Exaucer

Il n’est pas marié, sa fiancée est morte de maladie alors qu’il était encore infirmier et il n’avait rien pu faire pour la sauver.
Ils étaient jeunes et ils avaient profité du bon temps de la fin de semaine pour sortir et se balader dans les rues.
Ils vivaient déjà ensemble, heureux.
Elle travaillait dans une petite épicerie comme vendeuse. Elle était de constitution faible mais gardait le sourire et faisait comme de rien n’était.
Pour ne pas inquiéter Michel, elle ne lui parlait pas de ses petits problèmes de santé.

Ils marchaient côte à côte, il était content de passer du temps avec elle. Elle souriante, dans sa petite robe d’été. Ils n’avaient pas tellement d’argent mais ils économisaient pour un mariage prochain.
Ils se dirigèrent vers quelques magasins, ils rêvassaient à quoi acheter quand ils seraient mariés et quand ils auraient plus d’économies.
Il se retourna et ne vit plus Isabelle.
Elle ne le suivait plus.
Derrière une foule de passants, elle était debout, les genoux fléchis et la main entre sa poitrine.
Elle le regarda d’un air triste, elle grimaça de douleur et s’écroula au milieu des gens, sur la route.
Il courut vers elle, elle s’accrocha à lui.
Il lui tenait la main et la serrait fort contre lui.

— Isabelle…
Murmurait-il.

Les passants pouvaient penser qu’ils n’étaient qu’un couple qui se déclarait leur amour.
Elle le regarda dans les yeux et sourit tristement.

— Michel… Je suis désolée… Je ne pourrai pas vieillir à tes côtés… Merci pour tout…

Elle ferma les yeux, lentement et perdit connaissance. Les larmes au coin de l’oeil.

— ISABELLE…

Il serrait encore sa main entre ses doigts.
Il la porta telle une enfant, son corps frêle dans ses bras et courut vers l’hôpital le plus proche.
Il s’excusa auprès des gens qu’il bousculait.
Un homme baraqué qu’il avait soigné auparavant l’interpela.

— Hé, c’est pas Michel !?… Qu’est-ce qui se passe ?!

Il était sur un chariot attelé, c’était un chauffeur.
Il vit Michel essouflé une personne dans ses bras et pressé.

— Monsieur… Ma fiancée vient de s’évanouir, je dois aller à l’hôpital au plus vite…
Dit-il d’une traite en mangeant à moitié ses mots.

— Monte ! À l’hôpital tu dis ? Raconte-moi tout en chemin.
— Merci Monsieur !

Arrivés à l’hôpital, elle passa aux urgences mais il était déjà trop tard. Son coeur avait arrêté de battre.
En sortant, Jean, le chauffeur l’interpela. Lorsqu’il vit le visage blême de son ami, il n’osa pas dire un mot.
Il remercia Jean et resta un peu dans le jardin de l’hôpital.
Il retourna à la chambre d’Isabelle et s’assit à côté d’elle.
Elle semblait dormir à poings fermés.
Il prit sa main et l’embrassa.
Il ne finit pas de s’excuser et pleurer.
Une femme médecin entra dans la pièce au bout de quelques heures.
Elle s’adressa à lui comme si elle le connaissait et lui expliqua que c’était le souhait d’Isabelle de ne pas le mettre au courant de sa maladie.
Elle savait qu’elle n’avait plus beaucoup de temps à vivre.
Qu’elle s’excusait et qu’il ne devait pas s’en vouloir.
Elle lui dit de se ressaisir, qu’il devait continuer à vivre pour lui et pour elle.
Elle partit et le laissa seul avec Isabelle.
Il décida d’aller dans la forêt.
Il savait qu’Isabelle avait toujours rêvé d’y aller mais que c’était bien trop dangereux.
Elle aurait voulu approcher l’arbre géant qu’elle voyait de la fenêtre de leur appartement.
Il n’avait plus envie de vivre sans Isabelle.
Il prit une décision folle, se leva et la prit dans ses bras. Ils allaient y aller.
Peu importe s’il se faisait dévorer par les bêtes.
Les chasseurs étaient nombreux. Les gens qui s’y rendaient savaient ce qu’ils y faisaient. Ils étaient chasseurs ou chassés.
Le regard sans vie, les yeux rouges après avoir tant pleuré.
Il voulait au moins l’emmener dans l’endroit qu’elle voulait tant voir.

Un homme de grande carrure.
Il avait une veste avec une capuche en tissu. Dessous un T-shirt aux manches longues et évasées, une sorte de jupe longue ouverte sur le côté avec un pantalon en tissu léger en dessous et de petites bottes.
Il était derrière des buissons et vit Michel arriver, sans aucune arme sur lui, portant une jeune fille dans ses bras. Il se dirigea vers lui sans se faire remarquer.
Il dégaina son épée et la pointa sur le dos de Michel.

