Période

Le shopping était une épreuve pour Annabelle.
Rien que d’imaginer la somme totale des achats de la matinée, elle ne se sentait pas bien.
Marianne ne voyait pas le problème, elle n’avait pas choisi le restaurant le moins cher du coin, elle souhaitait juste le meilleur pour Annabelle.
Si cela pouvait lui faire plaisir et qu’elle passe un bon moment.
Malheureusement ce fut l’effet inverse.
Annabelle ne se sentait pas à sa place. Les gens autour d’elle étaient tous bien habillés.
Elle comprenait pourquoi Marianne insistait pour lui acheter de nouveaux vêtements, maintenant. Elle était habillée comme une souillonne.
Elle baissa sa tête et essaya de se faire discrète.
Marianne ne remarqua pas tout de suite l’attitude d’Annabelle. Elle était contente d’avoir pu faire ces achats et elle se demandait s’il en restait d’autres sur la liste.
On leur apporta la carte.

*

Annabelle s’était réveillée en pleine nuit.
Elle avait ses règles.
Elle n’avait jamais noté ses cycles et avec les derniers évènements, elle avait totalement oublié qu’elles devaient arriver.
Lorsqu’elle était chez elle, elle s’en fichait, ses draps en avaient vu d’autres et elle avait une alaise.
Mais aujourd’hui, elle était chez Marianne, ses draps étaient propres, clairs, et elle ne savait pas s’il y avait une alaise.
Elle se leva en sursaut, sortit du lit et se rendit immédiatement dans la salle de bain.
Son t-shirt tout neuf qui lui servait de pyjama était maintenant taché de sang.
Marianne se réveilla. Elle avait senti Annabelle se réveiller et se lever.
Ne la voyant pas revenir, elle se leva aussi et alla vérifier ce qu’il se passait.
Elle regarda l’heure sur son téléphone posé sur la table de chevet et le reposa.
Il était en plein milieu de la nuit.
Elle vit la lumière de la salle de bain et s’approcha, à moitié endormie.
Annabelle était en train de se doucher accroupie, et elle essayait de nettoyer son pyjama dans le lavabo.

— Tout va bien… ?
Demanda Marianne, en se frottant les yeux.

Annabelle n’avait pas l’air en forme et elle éclata en sanglots.

— Je… j’ai taché le T-shirt…
Essaya-t-elle d’expliquer.

Marianne essaya de comprendre.
Elle s’approcha et essaya de consoler Annabelle, elle n’arrivait pas à comprendre le problème. Puis en voyant la tache de sang, elle comprit.

— Hey… ce n’est pas grave. Ce sont que des vêtements, ils vivent, et j’en achèterai un autre s’il faut. D’accord ? Ce n’est vraiment rien.

Marianne partit chercher des protections hygièniques et apporta un autre pyjama.

— Est-ce que tu sais si tu as des flux importants… ?
— Je… quoi… ?
— Est-ce que tu saignes beaucoup d’habitude… ?
— Non… ça va…
— On discutera de ce qui te conviendra pour les protections, d’accord ?

Annabelle acquiesça.

De retour au lit, elle remarqua que les draps étaient également tachés, de pas grand chose mais le mal était fait.
Elle se mit dans un certain état et Marianne dut la prendre dans ses bras et la rassurer que ce n’était vraiment pas grave.
Annabelle réussit finalement à se rendormir.

*

Marianne n’avait pas encore eu l’occasion de dire à Annabelle le domaine de son métier.
Elle avait peur de sa réaction et avait fait exprès de ne pas lui en parler en détails.
Elle avait fini par avouer à ses employés qu’elle était avec quelqu’un, qu’elle avait quelqu’un, sans non plus entrer dans les détails. Elle avait peur qu’ils se méprennent sur leur relation.
Annabelle n’était pas sous son contrôle. Elle aimait Annabelle et avait de l’affection plus que juste un humain de compagnie. Elle voulait qu’Annabelle soit heureuse, elle voulait la rendre heureuse et épanouie. Et surtout qu’elle soit considérée comme un humain à part entière. C’est ce qu’elle souhaitait.

Annabelle était plus à l’aise avec Marianne et plus curieuse. Elle se demandait en quoi consistait son travail mais voyant que Marianne éludait les détails, elle n’avait pas voulu la brusquer. Patiente, et en espérant qu’elle soit mise dans la boucle de confidence lorsqu’elle se sentira prête.

Marianne avait été poussée par ses employés curieux qui souhaitaient voir qui vivait avec elle, et qui la rendait plus enjouée depuis quelques semaines.

— Tu vas devoir lui dire un jour, alors amène la !

Marianne savait qu’ils avaient raison. Plus elle attendait et plus cela la pesait de lui cacher la nature de son travail.
Un soir, elle mit le sujet sur le tapis.

— Ça t’intéresserait de venir voir à quoi ressemble mon lieu travail… ?
— Oui ! Bien sûr ! Pourquoi cette question maintenant… ? Je pensais que tu étais pas très enthousiaste de m’en parler… ?
— … Mes employés sont trop curieux… ils souhaiteraient te rencontrer. Et aussi… parce que je ne peux pas te le cacher indéfiniment… j’espère juste que tu ne prendras pas peur ou que tu ne me détesteras pas après ça…

*

Marianne serrait la main d’Annabelle dans la sienne.
Elle appréhendait sa réaction.
Les autres pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient de son établissement, cela ne l’affectait pas, mais ce que pouvait en penser Annabelle, c’était autre chose.
Elle avait tellement peur que cela détruise l’image qu’elle avait auprès d’elle. Et si elle se mettait à la détester, ou pire, que Marianne puisse la dégouter ?
Elle savait que ça pouvait lui briser le cœur, et rien que d’y penser, elle ne se sentait pas bien.
Elle aimait Annabelle de tout son cœur, et pour l’instant, Annabelle l’appréciait.
Elle ne pouvait pas lui mentir par omission ou lui cacher indéfiniment. Annabelle devait savoir la vérité.
Marianne ne comptait pas la laisser enfermée dans son appartement dans une bulle ou une cage jusqu’à la fin de ses jours, juste pour son bon plaisir et qu’elle devienne sa marionnette. C’est ce qu’elle voulait éviter.
Alors elle serrait la main d’Annabelle dans la sienne.
Depuis tout le trajet de chez elles jusqu’à son lieu de travail.
Comme si elle craignait qu’Annabelle la lâche et s’enfuit en courant.
Et Annabelle ne comprenait pas sa réaction.
En arrivant devant le bâtiment Marianne serra sa main un peu plus fort.
Annabelle devait se douter maintenant.
Elles entrèrent.

Annabelle serra également sa main un peu plus fort.
Elle craignait que Marianne veuille la revendre ou l’obliger à travailler dans une maison close.
Était-ce une punition ? Était-ce le but premier de Marianne ? Non, ce n’était pas possible.
Alors qu’elle pensait que Marianne exagérait avec ses craintes, c’était au tour d’Annabelle de paniquer.
Elle avait tellement peur que Marianne l’abandonne.
Elle qui pensait avoir trouvé un foyer, sa place, en rencontrant Marianne, elle n’était plus sure de rien.

Lorsqu’elles poussèrent la porte, les employés à l’intérieur les regardèrent sans un mot pendant un moment.
Comme si le temps s’était figé, ils virent Marianne avec sa main dans celle d’Annabelle et ils comprirent tout de suite qui elle était.

— N’aie pas peur, ils sont gentils et ne te feront pas de mal. Si c’est le cas, n’hésite pas à me le dire.
Marianne les fusilla du regard.

Sentant la main d Annabelle se crisper dans la sienne, elle tenta de la rassurer.
Ces mots ne firent pas cet effet. Annabelle ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire par « gentils ».

— Je dois aller finaliser quelques dossiers urgents, je te laisse quelques minutes, je reviens au plus vite. Fais comme à la maison, d’accord ?

Marianne posa un baiser tendre sur le front d’Annabelle et lâcha sa main, en la confiant à ses employés.
Annabelle était perdue.
Elle resta debout au milieu des paires d’yeux qui la fusillaient, elle baissa les siens et fixa ses pieds, ne sachant pas comment réagir, ni quoi dire.
L’ainée du groupe remarqua sa gêne et se leva pour la guider jusqu’à eux.

— Bienvenue à toi, comment tu t’appelles ? Viens t’asseoir avec nous, est-ce que tu veux quelque chose à boire, à manger ?
— N-non merci… je… je m’appelle Annabelle.
— Ne sois pas timide. On ne va pas te manger.

Elle était chaleureuse, le même genre de chaleur qu’elle avait connu en arrivant chez Marianne.
Elle l’orienta vers un canapé où il restait une place, les gens autour s’écartèrent pour qu’elle puisse s’asseoir puis se resserrent sur elle, comme un étau.

— Comme a dit Marianne, fais comme chez toi.
Lui sourit la jeune femme qui devait à peine être plus âgée qu’elle.

Comment arrivait-elle à être si à l’aise comparé à elle ?

— Bonjour Annabelle… comment tu as rencontré notre Marianne… ?
— C’est vrai ça… elle nous raconte rien à nous… on a juste su qu’elle avait quelqu’un.
— C’était tellement évident ! C’était le jour et la nuit, elle venait travailler avec un sourire sur son visage !
— Oh, ça veut pas dire qu’elle aime pas son travail, hein, enfin je ne crois pas… j’espère que je n’ai pas dit de bêtise…
— Non mais, on est tous d’accord, elle avait pas trop le moral ces derniers mois. On l’a tous remarqué, n’est-ce pas ?

Les employés acquiescèrent.

— Et pouf, du jour au lendemain, elle avait retrouvé le sourire ! Ça cachait quelque chose.
— Exactement !
— On est tellement content de te rencontrer enfin !
— Alors alors ? Elle est comment Marianne en privé ?

— Eh oh, pas de questions indiscrètes ! Laissez-la respirer la pauvre. Tu n’es pas obligée de leur répondre, Annabelle.
Soupira l’ainée.

— Oh… elle ne t’avait pas dit qu’elle travaillait ici… ? Dans ce genre d’endroit ?…
— Oh… tu découvres aujourd’hui… ?

Annabelle acquiesça timidement.

