Période

Le shopping était une épreuve pour Annabelle.
Rien que d’imaginer la somme totale des achats de la matinée, elle ne se sentait pas bien.
Marianne ne voyait pas le problème, elle n’avait pas choisi le restaurant le moins cher du coin, elle souhaitait juste le meilleur pour Annabelle.
Si cela pouvait lui faire plaisir et qu’elle passe un bon moment.
Malheureusement ce fut l’effet inverse.
Annabelle ne se sentait pas à sa place. Les gens autour d’elle étaient tous bien habillés.
Elle comprenait pourquoi Marianne insistait pour lui acheter de nouveaux vêtements, maintenant. Elle était habillée comme une souillonne.
Elle baissa sa tête et essaya de se faire discrète.
Marianne ne remarqua pas tout de suite l’attitude d’Annabelle. Elle était contente d’avoir pu faire ces achats et elle se demandait s’il en restait d’autres sur la liste.
On leur apporta la carte.

*

Annabelle s’était réveillée en pleine nuit.
Elle avait ses règles.
Elle n’avait jamais noté ses cycles et avec les derniers évènements, elle avait totalement oublié qu’elles devaient arriver.
Lorsqu’elle était chez elle, elle s’en fichait, ses draps en avaient vu d’autres et elle avait une alaise.
Mais aujourd’hui, elle était chez Marianne, ses draps étaient propres, clairs, et elle ne savait pas s’il y avait une alaise.
Elle se leva en sursaut, sortit du lit et se rendit immédiatement dans la salle de bain.
Son t-shirt tout neuf qui lui servait de pyjama était maintenant taché de sang.
Marianne se réveilla. Elle avait senti Annabelle se réveiller et se lever.
Ne la voyant pas revenir, elle se leva aussi et alla vérifier ce qu’il se passait.
Elle regarda l’heure sur son téléphone posé sur la table de chevet et le reposa.
Il était en plein milieu de la nuit.
Elle vit la lumière de la salle de bain et s’approcha, à moitié endormie.
Annabelle était en train de se doucher accroupie, et elle essayait de nettoyer son pyjama dans le lavabo.

— Tout va bien… ?
Demanda Marianne, en se frottant les yeux.

Annabelle n’avait pas l’air en forme et elle éclata en sanglots.

— Je… j’ai taché le T-shirt…
Essaya-t-elle d’expliquer.

Marianne essaya de comprendre.
Elle s’approcha et essaya de consoler Annabelle, elle n’arrivait pas à comprendre le problème. Puis en voyant la tache de sang, elle comprit.

— Hey… ce n’est pas grave. Ce sont que des vêtements, ils vivent, et j’en achèterai un autre s’il faut. D’accord ? Ce n’est vraiment rien.

Marianne partit chercher des protections hygièniques et apporta un autre pyjama.

— Est-ce que tu sais si tu as des flux importants… ?
— Je… quoi… ?
— Est-ce que tu saignes beaucoup d’habitude… ?
— Non… ça va…
— On discutera de ce qui te conviendra pour les protections, d’accord ?

Annabelle acquiesça.

De retour au lit, elle remarqua que les draps étaient également tachés, de pas grand chose mais le mal était fait.
Elle se mit dans un certain état et Marianne dut la prendre dans ses bras et la rassurer que ce n’était vraiment pas grave.
Annabelle réussit finalement à se rendormir.

*

Marianne n’avait pas encore eu l’occasion de dire à Annabelle le domaine de son métier.
Elle avait peur de sa réaction et avait fait exprès de ne pas lui en parler en détails.
Elle avait fini par avouer à ses employés qu’elle était avec quelqu’un, qu’elle avait quelqu’un, sans non plus entrer dans les détails. Elle avait peur qu’ils se méprennent sur leur relation.
Annabelle n’était pas sous son contrôle. Elle aimait Annabelle et avait de l’affection plus que juste un humain de compagnie. Elle voulait qu’Annabelle soit heureuse, elle voulait la rendre heureuse et épanouie. Et surtout qu’elle soit considérée comme un humain à part entière. C’est ce qu’elle souhaitait.

Annabelle était plus à l’aise avec Marianne et plus curieuse. Elle se demandait en quoi consistait son travail mais voyant que Marianne éludait les détails, elle n’avait pas voulu la brusquer. Patiente, et en espérant qu’elle soit mise dans la boucle de confidence lorsqu’elle se sentira prête.

Marianne avait été poussée par ses employés curieux qui souhaitaient voir qui vivait avec elle, et qui la rendait plus enjouée depuis quelques semaines.

— Tu vas devoir lui dire un jour, alors amène la !

Marianne savait qu’ils avaient raison. Plus elle attendait et plus cela la pesait de lui cacher la nature de son travail.
Un soir, elle mit le sujet sur le tapis.

— Ça t’intéresserait de venir voir à quoi ressemble mon lieu travail… ?
— Oui ! Bien sûr ! Pourquoi cette question maintenant… ? Je pensais que tu étais pas très enthousiaste de m’en parler… ?
— … Mes employés sont trop curieux… ils souhaiteraient te rencontrer. Et aussi… parce que je ne peux pas te le cacher indéfiniment… j’espère juste que tu ne prendras pas peur ou que tu ne me détesteras pas après ça…

*

Marianne serrait la main d’Annabelle dans la sienne.
Elle appréhendait sa réaction.
Les autres pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient de son établissement, cela ne l’affectait pas, mais ce que pouvait en penser Annabelle, c’était autre chose.
Elle avait tellement peur que cela détruise l’image qu’elle avait auprès d’elle. Et si elle se mettait à la détester, ou pire, que Marianne puisse la dégouter ?
Elle savait que ça pouvait lui briser le cœur, et rien que d’y penser, elle ne se sentait pas bien.
Elle aimait Annabelle de tout son cœur, et pour l’instant, Annabelle l’appréciait.
Elle ne pouvait pas lui mentir par omission ou lui cacher indéfiniment. Annabelle devait savoir la vérité.
Marianne ne comptait pas la laisser enfermée dans son appartement dans une bulle ou une cage jusqu’à la fin de ses jours, juste pour son bon plaisir et qu’elle devienne sa marionnette. C’est ce qu’elle voulait éviter.
Alors elle serrait la main d’Annabelle dans la sienne.
Depuis tout le trajet de chez elles jusqu’à son lieu de travail.
Comme si elle craignait qu’Annabelle la lâche et s’enfuit en courant.
Et Annabelle ne comprenait pas sa réaction.
En arrivant devant le bâtiment Marianne serra sa main un peu plus fort.
Annabelle devait se douter maintenant.
Elles entrèrent.