— Que faites-vous ici ?
Demanda t-il d’une voix glaciale.

Michel n’osa pas répondre et semblait se réveiller de sa folie.

— Donnez-moi une raison de ne pas vous tuer.

— … Isabelle… Ma fiancée… Je veux juste me rendre au pied de l’arbre…
Dit-il, les mots entrecoupés de sanglots ravalés.

L’homme armé sembla comprendre la situation.
Il analysa ses alentours pour savoir si aucun danger n’était présent.
Il baissa lentement son épée et poussa un soupir.

— Vous n’avez rien à faire ici. Il n’est pas possible d’aller aussi loin sans se faire tuer…

Son visage caché dans l’ombre de sa capuche.

— Tout ce que je peux faire c’est emmener votre… Isabelle jusqu’à l’arbre…

Il proposa cela en voyant la tristesse se dessiner sur le visage de Michel.

— Vous ne pouvez pas rester ici, vous mettez votre vie en danger. Je vais vous raccompagner jusqu’à la sortie. Rentrez chez vous.

Michel ne savait plus quoi faire.
Même cette dernière chose qu’il voulait accomplir, exaucer pour Isabelle, il en était incapable.
Il regarda l’homme, perdu dans ses pensées.

— Continuez tout droit à partir d’ici, la voie me semble dégagée. Dépêchez-vous de partir.
Dit-il en le jaugeant.

Il soupira de nouveau.

— Vous pouvez me faire confiance, je porterai votre fiancée jusqu’à l’arbre. Je vous le promets.

Michel hésita quelques secondes puis s’approcha lentement de l’inconnu et lui donna le corps de sa bien-aimée.

— Reprenez-vous. Vous devez continuer à vivre, c’est ce qu’elle aurait souhaité, je pense…
Dit-il en regardant Michel dans les yeux.

Michel ne put retenir ses dernières larmes.

— Je suis désolé, je ne peux pas vous laisser aller plus loin dans la forêt…

Lorsqu’ il rentra jusqu’à son appartement, sans se retourner.
Il ne put supporter la vue des affaires d’Isabelle, il ne put s’empêcher de repenser à quelques heures, quelques jours plus tôt. Sa présence était encore palpable. Son odeur.
Il ravala un sanglot et décida de tout mettre dans des cartons.
Dès la semaine prochaine, il demanderait à être interné à son travail.
Comme l’inconnu l’avait dit, il ne devait pas se laisser submerger par sa peine.
Il devait continuer à vivre, et ne se pardonnant pas de n’avoir pu sauver la personne qui comptait le plus pour lui, il se mit à étudier pour être médecin et aider le plus de personnes qu’il pourrait.
Il passa rapidement du statut de simple infirmier à assistant chirurgien puis lui-même médecin et chirurgien.
Les années s’écoulèrent sans qu’il ne s’en rende compte.
Sortant rarement de son lieu de travail.
Il ne s’intéressait plus à rien à part son métier.
À part ce détail, c’était un interne exemplaire qui faisait du boulot irréprochable.
Plusieurs jeunes filles s’étaient éprises de lui mais sans succès.
Il les rejetait toutes sans exception, en s’excusant de ne pouvoir leur rendre leurs sentiments.
Son coeur avait été donné à Isabelle et il ne trouvait personne à sa hauteur, ni ne se sentait pas d’aimer autant quelqu’un d’autre.

Il devait avoir la trentaine lorsqu’il rencontra Daisy.
Une petite fille d’environ 16-17 ans.
Elle était dans un état pitoyable. Elle avait des bleus sur le visage et sur ses bras.
Son corps frêle faisait peur à voir.
Ses vêtements étaient en lambeaux et crasses.
C’était une sans-abri ou une mendiante.

2013.7.10

2 réflexions sur “Exaucer

  1. hendrix79 dit :

    c’est une histoire un peu triste, mais j’aime bien.
    mais ce qui est bien vu, c’est que ça s’insère dans une autre histoire. ça donne une vie à Michel, et on le voit complètement différement de l’image qu’on avait de lui avant. Dans le texte précédent, Marcel, à priori c’est aussi Michel dont il s’agit. Dans ce texte donc, je le voyais comme un homme bourru sans épaisseur, ou si peu. Là ça change tout. Et du coup je m’inquiète moins sur Daisy dont je sais qu’elle est tombée sur un homme bon.
    (dommage que ce soit une sous histoire, c’est pas canon du coup, si ?)

    • Il faut pas me demander si c’est canon, je ne sais pas, ça l’est si ça te fait plaisir 🙂
      « Un peu triste, mais j’aime bien » c’est à peu près le mood, ouais.

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