11 – Flux

Dans une boutique de lingerie, Marianne avait laissé Annabelle entre les mains d’une vendeuse qui prenait ses mensurations.
Pendant ce temps, elle cherchait un ensemble au rayon pyjama qui pourrait convenir.
Ne trouvant rien à son goût, elle conclut qu’un large t-shirt suffirait certainement. Avec un peu de chance, la longueur du haut lui permettrait de ne pas porter de bas de pyjama.
De retour auprès de la vendeuse, Annabelle était embarrassée.
Elle portait un soutien-gorge à dentelle rouge qui contrastait joliment sur sa peau blanche. Il englobait parfaitement sa poitrine et la mettait particulièrement en valeur.
Marianne rougit instantanément à cette vue et quelques mots lui échappèrent.

— Magnifique.

Annabelle ne savait pas où se mettre. Elle s’était vue dans le miroir mais ça ne pouvait pas être son corps. Elle n’avait jamais porté quelque chose d’aussi beau, ni d’aussi agréable. Il était pile-poil à sa taille, c’était déroutant.
Elle avait jeté un œil aux étiquettes sur les différents modèles que la vendeuse lui avait apporté pour les essayages. Elle avait cherché la virgule entre les chiffres, en vain.
Elle ne pouvait pas accepter, elle cherchait désespérément une excuse à brandir avant que Marianne ajoute autre chose.

— Est-ce que c’est confortable ? Est-ce que tu préfères une autre couleur ?
Demanda-t-elle en détournant le regard.

Annabelle ne pouvait pas mentir. C’était le soutien-gorge le plus agréable qui lui été donné de porter, cependant elle n’avait aucune idée de ses préférences de couleur, elle aurait souhaité quelque chose de moins sophistiqué mais le modèle qu’elle portait était l’un des plus simples du lot. Son cerveau était en ébullition. Si elle répondait honnêtement, elle craignait que Marianne achète l’ensemble. Exprimer que la couleur ne lui plaisait pas, ne lui permettrait de gagner que quelques minutes pour au final être dos au mur avec les mêmes questions. Elle ne voulait pas mentir mais elle n’arrivait pas à se résoudre à répondre et assumer les conséquences de sa réponse.

Marianne comprit rapidement le dilemme intérieur en l’observant dans son embarras et son mutisme. Pour essayer de la détendre, elle lui posa une autre question.

— Peut-être que tu préfères ne rien porter du tout… ?
Demanda-t-elle avec tout le sérieux du monde.

Annabelle la fixa avec des yeux ronds, la bouche ouverte sans qu’aucun son n’arrive à en sortir.

— Je plaisante à moitié. Je peux comprendre que tu n’aimes pas porter de soutien-gorge mais laisse-moi au moins t’acheter des culottes. Ou des strings, si tu préfères.
Ajouta Marianne, d’humeur taquine.

— Des culottes, ça sera très bien !
Répondit aussitôt Annabelle, les joues un peu plus roses.

Après les essayages, la vendeuse avait pu établir les mensurations de la jeune femme. Cette dernière n’arrivant pas à exprimer son opinion ni à choisir, ce fut Marianne qui trancha.
Elle décida de prendre en premier lieu, des modèles simples sans fioritures, discrets mais élégants, et surtout confortables. Elle surprit Annabelle à fixer les étiquettes de prix et vit son visage se décomposer progressivement.

— L’argent est le dernier de mes soucis, alors ne te tracasse pas.
Lui glissa t-elle délicatement dans le creux de son oreille, pour la rassurer.

Ses mots ne semblaient pas l’atteindre, mais elle espéra qu’ils purent l’apaiser un peu.
Enfin sorties de la boutique, elles continuèrent de se promener dans les galeries.
Malgré la demande explicite de Marianne qu’Annabelle exprime son envie d’entrer dans une boutique pour y acheter ce qu’il lui plairait, elle se contenta de rester derrière les vitrines à observer, des étoiles plein les yeux, sans oser franchir le pas.
Marianne réussit tant bien que mal à trouver des vêtements de tous les jours. Elle utilisa des ruses pour cacher les étiquettes lorsqu’elle le pouvait.
Un jean, des T-shirts, un pull, un manteau et une paire de chaussures.
C’était suffisant pour le moment.
Elle nota dans son téléphone les informations sur les tailles pour pouvoir lui racheter des tenues plus tard.

Le shopping avait été une épreuve pour Annabelle.
Elle espérait que cela soit déjà terminé, rien que d’imaginer la somme totale des achats, elle en avait la tête qui tournait et surtout, elle culpabilisait. Elle avait pu apercevoir les chiffres lors du règlement à la caisse, elle additionnait dans sa tête les chiffres sans réussir à accepter que Marianne faisait de telles dépenses pour elle. Pourquoi ? Pour quelles raisons ?
Elle savait pertinemment qu’elle n’aurait jamais pu s’offrir la moitié de ce qui avait été acheté en l’espace de quelques heures.