Annabelle serra également sa main un peu plus fort.
Elle craignait que Marianne veuille la revendre ou l’obliger à travailler dans une maison close.
Était-ce une punition ? Était-ce le but premier de Marianne ? Non, ce n’était pas possible.
Alors qu’elle pensait que Marianne exagérait avec ses craintes, c’était au tour d’Annabelle de paniquer.
Elle avait tellement peur que Marianne l’abandonne.
Elle qui pensait avoir trouvé un foyer, sa place, en rencontrant Marianne, elle n’était plus sure de rien.

Lorsqu’elles poussèrent la porte, les employés à l’intérieur les regardèrent sans un mot pendant un moment.
Comme si le temps s’était figé, ils virent Marianne avec sa main dans celle d’Annabelle et ils comprirent tout de suite qui elle était.

— N’aie pas peur, ils sont gentils et ne te feront pas de mal. Si c’est le cas, n’hésite pas à me le dire.
Marianne les fusilla du regard.

Sentant la main d Annabelle se crisper dans la sienne, elle tenta de la rassurer.
Ces mots ne firent pas cet effet. Annabelle ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire par « gentils ».

— Je dois aller finaliser quelques dossiers urgents, je te laisse quelques minutes, je reviens au plus vite. Fais comme à la maison, d’accord ?

Marianne posa un baiser tendre sur le front d’Annabelle et lâcha sa main, en la confiant à ses employés.
Annabelle était perdue.
Elle resta debout au milieu des paires d’yeux qui la fusillaient, elle baissa les siens et fixa ses pieds, ne sachant pas comment réagir, ni quoi dire.
L’ainée du groupe remarqua sa gêne et se leva pour la guider jusqu’à eux.

— Bienvenue à toi, comment tu t’appelles ? Viens t’asseoir avec nous, est-ce que tu veux quelque chose à boire, à manger ?
— N-non merci… je… je m’appelle Annabelle.
— Ne sois pas timide. On ne va pas te manger.

Elle était chaleureuse, le même genre de chaleur qu’elle avait connu en arrivant chez Marianne.
Elle l’orienta vers un canapé où il restait une place, les gens autour s’écartèrent pour qu’elle puisse s’asseoir puis se resserrent sur elle, comme un étau.

— Comme a dit Marianne, fais comme chez toi.
Lui sourit la jeune femme qui devait à peine être plus âgée qu’elle.

Comment arrivait-elle à être si à l’aise comparé à elle ?

— Bonjour Annabelle… comment tu as rencontré notre Marianne… ?
— C’est vrai ça… elle nous raconte rien à nous… on a juste su qu’elle avait quelqu’un.
— C’était tellement évident ! C’était le jour et la nuit, elle venait travailler avec un sourire sur son visage !
— Oh, ça veut pas dire qu’elle aime pas son travail, hein, enfin je ne crois pas… j’espère que je n’ai pas dit de bêtise…
— Non mais, on est tous d’accord, elle avait pas trop le moral ces derniers mois. On l’a tous remarqué, n’est-ce pas ?

Les employés acquiescèrent.

— Et pouf, du jour au lendemain, elle avait retrouvé le sourire ! Ça cachait quelque chose.
— Exactement !
— On est tellement content de te rencontrer enfin !
— Alors alors ? Elle est comment Marianne en privé ?

— Eh oh, pas de questions indiscrètes ! Laissez-la respirer la pauvre. Tu n’es pas obligée de leur répondre, Annabelle.
Soupira l’ainée.

— Oh… elle ne t’avait pas dit qu’elle travaillait ici… ? Dans ce genre d’endroit ?…
— Oh… tu découvres aujourd’hui… ?

Annabelle acquiesça timidement.

— Je comprends mieux… rassure-toi, Marianne gère cet endroit comme une cheffe. J’ai peur de lui couper l’herbe sous le pied, alors je vais rien dire de plus, à part qu’on l’apprécie beaucoup.
— Et elle semble t’apprécier beaucoup aussi… pour qu’elle te cache à nous pendant si longtemps.
— C’est pas si longtemps que ça… ?
— Chut, moi je voulais la voir au plus vite !
— Je crois qu’on était tous curieux de rencontrer la personne qui rendait notre Marianne si joyeuse.
— C’est vrai qu’elle a pas un boulot facile…
—C’est beaucoup mieux qu’avant, tu n’as pas connu l’endroità ses tout débuts, toi…
— Effectivement…

— Tu veux nous parler un peu de toi, Annabelle ?
L’aînée se tourna vers elle.

Annabelle baissa la tête et resta silencieuse.
Elle avait honte d’avoir abandonné son humanité alors que ces personnes travaillaient dur pour continuer de vivre. Elles avaient cette joie de vivre qu’elle n’avait pas, et que Marianne lui avait insuffle petit à petit.
Elle n’osait pas leur dire ni leur raconter la rencontre avec Marianne. Leur Marianne.
Elle ressentait une petite pointe de jalousie.
C’était difficile à définir, mais réaliser que Marianne n’était pas qu’à elle, cela lui faisait mal dans la poitrine.
Elle se sentait idiote, elle qui vivait dans le confort et la sécurité de son appartement, il était naturel que son monde tourne autour de Marianne.
Mais ce n’était pas le cas pour Marianne. Elle vivait dans un monde ouvert, avec son travail, ses connaissances. Il était normal qu’elle ait d’autres interractions sociales et qu’elle se lie avec d’autres personnes.
Perdue ainsi dans son tourbillon de pensées, l’aînée du groupe n’insista pas.
Marianne sortit de son bureau et le visage d’Annabelle se releva, les yeux un peu brillants.

— Excuse-moi de l’attente, je suis toute à toi maintenant.
Dit-elle en s’approchant d’elle avec un large sourire.

— Oh… on ne l’a jamais entendu dire ce genre de choses… je vais fondre…
— Prenez une chambre… c’est indécent là !
— C’est dégoutant.

Les éclats de rire envahirent la salle.
Marianne donna la main à Annabelle pour la relever et l’emmener visiter les lieux.