— Je comprends mieux… rassure-toi, Marianne gère cet endroit comme une cheffe. J’ai peur de lui couper l’herbe sous le pied, alors je vais rien dire de plus, à part qu’on l’apprécie beaucoup.
— Et elle semble t’apprécier beaucoup aussi… pour qu’elle te cache à nous pendant si longtemps.
— C’est pas si longtemps que ça… ?
— Chut, moi je voulais la voir au plus vite !
— Je crois qu’on était tous curieux de rencontrer la personne qui rendait notre Marianne si joyeuse.
— C’est vrai qu’elle a pas un boulot facile…
—C’est beaucoup mieux qu’avant, tu n’as pas connu l’endroità ses tout débuts, toi…
— Effectivement…

— Tu veux nous parler un peu de toi, Annabelle ?
L’aînée se tourna vers elle.

Annabelle baissa la tête et resta silencieuse.
Elle avait honte d’avoir abandonné son humanité alors que ces personnes travaillaient dur pour continuer de vivre. Elles avaient cette joie de vivre qu’elle n’avait pas, et que Marianne lui avait insuffle petit à petit.
Elle n’osait pas leur dire ni leur raconter la rencontre avec Marianne. Leur Marianne.
Elle ressentait une petite pointe de jalousie.
C’était difficile à définir, mais réaliser que Marianne n’était pas qu’à elle, cela lui faisait mal dans la poitrine.
Elle se sentait idiote, elle qui vivait dans le confort et la sécurité de son appartement, il était naturel que son monde tourne autour de Marianne.
Mais ce n’était pas le cas pour Marianne. Elle vivait dans un monde ouvert, avec son travail, ses connaissances. Il était normal qu’elle ait d’autres interractions sociales et qu’elle se lie avec d’autres personnes.
Perdue ainsi dans son tourbillon de pensées, l’aînée du groupe n’insista pas.
Marianne sortit de son bureau et le visage d’Annabelle se releva, les yeux un peu brillants.

— Excuse-moi de l’attente, je suis toute à toi maintenant.
Dit-elle en s’approchant d’elle avec un large sourire.

— Oh… on ne l’a jamais entendu dire ce genre de choses… je vais fondre…
— Prenez une chambre… c’est indécent là !
— C’est dégoutant.

Les éclats de rire envahirent la salle.
Marianne donna la main à Annabelle pour la relever et l’emmener visiter les lieux.

— Merci de lui avoir tenue compagnie, j’espère que vous n’avez pas trop cassé de sucre sur mon dos.
Leur dit Marianne, en les laissant.

— C’était un plaisir, on a pas eu assez de temps pour lui raconter tous les dossiers à ton sujet !

— Je suis désolée de t’avoir laissée, quand je travaille je suis vraiment absorbée et j’avais peur que tu t’ennuies. Du coup j’ai préfère te laisser en compagnie de mes employés. J’espère qu’ils ne t’ont pas trop embêtée ? J’ai essayé de faire au plus vite.

— Non non, ils étaient très gentils…

Annabelle ne savait pas ce que Marianne avait prévu pour elle et elle préféra rester silencieuse. Attendant sa sentence.

— Viens, je vais te faire visiter !
Proposa Marianne, enthousiaste.

Elle la prit par la main et l’entraina avec elle.
Elle lui vit faire le tour du propriétaire, et lui montra son bureau en dernier, pour pouvoir discuter avec elle sans être dérangée.
Elle voyait qu’Annabelle n’était pas à l’aise et elle craignait ce qu’elle pourrait penser.

— Dis-moi ce que tu as sur le cœur… je suis prête à entendre ton ressenti vis à vis de mon travail…

— Est-ce que… tu vas me faire travailler ici… ?
Demanda-t-elle, craintive.

— P-pardon… ? Non ! Absolument pas ! Qu’est-ce que-… quelle idiote je fais…
S’exclama Marianne, bouleversée.

— Tu m’es beaucoup trop précieuse pour ça… je suis désolée que tu aies pu penser cela. Non… je ne voulais pas t’effrayer ou te mettre mal à l’aise… je voulais juste que tu sois au courant de ce que je fais pour gagner ma vie… en aucun cas je ne te forcerai à faire le travail de mes employés… ils sont là de leur propre initiative.

Marianne comprit alors pourquoi Annabelle était différente de d’habitude et la rassura en la serrant dans ses bras.
Marianne serait beaucoup trop jalouse si jamais Annabelle était avec quelqu’un d’autre.

— Par contre… tu ne m’as pas dit… qu’est-ce que tu penses de mon travail… ?
— Hmm… tu as l’air de faire un travail respectable… ? En tout cas tes employés ne s’en plaignent pas… qu’est-ce que tu veux dire par la… ?
— Tu… tu ne me détestes pas… ? Je ne te dégoute pas… ?
— Pourquoi… ? Je devrais… ?
— Le fait que je tienne un bordel… une maison close… cela ne te dégoute pas… ?
— Hm… non. Tu as l’air de bien t’en occuper, ça a l’air d’être un endroit bien entretenu et respectable…

Annabelle était beaucoup plus sereine depuis que Marianne lui avait dit qu’elle en comptait pas la forcer à se prostituer.
Quant à Marianne, elle avait encore du mal à croire qu’Annabelle n’était pas affectée par la nature de son travail. Elle s’était tellement inquiétée, jusqu’à en perdre le sommeil, qu’elle n’en revenait pas que cela soit si simple et qu’elle se soit fait du mouron pour des broutilles.
Elle serra la main d’Annabelle dans la sienne, en essayant de reprendre ses esprits.
Elle finit par avoir un rire nerveux et serra Annabelle dans ses bras, ce qui la surprit.

— Tu ne peux pas savoir comment ça me rassure… !
Dit Marianne.

Annabelle sourit timidement.

*

Marianne finit par présenter Annabelle à Duncan.

Elle appréhendait cette rencontre mais Duncan était plus que curieux de voir qui était cette personne, cet humain de compagnie qui avait fait changer Marianne, qui la rendait aussi épanouie.
C’est Duncan qui lui avait forcé la main, pour quelle se décide à organiser cette rencontre.
Annabelle avait accompagné Marianne à son travail ce jour-là. Cela lui faisait plaisir de passer du temps avec elle, même si elle était souvent occupée et concentrée sur ses dossiers. Elle avait réfléchi à un moyen de se rendre utile et de la décharger un tout petit peu.
Elle avait fini par prendre ses aises, sympathiser avec les employés qui la considérait comme faisant partie de la famille à présent. Elle se rendait dans la cuisine pour préparer un thé, prendre quelques biscuits pour le gouter de Marianne, et en profiter pour le préparer pour les autres, en l’apportant sur la
table du hall.
Elle se rendit compte qu’il ne restait plus grand chose, et elle proposa de faire des courses rapides.
Elle n’avait pas mieux à faire et on l’en remercia. Elle prit les commandes et elle s’en alla en direction d’une supérette avec son sac.
Elle avait un peu de monnaie sur elle, suffisamment pour des petites courses.
Sur le chemin du retour, elle failli percuter quelqu’un en sortant du magasin parce qu’elle avait regardé le ticket de caisse, ses yeux rivés dessus, elle ne regarda pas devant elle et un homme se tenait sur son chemin.
Elle s’excusa platement et il lui sourit.
Elle ne savait pas s’il se moquait d’elle, mais elle continua sa route, n’y prêtant pas plus attention.
Malheureusement, l’homme semblait la suivre et elle commença à avoir peur.
Il était en plein jour mais elle craignait tout de même qu’il soit un vieux pervers.
Elle accéléra le pas et essaya de le semer, sans succès. À chaque coin de rue, il semblait la rattraper.
Elle n’était pas loin de l’établissement et elle se sentit rassurée de pouvoir y entrer.
L’homme ne devrait pas la suivre jusqu’ici.
Elle arriva essoufflée et les employés s’inquiétèrent, étonnés de la voir dans cet état.

— Je… il y a un homme bizarre qui m’a suivi… ! J’ai eu tellement peur…
Tenta-t-elle d’expliquer, le souffle encore un peu court.

Elle entendit la porte s’ouvrir derrière elle, et elle reconnut sa silhouette. Elle paniqua.

— C’est lui !! C’est lui qui me suit depuis que je suis sortie du magasin !
S’écria-t-elle, en le pointant du doigt et se cachant derrière quelqu’un.

À la vue de cette personne, les employés explosèrent de rire.

— Pourquoi vous riez… ?
Demanda Annabelle, perdue, ne comprenant pas l’élément comique.

L’homme semblait tout autant déconcerté.

— Haha… ha… Ce n’est que Duncan… ! Ce n’est pas un détraqué, tu peux te rassurer… !
Expliqua une des employés.

— Duncan… ?
Répéta Annabelle.

*

Marianne était morte de rire.
Duncan et Annabelle étaient dans le bureau avec elle, et elle ne s’en remettait pas.

— Excusez-moi… je n’ai pas ri comme ça depuis une éternité… ah… Annabelle, je te présente mon vieil ami : Duncan. Duncan, voici ma chère et tendre Annabelle.
Annabelle le salua timidement. Elle avait encore un peu honte de l’avoir pris pour un détraqué.

— Je la rencontre enfin… j’aurais souhaité dans de meilleurs circonstances… je trouvais ça amusant qu’on se rende au même endroit après s’être bousculés, pas que ce soit hilarant à mes dépends…
Dit Duncan, dépité.

— Tu ne crains rien, Annabelle. Et si jamais Duncan devait te faire du mal. Je me ferai une joie de lui faire payer.
— Je veux bien voir ça… madame qui va moins souvent à la salle ces derniers temps.
— Tu vas pas me faire croire que tu as trouvé la motivation d’y aller.
— Ah bah si. J’ai un peu plus de temps récemment !
— Et les cours d’arts martiaux ?
— Chaque chose en son temps.
— Je suis encore capable de te faire mordre la poussière, ne me sous-estime pas.
— Je n oserai pas !

Annabelle les écouta sans un mot.
Elle découvrait comment Marianne était avec Duncan.
Elle qui était si douce avec elle, si attentionnée.

— Ah, excuse-moi Annabelle. Je connais Duncan depuis que je suis étudiante, ça fait une paire d’années maintenant…
— Ça ne nous rajeunit pas…
— Et non… il passe de temps en temps me voir parce qu’il a le temps de s’ennuyer à son travail.
— Disons que je ne suis pas aussi pris par mon travail qu’une certaine personne.
— C’est ce qu’on dit.

