Marianne était partie au travail.
Elle aurait souhaité rester un peu plus longtemps auprès de sa nouvelle colocataire, apprendre à la connaître et discuter avec elle.
Elle s’en voulait d’avoir quitté l’appartement de manière aussi précipitée, mais elle était très à cheval sur les horaires.
Elle esquissa un sourire : elle songeait à poser des congés. Elle avait maintenant une raison et une envie de prendre ce temps.
Aujourd’hui encore, une journée remplie l’attendait.
En arrivant sur les lieux, elle était de bonne humeur. Une meilleure humeur que d’habitude.
Ses employés le remarquèrent aussitôt mais elle évita la question.
Une seule personne était au courant pour le moment et elle ne comptait pas ébruiter la nouvelle. D’ailleurs, elle remarqua qu’elle avait reçu plusieurs messages sur son téléphone de sa part. Il s’était inquiété et demandait de ses nouvelles après avoir supposé que son humain de compagnie s’était évadé. Elle le rassura brièvement avec un pouce en l’air.
Ca suffisait, il comprendrait.
Lorsqu’elle s’installa à son bureau, elle commença par fouiller ses tiroirs. Elle savait qu’elle avait rangé son ancien téléphone quelque part, et elle tomba dessus rapidement, avec le câble et son chargeur au même endroit. La batterie était déchargée depuis le temps.
Elle le brancha et elle commença à se mettre au travail.
Sur la pause du midi, elle se pencha sur l’appareil pour vérifier qu’il fonctionnait encore. Elle en profita pour le formater et le configurer. Elle installa une application de communication qui lui permettrait d’échanger en attendant de recevoir la nouvelle carte SIM.
Elle s’ajouta dans les contacts.
La journée passa lentement mais Marianne avait le sourire aux lèvres. Elle avait hâte de rentrer chez elle. Un coup d’œil à sa montre, encore quelques heures.
Encore un dernier détail à régler. Elle s’étira de tout son long, cette fois-ci c’était bon.
Elle rangea ses affaires et elle se leva pour quitter les lieux.
Devant la porte de chez elle, elle en tomba des nues.
Une fois de plus, elle ne reconnaissait pas son appartement.
Elle vérifia encore une fois si elle ne s’était pas trompée d’étage.
Aucune trace d’Annabelle, mais aujourd’hui elle ne s’en inquiéta pas.
Elle prit le temps de retirer son manteau et poser tranquillement ses affaires.
Elle fit le tour des lieux, impressionnée par la propreté et l’odeur agréable du linge lavé qui embaumait l’endroit.
Elle retrouva sa fée du logis en train de se reposer dans son lit.
Elle eut des scrupules à la réveiller.
De retour dans son salon, elle vérifia le contenu de son frigo : une demi part de pizza et des légumes congelés. Elle soupira et se motiva à préparer un riz sauté.
*
L’odeur de la nourriture la réveilla. Elle émergea et se leva aussitôt.
Marianne était rentrée, une certaine joie l’envahit à cette pensée.
Elle se rendit dans le salon pour la rejoindre aussitôt.
— Bien dormi ? J’ai bientôt fini de préparer le repas. J’en ai pour quelques minutes.
Dit Marianne, en entendant Annabelle s’approcher.
Annabelle acquiesça sans répondre.
— Ca sera riz et légumes, il ne reste pas assez de pizza pour ce soir. Ça te va ?
Annabelle continua de hocher la tête en silence.
Marianne lui sourit. Elle était simplement heureuse de préparer à manger pour quelqu’un.
— Regarde sur la table, ce n’est pas grand-chose mais ça sera plus pratique pour me joindre. Je devrais recevoir la carte SIM dans quelques jours, comme ça même en dehors de l’appartement, on pourra rester en contact.
Annabelle s’y dirigea et resta figée à observer l’objet sur la table basse.
Il était à peine différent de celui qu’avait Marianne. Elle n’arrivait pas à digérer l’information. Ca ne pouvait pas être ça. Elle regarda et chercha autour d’elle une autre table.
Marianne éteignit la plaque de cuisson et recouvrit la poêle d’un couvercle.
Elle vint voir ce que faisait Annabelle plantée au milieu du salon.
— Prends-le, je ne m’en sers plus. Il est à toi.
Dit Marianne en désignant l’épais rectangle à la surface vitrée.
Si elle n’avait pas eu l’occasion de discuter avec elle, elle aurait pu penser qu’elle ne parlait pas la même langue. Elle donnait l’impression de ne pas comprendre ce qui sortait de sa bouche. Elle interpréta son hésitation pour de la timidité, elle se baissa pour ramasser l’objet et le poser directement dans les mains de la blonde qui l’observait les yeux ébahis.
— C’est pour toi. Hésite pas à le configurer à ta sauce. Je me suis juste permise de m’ajouter dans les contacts.
— M-merci, merci beaucoup !
— Ce n’est rien, je t’en prie. Il prenait la poussière dans un tiroir, il sera plus utile entre tes mains. Je m’excuse, comme c’est un ancien modèle, c’est possible qu’il soit un peu plus lent. Tu me diras s’il fait des siennes, je t’en achèterai un nouveau si c’est le cas.
Annabelle secoua énergétiquement la tête.
— Il est très bien, il est parfait !
Sa réaction fit pouffer de rire Marianne.
— Demain c’est shopping. On ira en matinée pour avoir le temps de faire toutes nos emplettes.
Ajouta Marianne.
Annabelle resta muette.
