû t’occuper du ménage.

— Je suis désolée… je pensais vous aider…

Annabelle baissa les yeux et serra son T-shirt dans ses mains en se mordant les lèvres.

— Ne sois pas désolée, je… ça m’aide beaucoup. Ce n’est pas ce que je voulais dire… C’est juste que je ne veux pas te forcer à faire des tâches ingrates comme celles-ci… je devrais m’occuper de mon propre bazar…

Marianne essaya de la rassurer, mais plus elle ouvrait sa bouche, et plus elle avait l’impression de prononcer les mauvais mots qui avaient l’effet inverse.

— Ça m’a fait plaisir de vous aider… je vous appartiens… alors, vous pouvez me demander de faire tout ce que vous voulez…
Dit Annabelle, avec un peu plus d’assurance en relevant sa tête.

Marianne posa sa main sur ses yeux un long moment, ce qui inquiéta Annabelle.
Après mûre réflexion, la brune s’exprima.

— Justement. Il faut qu’on en parle…

Elle invita Annabelle à s’installer dans le canapé du salon pour discuter.
Cette dernière s’exécuta et l’écouta attentivement.
Marianne lui avoua qu’elle était perturbée par cette nouvelle situation, qu’elle ne savait pas encore se comporter vis à vis d’elle. Qu’elle souhaiter tout d’abord apprendre à faire sa connaissance. C’était une adoption, elle ne voulait pas instaurer une relation de maître et d’esclave chez elle.

Annabelle acquiesça sans un bruit, elle comprenait ce que disait sa propriétaire mais elle n’avait aucune idée de que ça signifiait dans les faits. Elles étaient toutes les deux sur un terrain inconnu. Dans son esprit, elle était aux services de Marianne. Elle était prête à se plier à tous ses souhaits pour la satisfaire. C’était pour cela qu’elle était là, c’était l’idée qu’elle s’était faite de son rôle. Lui tenir compagnie et rendre son quotidien meilleur. C’était un bon début.

— Tu es sûre que ça ne te dérange pas de t’occuper de mon appartement… ? Ça me gêne de l’avouer… mais je n’ai pas le courage de le faire moi-même et je sais que j’ai besoin d’aide là-dessus…
Demanda Marianne, honteuse.

— Oui, ça me fait plaisir de me rendre utile.
Acquiesça Annabelle avec un léger sourire.

— Dans ce cas, je vais essayer de retrouver la notice de ma machine à laver. D’ailleurs, je vais en profiter pour te montrer où se trouve l’étendoir et te faire un petit tour du voisinage, qu’est-ce que tu en dis ?

Annabelle suivit Marianne en écoutant consciencieusement les instructions.
La propriétaire aperçut la poubelle pleine à craquer, et elle en conclut qu’il était temps de la sortir. Elle se rappelle la tenue dans laquelle était la petite blonde derrière elle.

— Je crois que j’ai récupéré tes anciens vêtements, ils sont dans la valise. Si tu pouvais juste enfiler un pantalon avant qu’on sorte de l’appartement… Je vais te montrer où se trouve le local des poubelles.

La jeune femme s’exécuta, elle enfila son vieux jeans trop grand, ajusta la ceinture à sa taille pour ne pas qu’il glisse, et elle mit sa veste par dessus le t-shirt un peu trop petit de sa propriétaire.
Durant la visite, elles croisèrent quelques voisins qui ne cachèrent pas leur surprise de voire Marianne accompagnée. Elle présenta Annabelle comme sa nouvelle colocataire, et elle abrégea la conversation pour retourner rapidement à l’appartement.
Le ventre vide d’Annabelle se fit entendre.

— À quand remonte ton dernier repas… ?
S’inquiéta Marianne.

Annabelle n’avait pas osé se servir, et ne connaissant pas encore Marianne, elle n’avait pas osé non plus signaler qu’elle avait faim.
Elle se contenta de baisser les yeux, ne sachant pas quoi répondre.
Marianne se dirigea vers son réfrigérateur et constata qu’il était presque vide : une cannette de soda, une bière, une bouteille d’eau pétillante, un bocal de compote de pommes.
Le congélateur contenait des légumes surgelés qui étaient là depuis beaucoup trop longtemps, elle avait même oublié leur existence.
Après avoir fouillé ses placards, elle y retrouva un sachet de riz et un sachet de pâtes.
Sa cuisine était neuve, équipée avec des éléments derniers cris, mais elle avait abandonné l’idée de se préparer à manger depuis un certain temps. Elle avait ni le courage, ni la patience de cuisiner après le travail, c’est pour cela qu’elle fréquentait régulièrement les restaurants pour se sustenter.
Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait commencer à se mettre sérieusement aux fourneaux, mais elle ne pouvait pas emmener Annabelle dehors, pas dans cette tenue.
Elle se tourna vers elle et lui demanda si elle avait des préférences pour le dîner.