*

Annabelle se sentait de trop.
Marianne s’entendait extrêmement bien avec Duncan et elle ne pouvait s’empêcher d’être… jalouse.
Elle avait cette crainte. C’était la première fois qu’elle ressentait cela.
On lui avait offert tant d’amour, une émotion nouvelle à ses yeux, une chaleur humaine, et maintenant elle craignait de tout perdre, elle avait peur d’être en manque. Rien que d’imaginer Marianne et Duncan ensemble, son cœur se resserrait.
Pourtant, il n’avait rien fait de mal, et elle aimait trop Marianne pour l’éloigner de son ami, mais elle avait cette épine dans la poitrine.
Est-ce que Marianne allait la détester si elle était au courant de ce qu’elle ressentait présentement… ?

*

Marianne sentait qu’Annabelle n’était pas dans son état habituel.
Elle avait son regard perdu et fixait pas mal Duncan.
Une hypothèse lui traversa l’esprit et s’encra dans sa poitrine. Et si Annabelle était tombée amoureuse de Duncan… ? Duncan ne semblait pas insensible à Annabelle. Marianne le connaissait assez bien pour savoir que c’était son type de fille, mais jamais elle n’aurait pensé que les faire se rencontrer la mettrait
dans cette situation.
Elle voulait garder Annabelle pour elle seule, mais elle savait que c’était égoïste et même si sur le papier, Annabelle lui appartenait, elle gardait en tête qu’elle avait son libre arbitre.

*

Duncan prit à part Annabelle avant de partir et échangea son numéro avec elle pour pouvoir l’inviter à déjeuner.
Annabelle était intimidée. Elle accepta sans comprendre pourquoi. Duncan ressemblait à Marianne par le charisme qu’il dégageait. Il était sûr de lui et savait ce qu’il voulait. Il avait cette aura qu’on pouvait difficilement lui refuser quelque chose.

Il voulait s’entretenir en privé avec Annabelle parce qu’il ne la connaissait pas, il était encore un peu méfiant, et il voulait que cela reste entre eux.
Il tenait énormément à Marianne, et il voulait s’assurer qu’Annabelle était quelqu’un qui ne profiterait pas d’elle.

*

Au soir, chez elles, Marianne prit son courage à deux mains pour lui poser quelques questions.
Posées sur le lit, allongées l’une à côté de l’autre.

— Alors… qu’as-tu pensé de Duncan… ?
— Euh… il est bien habillé… ?
— Ses vêtements… ? Je parlais de son physique…
— Ah… euh… il est plutôt… vieux… ?

Marianne avait un pincement au cœur en posant ces questions, mais elle voulait savoir si Annabelle ressentait quelque chose pour lui.
Elle les avait vu, ils avaient voulu être discret.
Duncan s’était approché d’Annabelle et lui avait chuchoté quelque chose, avant de partir.
Cette vision la hantait.

— Lorsque je vais lui dire, il va être flatté ! Il ne me croit pas quand je lui dis qu’il a du charme pour un gars qui a la quarantaine ! J’ai vu que vous avez discuté tous les deux… Vous vous êtes dit quelque chose… ? Bande de petits cachotiers…
— Non non… il a souhaité qu’on s’échange nos numéros…
— Ah bon ?
— O-oui…

Annabelle se garda de lui dire la raison.

— Ah… ce n’est pas bête. Si jamais tu n’arrives pas à me joindre ou l’inverse. Ce n’est pas une mauvaise idée qu’il ait ton numéro.

— Ah… c’est pour ça…
Mentit Annabelle pour essayer de ne pas éveiller les soupçons.

Marianne fut rassurée.

*

Duncan lui envoya un message pour la prévenir de quand il serait disponible pour déjeuner avec elle.
Il lui demanda de s’organiser pour qu’elle ne soit pas avec Marianne ce jour-là.
Elle était dans l’appartement et elle attendait son appel.
Il l’avait prévenue pour qu’elle se prépare et qu’il vienne la chercher chez elle.

Marianne avait remarqué qu’Annabelle envoyait des messages à quelqu’un d’autre sur son téléphone.
Elle savait qu’elle n’avait pas beaucoup de numéros différents dans son répertoire de contacts, et elle se doutait que c’était avec Duncan qu’elle conversait.
Lorsqu’elle lui posait la question, Annabelle évitait de répondre.
Cela éveilla encore plus les soupçons.
Elle mourait d’envie de déverrouiller le téléphone d’Annabelle pour lire, mais elle se retint.
C’était à Annabelle et elle n’avait pas le droit de s’immiscer dans sa vie privée, quelle qu’elle soit.
Elle partit au travail et elle n’arrivait pas à se concentrer.
Elle imaginait Annabelle dans les bras de Duncan et cette vision l’horripilait.

*

Duncan était arrivé avec une très belle voiture et Annabelle fut intimidée. Elle aurait dû avoir l’habitude avec Marianne, mais tout ce luxe restait nouveau pour elle. Elle préféra rester silencieuse tout le long du trajet, Duncan lui jetant des regards de temps en temps.
Etrangement, il était beaucoup plus froid que la dernière fois et Annabelle ne se sentait pas à l’aise. Elle avait l’impression d’être une proie et se demandait si elle n’avait pas commis une erreur en acceptant ce déjeuner.
Installés à table d’un restaurant chic, elle avait toujours cette impression désagréable d’avoir été prise au piège.

Il l’observait, il analysait ses faits et gestes.

— Détends-toi, on croirait que je te séquestre.
Blagua-t-il, de manière très décontractée.

Annabelle osait à peine le regarder dans les yeux.

— Est-ce que tu sais pourquoi je t’ai invitée à déjeuner ?

Elle secoua lentement la tête. Elle avait perdu sa langue. Elle avait tellement peur de dire quelque chose de travers. Elle avait cette sensation qu’à la moindre erreur de sa part, il risquait de lui sauter au cou.

— Bien… On est ici parce qu’on va parler de toi… qui es-tu, en réalité ? Que cherches tu ?

Annabelle écarquilla les yeux. Qu’est-ce qu’il voulait dire ? Qui elle était… ?

— On va être clair. Marianne est une très vieille amie à moi. Je vois très bien à quel point elle est attachée à toi, et l’importance que tu as à ses yeux. Est-ce que tu en es consciente, au moins ? J’espère pour toi que tu n’as rien prévu contre elle. Si jamais tu cherches à la blesser ou lui vouloir du mal, sache que tu risques de le regretter.

Annabelle ne savait pas quoi répondre.
Non, elle ne savait pas qu’elle avait une telle importance aux yeux de Marianne, et jamais elle n’aurait eu l’idée de nuire à sa bienfaitrice.
Ce que Duncan avançait était blessant, qu’on puisse l’accuser de quelque chose de la sorte était terrible.
Elle se sentait insultée et elle aurait voulu quitter ces lieux au plus vite, mais elle ne pouvait pas. Ses jambes refusaient de bouger.

Duncan savait ce qu’il faisait. Ce n’était pas dans son habitude de jouer le mauvais rôle mais il faisait cela pour pousser Annabelle à bout. Il voulait savoir ce qu’elle cachait vraiment, si elle avait vraiment de mauvaises intentions ou non.
Qu’une jeune femme arrive et mette du baume au cœur à Marianne du jour au lendemain, c’était trop beau pour être vrai, trop beau pour qu’il n’y ait aucune mauvaise intention derrière. Il était méfiant.
Marianne était peut-être aveuglée par ses sentiments, mais lui non. Il avait un jugement plus clair, et il arriverait à tirer les vers du nez de cette Annabelle.
Il avait fait exprès de choisir ce restaurant qui avait des pièces privées pour les repas d’affaires.
Personne ne viendrait les déranger.
Il voyait qu’elle était en train de perdre pieds.
C’était exactement ce qu’il cherchait, qu’elle avoue tout et qu’elle expose son vrai visage.

— Je ne suis pas dupe. J’ai enquêté sur toi, et j’ai lu ton dossier. Pourquoi quelqu’un d’aussi normal que toi aurait décidé d’abandonner son humanité ? Cela ne tient pas la route. Qui t’a commandité ?

Annabelle était attaquée, et rien n’allait la sauver.
Elle devait s’en sortir seule, et qu’il ose parler de ses choix et qu’il juge son passé, elle ne pouvait pas le laisser l’insulter sans rien dire.

— Que savez-vous de moi ? Que savez-vous de ce que vous appelez la normalité ?!

Les larmes aux yeux, elle osa élever sa voix pour lui répondre. Sauf qu’elle avait une voix faible et tremblante, l’émotion trahissait ses cordes vocales, cela sonnait tellement mieux dans sa tête.

Duncan esquissa un sourire, il pouffa.
C’était ridicule qu’elle s’exprime de cette manière.

Elle ne se laissa pas abattre, elle devait lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

— Je ne vous permets pas d’assumer ce que ma vie valait avant de rencontrer Marianne. Croyez ce que vous voulez sur mon passé mais je ne vous permets pas de douter de mes intentions envers Marianne ! Elle m’a sauvée ! Elle m’a accueillie chez elle et s’est occupée de moi. Vous pensez vraiment que je chercherai à lui nuire ?! Allez-vous faire foutre !

Les larmes avaient fini par couler. Ce n’était plus de la peur mais bien de la colère qui s’exprimait.
Cet homme qui était soit disant un ami de Marianne, était à ses yeux un odieux connard. Pédant, imbu de lui-même, regardant de haut les autres classes en se faisant des films sur ce que leur vie était.
C’était le cliché de la classe supérieure qu’elle détestait. Comment pouvait-il être un ami aussi proche de Marianne ?

—Oh, vraiment ? Je me méprends ? Tu joues plutôt bien la comédie pour une gamine de ton genre. J’en ai rencontré des profils similaires, malheureusement ce n’étaient pas des filles aussi perverses pour profiter du désespoir et de la solitude de l’âme humaine, pour se faire passer pour une humaine de compagnie. Je t’avoue que c’était risqué de ta part. Je me serai peut-être fait avoir, à la place de Marianne. Joli stratagème.

— Vous êtes taré… ça va pas d’imaginer des scénarios comme ça… ?!
— Oh, je ne suis pas né de la dernière pluie, des filles souhaitant profiter de mon statut et de ma richesse, j’en ai vu passer. Tu ne vas pas me faire croire que tu es aussi naïve.

Annabelle était sans voix. Elle ne savait plus quoi faire pour prouver son innocence. C’était douloureux d’être accusée pour quelque chose qu’elle n’était pas.