— Merci de lui avoir tenue compagnie, j’espère que vous n’avez pas trop cassé de sucre sur mon dos.
Leur dit Marianne, en les laissant.

— C’était un plaisir, on a pas eu assez de temps pour lui raconter tous les dossiers à ton sujet !

— Je suis désolée de t’avoir laissée, quand je travaille je suis vraiment absorbée et j’avais peur que tu t’ennuies. Du coup j’ai préfère te laisser en compagnie de mes employés. J’espère qu’ils ne t’ont pas trop embêtée ? J’ai essayé de faire au plus vite.

— Non non, ils étaient très gentils…

Annabelle ne savait pas ce que Marianne avait prévu pour elle et elle préféra rester silencieuse. Attendant sa sentence.

— Viens, je vais te faire visiter !
Proposa Marianne, enthousiaste.

Elle la prit par la main et l’entraina avec elle.
Elle lui vit faire le tour du propriétaire, et lui montra son bureau en dernier, pour pouvoir discuter avec elle sans être dérangée.
Elle voyait qu’Annabelle n’était pas à l’aise et elle craignait ce qu’elle pourrait penser.

— Dis-moi ce que tu as sur le cœur… je suis prête à entendre ton ressenti vis à vis de mon travail…

— Est-ce que… tu vas me faire travailler ici… ?
Demanda-t-elle, craintive.

— P-pardon… ? Non ! Absolument pas ! Qu’est-ce que-… quelle idiote je fais…
S’exclama Marianne, bouleversée.

— Tu m’es beaucoup trop précieuse pour ça… je suis désolée que tu aies pu penser cela. Non… je ne voulais pas t’effrayer ou te mettre mal à l’aise… je voulais juste que tu sois au courant de ce que je fais pour gagner ma vie… en aucun cas je ne te forcerai à faire le travail de mes employés… ils sont là de leur propre initiative.

Marianne comprit alors pourquoi Annabelle était différente de d’habitude et la rassura en la serrant dans ses bras.
Marianne serait beaucoup trop jalouse si jamais Annabelle était avec quelqu’un d’autre.

— Par contre… tu ne m’as pas dit… qu’est-ce que tu penses de mon travail… ?
— Hmm… tu as l’air de faire un travail respectable… ? En tout cas tes employés ne s’en plaignent pas… qu’est-ce que tu veux dire par la… ?
— Tu… tu ne me détestes pas… ? Je ne te dégoute pas… ?
— Pourquoi… ? Je devrais… ?
— Le fait que je tienne un bordel… une maison close… cela ne te dégoute pas… ?
— Hm… non. Tu as l’air de bien t’en occuper, ça a l’air d’être un endroit bien entretenu et respectable…

Annabelle était beaucoup plus sereine depuis que Marianne lui avait dit qu’elle en comptait pas la forcer à se prostituer.
Quant à Marianne, elle avait encore du mal à croire qu’Annabelle n’était pas affectée par la nature de son travail. Elle s’était tellement inquiétée, jusqu’à en perdre le sommeil, qu’elle n’en revenait pas que cela soit si simple et qu’elle se soit fait du mouron pour des broutilles.
Elle serra la main d’Annabelle dans la sienne, en essayant de reprendre ses esprits.
Elle finit par avoir un rire nerveux et serra Annabelle dans ses bras, ce qui la surprit.

— Tu ne peux pas savoir comment ça me rassure… !
Dit Marianne.

Annabelle sourit timidement.

*

Marianne finit par présenter Annabelle à Duncan.

Elle appréhendait cette rencontre mais Duncan était plus que curieux de voir qui était cette personne, cet humain de compagnie qui avait fait changer Marianne, qui la rendait aussi épanouie.
C’est Duncan qui lui avait forcé la main, pour quelle se décide à organiser cette rencontre.
Annabelle avait accompagné Marianne à son travail ce jour-là. Cela lui faisait plaisir de passer du temps avec elle, même si elle était souvent occupée et concentrée sur ses dossiers. Elle avait réfléchi à un moyen de se rendre utile et de la décharger un tout petit peu.
Elle avait fini par prendre ses aises, sympathiser avec les employés qui la considérait comme faisant partie de la famille à présent. Elle se rendait dans la cuisine pour préparer un thé, prendre quelques biscuits pour le gouter de Marianne, et en profiter pour le préparer pour les autres, en l’apportant sur la
table du hall.
Elle se rendit compte qu’il ne restait plus grand chose, et elle proposa de faire des courses rapides.
Elle n’avait pas mieux à faire et on l’en remercia. Elle prit les commandes et elle s’en alla en direction d’une supérette avec son sac.
Elle avait un peu de monnaie sur elle, suffisamment pour des petites courses.
Sur le chemin du retour, elle failli percuter quelqu’un en sortant du magasin parce qu’elle avait regardé le ticket de caisse, ses yeux rivés dessus, elle ne regarda pas devant elle et un homme se tenait sur son chemin.
Elle s’excusa platement et il lui sourit.
Elle ne savait pas s’il se moquait d’elle, mais elle continua sa route, n’y prêtant pas plus attention.
Malheureusement, l’homme semblait la suivre et elle commença à avoir peur.
Il était en plein jour mais elle craignait tout de même qu’il soit un vieux pervers.
Elle accéléra le pas et essaya de le semer, sans succès. À chaque coin de rue, il semblait la rattraper.
Elle n’était pas loin de l’établissement et elle se sentit rassurée de pouvoir y entrer.
L’homme ne devrait pas la suivre jusqu’ici.
Elle arriva essoufflée et les employés s’inquiétèrent, étonnés de la voir dans cet état.

— Je… il y a un homme bizarre qui m’a suivi… ! J’ai eu tellement peur…
Tenta-t-elle d’expliquer, le souffle encore un peu court.

Elle entendit la porte s’ouvrir derrière elle, et elle reconnut sa silhouette. Elle paniqua.

— C’est lui !! C’est lui qui me suit depuis que je suis sortie du magasin !
S’écria-t-elle, en le pointant du doigt et se cachant derrière quelqu’un.

À la vue de cette personne, les employés explosèrent de rire.

— Pourquoi vous riez… ?
Demanda Annabelle, perdue, ne comprenant pas l’élément comique.

