Annabelle tremblait malgré elle, sa peur de l’inconnu et son imagination débordante l’avait fait angoisser de ce que sa propriétaire allait faire d’elle. Elle appréhendait la colère ou la violence si jamais elle n’obéissait pas, si jamais elle refusait ce qu’on allait lui demander de faire. Elle se sentait idiote d’avoir aussi facilement abandonné son humanité pour à présent souhaiter faire machine arrière. Perdue dans son flot de pensées, elle ne remarqua pas que Marianne s’était éloignée et l’avait même laissée seule dans sa chambre.
Lorsqu’elle prit conscience de ce qui l’entourait, elle se sentit doublement bête.
Une petite voix lui disait de rester sur ses gardes, mais elle devait constater qu’elle s’était fait des films sur les intentions de sa propriétaire.
C’est avec précaution qu’elle s’avança vers le lit, jetant à quelques reprises un regard derrière elle, au cas où la porte se rouvrirait et qu’on la prenne par surprise.
Finalement, elle osa se glisser sous la couverture.
Elle n’avait jamais dormi dans un lit aussi confortable. Le matelas était ferme mais légèrement moelleux sur le dessus, les draps sentaient bons et étaient extrêmement agréables au toucher. Était-ce un avant-goût du paradis ?
Était-ce un piège… ?
Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait.
Est-ce qu’elle pouvait faire confiance ?
Elle fixait le plafond en ruminant ses questions, avant de s’endormir profondément.
Elle se réveilla en sursaut. Elle avait dormi d’une traite avant de se rappeler qu’elle était chez une inconnue et qu’elle était peut-être en danger.
Pourquoi s’inquiétait-elle à ce point pour sa sécurité ? Elle aurait dû être prête à subir n’importe quel traitement. Tout était trop nouveau.
L’horloge de chevet indiquait 11h46.
Elle se leva et sortit de la chambre avec précaution. Elle visita les autres pièces de l’appartement. Elle était seule dans un appartement sans dessus dessous.
Que devait-elle faire ? Qu’allait-elle faire en attendant que sa propriétaire rentre ?
Elle avait si peur de faire une erreur et de se faire réprimander.
Une chose était sûre, ou presque, l’état actuel de l’appartement n’était pas un choix artistique. Elle prenait le risque de ranger et nettoyer un minimum cet espace.
Elle se mit à réunir les vêtements supposés sales, jeter les emballages qui trainaient à la poubelle, faire le tas de vaisselle entassé dans l’évier. Au bout de plusieurs heures de dur labeur, elle pu voir à quoi ressemblait le sol. Un joli parquet se dévoila sous ses yeux.
Elle en profita pour faire la poussière. Elle aurait souhaité pouvoir utiliser la machine à laver mais elle ignorait le programme que sa propriétaire utilisait, alors elle empila les vêtements qu’elle avait réunit sur un même tas, dans la buanderie. Un panier à linge sale était déjà plein et débordait par terre. Après avoir fait le tour des lieux, elle retourna dans la chambre pour faire le lit et elle se rendit compte qu’elle commençait à avoir froid. Elle était restée dans sa tenue de nuit et elle ne savait pas si elle avait le droit de se changer, ni quoi porter d’autre. Elle n’allait certainement pas fouiller dans le dressing, surtout qu’elle ne faisait pas la même taille que sa propriétaire.
Elle n’avait rien d’autre à faire, alors elle se glissa à nouveau dans ce cocon douillet et se rendormit.
*
Elle avait l’habitude d’aller travailler à pieds.
L’appartement était proche de l’établissement qu’elle tenait et elle en profita pour réfléchir en marchant. Son ami allait se payer sa tête lorsqu’elle lui annoncerait la nouvelle. Elle s’était achetée un humain de compagnie. Elle était tombée bien bas.
Elle se raccrochait à quelques détails positifs : elle était passée par une maison vraisemblablement sérieuse. Elle avait tous les papiers qui prouvaient qu’elle était en règles.
En parlant de ceux-ci, elle les avait oubliés dans la valise qui était restée dans le coffre de sa voiture. Avec l’enchaînement des événements, cela lui était complètement sorti de la tête.
Elle retrouva son ami sur l’heure du déjeuner, autour d’une table dans un restaurant chic.
La voyant arriver avec un teint plus pâle que d’habitude, il s’inquiéta et la questionna.
Elle ne tourna pas autour du pot longtemps.
— Tu te fous de moi ?
— Non non… je suis sérieuse…
— J’y crois pas… Qu’est-ce qui t’as pris ?
— J’étais vraiment pas bien hier soir, d’accord… ?
— Tu sais que tu peux m’appeler quand ça va pas.
— T’appeler en plein milieu de la nuit ? Il était 3h. Je t’apprécie beaucoup mais j’ai un minimum de respect pour tes heures de sommeil.
— Ok, effectivement… J’espère que l’établissement était clean, hein ? Rassure-moi.
— Oui, j’ai vérifié… ce matin, en arrivant à mon bureau.
— Marianne ! C’est avant qu’il faut vérifier, pas après !