— Arrêtez… pourquoi faites-vous cela… ?
Supplia-t-elle.

Elle aurait voulu appeler Marianne pour lui demander de l’aide, mais cela aurait-il confirmé qu’elle la manipulait ? Elle ne savait plus quoi penser ni quoi faire. Tout ce qu’elle était capable, c’était de sangloter en espérant qu’on la laisse tranquille.

— Je ne tolèrerai pas que tu blesses Marianne.

Il gardait un ton sévère et rien chez lui ne trahissait le moindre sentiment. Il semblait vouloir qu’elle s’effondre devant lui et lui demande pardon.

— Vous vous trompez de personne…

Cela était à la limite du supportable.
Elle ne méritait pas d’être traitée de la sorte. Jamais elle n’aurait souhaité être adoptée par un homme aussi sadique et dérangé que lui.

— C’est ce qu’on va voir. Ne me fais pas croire que tu n’as rien à te reprocher. N’est-ce pas la belle vie, aux côtés de Marianne ? D’être chouchoutée et goûter au luxe ? Comment comptes-tu te débarrasser d’elle et hériter de sa richesse ?

— J’en ai assez entendu… !

Elle se leva et, le visage larmoyant, elle se dirigea vers la porte de sortie.
L’air frais de l’extérieur lui fit du bien, elle sécha ses larmes et essaya de rejoindre une rue moins fréquentée pour reprendre ses esprits.
La morve au nez, elle n’avait pas de mouchoir sur elle, elle reniflait et sanglotait encore un peu.
Elle sortit son téléphone de sa poche. Elle allait devoir rentrer et à pieds. Elle remercia intérieurement Marianne de lui avoir fourni cet appareil avec de quoi la localiser.
Elle jeta un coup d’œil à la distance qu’elle allait devoir parcourir. Quelques heures de marche.
Avait-il fait exprès de s’éloigner autant ? Elle l’insulta dans sa tête de tous les noms. Pourtant le trajet en voiture avait semblé si rapide.
Elle se mit en route, avec un peu de chance, elle allait pouvoir rentrer avant Marianne.

*

Il était reste dans le restaurant.
Un arrière-goût désagréable dans la bouche.
Était-il allé trop loin ? Ce n’était pas le moment de douter. Rien n’était jamais trop loin pour protéger ses proches. Il tenait trop à Marianne pour ça.
Pourtant, Annabelle semblait sincère mais il avait eu des mauvaises expériences et cela biaisait son jugement. Et si Annabelle était juste une excellente comédienne ? Elle pourrait manipuler Marianne pour la retourner contre lui. Elle pourrait tout lui dire et tourner le récit à son avantage.
Il eut peur un instant. Marianne ne lui tournerait pas le dos ainsi, et si Annabelle appliquait cette stratégie, cela prouverait ses mauvaises intentions.
Cette discussion lui avait coupé la faim.
Il pensait qu’Annabelle reviendrait le supplier de la raccompagner, ou quelque chose dans ce style. Il avait fréquenté des fausses princesses aux fiertés mal placées et qui changeaient de comportement lorsqu’elles étaient dos au mur.
Au bout de plusieurs minutes, ne la voyant pas revenir, il s’en alla également. S’excusant platement au restaurant de devoir annuler.
Sur la grande rue, il ne vit personne correspondant au descriptif d’Annabelle.
Il commença à s’inquiéter.
Et si elle disait la vérité ?
Ou non, peut-être qu’elle le manipulait également.
Merde, si jamais il lui arrivait quoi que ce soit, il serait dans un sale pétrin. Marianne ne lui pardonnerait pas d’avoir abîmé sa chose physiquement. Ça, il pouvait en être certain. Il retourna à la voiture et essaya de réfléchir.

— Merde ! Fais chier !
S’énerva-t-il en tapant sur le volant.

Il laissa exprimer sa frustration.
Que faire dans ce cas ? Le plus important était de la retrouver et de la ramener chez elle.
Réfléchir, réfléchir. Elle avait certainement dû essayer de rentrer par ses propres moyens.
Il regarda le plan aux alentours et afficha le trajet à pieds jusqu’à chez Marianne.
Elle ne devait pas être loin. Il préféra partir sur cette hypothèse que de penser au pire en imaginant un enlèvement. Ou qu’elle se soit fait renverser par un véhicule. Mieux valait rester positif.
Il tourna et retourna dans les ruelles en cherchant une tête blonde.
Heureusement il la retrouva au bout d’un bon quart d’heure. Soulagé il gara la voiture un peu plus loin pour la rattraper à pieds et lui parler.
Elle continua à marcher en l’ignorant.

— Hey ! Arrête-toi !

— Qu’est-ce que vous me voulez ? Ça vous a pas suffit de m’insulter ? Vous voulez m’agresser en public aussi ?
Lui dit-elle, encore en colère.

— Non… est-ce qu’on peut discuter calmement… ?
— Comme au restaurant ? Pff, oui bien sûr.
— J’ai garé ma voiture pas loin, laisse-moi au moins te raccompagner.
— Non merci. Laissez-moi tranquille.

Il l’attrapa par le bras pour la faire s’arrêter et qu’elle lui fasse face.

— Lâchez-moi.
— Est-ce que tu veux vraiment faire une scène en public… ?
— C’est une menace ?

— Non… je veux juste te raccompagner chez Marianne, s’il te plait…
Finit-il par supplier, d’un long soupir.

Epuisé, il savait que s’il cherchait à la menacer ou s’imposer, cela aurait l’effet inverse. Il l’avait compris avec le restaurant.

Annabelle se laissa convaincre.
Elle n’avait pas spécialement envie de marcher encore une heure, elle ne savait pas si elle aurait assez de batterie sur son téléphone avant d’arriver à destination.
Et son ton dans la voix était moins directif que dans le restaurant. Il semblait sincère. Elle se laissa convaincre. Aussi parce qu’elle voyait les regards des passants qui se demandaient s’ils étaient en train de se quereller en tant que couple. Elle n’avait aucune envie de se donner en spectacle.
Elle le suivit et ils s’installèrent dans la voiture.
Elle n’osa rien dire. Elle ne savait pas quoi dire.
Elle était contrariée, une once de colère résidait encore en elle. Tout ce qu’elle voulait c’était rentrer chez elle, retourner auprès de Marianne. C’était le seul endroit où elle se sentait bien et en sécurité.
Duncan eut pitié de ses larmes et de son nez qui coulait, il sortit un mouchoir en tissu de sa poche sur lequel était brodé ses initiales, et il lui tendit.
Elle n’eut pas le choix que de le remercier et de se moucher bruyamment dedans.
Il ne savait pas par quoi commencer. Il était rassuré d’avoir réussi à la retrouver, il se sentait idiot.
Peut-être aurait-il dû essayer par la croire en premier lieu.
Alors il s excusa, de s’être comporté comme il l’avait fait.

— Bon… je tenais tout d’abord par m’excuser… je… j’ai dit des choses un peu dures. Marianne est mon amie depuis des années et je m’inquiète un peu trop pour elle… c’est la première fois qu’elle est aussi proche de quelqu’un et je ne suis pas serein…

Il cherchait ses mots.
Annabelle s’était calmée et avait les esprits plus clairs pour se rendre compte que Duncan devait tenir énormément à Marianne pour l’avoir poussée à bout. Son comportement n’était pas plus acceptable mais elle pouvait au moins comprendre pourquoi il l’avait fait.

— Je ne te fais pas entièrement confiance… je te garde à l’œil, mais je te laisse le bénéfice du doute. Si jamais tu nuis à Marianne, je ne te laisserai pas t’en tirer facilement.
— Peu importe ce que vous pensez de moi. Est-ce que vous me raccompagnez ou vous me laissez partir ?

Annabelle ne voulait plus avoir affaire avec lui. Elle était épuisée de chercher à le convaincre de son innocence.
Annabelle le remercia à demi-mot en sortant de la voiture et elle ne se retourna pas pour lui dire au revoir.
Elle aurait préféré que tout cela n’ait pas eu lieu.
Adossée à la porte, après être rentrée dans l’appartement, elle avait encore son mouchoir en tissu.
Elle aurait voulu le jeter, le bruler, mais sa bonne conscience lui dit de ne rien à faire, à part le nettoyer pour lui rendre.
Elle était encore hors d’elle.
C’était un connard, mais c’était un connard qui s’inquiétait pour Marianne, et qui ne lui faisait pas confiance. Il était dans son droit de se méfier mais Annabelle avait encore en travers de la gorge tout ce qu’il lui avait dit.
Son ventre lui rappela qu’elle n’avait rien avalé depuis la veille et elle essaya de grignoter quelque chose avant que Marianne n’arrive.
Marianne remarqua que quelque chose était différent.
Annabelle avait les yeux rouges et semblait avoir pleuré, mais elle n’était pas sûre.
Elle la prit dans ses bras.

— Tu es sûre que tu vas bien… ?

Annabelle mentit et Marianne se douta de quelque chose.
Annabelle resserra son étreinte dans les bras de Marianne.
C’était bien ici qu’elle se sentait le mieux.

*

Marianne remarqua le mouchoir et le reconnu.
La jalousie l’emporta.
Annabelle avait-elle vu Duncan en secret ?
Est-ce qu’ils avaient une liaison ? Cela la rongeait et elle n’osait pas en parler à Annabelle.
Elle avait trop peur qu’elle lui confirme que c’était vrai.
Elle ne voulait pas se disputer avec elle.
Elles étaient dans les bras l’une de l’autre, dans le lit.

— Annabelle… Qu’est-ce que le mouchoir de Duncan fait chez nous… ? Est-ce que tu as quelque chose à me dire… ?
Finit par demander Marianne.

Cela faisait des jours qu’elle tournait cette question dans sa tête sans réussir à la poser.
Annabelle se crispa et Marianne le remarqua.

Annabelle ne pouvait s’empêcher d’avoir un rejet à la mention de Duncan. Elle avait envie de l’insulter mais c’était l’ami proche de Marianne.

— Annabelle… ? Que s’est-il passé… ? Tu peux me le dire… Est-ce que vous avez une liaison… ?

— Non ! Non !!!
S’écrit Annabelle, dégoutée qu’elle puisse imaginer cela.

