Veille

Mon grand frère me prit par la main et m’emmena à l’extérieur de notre demeure, on passa par la porte de derrière, il accéléra le pas. Ma mère m’embrassa, me mit un petit chaperon. Notre ville était attaquée et les attaquants étaient bientôt aux portes du château. Mon père se préparait déjà, ma mère était paniquée et inquiète de mon sort.
Je n’étais jamais sortie de notre demeure et peu de personnes connaissaient mon visage à part certains domestiques de confiance.
Ma mère quitta rejoindre notre père pour défendre ce qui nous appartenait. Elle confia à mon frère de prendre soin de moi et de m’emmener dans un lieu sûr.
On courait dans les bois, il aperçut une charrette de marchand qui s’était arrêtée non-loin devant.
Il sourit. C’était notre chance pour s’enfuir mais je ne pouvais oublier ce qu’on avait laissé derrière nous et à quel point j’étais inutile. Si notre château devait tomber, personne ne se douterait de mon existence, c’est ce que mes parents devaient penser. Mon frère mit la capuche de mon chaperon sur ma tête, m’embrassa sur le front et me remit un petit couteau orné de notre emblème familial.

— Garde le précieusement, il te servira sûrement.

Je le rangeais dans ma petite sacoche.
Il s’approcha du marchand qui prenait sa pause, et lui demanda d’une voix calme et polie s’il pouvait m’emmener à sa prochaine destination. Voyant que je n’étais qu’une petite fille. Il accepta. Mon frère ne partait pas avec moi, il me dit de prendre soin de moi, et courut rejoindre nos parents.
Il ne pouvait pas se résoudre à les abandonner, il pouvait combattre, mon père lui avait appris les bases.
Le monsieur à côté ne me posa aucune question. Il se contenta de diriger le chariot en silence. Arrivée à la ville, il me déposa et me renseigna un peu, sur certaines choses que je devais savoir. De faire attention aux gens louches qui pourraient vouloir profiter de moi. Je bus ses paroles de sage. Les portes de la ville fermaient en fin d’après-midi, les auberges étaient chères et je n’avais rien sur moi.
Je le remerciais et je suis partie dans une grande ruelle.
Je remarquais un bâtiment qui ressemblait à une bibliothèque. Je m’en approchais et je décidais d’abord d’y entrer.
J’avais l’habitude de lire à la maison dans notre bibliothèque. Je saluais poliment le bibliothécaire qui était un homme un peu âgé avec des cheveux blancs. J’aperçus dans son regard un soupçon d’étonnement, c’était la première fois qu’il me voyait. J’arpentais les rayons jusqu’à m’arrêter sur un livre traitant des remèdes médicinaux et de soins. Le livre était bien trop haut, hors de mon atteinte à cause de ma taille.
Je me mis sur la pointe des pieds, essayant de l’attraper. Un jeune homme apparut derrière moi et attrapa ma cible pour me la tendre. Il avait un air de famille avec l’homme de l’accueil. Il portait des lunettes de forme ronde et avait de longs cheveux réunis en arrière à l’aide d’un ruban.
Il me fixa et lit le titre de l’oeuvre.
Je m’assis à la première place libre que j’eusse trouvé dans la salle de lecture. Il me suivit du regard. Se demandant si je comprennais vraiment ce que je lisais vu mon jeune âge.
La bibliothèque était peu fréquentée. Les gens venaient surtout pour emprunter et restaient rarement lire.
Le vieux monsieur me prévint qu’ils allaient fermer, j’allais reposer le livre quand je me suis rappelée que j’étais trop petite pour le reposer. Il me sourit et me dit que je pouvais le laisser sur la table.
Je suis partie avec la tête plein d’informations. La ville allait aussi fermer ses portes. Je sortai.
Devant moi, la route par laquelle j’étais arrivée et de part et d’autre des arbres, et la profonde forêt.
Je fis attention à ne pas perdre chemin, et je m’arrêtais à un arbre avec un petit creux à ses pieds, formé par ses racines.
Que devenaient mes parents, mon frère. Est-ce qu’ils allaient bien ? Est-ce que je les reverrai un jour ?
J’étais seule, la journée était passée si vite. Je n’avais pas vraiment réfléchi à la situation. J’étais entrée dans la bibliothèque par instinct, par habitude de la lecture.
Je me suis réveillée par la fraîcheur matinale et la faim.
Je ne sais combien de temps s’est écoulé.
Une semaine ou deux, chaque jour au matin je retournais en ville et j’allais à la bibliothèque. Le peu de nourriture dans ma sacoche était écoulée et j’avais réellement faim. Le son que produisait mon estomac dans la salle silencieuse m’embarrassait.
Je ne me nourrissais que d’herbes ou de fruits et champignons comestibles ramassés dans la forêt que j’appris à reconnaître grâce aux livres.
J’ai commencé à tenter de réunir certains ingrédients pour fabriquer des boissons nourrissantes à base de peu de choses dans la forêt. J’ai aussi trouvé un endroit où dormir couvert près d’une source d’eau. Commencé à construire une petite demeure avec quelques morceaux de bois ramassés.
Le bibliothécaire curieux, m’interrogea.
Plus les jours passaient plus il me voyait fatiguée, épuisée et salie par la terre dans la forêt.

