Prêt

Prêt provisoire.
Elle entra dans le bureau.
Elle apporta le thé ainsi que quelques biscuits sur un plateau.
Elle déposa la tasse et sa coupelle en face de l’invité, en premier lieu. Tout en se plaçant sur le côté pour ne pas gêner leur conversation. Ses gestes étaient discrets et d’une légèreté. Elle savait se faire oublier.
Elle fit ensuite le tour pour poser la tasse et la coupelle sur le bureau, mais en face de la directrice.
Elle la remercia d’un coup d’oeil.
Des petits biscuits sur une autre assiette furent posés entre eux.

— Tu ne me rends pas souvent visite, qu’est-ce qui t’amène ? Mets-toi à l’aise.
— Pas grand chose, je passais dans le coin et je me demandais comment tu allais. Tu sais bien que je suis pas mal pris avec mon travail… j’aimerai passer plus souvent te voir.

— Exagère pas, non plus.
Elle le coupa net.

— C’est la stricte vérité, j’ai bien compris que nos trains de vie n’étaient pas compatibles… toujours aussi dure avec ton vieil ami, hein ?
Dit-il en esquissant un sourire triste.

— Quoi de neuf, cher viel ami ?
Elle posa sa question avec beaucoup de tendresse, ils devaient se connaître depuis longue date.

— Pas grand chose, les affaires… et toujours le vide dans ma vie sentimentale. J’ai tellement de mal à trouver quelqu’un avec qui je me sens bien… puis regarde-moi, je commence à me faire vieux. Je me sens si seul. Et toi, tu ne te sens pas seule ? On est un peu pareil tous les deux, des solitaires…

— Comment ça ? Tu as tout pour plaire !
S’exclama t-elle outrée.

— À vrai dire, j’ai pu me sentir un peu seule mais de toute manière, je n’ai pas de place pour quelqu’un dans ma vie. C’est la triste réalité. Mais je le vis beaucoup mieux maintenant, si tu veux savoir.

— Je sais bien que j’ai enchaîné les conquêtes plus jeune, mais je recherche une relation sérieuse et saine… pas quelqu’un qui en aurait après mes biens matériels.
Repondit-il las.

Assis sur son fauteuil les jambes croisées, et une main sur l’accoudoir.

— Tu n’es pas venu jusque ici pour te plaindre, n’est-ce pas ?

— Pour te voir, aussi.
Dit-il d’un large sourire qui accentuait ses rides aux coins des lèvres.

— Arrête ton char, sur le champ.
Dit-elle de sa voix autoritaire.

— Dis-moi ce qui a changé pour toi, pour que tu le vives mieux ?
Demanda t-il plus sérieusement.

Elle semblait songeuse, se caressant le menton.

Elle était sur le point de se retirer lorsque la directrice lui fit signe de rester avec sa main.

— Que penses-tu d’elle ?
Dit-elle en la désignant.

Il se retourna comme s’il découvrait sa présence.
Elle était debout contre le mur, près de la porte, le plateau entre ses bras. Elle semblait aussi surprise que lui des paroles de la directrice.

Son uniforme était une robe longue noire et sobre avec un simple tablier blanc par dessus. Un col claudine blanc habillait son cou et elle avait les cheveux courts, quelques mèches réunies en arrière pour ne pas lui gêner la vue.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Dit-il perplexe.

— Je veux bien te la prêter une semaine. Elle te rendra moins malheureux pendant au moins cette courte période. Ça te fera du bien.

Après qu’elle se rendit compte de ses mots, elle se corrigea.

— Interdiction de la toucher, qu’on soit clair, je t’offre son service pour que tu sois moins déprimé et tu me la rends après. C’est compris ? Si jamais il lui arrive quoi que ce soit. Tu auras affaire avec moi !
— Mais… tu veux que j’en fasse quoi… ? Je comprends pas.

Il avait l’air perdu.
La jeune femme avait l’air également perdue et ne comprenait pas cette situation où elle était considérée comme un objet.

— Elle va s’occuper de ton chez toi, tu verras, tu auras rien à faire. Si tu as besoin de quelque chose en particulier elle s’en chargera. Par contre si tu abuses d’elle, je peux t’assurer que je t’émascule. Je te fais cette fleur parce que tu es mon ami, sache que je ne prête pas ma petite Annabelle à n’importe qui. Je vois bien que tu es déprimé en ce moment…

Elle fit signe à sa protégée d’avancer et de venir la voir.
Elle se pencha vers son employée pour écouter ce qu’elle avait à dire.

— Ne t’inquiète pas, je te récupèrerai à la fin de la semaine prochaine. Je tiens beaucoup trop à toi pour te céder. Je te fais confiance pour t’occuper de mon ami comme pour moi.

Elle la renvoya d’un geste.

— Prépare ta valise avec le stricte minimum et attends-nous dans l’entrée. Tu pars maintenant.

Elle s’exécuta sur le champ sans demander son reste.

— T’es sérieuse là ?
Dit son ami dès qu’Annabelle quitta la pièce.