— Dans ce cas… qu’est-ce que tu me caches… ? Il y a quelque chose que tu ne me dis pas…
— Nous avons…

Annabelle cherchait les bons mots pour que la situation ne se retourne pas contre Marianne et Duncan.
Elle ne voulait pas créer un conflit entre les deux amis.

— Il m’a… invitée à déjeuner.
— Il a… mais pourquoi ?!
— On a appris à mieux se connaitre… il s’inquiétait pour toi.
— Vraiment… ?

Annabelle acquiesça. Elle avait dit la vérité sans entrer dans les détails.

— Et le mouchoir… ?
— J’ai… j’avais le nez encombré…

Marianne sentit qu’Annabelle n’était pas à l’aise et semblait trembler dans ses bras. Elle n’insista pas.
Elle allait devoir avoir une conversation avec Duncan.

*

Elle emporta le mouchoir lavé avec elle et en profita pour déjeuner avec Duncan pour le lui rendre.
Elle posa le mouchoir sur la table.

— Je crois que c’est à toi.

Duncan était blême.

— Tu m’expliques ?
— Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je ne sais pas ce qu’Annabelle t’a raconté, cette profiteuse… !
— Qu’est-ce que je crois ? Comment tu l’as qualifiée… ?
— Elle cherche à nous monter l’un contre l’autre.
— Absolument pas. Sais-tu au moins ce qu’elle m’a dit ?
— Non… ?
— Que vous avez déjeuné ensemble.
— Ah oui, c’est vrai.
— Comment ça « ah oui » ?
— Je l’ai invitée à déjeuner…
— Je vais être directe et je veux que tu sois sincèr avec moi : est-ce que vous avez couché ensemble ?
— Quoi ?! Non ! Ça va pas ?!
— Ok, alors pourquoi vous me cachez ça ?

Marianne était rassurée mais elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi ils semblaient y avoir quelque chose.

— Elle t’a pas raconté… ?
— Raconté quoi ? Ce que vous avez mangé ?
— Euh… oui par exemple.
— Non.

Il soupira.
Il se demandait si ce n’était pas pire qu’il doive raconter ce qu’il s’était passé, mais au moins il avait l’avantage de lui raconter la vérité.
Après lui avoir avoué les évènements.
Marianne tremblait de rage.

— Donne-moi une bonne raison pour que je ne t’enfonce pas mon poing dans ton visage.
— Je l’ai fait pour toi.
— Je ne t’ai rien demandé.
— Je m’inquiète.

Marianne essaya de se calmer

— Je sais que tu as eu des expériences désastreuses en amour, mais ce n’est pas une raison pour croire que cela n’existe pas.
— Quoi ? L’amour ?
— Les gens bienveillants. Annabelle n’est pas ce que tu crois.
— Qu’es-ce qui te fait croire ça… ?
— Parce qu’elle n’a jamais exigé des choses de moi. Elle me donne énormément, tu ne te rends pas compte…
— Non, je ne me rends pas compte.
— Je devrais te frapper pour lui avoir parlé ainsi.
— Je l’ai fait pour toi.
— Je vais être claire. C’est un avertissement. Ne t’avise plus jamais de lui parler sur ce ton.

Il leva ses mains pour se défendre.

— Ok, ok. Ne viens pas pleurer lorsque tu te rendras compte que j’ai raison.
— Merci de te soucier de moi, mais tu vas faire quoi si tu as tort ?
— Je m’excuserai platement à Annabelle, et je serai heureux pour vous. Tu veux quoi d’autre ?
— Je sais pas… je réfléchis. Je te le dirais quand une excellente idée me viendra en tête. Je n’arrive pas à croire que tu aies pu lui tenir ce genre de propos.

Marianne lui raconta pourquoi elle avait confiance en Annabelle.
Contrairement à un simple animal, Annabelle était humaine et était dôté d’une certaine intelligence sociale.

— Qui te dit qu’elle ne fouillait pas chez toi, lorsqu’elle a fait le ménage ?

Marianne le jugea.

— Qu’est-ce qu’il te faudrait pour avoir confiance en elle ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour te prouver qu’elle n’est pas ce que tu crois ?
— On pourrait tenter une expérience qui nous mettrait d’accord sur ce de quoi elle pourrait être capable.
— Je t’écoute.
— Il faudrait lui faire croire que tu ne veux plus d’elle. Confie-la-moi pendant une semaine.
— T’es tombé sur la tête ?
— Je suis sérieux. Si au bout d’une semaine chez moi, je n’arrive pas à prouver qu’elle est malveillante, alors j’admettrai que j’ai tort.
— Et tu veux que j’arrive à lui faire croire ça comment ? Elle sait que je l’adore et je pense que c’est réciproque.
— Tu pensais qu’on avait couché ensemble, on peut partir sur ça. Que tu ne lui fais plus confiance et que tu te débarrasses d’elle. Qu’elle est souillée ou quelque chose dans le genre.
— T’es sérieux ?
— Bien sûr. Je te promets de pas la blesser physiquement.

Marianne plongea son visage dans ses mains pour réfléchir.

— Tu me demandes de mentir…
— Annonce lui, et je m’occupe du reste.
— Si jamais tu as tort…
— Je sais, je vous devrais des énormes excuses.

*

Marianne rentra chez elle et du mentir à Annabelle.
Elle fit semblant d’être énervée et elle fit la valise d’Annabelle.
— Marianne… ? Que se passe-t-il… ?
— J’ai discuté avec Duncan… vous avez couché ensemble… pourquoi tu m’as menti… ? Je te faisais confiance… je ne veux plus te voir…
— Non… ce n’est pas vrai ! Je n’ai jamais couché avec Duncan ! Marianne… tu dois me croire !

Annabelle perdait pieds. Elle n’arrivait pas à y croire. Elle avait l’impression d’être dans un cauchemar.

— Duncan va venir te chercher… tu pourras passer le reste de tes joursà ses côtés…
Ajouta Marianne, qui avait intérieurement le cœur brisé.

— Non… Marianne… écoute moi… ne fais pas ça… je déteste Duncan ! Je n’aurais jamais couché avec lui, je ne veux rien avoir affaire avec lui… ! Crois-moi !

Cela lui brisait le cœur de voir Annabelle dans cet état, elle voulait y croire. Après une semaine. C’était le délai qu’avait annoncé Duncan.
Elle priait intérieurement qu’Annabelle lui pardonne si jamais l’hypothèse de Duncan était fausse.

Annabelle était démunie, elle aurait voulu croire à une mauvaise blague, à un cauchemar.
Duncan arriva et il emporta sa valise et elle n’eut pas d’autre choix que de le suivre.
Marianne lui avait tendu les documents de son dossier d’adoption.
Annabelle n’arrivait pas à avaler ce qui se passait.
Dans la voiture, elle resta muette.

— Tu ne pourras plus nuire à Marianne si tu vis avec moi.

Annabelle comprit alors pourquoi Duncan avait menti, et pourquoi Marianne avait cru en ce mensonge.
Pourquoi. Qu’avait-elle fait pour mériter ça ?
En arrivant chez lui, il la fit dormir sur le canapé.
Il la laissa et ne s’occupa pas plus d’elle.
Il commençait à se faire tard et il commanda à manger.
Il n’avait pas plus le temps de cuisiner et il fit comme si elle n’était pas là, en observant ses réactions.
Il savait exactement ce qu’il faisait.
Annabelle était restée dans un coin du salon, loin de Duncan et fixait son téléphone.
Elle aurait voulu appeler Marianne mais elle n’était pas en état de l’écouter.
Elle réfléchissait à un message pour lui expliquer à quel point elle était sincère, mais peu importe comment elle le tournait dans sa tête, cela sonnait creux. Surtout avec ce qu’avait pu lui raconter Duncan.
Elle était partagée entre la haine et la colère qu’elle ressentait pour Duncan et le désespoir.
C’était fini. Le paradis qu’elle avait vécu aux côtés de Marianne. Tout s’était écroulé.
Elle ne voyait pas comment elle pouvait réparer cela ni retourner dans le temps.
Lorsqu’on touche le fond, on est prêt à n’importe quoi.

2022.01.31

Vente

Elle avait fourni les documents nécessaires, signé tous les papiers officiels après les avoir relus.
Elle connaissait les termes, les conditions et tout ce à quoi elle renonçait. Son libre arbitre, sa propriété intellectuelle. Elle savait tout ça.
La gérante lui expliqua tout de même tout cela, pour être sure qu’elle était consciente de son choix, de sa décision.
Qu’elle ne pourrait pas revenir en arrière.
Puis, on lui demanda de retirer ses affaires, tous ses biens personnels furent confisqués et rangés soigneusement. On lui donna une tenue, un haut et un bas, et elle fut accompagnée dans une chambre libre.
Cela ressemblait à une cellule psychiatrique, mais le stricte nécessaire était là.
Une pièce avec un lit, un lavabo et des toilettes.
On lui expliqua que les repas lui seraient apportés et qu’on l’appellerait pour l’emmener à la douche lorsqu’ils jugeraient que ce soit nécessaire.
Elle serait convoquée pour passer des examens médicaux et psychologiques pour compléter son dossier dans les jours à venir.
Elle était là, assise sur ce lit presque trop dur, le matelas fin lui rappelait celui de chez elle, ainsi que la taille. Cela ne la dépaysait pas trop, et à cette pensée, elle esquissa un sourire. Les murs étaient mous.
Elle s’y adossa et réfléchit à tout ce qu’on venait de lui dire.
C’était si simple. Si simple de s’abandonner.
Pour l’instant, elle ne pensait pas aux conséquences.
Son compte en banque, son appartement, son travail.
La maison s’occupait de tout.
De fermer son compte bancaire : pour le peu qu’il contenait, l’argent dessus serait retiré et ajouté à sa valise d’adoption.
On s’occupait de rendre son appartement, contacter le propriétaire, mettre fin à la location, contacter son emploi actuel pour mettre fin à son contrat.
Résilier tous les contrats la concernant.
C’était un système bien organisé.
Elle ferma les yeux.
Ses parents avaient peut-être raison, elle était bonne à rien, mais qu’est-ce que c’était bon de ne devoir penser à rien. S’abandonner.
Un sourire timide se dessina sur son visage d’ange.
Elle se laissa tomber sur l’oreiller et s’endormie ainsi, dans une émotion de béatitude.