L’homme semblait tout autant déconcerté.

— Haha… ha… Ce n’est que Duncan… ! Ce n’est pas un détraqué, tu peux te rassurer… !
Expliqua une des employés.

— Duncan… ?
Répéta Annabelle.

*

Marianne était morte de rire.
Duncan et Annabelle étaient dans le bureau avec elle, et elle ne s’en remettait pas.

— Excusez-moi… je n’ai pas ri comme ça depuis une éternité… ah… Annabelle, je te présente mon vieil ami : Duncan. Duncan, voici ma chère et tendre Annabelle.
Annabelle le salua timidement. Elle avait encore un peu honte de l’avoir pris pour un détraqué.

— Je la rencontre enfin… j’aurais souhaité dans de meilleurs circonstances… je trouvais ça amusant qu’on se rende au même endroit après s’être bousculés, pas que ce soit hilarant à mes dépends…
Dit Duncan, dépité.

— Tu ne crains rien, Annabelle. Et si jamais Duncan devait te faire du mal. Je me ferai une joie de lui faire payer.
— Je veux bien voir ça… madame qui va moins souvent à la salle ces derniers temps.
— Tu vas pas me faire croire que tu as trouvé la motivation d’y aller.
— Ah bah si. J’ai un peu plus de temps récemment !
— Et les cours d’arts martiaux ?
— Chaque chose en son temps.
— Je suis encore capable de te faire mordre la poussière, ne me sous-estime pas.
— Je n oserai pas !

Annabelle les écouta sans un mot.
Elle découvrait comment Marianne était avec Duncan.
Elle qui était si douce avec elle, si attentionnée.

— Ah, excuse-moi Annabelle. Je connais Duncan depuis que je suis étudiante, ça fait une paire d’années maintenant…
— Ça ne nous rajeunit pas…
— Et non… il passe de temps en temps me voir parce qu’il a le temps de s’ennuyer à son travail.
— Disons que je ne suis pas aussi pris par mon travail qu’une certaine personne.
— C’est ce qu’on dit.

*

Annabelle se sentait de trop.
Marianne s’entendait extrêmement bien avec Duncan et elle ne pouvait s’empêcher d’être… jalouse.
Elle avait cette crainte. C’était la première fois qu’elle ressentait cela.
On lui avait offert tant d’amour, une émotion nouvelle à ses yeux, une chaleur humaine, et maintenant elle craignait de tout perdre, elle avait peur d’être en manque. Rien que d’imaginer Marianne et Duncan ensemble, son cœur se resserrait.
Pourtant, il n’avait rien fait de mal, et elle aimait trop Marianne pour l’éloigner de son ami, mais elle avait cette épine dans la poitrine.
Est-ce que Marianne allait la détester si elle était au courant de ce qu’elle ressentait présentement… ?

*

Marianne sentait qu’Annabelle n’était pas dans son état habituel.
Elle avait son regard perdu et fixait pas mal Duncan.
Une hypothèse lui traversa l’esprit et s’encra dans sa poitrine. Et si Annabelle était tombée amoureuse de Duncan… ? Duncan ne semblait pas insensible à Annabelle. Marianne le connaissait assez bien pour savoir que c’était son type de fille, mais jamais elle n’aurait pensé que les faire se rencontrer la mettrait
dans cette situation.
Elle voulait garder Annabelle pour elle seule, mais elle savait que c’était égoïste et même si sur le papier, Annabelle lui appartenait, elle gardait en tête qu’elle avait son libre arbitre.

*

Duncan prit à part Annabelle avant de partir et échangea son numéro avec elle pour pouvoir l’inviter à déjeuner.
Annabelle était intimidée. Elle accepta sans comprendre pourquoi. Duncan ressemblait à Marianne par le charisme qu’il dégageait. Il était sûr de lui et savait ce qu’il voulait. Il avait cette aura qu’on pouvait difficilement lui refuser quelque chose.

Il voulait s’entretenir en privé avec Annabelle parce qu’il ne la connaissait pas, il était encore un peu méfiant, et il voulait que cela reste entre eux.
Il tenait énormément à Marianne, et il voulait s’assurer qu’Annabelle était quelqu’un qui ne profiterait pas d’elle.

*

Au soir, chez elles, Marianne prit son courage à deux mains pour lui poser quelques questions.
Posées sur le lit, allongées l’une à côté de l’autre.

— Alors… qu’as-tu pensé de Duncan… ?
— Euh… il est bien habillé… ?
— Ses vêtements… ? Je parlais de son physique…
— Ah… euh… il est plutôt… vieux… ?

Marianne avait un pincement au cœur en posant ces questions, mais elle voulait savoir si Annabelle ressentait quelque chose pour lui.
Elle les avait vu, ils avaient voulu être discret.
Duncan s’était approché d’Annabelle et lui avait chuchoté quelque chose, avant de partir.
Cette vision la hantait.

— Lorsque je vais lui dire, il va être flatté ! Il ne me croit pas quand je lui dis qu’il a du charme pour un gars qui a la quarantaine ! J’ai vu que vous avez discuté tous les deux… Vous vous êtes dit quelque chose… ? Bande de petits cachotiers…
— Non non… il a souhaité qu’on s’échange nos numéros…
— Ah bon ?
— O-oui…

Annabelle se garda de lui dire la raison.

— Ah… ce n’est pas bête. Si jamais tu n’arrives pas à me joindre ou l’inverse. Ce n’est pas une mauvaise idée qu’il ait ton numéro.

— Ah… c’est pour ça…
Mentit Annabelle pour essayer de ne pas éveiller les soupçons.

Marianne fut rassurée.

*

Duncan lui envoya un message pour la prévenir de quand il serait disponible pour déjeuner avec elle.
Il lui demanda de s’organiser pour qu’elle ne soit pas avec Marianne ce jour-là.
Elle était dans l’appartement et elle attendait son appel.
Il l’avait prévenue pour qu’elle se prépare et qu’il vienne la chercher chez elle.