— Oui, vraiment, je pense que tu en as plus besoin que moi en ce moment. Je sais qu’on ne se voit pas souvent mais je vois bien que tu es pas bien là. Et si jamais tu n’es pas satisfait de ses services, hésite pas à m’en faire part. Les retours sont toujours bons à prendre.
Sourit-elle.

— Tu me mets dans l’embarras, tu le sais ça ?…
Dit-il gêné.

— Je te garantis que c’est mon meilleur élément, elle est très compétente même s’il lui manque encore un peu d’expérience. Prends-en soin. J’insiste là dessus.
Bon, si tu as fini de broyer du noir, je te raccompagne jusqu’en bas ? Je ne voudrais pas la faire attendre. Elle a dû se dépêcher pour ne pas qu’on l’attende.

Pendant qu’il se levait pour remettre sa veste et prendre la porte, elle continua à lui donner des consignes.

— Je pense qu’elle te le demandera mais n’hésite pas à lui expliquer comment tu veux que les choses soient faites chez toi.

La sentant un peu frileuse à laisser Annabelle partir, il se moqua d’elle.

— Tu sais, tu peux encore changer d’avis et me laisser rentrer seul.
Dit-il d’un sourire narquois.

— Non, ma décision est prise, ça lui fera de l’expérience et ce n’est qu’une petite semaine.
Dit-elle pour se convaincre elle-même.

Il rit à gorge déployée.

— Ça crève les yeux que tu tiens à elle. C’est trop chou. Je pensais pas que tu t’attacherais à une employée de la sorte.

— Moi non plus, ok ?! Allez, oust, j’ai encore du travail après.
Dit-elle pour couper court à la conversation et à sa gêne.

Et elle le poussa jusqu’à la sortie.
Arrivés en bas, en effet Annabelle était déjà prête, elle attendait au comptoir d’accueil en discutant.

— Tu crois que mademoiselle à quelque chose à me reprocher… ?
Demanda t-elle à l’hôte d’accueil.

— Mais non, tu te fais des idées. Tu reviens dans une semaine n’est-ce pas ? Ça va vite passer tu verras. Ça se trouve c’est qu’un test. Tu n’as jamais servi quelqu’un d’autre, non ?

— C’est vrai…
— Tu vois, alors ne pense pas à n’importe quoi.
Dit-il pour la rassurer.

Ils virent mademoiselle et son invité descendre de l’escalier et avancer jusqu’à eux.

— Excuse-nous de t’avoir fait attendre, Annabelle.
Dit-elle tout de suite.

— Bon, je vous laisse, tu me la ramènes la semaine prochaine, à l’heure qui t’arrange.
Dit-elle en s’adressant à son ami.

— Compris, je t’enverrai un message, dès que je saurais mon emploi du temps. Je sais pas si je dois te remercier, Marianne…

— Je t’en prie, Duncan. Tout le plaisir est pour moi. Prends soin de toi. Merci d’avoir pris la peine de passer me voir.
Dit-elle en leur faisant au revoir de la main.

Duncan sortit sans se retourner et Annabelle le suivit sans un bruit avec sa petite valise à la main.
En arrivant sur le parking, il s’arrêta et se tourna vers la jeune femme qui avait l’air tout aussi perdu que lui.
Elle s’arrêta net et attendit un ordre.
Il soupira et marcha jusqu’à sa voiture.
C’était une voiture plutôt modeste mais bien entretenue propre.
Après avoir ouvert le coffre pour qu’elle puisse poser sa valise.
Il l’invita à s’assoir sur le siège passager, à ses côtés.
Enfin tous les deux dans la voiture et les portières fermées, il se mit à parler.

— Bon. D’abord tu peux m’appeler Duncan. Pas de « monsieur » ça me fait sentir vieux et je n’aime pas ça. Et toi, c’est Annabelle, c’est ça ?
Demanda t-il un peu tendu.

Elle ne put s’empêcher de rire. D’un petit rire discret qu’elle cacha avec son poing serré.
Il la regarda les joues un peu rose de gêne.

— C’est que vous avez l’air plus stressé que moi.
Dit-elle, en riant.

— Je n’y peux rien ! C’est ma première fois, d’accord !?

Elle trouva qu’il y avait quelque chose qui lui rappelait sa Marianne. Et elle fut moins angoissée.

— Moi aussi, c’est la première fois que je vais servir quelqu’un qui n’est pas Marianne.
Expliqua t-elle.

— Tout va bien se passer, tu n’as qu’à faire tout comme si j’étais elle.
Dit-il pour la rassurer.

Il y avait quelque chose de doux dans son regard.

— Est-ce que ca implique que je dorme avec vous ?
Demanda t-elle innocemment.

— P-pardon ?! Quel genre de relation as-tu avec Marianne ?!
S’écria t-il.

Heureusement que les vitres de la portière étaient fermées.
Annabelle riait de plus belle.

— Tu te moques de moi, c’est ça… ?
Demanda t-il sur ses gardes.

— Absolument pas, je n’oserai pas Mons-… Duncan.
Se corrigea t-elle.

— Bon, on va rouler…

Cela faisait un moment qu’ils étaient en train de discuter sur le parking.

2019.07.31

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