*

Cela faisait déjà presque une semaine qu’elle était là.
Elle s’était vite habituée au rythme de son nouvel emploi du temps.
Rien faire à part méditer, en attendant d’être adoptée, en attendant une nouvelle vie aux ordres ou sous la domination d’un inconnu. Peut-être qu’elle donnerait un sens à sa vie, elle l’espérait.
Elle avait fait ses visites médicales, les résultats ne devraient pas tarder. Elle avait été surprise qu’on lui demande si elle se droguait ou autres médications illicites. Elle avait répondu à la négative. Le médecin l’avait regardée en souriant, en lui disant que beaucoup mentaient mais que la prise de sang tirerait ça au
clair.
Elle avait été pesée et mesurée, de haut en bas, en largeur. Il ne fallait pas être pudique.
On lui posa également des questions sur ses menstruations. Si elle était encore fertile.
Des scanners et des échographies pour savoir si elle n’avait rien de sous-jacent. Même le dentiste.
Elle avait été étonnée de la batterie d’examens qu’elle avait dû passer. Elle même, elle n’avait jamais fait tout cela pour elle, lorsqu’elle était encore humaine.
Cela expliquait en partie le prix exorbitant des humains de compagnie, en tout cas, lorsqu’on passait par une entreprise réputée.
La gérante était bavarde, peut-être était-ce parce qu’elle n’avait pas beaucoup de personnes avec qui discuter, en tout cas, elle avait trouvé Annabelle plutôt normale et une interlocutrice convenable.
Elle lui avait expliquée que certaines maisons ne s’embêtaient pas avec ça, et qu’elles vendaient des mineurs désespérés à bas prix, sous le manteau. Pas de certificat, pas d’examens, rien. Qui sait ce que les acheteurs faisaient d’eux, c’étaient des bouts de viande qui disparaissaient dans la nature.
Cela faisait froid dans le dos.

Annabelle avait émis l’idée que peut-être, certains en achetaient pour les sortir de cette pauvreté, de ce désespoir.
La gérante lui avait ri au nez en lui disant qu’elle était bien naïve, bien candide pour son âge.

— Tu vas me manquer quand tu seras adoptée. Tu es presque normale et je n’aurais personne avec qui discuter.
Avait blagué la gérante.

Elle n’était pas qu’un monstre cupide. Elle espérait au fond d’elle que Marianne soit acquise par quelqu’un de pas trop détraqué.
Quoi qu’il en soit, il restait encore quelques jours de répit avant qu’Annabelle soit mise sur le marché de manière officielle.
Elle savait que son profil ne resterait pas longtemps dans son établissement.

*

Annabelle entendait les pas dans le couloir, les voix étouffées par la pièce.
Elle se demandait si elle en viendrait à espérer qu’on l’adopte comme les autres personnes dans les autres cellules. Ceux qui étaient là depuis longtemps, un certain temps.
Elle était comme un animal en cage, en vitrine dans une animalerie. Peut-être qu’avec un peu de chance elle mourrait ici.
Elle appréhendait tout de même son futur acquéreur.
Elle pouvait se rassurer que son tour n’était pas encore venu, alors les bruits qu’elle pouvait entendre autour de sa chambre n’étaient pas trop inquiétants, pour l’instant, parce qu’ils n’étaient pas adressés à elle. Elle ne risquait rien pour le moment. Elle profitait du calme actuel.

*

Elle sursauta. Était-ce le moment d’aller manger ou d’aller à la douche ? La notion du temps était différente lorsqu’on avait pas d’horloge ni de montre.
On venait de frapper à sa porte et la gérante lui dit de se préparer. Qu’exceptionnellement, elle allait partir plus tôt.
Annabelle était prise au dépourvu.

— Bon courage pour la suite.
Lui souhaita-t-elle.

Elle s’attendait à voir un vieil homme, et elle fut assez surprise de voir une femme, propre sur elle, clairement d’un milieu social différent.
Ce qui était assez logique.
Elle se retourna vers la gérante, les yeux plein de questions et d’incompréhension. Elle attendait des réponses mais c’était trop tard, elle était vendue et elle allait devoir suivre sa nouvelle propriétaire.
Elle s’avança avec sa valise, ne sachant pas quoi dire, ni comment se comporter.
Elle n’avait pas été assez préparée psychologiquement. Il ne fallait pas qu’elle baisse sa garde, ce n’était pas parce que c’était une femme qu’elle était moins perverse ou moins méchante. On ne savait pas.
Marianne s’avança vers elle, et lui prit sa valise.
Puis elle retira son manteau pour lui poser sur ses épaules.

— Il ne fait pas très chaud dehors, n’attrape pas froid.
Dit-elle, d’un souffle.

Peut-être était elle aussi déroutée par cette situation.
Annabelle fut touchée par ce geste. Il y avait encore la chaleur de sa propriétaire dedans, et cela réchauffa un peu son cœur. Même si elle restait méfiante.
En sortant, l’air frais de la nuit la fit frissonner, et elle remercia la dame intérieurement.
Elle ne savait pas quoi dire sans paraitre plus bête qu’elle ne l’était.

— La voiture n’est pas loin, il y fera meilleur.
Elle s’avança pour lui montrer le chemin.

Activant la clé pour ouvrir le coffre et y poser la valise.
Annabelle restait ébahie par la luxure de cette voiture.
Quelle marque ? On faisait des voitures aussi belles et sophistiquées de nos jours ? Elles ne vivaient décidément pas dans le même monde.
Obnubilée par ce qu’elle voyait, elle resta plantée là et Marianne la fit revenir sur terre en lui demandant de s’installer sur le siège passager.
Les joues un peu rosies par la honte d’être restée plantée là, comme une idiote, elle ouvrit la portière pour s’installer sans tarder.
Elle cacha en partie son visage dans le manteau chaud et préféra se taire.
L’intérieur de la voiture était encore plus classe.
Ce n’était pas possible que l’intérieur soit aussi propre. On aurait dit qu’elle était neuve. Elle attacha sa ceinture et attendit.
Marianne mit la voiture en route et alluma le chauffage, puis une petite musique de fond envahit l’espace.

— Tu t’appelles Annabelle, c’est ça… ?
— O-oui.
— Ah, moi c’est Marianne. Tu peux m’appeler Marianne.

Elle resta concentrée sur la route et conduisit jusqu’à chez elle. Empruntant une voie rapide avant de prendre une sortie et rejoindre le centre-ville.
Le silence dans la voiture était pesant, s’il n’y avait pas eu cette bande son qui faisait agréablement passer le temps.
Annabelle regardait les lumières de la nuit par la fenêtre, perdue dans ses pensées, elle ne savait toujours pas comment elle devait se comporter. Rien ne l’avait préparée à la suite. Elle savait juste qu’elle devait obéir à son maitre, et dans son cas c’était une femme.
Allait-elle lui demander de faire des choses… sexuelles ? Elle était troublée.
Ou alors allait-elle devenir une employée ? Cette Marianne avait la tête d’une cheffe d’entreprise. C’était cher payé pour juste avoir une simple employée. Quoi qu’elle n’y connaissait rien, peut-être qu’il était moins cher d’acheter un humain et ne pas avoir à le payer à vie.
Dans son fil d’hypothèses, elle ne remarqua pas qu’elles étaient déjà arrivées.
Garée dans un parking souterrain, elle sortit et elles empruntèrent un ascenseur qui les amena dans un couloir d’immeuble.
Cela ressemblait à un hôtel de luxe, aux yeux d’Annabelle.
Tout compte fait, peut-être qu’elles allaient avoir des relations sexuelles, et cela la paniquait, une goutte de sueur froide dans le dos, elle n’avait jamais fait ça avec une femme, et elle n’avait jamais fait ça tout court.
Elle essayait de se calmer intérieurement pour ne pas montrer qu’elle était effrayée à cette idée.
Puis Marianne ouvrit la porte, et entra en première, poussant quelque chose de son pied et invita Annabelle à entrer.

— Je suis vraiment désolée… je ne reçois littéralement personne chez moi… ne fais pas attention au désordre.

Annabelle resta bouche bée.
La porte fut fermée derrière elle et elle resta sans voix devant ce qu’elle voyait. Elle ne savait pas si elle était plus subjuguée par la taille de l’appartement, la décoration, l’ameublement et les équipements sortis d’un magazine ou d’une publicité.
Ce n’était pas un désordre. C’était un capharnaüm. Il y avait des affaires partout, par terre, sur les meubles, la vaisselle accumulée qui n’était pas faite, des vêtements propres ou sales empilés dans un coin, jetés sur un meuble, des paquets de nourriture vides, la poubelle pleine qui débordait.
Comment une femme aussi bien habillée pouvait elle vivre ici ? Cela devait être une blague.
Elle resta là, à regarder ce paysage irréel, pendant que Marianne essayait d’arranger les lieux en attrapant ou poussant des pieds ce qui pouvait gêner le passage.

— Est-ce que tu as faim… ? Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Ma salle de bain est par ici, si tu veux prendre une douche, ou un bain. Je vais te sortir quelques vêtements de rechange, je peux pas te laisser avec ça…

Elle accepta la proposition de la douche avec grand plaisir. Surtout si elles devaient coucher ensemble.
Elle essaya de réunir son courage à deux mains. Il fallait bien qu’elle franchisse le pas un jour. Ce n’était pas de sa faute, elle n’avait jamais eu l’occasion de le faire, et cela ne l’avait jamais vraiment intéressée.
Ou du moins, elle n’en ressentait pas le besoin, elle pensait qu’elle pourrait s’en passer. Maintenant, elle le regrettait.
La salle de bain était à peu près praticable.
Marianne y passa quelques minutes à ramasser ses affaires grossièrement et s’en alla pour laisser Annabelle seule. Fermant la porte derrière elle.
Marianne s’assit sur le canapé qu’elle avait désencombré et plongea son visage dans ses mains.

— Putain, qu’est-ce que j’ai fait.
Soupira-t-elle.

Lorsque Annabelle sortit de la salle de bain, elle était nue, avec ses vêtements et le manteau de Marianne dans les bras.
Marianne ne le remarqua pas tout de suite, elle avait la tête dans son dressing, cherchant quelques vêtements.
Elle entendit la porte de la salle de bain s’ouvrir.

— Je suis désolée, je n’ai pas de pyjama… j’essaye de te trouver quelque chose d’assez confortable pour dormir mais je crois que je n’ai rien d’autre à part des t-shirts. Ils sont à ma taille mais ça devrait faire l’affaire.