— Comment t’appelles-tu ?
— Alice
— Notre bibliotheque te plaît ?
— Oui. Beaucoup !
— Veux tu t’y inscrire pour pouvoir emprunter nos livres ? Il faut juste payer une petite somme et résider dans la ville.

Je détournais le regard.

— Où habites-tu, petite ?

Je restais silencieuse.
Il comprit que ma situation était complexe.
Il me proposa de passer plus tôt, avant l’ouverture de l’endroit si je voulais faire un petit travail. En échange duquel il pourrait m’aider, me nourrir un peu. Il n’avait pas vraiment les moyens de payer un employé.
J’acceptais avec plaisir, les larmes aux yeux.
Des semaines étaient maintenant passées et aucune nouvelle de mon frère.
Je ne devais pas me laisser abattre, je suis sûre qu’il va bien et qu’il me cherche activement. Je dois continuer à faire de mon mieux.
Ma petite demeure commençait à prendre forme, un petit toit fait en brindilles, une paillasse faite de morceaux de bois pour ne pas dormir mouillée.
Le bibliothécaire me donnait quelques morceaux de pain, de quoi me nourrir.
J’appris à reconnaître la plupart des aliments comestibles dans la nature, du moins du coin.
Je commençais aussi à me mettre à apprendre la médecine et les bases d’une guérisseuse. Je ne voulais plus être un poids pour ma famille et me rendre utile.
Je rendrai mon frère fier de moi.
Je passais inaperçue aux vues des villageois. Seuls les gardiens à la porte me voyaient au petit matin et repartir à la nuit tombée.
Je n’avais pas de vêtements de rechange et ma robe commençait à se faire sale dès la première semaine.
Je n’avais pas d’autres choix que de me laver au point d’eau le plus proche.
Je profitais du climat et de la chaleur du midi pour me plonger entière dans l’eau et nettoyer ma robe, puis l’étendre sur les branches basses d’un arbre.
Le problème restait de me sécher nue sans me faire voir.

Il me sembla entendre du bruit sur la route principale.
Je m’en approchais mais discrètement en prenant soin de me cacher derrière un arbre.
J’arrivais trop tard, tout ce qui restait était le corps d’un jeune homme, à terre, blessé, du sang commençait à s’écouler de sa blessure.
Je fus pétrifiée d’horreur à cette vision.
Il fallait faire quelque chose.
Je regardais autour de moi et autour de lui s’il ne restait personne.
J’accourus vers lui, paniquée, il semblait avoir perdu connaissance.
Je tentais de le réveiller, je le soulevais avec le peu de force que je possédais. Il revint à moitié conscient, je l’aidais à se déplacer jusqu’en dehors de la route principale, pour éviter d’être vus.
Il reperdit conscience, trop lourd pour moi, il me mit à terre. Du mieux que j’ai pu, je m’extirpais et l’adossa à un mur, je déchirais un pans de ma robe et tenta d’arrêter l’hémorragie et, tenta de me remémorer les formules du livre.
Je réussis mon incantation. Ma vue sembla se troubler et tout devint sombre devant moi.
Je rouvrais les yeux, une couverture sur moi. Je me rendis compte que c’était la cape du jeune homme.
Il me fixait du regard. Adossé à un arbre non loin. Il se leva avec peine, se tenant à l’endroit où il était blessé. Il marcha vers moi.
Je restais au sol en le suivant du regard.
Il avait une épée de laquelle il s’aidait pour s’appuyer dessus et tenir debout. Certainement son épée qu’il avait laissé sur la route. Il l’avait récupérée.
Il abaissa son épée à la hauteur de ma nuque.

— Qui es-tu ? Quelles sont tes intentions ?

Que devais-je répondre ?
Quelque chose en moi me disait qu’il valait mieux ne rien dire.
Je l’ai aidé par réflexe et en croyant bien faire.
Par peur je fermais les yeux, en gardant la tête haute. Je n’avais rien à me reprocher.
Combien de temps s’était-il écoulé depuis ma perte de connaissance ?
J’entendis un petit gémissement.
Je rouvrais les yeux. La blessure du jeune homme semblait le faire souffrir, il chancela, se tenant les côtes de ses deux bras et lâchant son épée, il s’écroula vers ma direction.
Mon soin n’avait pas suffit à fermer sa blessure.
Paniquée, je m’approchais de lui et tenta de le rattraper. Je l’aidais à l’allonger sur le sol, le haut de son corps reposant sur mes genoux. Je tendis ma main vers la cible de sa douleur en songeant à renouveler ma magie de guérison. Il m’empoigna le poignet de sa main droite, en me signifiant qu’il ne fallait mieux pas.

— Es… tu.. un ange… ?
Dit-il d’une voix flaible. Sa respiration était saccadée.