— Tout me va.
Répondit-elle.

Annabelle n’était pas difficile, mais Marianne n’était pas plus avancée avec sa réponse.
Elle se gratta la tête.

— Pizza, ça te va ?

Annabelle disait oui à tout, c’en était déroutant.
Marianne prit son téléphone pour y chercher une bonne pizzeria et appela pour se faire livrer. En attendant, elle s’était posée au niveau du sol, assise sur un tapis doux. Elle avait apporté les seules boissons qui lui restaient, et les posa sur la table basse en face d’elles.
Annabelle était sagement assise dans le canapé, les jambes serrées et les mains posées dessus, sérieuse. Elle n’osait pas affronter le regard de Marianne, qui l’observait attentivement.
La plus âgée était curieuse. Elle essayait de lire les expressions du visage de sa nouvelle colocataire. Elle souhaitait savoir ce qui avait pu pousser une jeune femme comme Annabelle à abandonner son humanité, mais elle se doutait de son impolitesse si elle venait à formuler sa question. Elle ne voulait pas la juger, elle cherchait juste à comprendre et assouvir sa curiosité, mais elle comprenait que sa question était indiscrète.
Elle craignait également qu’Annabelle puisse lui retourner sa question.
Qu’est-ce qu’elle pourrait lui répondre ? Qu’elle avait eu pitié d’elle ? Non, c’était horrible comme réponse. Qu’elle espérait la sauver des griffes d’un vieux pervers ? C’était un peu vrai et prétentieux, mais la réalité c’était son égoïsme et sa solitude. Elle avait été attirée par son apparence physique, c’était pire.
Marianne était en train de se torturer mentalement avec ses questions réponses, tandis qu’Annabelle restait dans son mutisme. Un silence pesant s’était installé jusqu’à l’arrivée salvatrice de la nourriture.
Marianne revint avec deux boîtes encore chaudes, qu’elle posa et ouvrit sur la table.

Elle comprit assez rapidement qu’elle avait une personne plutôt docile en face d’elle.
Annabelle effectuait chacun de ses gestes avec une certaine précaution, elle observait Marianne du coin des yeux, craignant le contact direct, elle restait attentive à ses réactions. Elle essayait de lire à travers sa propriétaire si elle faisait les choses correctement.
La délicieuse odeur lui parvint et son ventre gargouilla au même moment, elle crut mourir de honte. Gênée, ses joues devinrent rouges.
Marianne l’invita à commencer avec un large sourire.

Lorsqu’Annabelle porta la part prédécoupée dans sa bouche, elle en pleura presque d’émotion.
Elle n’en avait jamais mangée d’aussi bonne, elle avait l’impression de découvrir le goût d’une véritable pizza. La pâte était fine, croustillante, chaude mais pas brûlante, les ingrédients dessus apportaient une véritable saveur.

— Tu n’es pas obligée de finir si tu n’aimes pas…
S’inquiéta Marianne, en remarquant le changement d’expression de son invitée.

Elle secoua sa petite tête blonde.

— C’est trop bon !
Réussit-elle à prononcer, après avoir avalé ce qu’il lui restait dans la bouche.

Son expression à ce moment là contrastait subitement et Marianne explosa de rire.
Elle ne s’attendait pas à une telle réaction.

— C’est qu’une pizza, tu sais ? Si ça te plaît autant, la prochaine fois on ira au restaurant. Elles sont meilleures sur place. Tu n’en avais jamais mangé avant… ?

— Si… mais surgelées.

— C’est pas de la pizza, ça.
Grimaça Marianne.

Un ange passa et Marianne se rendit compte de sa propre maladresse.
Peut-être qu’Annabelle n’avait jamais eu les moyens d’aller au restaurant ?
La plus jeune continuait de déguster son repas comme si de rien n’était, ne comprenant pas pourquoi Marianne semblait être dans tous ses états.
La seconde boîte fut de trop et Marianne partit chercher le bocal de compote au frais avec des cuillères.
Elle avait un naturel chaleureux, elle se comportait avec Annabelle comme avec n’importe quel proche. Elle lui tendit le pot et la cuillère.
Elle hésita un instant à s’installer à côté d’elle mais elle ne voulait pas qu’elle se sente menacée par sa proximité, elle se ravisa et resta sur son tapis.
Elle l’observait comme un animal qu’elle venait de recueillir et qu’elle apprenait à connaitre en lisant ses réactions. Elle la nourrissait et lui parlait, même si la conversation était pour le moment très unilatéral, elle avait au moins quelqu’un à qui parler en dehors de son travail.
Elle se sentait bien en sa compagnie, certainement parce que son appartement faisait moins vide.
Cette simple soirée autour d’une pizza lui rappela sa jeunesse. Elle se revit étudiante à passer ses nuits à boire, rire et refaire le monde avec ses amis. Elle avait presque oublié ces moments d’insouciance.

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