Elle prit un t-shirt gris simple et se dirigea vers Annabelle et à sa vue, elle resta bloquée. Sa mâchoire tomba virtuellement par terre.

— Euh… je ne sais pas où je dois poser ces affaires… merci pour le manteau…
Dit Annabelle, un peu gênée.

— Je- de rien, laisse-moi te débarrasser…

Marianne essaya de rester de marbre. Elle lui tendit le t-shirt et la débarrassa des vêtements, empilant le tout sur un autre tas. Et posa son manteau sur le porte manteau à l’entrée. Au moins une chose à sa place.
Marianne était perturbée. Une chose était certaine, Annabelle ne la laissait pas indifférente.
Les joues plus chaude que la normale, lorsqu’elle revint, elle crut faire une syncope.
Elle était plus grande et avait les épaules plus larges qu’Annabelle, mais elle n’avait pas pris en compte la poitrine généreuse de cette dernière, qui se retrouvait presque à l’étroit dans son t-shirt. Et elle n’avait
pas de culotte. Le bas du t-shirt arrivait pile poil au-dessus de son pubis qui était au naturel, d’un blond bouclé.
Elle essaya de ne pas la fixer trop intensément, mais elle la trouvait terriblement craquante.
Elle avait cet air de jeune fille un peu perdue, innocente, telle une poupée.
Elle essaya de penser à autre chose.

— Un bas, j’ai oublié de t’en sortir un. J’espère que la taille ira…
Se précipita-t-elle de nouveau dans son dressing.
Elle n’avait que de la lingerie.

— Je suis désolée, je n’ai que ça à te proposer…
S’excusa-t-elle, les oreilles rouges.

Annabelle l’enfila sans broncher.

— Je n’ai pas de chambre d’ami… mais tu peux dormir dans mon lit. Je risque de ne pas dormir beaucoup de toute façon.

Elle jeta un œil à l’heure et soupira.
Annabelle interpréta ses paroles autrement.
Elle la suivit jusqu’à la chambre, et elle n’osa pas s’y installer.
Marianne dut lui dire explicitement pour qu’elle daigne se glisser sous la couverture.
Elle ressemblait à un animal apeuré.
Marianne baissa la lumière et s’installa sur la couverture, encore toute habillée.
Voyant Annabelle toute tremblotante et roulée en boule dans le lit, elle s’inquiéta.

— Tu as froid… ?
— N-non…
— Mais tu trembles… tu es sûre que ça va… ?
— O-oui.

Puis Marianne réalisa qu’elle avait peut-être peur.
Elle s’approcha d’elle, doucement, elle n’osa pas la toucher, ni même effleurer ses cheveux.
Cette situation était nouvelle pour elles deux, et elle n’avait aucune expérience en la matière. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait faire d’elle. Elle savait qu’elle était maintenant à elle, mais elle n’avait aucune vocation à la forcer à faire des choses, ni la maltraiter.
Espérer qu’elle l’apprécie et que cela se passe bien entre elles. C’est tout ce qu’elle pouvait faire.
Elle vit la réaction d Annabelle lorsqu’elle s’approcha. Elle avait peur. Et cette réaction lui fit mal au cœur.

— Hey… je ne te veux aucun mal. Tu es en sécurité ici. Tu ne risques rien.
Dit-elle d’une voix douce.

Est-ce qu’elle avait peur de Marianne ? Est-ce qu’elle craignait pour sa vie maintenant ?
Elle s’éloigna avec précaution et préféra quitta la pièce. La laissant dormir et se reposer.
Il était presque 6h, et elle n’avait pas trouvé le sommeil.
Elle avait pire, elle avait fait l’acquisition de quelqu’un et elle ne savait pas du tout comment faire pour gérer cette nouvelle personne.
Elle s’assit sur son canapé et elle réussit à s’endormir une petite heure, avant que son réveil ne sonne.
Elle paniqua et l’éteint aussitôt pour éviter de réveiller Annabelle.
Elle jeta un coup d’œil dans sa chambre.
Il y avait une petite tête blonde qui dormait à poings fermés. Elle éteignit la lumière et tira les rideaux pour la protéger des rayons du soleil.
Ce n’était malheureusement pas un rêve.
Elle retourna dans son salon et se prépara à partir.
Claquant la porte derrière elle.

Annabelle s’était endormie comme une masse après que Marianne ait quitté la pièce.
Elle ne comprenait pas ce qui se passait.
Elle pensait qu’elle allait la forcer à avoir une relation intime avec elle, et elle était partie. Elle l’avait laissée.
Puis ses mots l’avaient touchée en plein cœur.
Cela l’avait rassurée, même si elle restait craintive.
Et si elle mentait ?
Elle s’était réveillée presque en sursaut, après avoir fait une nuit réparatrice.
C’est que le lit était plus que confortable. Comment était-il possible de dormir aussi bien dans un matelas aussi moelleux, dans des draps aussi doux. Elle était peut-être morte et elle se retrouvait au paradis.
Elle se leva et se retrouva dans le salon.
La vue qu’elle avait la fit redescendre dans la dure réalité. Ce n’était décidément pas le paradis, ou alors c’était un paradis dépotoir.
Elle vit l’heure. Il était déjà 14h et personne ne l’avait réveillée. L’appartement semblait vide.
Elle visita les autres pièces. Personne.
Elle était seule.
Qu’allait-elle faire en attendant que Marianne rentre.
Elle ne lui avait rien donné comme instructions.
Que devait-elle faire ?
Elle n’osa pas retirer les vêtements qu’elle portait. C’était Marianne qui lui avait donné. Peut-être qu’elle préférait qu’elle les garde sur elle.
Elle avait peur de faire une bêtise.

Par contre. Elle ne pouvait pas laisser son appartement dans cet état. C’était sûr.
Vu la tête qu’elle tirait lorsqu’elle arriva, l’état actuel n’était pas une direction artistique voulue.
Alors elle se mit à ranger. À réunir les vêtements, jeter les emballages à la poubelle.
Au bout de plusieurs heures de dur labeur, elle réussit à voir le sol de l’appartement.
Elle essaya de deviner ou étaient rangés les outils et autres sans trop fouiller ni déplacer les choses qui étaient à leur place.
Ne sachant pas quel programme elle utilisait sur sa machine à laver, elle empila les vêtements sur un même tas, qu’elle réunit dans la buanderie. Le panier à linge sale était plein et débordait au sol.
Elle put faire la vaisselle, faire un peu la poussière.
Lorsqu’elle eut fini, elle retourna dans la chambre pour y faire le lit, et comme elle avait un peu froid dans cette tenue, elle se glissa à nouveau dans ce lit douillet et se rendormit.

*

Marianne avait l’habitude d’aller travailler à pieds. L’appartement n’était pas très loin de l’établissement qu’elle tenait et aujourd’hui, elle avait en plus besoin de réfléchir.
Elle imaginait déjà Duncan se payer sa tête lorsqu’elle lui dirait qu’elle avait acheté un humain.
Elle était tombée bien bas.
Le seul côté positif, c’était qu’elle était passée par une maison qui semblait sérieuse. Elle avait tous les papiers nécessaires pour prouver qu’elle était en ordre.
En parlant de papiers, elle avait oublié la valise dans le coffre de sa voiture. Elle avait la tête à autre chose hier soir, enfin, il y a quelques heures, et cela lui était sorti de la tête.
Elle déjeunait avec Duncan qui s’inquiéta du teint pâle de son amie. Elle lui raconta sa nuit.

— Tu te fous de moi ?
— Non non… je suis sérieuse… tu peux te moquer… je devais vraiment être au fond du gouffre hier soir…
— J’y crois pas… t’es sûre que c’est un établissement clean, hein ? Et elle est comment la fille ?
— Bah… timide ? Pas très bavarde ? Effrayée ?
— Tu l’as laissée chez toi ?
— Bah oui. Je n’allais pas l’emmener avec moi, elle aurait paniqué si elle avait vu dans quoi je travaille. Vu sa réaction hier soir…
— Elle est toute seule chez toi ?
— Oui… et ?
— T’as pas peur qu’elle te vole des trucs… ?
— Euh… non. Vu à quoi ressemble mon appartement actuellement, sauf si elle veut revendre mes vêtements sales, et si elle arrive à porter mes meubles. Elle est plus petite que moi et je ne pense pas qu’elle fasse beaucoup d’exercices. Sauf si elle cache bien ses muscles.
— Et si jamais elle s’enfuit ? T’as fermé la porte avant de partir ?
— … Putain, c’est vrai ça. Rien ne l’empêcherait de s’en aller.
— Ça serait con, vu le prix que t’as payé !
— Merde, imagine elle sort et elle a des problèmes… si elle se met en danger…
— Non mais, imagine c’est elle qui va causer des problèmes. Elle est sous ta
responsabilité, ça va te retomber dessus.
— Je l’imagine pas faire du mal à d’autres.
— C’est ce qu’on dit, les gens cachent bien leur jeu. Ça se trouve elle t’a berné avec son jeu d’actrice.

Marianne était inquiète pour d’autres raisons, et elle ne pouvait pas non plus s’absenter à son travail pour rentrer chez elle juste pour vérifier qu’Annabelle était encore là.
Si elle était partie, c’était de toute manière trop tard.
Si elle était encore là, elle ne voulait pas non plus l’enfermer et la séquestrer.
Quoi qu’il en soit, elle avait trop de travail aujourd’hui pour pouvoir s’éclipser même un court instant.
C’est après 16h qu’elle put enfin se poser.
Assise dans son bureau, elle s’étira et vérifia qu’elle n’avait plus rien sur le feu.
Elle regarda l’heure et prévint ses employés qu’elle s’en allait. Qu’elle restait joignable si besoin, mais qu’elle avait une autre urgence à gérer chez elle.