Marianne avait remarqué qu’Annabelle envoyait des messages à quelqu’un d’autre sur son téléphone.
Elle savait qu’elle n’avait pas beaucoup de numéros différents dans son répertoire de contacts, et elle se doutait que c’était avec Duncan qu’elle conversait.
Lorsqu’elle lui posait la question, Annabelle évitait de répondre.
Cela éveilla encore plus les soupçons.
Elle mourait d’envie de déverrouiller le téléphone d’Annabelle pour lire, mais elle se retint.
C’était à Annabelle et elle n’avait pas le droit de s’immiscer dans sa vie privée, quelle qu’elle soit.
Elle partit au travail et elle n’arrivait pas à se concentrer.
Elle imaginait Annabelle dans les bras de Duncan et cette vision l’horripilait.

*

Duncan était arrivé avec une très belle voiture et Annabelle fut intimidée. Elle aurait dû avoir l’habitude avec Marianne, mais tout ce luxe restait nouveau pour elle. Elle préféra rester silencieuse tout le long du trajet, Duncan lui jetant des regards de temps en temps.
Etrangement, il était beaucoup plus froid que la dernière fois et Annabelle ne se sentait pas à l’aise. Elle avait l’impression d’être une proie et se demandait si elle n’avait pas commis une erreur en acceptant ce déjeuner.
Installés à table d’un restaurant chic, elle avait toujours cette impression désagréable d’avoir été prise au piège.

Il l’observait, il analysait ses faits et gestes.

— Détends-toi, on croirait que je te séquestre.
Blagua-t-il, de manière très décontractée.

Annabelle osait à peine le regarder dans les yeux.

— Est-ce que tu sais pourquoi je t’ai invitée à déjeuner ?

Elle secoua lentement la tête. Elle avait perdu sa langue. Elle avait tellement peur de dire quelque chose de travers. Elle avait cette sensation qu’à la moindre erreur de sa part, il risquait de lui sauter au cou.

— Bien… On est ici parce qu’on va parler de toi… qui es-tu, en réalité ? Que cherches tu ?

Annabelle écarquilla les yeux. Qu’est-ce qu’il voulait dire ? Qui elle était… ?

— On va être clair. Marianne est une très vieille amie à moi. Je vois très bien à quel point elle est attachée à toi, et l’importance que tu as à ses yeux. Est-ce que tu en es consciente, au moins ? J’espère pour toi que tu n’as rien prévu contre elle. Si jamais tu cherches à la blesser ou lui vouloir du mal, sache que tu risques de le regretter.

Annabelle ne savait pas quoi répondre.
Non, elle ne savait pas qu’elle avait une telle importance aux yeux de Marianne, et jamais elle n’aurait eu l’idée de nuire à sa bienfaitrice.
Ce que Duncan avançait était blessant, qu’on puisse l’accuser de quelque chose de la sorte était terrible.
Elle se sentait insultée et elle aurait voulu quitter ces lieux au plus vite, mais elle ne pouvait pas. Ses jambes refusaient de bouger.

Duncan savait ce qu’il faisait. Ce n’était pas dans son habitude de jouer le mauvais rôle mais il faisait cela pour pousser Annabelle à bout. Il voulait savoir ce qu’elle cachait vraiment, si elle avait vraiment de mauvaises intentions ou non.
Qu’une jeune femme arrive et mette du baume au cœur à Marianne du jour au lendemain, c’était trop beau pour être vrai, trop beau pour qu’il n’y ait aucune mauvaise intention derrière. Il était méfiant.
Marianne était peut-être aveuglée par ses sentiments, mais lui non. Il avait un jugement plus clair, et il arriverait à tirer les vers du nez de cette Annabelle.
Il avait fait exprès de choisir ce restaurant qui avait des pièces privées pour les repas d’affaires.
Personne ne viendrait les déranger.
Il voyait qu’elle était en train de perdre pieds.
C’était exactement ce qu’il cherchait, qu’elle avoue tout et qu’elle expose son vrai visage.

— Je ne suis pas dupe. J’ai enquêté sur toi, et j’ai lu ton dossier. Pourquoi quelqu’un d’aussi normal que toi aurait décidé d’abandonner son humanité ? Cela ne tient pas la route. Qui t’a commandité ?

Annabelle était attaquée, et rien n’allait la sauver.
Elle devait s’en sortir seule, et qu’il ose parler de ses choix et qu’il juge son passé, elle ne pouvait pas le laisser l’insulter sans rien dire.

— Que savez-vous de moi ? Que savez-vous de ce que vous appelez la normalité ?!

Les larmes aux yeux, elle osa élever sa voix pour lui répondre. Sauf qu’elle avait une voix faible et tremblante, l’émotion trahissait ses cordes vocales, cela sonnait tellement mieux dans sa tête.

Duncan esquissa un sourire, il pouffa.
C’était ridicule qu’elle s’exprime de cette manière.

Elle ne se laissa pas abattre, elle devait lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

— Je ne vous permets pas d’assumer ce que ma vie valait avant de rencontrer Marianne. Croyez ce que vous voulez sur mon passé mais je ne vous permets pas de douter de mes intentions envers Marianne ! Elle m’a sauvée ! Elle m’a accueillie chez elle et s’est occupée de moi. Vous pensez vraiment que je chercherai à lui nuire ?! Allez-vous faire foutre !

Les larmes avaient fini par couler. Ce n’était plus de la peur mais bien de la colère qui s’exprimait.
Cet homme qui était soit disant un ami de Marianne, était à ses yeux un odieux connard. Pédant, imbu de lui-même, regardant de haut les autres classes en se faisant des films sur ce que leur vie était.
C’était le cliché de la classe supérieure qu’elle détestait. Comment pouvait-il être un ami aussi proche de Marianne ?

—Oh, vraiment ? Je me méprends ? Tu joues plutôt bien la comédie pour une gamine de ton genre. J’en ai rencontré des profils similaires, malheureusement ce n’étaient pas des filles aussi perverses pour profiter du désespoir et de la solitude de l’âme humaine, pour se faire passer pour une humaine de compagnie. Je t’avoue que c’était risqué de ta part. Je me serai peut-être fait avoir, à la place de Marianne. Joli stratagème.

— Vous êtes taré… ça va pas d’imaginer des scénarios comme ça… ?!
— Oh, je ne suis pas né de la dernière pluie, des filles souhaitant profiter de mon statut et de ma richesse, j’en ai vu passer. Tu ne vas pas me faire croire que tu es aussi naïve.

Annabelle était sans voix. Elle ne savait plus quoi faire pour prouver son innocence. C’était douloureux d’être accusée pour quelque chose qu’elle n’était pas.