Marianne ne s’en préoccupait pas. Elle avait sorti sa carte bancaire d’une nonchalance. Elle avait le sourire aux lèvres, elle souhaitait juste lui faire plaisir et qu’elle passe un bon moment, mais cela eut l’effet inverse.
L’objectif principal était que sa nouvelle colocataire ait des vêtements neufs à sa taille.
Elle vit qu’Annabelle ne se sentait pas à l’aise et elle ne savait pas quoi faire de plus pour atténuer ce sentiment.
La matinée était passée sans qu’elles ne s’en aperçoivent et Marianne se posa dans un restaurant pour déjeuner tranquillement.

Annabelle ne se sentait pas à sa place.
Les gens autour d’elle, la clientèle, tout le monde était bien habillé, sauf elle.
Elle comprit pourquoi Marianne avait tant insisté pour lui constituer une garde-robe.
Elle se sentait comme une souillonne, elle avait honte de faire du tort à Marianne rien que par sa présence. Elle baissa la tête et essaya de se faire la plus discrète possible.

Marianne remarqua l’attitude d’Annabelle.
La journée avait dû être riche en émotions et elle comprit que le shopping n’était pas son activité favorite. Les achats de première nécessité avaient été faits, elle ne comptait pas lui imposer l’après-midi. Il fallait qu’elle y aille petit à petit et c’était déjà pas mal pour une première fois. Elle ressentit le besoin de discuter de tout ceci, au calme, dans le réconfort de son appartement.

— La matinée a été longue et fatigante. Prenons le temps de manger quelque chose et on rentrera à la maison juste après. D’accord ?

Annabelle acquiesça timidement, soulagée, un léger sourire traversa son visage.

*

De retour à l’appartement, Marianne demanda à Annabelle de s’asseoir dans le canapé avec elle. Les achats avaient été posés sur la table basse.
Annabelle était crispée, les poings serrés sur ses cuisses, elle avait peur de s’être mal comportée. Marianne posa délicatement une de ses mains sur celle d’Annabelle avant de commencer

— Si tu as besoin d’exprimer quelque chose, tu peux le faire en toute sécurité. Je ferai de mon mieux pour t’écouter. J’ai vu que tu n’étais pas à l’aise ce matin. Si c’est l’argent qui t’inquiète, je te rassure. Tu n’as pas à y penser, c’est le mien et je le dépense quand ça me chante. Maintenant que tu es ici, j’assume la responsabilité de te fournir de quoi t’habiller. J’ai peut-être été hâtive en boutique, et je m’en excuse. Tu as le droit de changer d’avis, tu peux prendre le temps de réessayer les vêtements, tranquillement, à la maison. Et s’ils ne te conviennent pas, j’irai les rendre en magasin. Je ne t’en voudrais pas, d’accord ?

Annabelle resta muette, émue, elle hocha simplement la tête.

*

Elle s’était réveillée en pleine nuit, en sursaut. Les yeux ouverts, elle sortit du lit immédiatement pour se rendre dans la salle de bain.
La lumière l’aveugla une demi-seconde avant d’apercevoir son pyjama neuf taché d’une couleur rouge vive, fraîche. La panique l’envahit et elle essaya de le nettoyer sur le champ, rincer à l’eau froide et frotter au savon.
Marianne se réveilla lentement, elle avait senti du mouvement dans le lit et elle se rendit compte qu’Annabelle n’était plus là. Une lueur dans le couloir attira son attention encore embrumée par le sommeil. Elle attrapa son téléphone posé sur la table de chevet. Il était beaucoup trop tôt, ou trop tard. Ne voyant pas Annabelle revenir, elle s’inquiéta et se leva pour aller vérifier de ses propres yeux.

— Tout va bien… ?
Demanda Marianne, en se frottant les yeux.

— J-j’ai sali…
Essaya-t-elle d’expliquer avant d’éclater en sanglots.

Lorsque la brune s’approcha pour la consoler, elle comprit aussitôt.

— Hé, ce n’est pas grave. Ce ne sont que des vêtements, ce n’est vraiment rien, il ne faut pas te mettre dans cet état.

Marianne était dépassée. Elle partit chercher des protections hygiéniques et lui apporta un autre pyjama.

— Est-ce que tu as des flux importants ?
— J’ai… quoi… ?
— Est-ce que tu saignes beaucoup, d’habitude ?
— Non… je crois pas…
— Ok, on en rediscutera demain…

Les draps étaient également tachetés de sang.
Annabelle se fondit en mille excuses et Marianne eut un mal fou à la calmer.
La jeune femme avait été submergée par tant d’émotions nouvelles et différentes à la fois, couplé à la fatigue de la journée, ajouté à cela, son pic hormonal en cet instant précis.
Comment pouvait-elle exprimer son immense reconnaissance sincèrement alors qu’elle venait de souiller la literie de sa bienfaitrice ?
Elle se sentait tellement indigne d’être ici. Sa culpabilité exacerbaient ses idées, qui prenaient une direction incontrôlée où elle craignait que Marianne s’énerve, la punisse, ou décide de se débarrasser d’elle. Pire, elle avait peur de lire la déception dans ses yeux sombres.
Elle s’en voulait terriblement, même si son interlocutrice lui répétait qu’elle n’était pas fautive. Comment réussir à se racheter ? Comment croire à tant de bienveillance ?

Lorsque la petite tête blonde finit par s’endormir, les larmes aux yeux, Marianne lui caressa doucement ses bouclettes. Elle se demanda quelle vie avait pu mener cette femme pour se mettre dans cet état pour de simples draps.

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