— Je ne peux pas te laisser dans tes anciens vêtements. Ils sont beaucoup trop grands pour toi et ils ne te mettent absolument pas en valeur. On va te trouver mieux. Sans parler des sous-vêtements… ça ne me dérange pas de te prêter les miens mais ils ne sont pas vraiment à ta taille. D’ailleurs, si tu as besoin de quelque chose en particulier, ça sera l’occasion de l’ajouter sur notre liste de courses.
Expliqua-t-elle, en l’incluant naturellement.
*
Après le dîner, elles se préparèrent à aller se coucher.
— Je peux retourner dormir dans le canapé, si tu préfères.
Proposa Marianne, avant de passer la porte de sa chambre.
Annabelle secoua la tête.
— Tu es sûre ?
Demanda Marianne.
Annabelle hocha la tête et attendit qu’elle s’installe dans le lit avant de la rejoindre.
La lumière éteinte, le rideau occultant tiré. Un léger filet de lumière provenant des lampadaires de la ruelle diffusait une lueur autour des pans de tissu épais.
Elles se couchèrent dos à dos, comme la veille.
— Tu dors… ?
Chuchota Marianne après quelques minutes de silence.
— Non…
Marianne se tourna en première pour mieux l’entendre.
Annabelle l’imita quelques secondes après.
— Est-ce que tu veux discuter un peu ?
Demanda Marianne.
La jeune fille acquiesça sans un bruit.
La brune sourit en devinant qu’elle allait porter la conversation.
— Tout d’abord, je voulais te remercier pour l’appartement. Merci infiniment. J’espère que tu te sens à l’aise ici.
Son interlocutrice se contenta de répondre par des mouvements de tête.
— Est-ce que c’était ton ancien métier ?
La petite tête blonde bougea de gauche à droite.
— Est-ce que je peux te demander ce que tu faisais là-bas… ? Si c’est indiscret, tu n’es pas obligée de me répondre. Je m’excuse d’être trop curieuse. Tu as également le droit de me retourner la question.
Annabelle hésita quelques secondes.
Elle se sentait en confiance, elle avait envie de faire confiance.
Elle souhaitait être honnête avec sa bienfaitrice, elle ne voulait rien lui cacher.
C’était la moindre des choses avec tout ce qu’elle faisait pour elle.
C’était une sensation nouvelle d’avoir quelqu’un qui s’intéressait à elle.
Elle prit une grande inspiration et lui raconta tout : son enfance, son émancipation, sa dépression. Elle s’ouvrit et fit ce qu’elle n’avait jamais fait, elle se confia sur ses craintes, ses angoisses, son désespoir. Elle était persuadée que cette personne la trouverait détestable, immonde, pitoyable. Elle montrait la noirceur de son âme, sans aucun filtre.
La dame l’écouta attentivement, religieusement, et la laissa finir son histoire.
Elle fut touchée en plein cœur. Cette sincérité dans ses mots, ce mal être qu’elle exprimait sans détour. Elle dévoilait sa fragilité, l’intimité de son âme.
Elle était admirative qu’une si jeune femme puisse avoir un tel esprit.
Elles étaient si différentes et pourtant, il y avait quelque chose de similaire dans son récit.
— Est-ce que je peux te prendre dans mes bras… ?
Demanda Marianne.
Timidement, Annabelle hocha la tête de haut en bas.
En ressassant le passé, son corps s’était rappelé de tous ces moments difficiles et elle tremblait de manière imperceptible.
La plus âgée s’approcha doucement, posant délicatement ses mains sur ses cheveux et guidant sa tête contre sa poitrine.
Elle n’avait pas les bons mots pour la réconforter mais ce simple geste était suffisant.
Annabelle découvrait pour la première fois ce que cela faisait d’être enlacée.
Cette chaleur humaine qu’elle n’avait jamais connu auparavant, cette sensation de bien-être, elle avait l’impression d’être en sécurité, que rien ne pourrait lui arriver. Elle était submergée par des émotions inédites. Elle se mit à sangloter dans les bras de Marianne.
Est-ce qu’elle avait le droit de se sentir acceptée et d’être ainsi apaisée ?
Elle finit par s’endormir ainsi.
*
Le réveil sonna et elles émergèrent doucement.
Annabelle était encore embarrassée de la veille, mais Marianne lui souriait tendrement.
Après avoir cherché pendant plusieurs minutes dans son dressing des vêtements qui pourraient aller à Annabelle. Marianne dut se résigner à ce qu’elle remette ses anciens vêtements pour sortir. Elles avaient une morphologie trop différente : Marianne était grande, aux épaules larges et avec très peu de poitrine, tandis qu’Annabelle était petite et aux formes généreuses.
Direction le parking au sous-sol, Marianne prit le volant.
Elle avait choisit une grande zone commerciale avec plusieurs magasins de vêtements.
Elle avait ses habitudes et ses préférences : il fallait qu’il y ait du choix et que la qualité soit au rendez-vous.
La voiture garée, Marianne se dirigea vers une boulangerie.
Annabelle s’obstinait à dire qu’elle n’avait pas faim alors que son ventre signifiait le contraire, Marianne finit par commander la même chose qu’elle et la mettre devant le fait accompli. Elle avait commencé à dresser le profil de la jeune femme et les éléments de la veille lui permirent de mieux comprendre son fonctionnement.
Elle soupira intérieurement, à demi-amusée, la journée allait être longue si acheter un simple petit déjeuner était aussi fastidieux.