Je fouillais dans mon sac. J’en sortis une des fioles que j’avais concotée à l’aide de flacons vides récupérés en ville, d’herbes et d’un feu de bois près de ce qui me servait de demeure.
J’ouvris le flacon et vida peu à peu le contenu dans sa bouche en prenant soin de garder sa tête droite.
Il ne semblait plus lutter. Je retentais de le guérir avec mon incantation.
Je posais ma main sur sa hanche, d’où le sang avait coulé. Je fermais les yeux en le concentrant sur la formule.
Une lumière chaleureuse s’appliqua sur sa blessure.
Son visage sembla être plus serein.
Il s’était endormi.
Je restais dans cette position, en veillant et attendant son réveil.
Un lapin s’approcha de moi.
Je cherchais dans mon sac un petit bout de pain que le bibliothécaire m’avait offert. J’en dispersais quelques miettes. Il en mangea.
Quelques petits moineaux firent aussi leur apparition.
Ils picorèrent les petites miettes qui restaient.
La nuit commençait à tomber.
La personne sur mes genoux commença à se réveiller.
Il ouvrit lentement les yeux et me fixa.
Il voulut se lever brusquement mais je l’en empêchais. Sa blessure risquait de se rouvrir.
En comprenant que c’était une situation gênante, je l’aidais à s’adosser à un mur et lui tendit de mon sac, ce qui me restait de pain.
Il ne refusa pas.
Il me remercia.

— Je n’ai rien à t’offrir.

Pensait-il que j’attendais quelque chose en retour ? Je me doutais bien qu’il ne devait plus lui rester grand chose après l’agression sur la route.
Je me levais pour me dégourdir les jambes. Marchant un peu, et tentant de m’orienter vers l’endroit où j’allais dormir.
Je m’appuyais dos à un arbre et le regardais.
Cet homme attisait ma curiosité.
Que faisait-il de sa vie ?
Pourquoi avait-il une épée, mis à part pour se défendre ?
Pourquoi l’avait-on attaqué ?
Il finit de manger, s’apercevant du regard interrogateur que je lui adressais, il se mit à parler.

— Je suis un mercenaire, je me baladais tout seul, là était mon erreur, pour me rendre à la ville la plus proche lorsqu’on me tendit une embuscade, ces brigants là, ils profitent qu’on soit seul pour nous avoir. Ils m’ont tout pris.

Il fit une pause.

— Merci petite. Comment appelles-tu ?

— Alice.

Ça au moins, je pouvais lui dire.

— Que puis-je faire pour toi ?

Je m’arrêtais devant lui, et tendit ma main en guise de serrage de main. J’avais vu faire plusieurs fois des adultes pour se saluer ou se présenter.

— Ami ?
Lui demandais-je.

Il me sourit, prit ma main et s’en aida pour se lever. Il faisait au moins une tête de plus que moi.

— Moi, c’est Pierre.

Il reprit son épée et sembla se remettre en route.

— Où habites-tu ? Que je remercie tes parents.

Je ne répondis rien.
Je me dirigeais vers la petite tente en bois que j’avais construite de mes propres mains.
Un sentiment de honte m’envahit.

— Ta demeure est plus luxueuse que la mienne.
Me lâcha t-il, sur un ton de plaisanterie.

— Ce n’est pas une mauvaise idée de se bâtir une demeure, bien qu’en dehors de la ville…
Ajouta t-il, songeur.

Après cela il me dit.

— Je te dois la vie. Si tu n’étais pas intervenue je serais sûrement à l’heure actuelle encore en train de me vider de mon sang sur le chemin. Je t’offrirai mes services jusqu’à ce que ma dette soit acquitée.

Il dirigea ses yeux vers moi en semblant attendre une réponse.
Hors de question qu’il se sente redevable. Je refusais, hochant la tête.

— J’ai fait ce que je devais faire. Soyons tout d’abord amis… ?
Dis-je génée.

Il rit.

— Tu es étrange. Mais soit, j’accepte.
— … Je viens de me réveiller, si… vous l’acceptez vous pouvez dormir ici… je veillerai…

Il me regarda d’un ton bienveillant et me remercia.
Il ne se fit pas prier. Il devait être épuisé et il ne s’était pas encore remis de ses blessures.
Il s’apprêta à s’allonger en gardant à portée son épée.

— N’hésite surtout pas à me réveiller au moindre bruit suspect. Ah. Et puis fais attention à toi, n’attrape pas froid et mets ma cape.

Il n’était pas méchant.
J’hochais la tête.
Il s’endormit dans les minutes qui suivirent.

Je m’étais sentie étrangement faible après avoir tenté de le soigner.
Je ne m’étais pas renseignée sur l’energie vitale que j’allais utiliser lors d’une incantation. Je devais y faire dorénavent très attention.
Je n’avais pas assez récupéré et je me sentais faible. C’était un principe d’équivalence. Je transferais mon énergie en lui.
Le lendemain, j’étais à la limite de l’assoupissement lorsqu’il se réveilla.
Il me sortit de ma torpeur.

— Tu m’as veillée toute nuit ?!

2012.8.23

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