— Oui, je sais ! J’ai déconné, mais tout est bon, c’est le principal, non ?
— Et… la fille, elle est comment… ?
— Euh… timide ? Pas très bavarde ? Effrayée ?
— Tu l’as laissée chez toi ?
— Bah oui. Je n’allais pas l’emmener avec moi, elle aurait paniqué si elle avait vu dans quoi je travaille, vu son état hier soir…
— T’as fermé la porte avant de partir ?
— Non, pourquoi… ?
— T’as pas peur qu’elle te vole des trucs… ?
— Euh… non. Elle pourrait revendre mes vêtements ou mes meubles, si elle arrive à les déplacer. Elle est plus petite que moi et elle n’avait pas l’air très sportive. Je ne pense pas craindre grand chose de ce côté là.
— Et si jamais elle s’enfuit ?
— Putain, t’es pas con. J’y avais pas du tout pensé… !
— Ça serait dommage…
— Si elle sort et qu’elle a des problèmes… si elle se met en danger…
— Et si c’est elle qui va causer des problèmes ? Elle est sous ta responsabilité, ça va te retomber dessus.
— Elle n’a pas l’air d’être mal intentionnée.
— Les gens cachent bien leur jeu, méfie-toi.
— Je suis dans la merde…
— Rentre chez toi au plus vite.
— Non, ça sert à rien. Si jamais elle voulait partir, c’est déjà trop tard. Elle a eu tout le temps de s’en aller. J’ai trop de boulot cet après-midi, je ne peux pas m’absenter…
— Tu veux que je passe vérifier ?
— Hors de question. Ca attendra ce soir, je vais me débrouiller.
La réponse était catégorique, son appartement était au delà du « non présentable ». Il n’avait jamais eu l’occasion de venir chez elle, et ça n’allait pas changer aujourd’hui.
Elle coupa court à la conversation pour avaler en vitesse son repas et retourner au plus vite à son bureau. Elle voulait finir ces tâches au plus tôt pour pouvoir rentrer chez elle et vérifier ce qu’il en était.
De retour à son travail, elle essaya de se concentrer au mieux pour être efficace.
Lorsqu’elle termina de traiter son dernier dossier, elle jeta un œil à sa montre.
16:12
Elle s’étira sur sa chaise, et vérifia une dernière fois qu’elle n’avait rien d’urgent à gérer. Elle prévint ses employés qu’elle partait plus tôt, mais qu’elle restait joignable si besoin.
Sur le trajet du retour, elle eu le temps de se triturer l’esprit.
Dans le cas où son humain de compagnie était encore là, elle n’avait aucune envie de l’enfermer, ni de la séquestrer.
Arrivée devant chez elle, elle se rappela la valise et elle passa par le parking pour la récupérer, ainsi que le porte-document qui allait avec.
Devant la porte de son appartement, elle appréhendait.
Est-ce qu’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur ?
Elle prit une grande inspiration avant de tourner la poignée et d’entrer.
En ouvrant, elle fit face à un paysage totalement différent.
Elle recula et vérifia qu’elle ne s’était pas trompée de porte ou d’étage, puis elle revint à l’intérieur. Elle reconnut ses meubles mais le salon était méconnaissable.
Où étaient passés ses affaires ?
Elle ne remarqua pas la vaisselle faite, la seule chose qui la frappa de plein fouet, c’était à quel point son appartement paraissait vide.
Elle soupira, dépitée, elle posa sa valise et l’ouvrit pour récupérer les papiers officiels.
Elle était déjà en train de dérouler la liste des démarches qu’elle allait devoir effectuer : se rendre au poste de police, faire une déclaration d’humain perdu, devoir expliquer la situation… Elle était épuisée d’avance.
Elle reconnaissait avoir fait une énorme bêtise, et elle allait en payer les conséquences. Elle se sentait comme la dernière des imbéciles à avoir pu être aussi naïve, son ami avait eu raison sur toute la ligne.
Perdue dans cette spirale de pensée négative, elle fouillait dans la valise : elle y trouva des vêtements. Un pantalon, une ceinture, une chemise, un pull et une veste. Une tenue assez basique, propre mais abîmée. Plus elle s’y attardait, et plus elle remarqua leur usure. Etaient-ce les anciens vêtements d’Annabelle ?
Marianne réalisa subitement que la jeune femme venait d’un milieu social complètement différent du sien. Cette révélation fut un choc mental.
Après tout, se faire cambrioler n’était pas si important, ce n’étaient que des biens matériels. Elle relativisait.
Elle ouvrit le porte-document qui contenait tout ce qui concernait son humain de compagnie : le dossier médical complet, les différents compte-rendu de ses analyses de santé, les papiers officiels de propriété. Tout était là. Elle n’eut pas le courage de s’y plonger tout de suite, elle les étala sur sa table basse et se décida à faire un état des lieux rapides.
Elle se dirigea vers sa chambre en premier lieu, avec beaucoup d’appréhension, elle ouvrit la porte.
Boucle d’or était encore dans son lit.