— Arrêtez… pourquoi faites-vous cela… ?
Supplia-t-elle.

Elle aurait voulu appeler Marianne pour lui demander de l’aide, mais cela aurait-il confirmé qu’elle la manipulait ? Elle ne savait plus quoi penser ni quoi faire. Tout ce qu’elle était capable, c’était de sangloter en espérant qu’on la laisse tranquille.

— Je ne tolèrerai pas que tu blesses Marianne.

Il gardait un ton sévère et rien chez lui ne trahissait le moindre sentiment. Il semblait vouloir qu’elle s’effondre devant lui et lui demande pardon.

— Vous vous trompez de personne…

Cela était à la limite du supportable.
Elle ne méritait pas d’être traitée de la sorte. Jamais elle n’aurait souhaité être adoptée par un homme aussi sadique et dérangé que lui.

— C’est ce qu’on va voir. Ne me fais pas croire que tu n’as rien à te reprocher. N’est-ce pas la belle vie, aux côtés de Marianne ? D’être chouchoutée et goûter au luxe ? Comment comptes-tu te débarrasser d’elle et hériter de sa richesse ?

— J’en ai assez entendu… !

Elle se leva et, le visage larmoyant, elle se dirigea vers la porte de sortie.
L’air frais de l’extérieur lui fit du bien, elle sécha ses larmes et essaya de rejoindre une rue moins fréquentée pour reprendre ses esprits.
La morve au nez, elle n’avait pas de mouchoir sur elle, elle reniflait et sanglotait encore un peu.
Elle sortit son téléphone de sa poche. Elle allait devoir rentrer et à pieds. Elle remercia intérieurement Marianne de lui avoir fourni cet appareil avec de quoi la localiser.
Elle jeta un coup d’œil à la distance qu’elle allait devoir parcourir. Quelques heures de marche.
Avait-il fait exprès de s’éloigner autant ? Elle l’insulta dans sa tête de tous les noms. Pourtant le trajet en voiture avait semblé si rapide.
Elle se mit en route, avec un peu de chance, elle allait pouvoir rentrer avant Marianne.

*

Il était reste dans le restaurant.
Un arrière-goût désagréable dans la bouche.
Était-il allé trop loin ? Ce n’était pas le moment de douter. Rien n’était jamais trop loin pour protéger ses proches. Il tenait trop à Marianne pour ça.
Pourtant, Annabelle semblait sincère mais il avait eu des mauvaises expériences et cela biaisait son jugement. Et si Annabelle était juste une excellente comédienne ? Elle pourrait manipuler Marianne pour la retourner contre lui. Elle pourrait tout lui dire et tourner le récit à son avantage.
Il eut peur un instant. Marianne ne lui tournerait pas le dos ainsi, et si Annabelle appliquait cette stratégie, cela prouverait ses mauvaises intentions.
Cette discussion lui avait coupé la faim.
Il pensait qu’Annabelle reviendrait le supplier de la raccompagner, ou quelque chose dans ce style. Il avait fréquenté des fausses princesses aux fiertés mal placées et qui changeaient de comportement lorsqu’elles étaient dos au mur.
Au bout de plusieurs minutes, ne la voyant pas revenir, il s’en alla également. S’excusant platement au restaurant de devoir annuler.
Sur la grande rue, il ne vit personne correspondant au descriptif d’Annabelle.
Il commença à s’inquiéter.
Et si elle disait la vérité ?
Ou non, peut-être qu’elle le manipulait également.
Merde, si jamais il lui arrivait quoi que ce soit, il serait dans un sale pétrin. Marianne ne lui pardonnerait pas d’avoir abîmé sa chose physiquement. Ça, il pouvait en être certain. Il retourna à la voiture et essaya de réfléchir.

— Merde ! Fais chier !
S’énerva-t-il en tapant sur le volant.

Il laissa exprimer sa frustration.
Que faire dans ce cas ? Le plus important était de la retrouver et de la ramener chez elle.
Réfléchir, réfléchir. Elle avait certainement dû essayer de rentrer par ses propres moyens.
Il regarda le plan aux alentours et afficha le trajet à pieds jusqu’à chez Marianne.
Elle ne devait pas être loin. Il préféra partir sur cette hypothèse que de penser au pire en imaginant un enlèvement. Ou qu’elle se soit fait renverser par un véhicule. Mieux valait rester positif.
Il tourna et retourna dans les ruelles en cherchant une tête blonde.
Heureusement il la retrouva au bout d’un bon quart d’heure. Soulagé il gara la voiture un peu plus loin pour la rattraper à pieds et lui parler.
Elle continua à marcher en l’ignorant.

— Hey ! Arrête-toi !

— Qu’est-ce que vous me voulez ? Ça vous a pas suffit de m’insulter ? Vous voulez m’agresser en public aussi ?
Lui dit-elle, encore en colère.

— Non… est-ce qu’on peut discuter calmement… ?
— Comme au restaurant ? Pff, oui bien sûr.
— J’ai garé ma voiture pas loin, laisse-moi au moins te raccompagner.
— Non merci. Laissez-moi tranquille.

Il l’attrapa par le bras pour la faire s’arrêter et qu’elle lui fasse face.

— Lâchez-moi.
— Est-ce que tu veux vraiment faire une scène en public… ?
— C’est une menace ?

— Non… je veux juste te raccompagner chez Marianne, s’il te plait…
Finit-il par supplier, d’un long soupir.

Epuisé, il savait que s’il cherchait à la menacer ou s’imposer, cela aurait l’effet inverse. Il l’avait compris avec le restaurant.

Annabelle se laissa convaincre.
Elle n’avait pas spécialement envie de marcher encore une heure, elle ne savait pas si elle aurait assez de batterie sur son téléphone avant d’arriver à destination.
Et son ton dans la voix était moins directif que dans le restaurant. Il semblait sincère. Elle se laissa convaincre. Aussi parce qu’elle voyait les regards des passants qui se demandaient s’ils étaient en train de se quereller en tant que couple. Elle n’avait aucune envie de se donner en spectacle.
Elle le suivit et ils s’installèrent dans la voiture.
Elle n’osa rien dire. Elle ne savait pas quoi dire.
Elle était contrariée, une once de colère résidait encore en elle. Tout ce qu’elle voulait c’était rentrer chez elle, retourner auprès de Marianne. C’était le seul endroit où elle se sentait bien et en sécurité.
Duncan eut pitié de ses larmes et de son nez qui coulait, il sortit un mouchoir en tissu de sa poche sur lequel était brodé ses initiales, et il lui tendit.
Elle n’eut pas le choix que de le remercier et de se moucher bruyamment dedans.
Il ne savait pas par quoi commencer. Il était rassuré d’avoir réussi à la retrouver, il se sentait idiot.
Peut-être aurait-il dû essayer par la croire en premier lieu.
Alors il s excusa, de s’être comporté comme il l’avait fait.

— Bon… je tenais tout d’abord par m’excuser… je… j’ai dit des choses un peu dures. Marianne est mon amie depuis des années et je m’inquiète un peu trop pour elle… c’est la première fois qu’elle est aussi proche de quelqu’un et je ne suis pas serein…

Il cherchait ses mots.
Annabelle s’était calmée et avait les esprits plus clairs pour se rendre compte que Duncan devait tenir énormément à Marianne pour l’avoir poussée à bout. Son comportement n’était pas plus acceptable mais elle pouvait au moins comprendre pourquoi il l’avait fait.

— Je ne te fais pas entièrement confiance… je te garde à l’œil, mais je te laisse le bénéfice du doute. Si jamais tu nuis à Marianne, je ne te laisserai pas t’en tirer facilement.
— Peu importe ce que vous pensez de moi. Est-ce que vous me raccompagnez ou vous me laissez partir ?

Annabelle ne voulait plus avoir affaire avec lui. Elle était épuisée de chercher à le convaincre de son innocence.
Annabelle le remercia à demi-mot en sortant de la voiture et elle ne se retourna pas pour lui dire au revoir.
Elle aurait préféré que tout cela n’ait pas eu lieu.
Adossée à la porte, après être rentrée dans l’appartement, elle avait encore son mouchoir en tissu.
Elle aurait voulu le jeter, le bruler, mais sa bonne conscience lui dit de ne rien à faire, à part le nettoyer pour lui rendre.
Elle était encore hors d’elle.
C’était un connard, mais c’était un connard qui s’inquiétait pour Marianne, et qui ne lui faisait pas confiance. Il était dans son droit de se méfier mais Annabelle avait encore en travers de la gorge tout ce qu’il lui avait dit.
Son ventre lui rappela qu’elle n’avait rien avalé depuis la veille et elle essaya de grignoter quelque chose avant que Marianne n’arrive.
Marianne remarqua que quelque chose était différent.
Annabelle avait les yeux rouges et semblait avoir pleuré, mais elle n’était pas sûre.
Elle la prit dans ses bras.

— Tu es sûre que tu vas bien… ?

Annabelle mentit et Marianne se douta de quelque chose.
Annabelle resserra son étreinte dans les bras de Marianne.
C’était bien ici qu’elle se sentait le mieux.

*

Marianne remarqua le mouchoir et le reconnu.
La jalousie l’emporta.
Annabelle avait-elle vu Duncan en secret ?
Est-ce qu’ils avaient une liaison ? Cela la rongeait et elle n’osait pas en parler à Annabelle.
Elle avait trop peur qu’elle lui confirme que c’était vrai.
Elle ne voulait pas se disputer avec elle.
Elles étaient dans les bras l’une de l’autre, dans le lit.

— Annabelle… Qu’est-ce que le mouchoir de Duncan fait chez nous… ? Est-ce que tu as quelque chose à me dire… ?
Finit par demander Marianne.

Cela faisait des jours qu’elle tournait cette question dans sa tête sans réussir à la poser.
Annabelle se crispa et Marianne le remarqua.

Annabelle ne pouvait s’empêcher d’avoir un rejet à la mention de Duncan. Elle avait envie de l’insulter mais c’était l’ami proche de Marianne.

— Annabelle… ? Que s’est-il passé… ? Tu peux me le dire… Est-ce que vous avez une liaison… ?

— Non ! Non !!!
S’écrit Annabelle, dégoutée qu’elle puisse imaginer cela.

— Dans ce cas… qu’est-ce que tu me caches… ? Il y a quelque chose que tu ne me dis pas…
— Nous avons…

Annabelle cherchait les bons mots pour que la situation ne se retourne pas contre Marianne et Duncan.
Elle ne voulait pas créer un conflit entre les deux amis.

— Il m’a… invitée à déjeuner.
— Il a… mais pourquoi ?!
— On a appris à mieux se connaitre… il s’inquiétait pour toi.
— Vraiment… ?

Annabelle acquiesça. Elle avait dit la vérité sans entrer dans les détails.

— Et le mouchoir… ?
— J’ai… j’avais le nez encombré…

Marianne sentit qu’Annabelle n’était pas à l’aise et semblait trembler dans ses bras. Elle n’insista pas.
Elle allait devoir avoir une conversation avec Duncan.

*

Elle emporta le mouchoir lavé avec elle et en profita pour déjeuner avec Duncan pour le lui rendre.
Elle posa le mouchoir sur la table.

— Je crois que c’est à toi.

Duncan était blême.

— Tu m’expliques ?
— Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je ne sais pas ce qu’Annabelle t’a raconté, cette profiteuse… !
— Qu’est-ce que je crois ? Comment tu l’as qualifiée… ?
— Elle cherche à nous monter l’un contre l’autre.
— Absolument pas. Sais-tu au moins ce qu’elle m’a dit ?
— Non… ?
— Que vous avez déjeuné ensemble.
— Ah oui, c’est vrai.
— Comment ça « ah oui » ?
— Je l’ai invitée à déjeuner…
— Je vais être directe et je veux que tu sois sincèr avec moi : est-ce que vous avez couché ensemble ?
— Quoi ?! Non ! Ça va pas ?!
— Ok, alors pourquoi vous me cachez ça ?

Marianne était rassurée mais elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi ils semblaient y avoir quelque chose.

— Elle t’a pas raconté… ?
— Raconté quoi ? Ce que vous avez mangé ?
— Euh… oui par exemple.
— Non.

Il soupira.
Il se demandait si ce n’était pas pire qu’il doive raconter ce qu’il s’était passé, mais au moins il avait l’avantage de lui raconter la vérité.
Après lui avoir avoué les évènements.
Marianne tremblait de rage.

— Donne-moi une bonne raison pour que je ne t’enfonce pas mon poing dans ton visage.
— Je l’ai fait pour toi.
— Je ne t’ai rien demandé.
— Je m’inquiète.

Marianne essaya de se calmer

— Je sais que tu as eu des expériences désastreuses en amour, mais ce n’est pas une raison pour croire que cela n’existe pas.
— Quoi ? L’amour ?
— Les gens bienveillants. Annabelle n’est pas ce que tu crois.
— Qu’es-ce qui te fait croire ça… ?
— Parce qu’elle n’a jamais exigé des choses de moi. Elle me donne énormément, tu ne te rends pas compte…
— Non, je ne me rends pas compte.
— Je devrais te frapper pour lui avoir parlé ainsi.
— Je l’ai fait pour toi.
— Je vais être claire. C’est un avertissement. Ne t’avise plus jamais de lui parler sur ce ton.

Il leva ses mains pour se défendre.

— Ok, ok. Ne viens pas pleurer lorsque tu te rendras compte que j’ai raison.
— Merci de te soucier de moi, mais tu vas faire quoi si tu as tort ?
— Je m’excuserai platement à Annabelle, et je serai heureux pour vous. Tu veux quoi d’autre ?
— Je sais pas… je réfléchis. Je te le dirais quand une excellente idée me viendra en tête. Je n’arrive pas à croire que tu aies pu lui tenir ce genre de propos.

Marianne lui raconta pourquoi elle avait confiance en Annabelle.
Contrairement à un simple animal, Annabelle était humaine et était dôté d’une certaine intelligence sociale.

— Qui te dit qu’elle ne fouillait pas chez toi, lorsqu’elle a fait le ménage ?

Marianne le jugea.

— Qu’est-ce qu’il te faudrait pour avoir confiance en elle ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour te prouver qu’elle n’est pas ce que tu crois ?
— On pourrait tenter une expérience qui nous mettrait d’accord sur ce de quoi elle pourrait être capable.
— Je t’écoute.
— Il faudrait lui faire croire que tu ne veux plus d’elle. Confie-la-moi pendant une semaine.
— T’es tombé sur la tête ?
— Je suis sérieux. Si au bout d’une semaine chez moi, je n’arrive pas à prouver qu’elle est malveillante, alors j’admettrai que j’ai tort.
— Et tu veux que j’arrive à lui faire croire ça comment ? Elle sait que je l’adore et je pense que c’est réciproque.
— Tu pensais qu’on avait couché ensemble, on peut partir sur ça. Que tu ne lui fais plus confiance et que tu te débarrasses d’elle. Qu’elle est souillée ou quelque chose dans le genre.
— T’es sérieux ?
— Bien sûr. Je te promets de pas la blesser physiquement.

Marianne plongea son visage dans ses mains pour réfléchir.

— Tu me demandes de mentir…
— Annonce lui, et je m’occupe du reste.
— Si jamais tu as tort…
— Je sais, je vous devrais des énormes excuses.

*

Marianne rentra chez elle et du mentir à Annabelle.
Elle fit semblant d’être énervée et elle fit la valise d’Annabelle.
— Marianne… ? Que se passe-t-il… ?
— J’ai discuté avec Duncan… vous avez couché ensemble… pourquoi tu m’as menti… ? Je te faisais confiance… je ne veux plus te voir…
— Non… ce n’est pas vrai ! Je n’ai jamais couché avec Duncan ! Marianne… tu dois me croire !

Annabelle perdait pieds. Elle n’arrivait pas à y croire. Elle avait l’impression d’être dans un cauchemar.

— Duncan va venir te chercher… tu pourras passer le reste de tes joursà ses côtés…
Ajouta Marianne, qui avait intérieurement le cœur brisé.

— Non… Marianne… écoute moi… ne fais pas ça… je déteste Duncan ! Je n’aurais jamais couché avec lui, je ne veux rien avoir affaire avec lui… ! Crois-moi !

Cela lui brisait le cœur de voir Annabelle dans cet état, elle voulait y croire. Après une semaine. C’était le délai qu’avait annoncé Duncan.
Elle priait intérieurement qu’Annabelle lui pardonne si jamais l’hypothèse de Duncan était fausse.

Annabelle était démunie, elle aurait voulu croire à une mauvaise blague, à un cauchemar.
Duncan arriva et il emporta sa valise et elle n’eut pas d’autre choix que de le suivre.
Marianne lui avait tendu les documents de son dossier d’adoption.
Annabelle n’arrivait pas à avaler ce qui se passait.
Dans la voiture, elle resta muette.

— Tu ne pourras plus nuire à Marianne si tu vis avec moi.

Annabelle comprit alors pourquoi Duncan avait menti, et pourquoi Marianne avait cru en ce mensonge.
Pourquoi. Qu’avait-elle fait pour mériter ça ?
En arrivant chez lui, il la fit dormir sur le canapé.
Il la laissa et ne s’occupa pas plus d’elle.
Il commençait à se faire tard et il commanda à manger.
Il n’avait pas plus le temps de cuisiner et il fit comme si elle n’était pas là, en observant ses réactions.
Il savait exactement ce qu’il faisait.
Annabelle était restée dans un coin du salon, loin de Duncan et fixait son téléphone.
Elle aurait voulu appeler Marianne mais elle n’était pas en état de l’écouter.
Elle réfléchissait à un message pour lui expliquer à quel point elle était sincère, mais peu importe comment elle le tournait dans sa tête, cela sonnait creux. Surtout avec ce qu’avait pu lui raconter Duncan.
Elle était partagée entre la haine et la colère qu’elle ressentait pour Duncan et le désespoir.
C’était fini. Le paradis qu’elle avait vécu aux côtés de Marianne. Tout s’était écroulé.
Elle ne voyait pas comment elle pouvait réparer cela ni retourner dans le temps.
Lorsqu’on touche le fond, on est prêt à n’importe quoi.

2022.01.31

2 réflexions sur “Période

  1. Fluo dit :

    Je te l’ai déjà dit de vive voix mais je te le redit ici : Duncan est un PUTAIN DE CONNARD. Comment tu peux avoir l’esprit aussi mal tourné et penser à ce genre de chose, même si il s’agit d’un amie proche à laquelle tu tiens.
    Et Marianne qui se laisse convaincre, ça m’a tellement foutu la rage…

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