Cette fois ci, elle se rappela de la valise et elle passa par le parking la récupérer.
Devant la porte de son appartement, elle appréhendait. Est-ce qu’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur?
Elle inspira un grand coup et ouvrit.
Et ce fut la surprise. Elle se demanda si elle ne s’était pas trompée d’appartement.
Elle recula et vérifia qu’elle ne s’était pas trompée de porte, puis en retournant à l’intérieur, elle reconnut ses meubles, mais les lieux étaient méconnaissables comparé au moment de son départ.
Où étaient ses affaires ?
Duncan avait peut-être raison, Annabelle était partie avec toutes ses affaires pour les revendre.
Elle ne remarqua pas la vaisselle faite. La seule chose qui la frappa de plein fouet, fut que son appartement paraissait vide.
Elle soupira et ouvrit la valise sur le comptoir.
Si Annabelle était partie, elle devait lancer les démarches pour la retrouver, et pour cela elle aurait besoin des documents officiels attestant qu’elle était bien sa propriété. Rien qu’à l’idée de devoir aller au poste de police faire une déclaration d’humain perdu, elle était déjà fatiguée d’avance.
La malle n’était pas très lourde et en l’ouvrant, elle remarqua des vêtements à l’intérieur. Cela devait être les anciens habits qu’elle avait.
Ils n’étaient pas sales, mais ils étaient abîmés, vieux et surtout, beaucoup trop grands pour elle.
Il y avait un pantalon avec une ceinture, une chemise, un pull et une veste. À vue de nez, ce n’étaient pas des vêtements très féminins, et plus elle les regardait, plus elle se disait qu’ils étaient de seconde main.
Quelque chose traversa son esprit : Annabelle n’était pas riche. Au contraire.
Elle reposa les vêtements et elle prit le porte document contenant les dossiers à son sujet.
En l’ouvrant, une enveloppe contenant quelques billets. Une lettre l’accompagnant qui expliquait que c’était ce qu’il restait de son compte bancaire. Le total n’était pas tres élevé et lui confirma qu’elle n’était pas aisée.
Cependant, elle avait de quoi survivre. C’était le mot. « Survivre »
Elle n’était pas non plus sans toit dans sa vie d’avant, et elle avait ses papiers.
C’était bien fait pour sa pomme, se dit-elle. Elle n’aurait jamais dû faire cet achat irréfléchi. Et maintenant elle en payait le prix fort. Elle essayait de rester positive.
Peut-être qu’Annabelle arriverait à tirer quelque chose de la vente de ses biens et qu’elle mènerait une vie moins pauvre.
Elle se dirigea vers sa chambre, dépitée, et qu’elle fut sa surprise de constater que boucle d’or était encore dans son lit.
En y regardant de plus près, l’appartement n’avait pas été cambriolé, il semblait plus vide parce que plus rien ne trainait par terre.
Elle vérifia les autres pièces, elle retrouva le tas de ses vêtements devant la machine à laver, et elle sursauta lorsqu’elle vit Annabelle debout, dans le couloir.

— Tu m’as fait peur… !
Souffla-t-elle, la main sur sa poitrine.

— P-pardon… je ne voulais pas-
— C’est moi, je ne voulais pas te réveiller… tu as bien dormi… ?
— O-oui. Merci… votre lit est très confortable…
— Je suis contente que tu aies pu te reposer… mais… tu n’aurais pas dû t’occuper du ménage…
— Je suis désolée… je pensais vous aider…
— Ne sois pas désolée, je… ça m’aide beaucoup. C’est juste que je ne veux pas te forcer à faire des tâches ingrates comme celles-ci… je devrais m’occuper de mon propre bazar…
— Ça m’a fait plaisir de vous aider… je vous appartiens… vous pouvez me demander de faire tout ce que vous voulez…
— Il ne faut pas dire des choses comme ça… tu ne devrais pas dire ça…

Elle proposa à Annabelle de s’installer dans le canapé du salon et de discuter.
Elle devait lui avouer qu’elle était perturbée par cette nouvelle situation. Qu’elle avait pris cette décision sur un coup de tête et qu’elle ne savait pas encore comment elle devait se comporter vis à vis d’elle.

Annabelle n’était pas contrariante mais elle n’avait pas non plus d’initiatives, et Marianne se retrouva fort embêtée de devoir prendre des décisions.
Elle savait qu’elle était obligée de laisser Annabelle chez elle en semaine.
Elle réfléchit à ce qu’elle pourrait faire pour ne pas s’ennuyer et sans abuser de sa personne.

— … Tu es sûre que ça ne te dérange pas de t’occuper de mon appartement… ? Ça me gêne de l’avouer… mais je n’ai pas le courage de le faire moi-même et je sais que j’ai besoin d’aide là-dessus…

Annabelle acquiesça sans un mot.
Marianne soupira encore une fois et se résigna.

— D’accord, dans ce cas je dois commencer par retrouver la notice de ma machine à laver le linge… je vais également te montrer où se trouve les outils, comme l’étendoir…

Annabelle suivit Marianne et écouta consciencieusement les instructions.
Marianne regarda l’état de sa poubelle et en conclu qu’il était temps de la sortir.
Elle regarda Annabelle qui était encore en t-shirt et culotte.
Il fallait qu’elle enfile au moins un pantalon, si elle voulait lui montrer le local des poubelles qui se trouvait au rez-de-chaussée.

— J’avais oublié la valise dans mon coffre. Tu vas pouvoir récupérer tes vêtements. Tu sais que tu aurais pu te changer en te servant dans ma garde-robe… ?
— Je… je pensais que ça vous ferait plaisir que je reste habillée comme ça…
— Oui… enfin, c’est vrai… mais tu risques d’attraper froid, je voulais te montrer un peu les alentours.

Annabelle enfila son pantalon et ajusta sa ceinture pour qu’il ne tombe pas de ses hanches.
Elle avait gardé le t-shirt de Marianne. Sa poitrine étirant légèrement le tissu sur le devant. Elle n’avait pas de soutien-gorge, ses mamelons étaient en relief trahissant qu’elle avait un peu froid.
Elle attrapa son gilet et le mit par-dessus.
Marianne lui fit faire le tour du propriétaire, en lui montrant l’emplacement du local poubelle.
Elle en profita pour lui laisser un double de ses clés.
Elles croisèrent des voisins qui s’étonnèrent de voir Marianne accompagnée.
Elle la présenta comme sa colocataire, un peu gênée, elle préféra ne pas s’attarder sur les détails, et prétexta qu’elle était occupée pour s’éclipser sans paraitre trop impolie.
En retournant à l’appartement, elle s’excusa de n’avoir pas dit la vérité, mais elle souhaitait que leur relation commence ainsi, comme une bonne collocation. Elle l’espérait.
Lors de leur discussion, le ventre d’Annabelle grogna et Marianne lui demanda si elle avait mangé.
Annabelle n’avait pas osé se servir dans le frigo, et elle avait faim. Très faim. Mais elle n’avait pas osé à le signaler non plus. Craignant la réaction de Marianne, elle avait peur qu’elle ne la prive intentionnellement de se nourrir.

— À quand remonte ton dernier repas… ?
S’inquiéta-t-elle.

Annabelle réfléchit. Cela faisait-il plus de 24h ?
Marianne se leva pour ouvrir son frigo, mais il était presque vide. Rien qui ne pouvait permettre de préparer quoi que ce soit.
Au vue de l’état de sa cuisine, même bien équipée, elle avait abandonné l’idée de se préparer à manger et elle passait la majeure partie de ses repas dans des restaurants. Elle n’avait pas le temps ni la patience de se préparer quoi que ce soit.
Cela lui convenait lorsqu’elle vivait seule, mais maintenant qu’Annabelle était là, elle ne pouvait pas la laisser sans nourriture.
Il restait une cannette de soda, une de bière, une bouteille d’eau pétillante au frais, et un pot de compote de pommes.
Le congélateur ne contenait pas mieux. Des légumes surgelés qui étaient là depuis beaucoup trop longtemps.
Elle se rappela de les avoir préparé lorsqu’elle était arrivée dans son appartement et qu’elle avait utilisé la cuisine pour la première fois. Ils étaient là depuis tout ce temps et elle en avait même oublie leur existence.
Elle referma son frigo avec honte et jeta un coup d’œil dans ses tiroirs. Elle trouva un sachet de riz et de pâtes. Heureusement que ces denrées là ne périmaient pas.
Elle referma la porte du placard.
Elle ne pouvait pas lui proposer un repas descent.
Elle se retourna vers Annabelle, et lui demanda ce qu’elle aimait comme nourriture.
Annabelle n’était pas difficile et à la fois, c’était déroutant et pénible pour Marianne parce qu’elle n’exprimait pas ses préférences.

— Tout me va.
Répondit Annabelle.

Marianne n’était pas plus avancée. Elle se gratta la tête.
D’habitude elle serait sortie dîner dehors, mais elle ne pouvait pas sortir avec Annabelle qui n’avait pas encore de vêtements adéquats à se mettre.
Pour Marianne, il était hors de question qu’elle remettre ses anciens vêtements.
Elle décida de se faire livrer un repas simple, pour continuer à faire connaissance avec sa nouvelle colocataire, et organiser les jours à venir en sa compagnie.

— Pizza, ça te va… ?
— O-oui…

Annabelle s’attendait à une pizza surgelée, elle avait déjà mangé des plats surgelés parce qu’ils étaient moins chers, mais ils étaient également moins bons. Elle n’avait pas de four et le micro-ondes ne réchauffait pas efficacement, rendant la pâte de la pizza trop molle et presque liquide.
Quoi qu’il en soit, elle aurait dit oui à n’importe quelle nourriture, même la plus mauvaise des pizzas.
Marianne prit son téléphone pour chercher une bonne adresse de pizzeria et appela.
En attendant leur livraison, elles purent discuter un peu plus.
Annabelle était assise sagement, timide, sur le canapé du salon.
Marianne s’était posée au niveau du sol, pour pouvoir regarder Annabelle et essayer de lire ses expressions de visage.
Elle était assise sur un tapis moelleux, juste à côté de sa table basse qui était devant la télévision écran plat d’une taille impressionnante pour Annabelle.
Marianne était curieuse. Elle voulait savoir pourquoi une jolie fille comme Annabelle était venue à se vendre.
Mais elle savait que c’était peut-être impoli. Elle devinait maintenant qu’Annabelle n’était pas riche, elle n’était peut-être pas dans la moyenne des gens, mais qu’elle était peut-être pauvre. Peut-être qu’elle avait des raisons difficiles qui l’ont poussée à abandonner son statut d’humain, de citoyen de la société.
Elle ne voulait pas la juger, elle cherchait juste à comprendre, mais sa question était indiscrète.
Et puis, Annabelle pourrait lui retourner la question.
Marianne ne saurait pas quoi répondre.
Elle avait eu pitié d Annabelle ? Non, ça sonnait vraiment moche. Elle aurait voulu la sauver des griffes d’un pervers, et de manière plus égoïste, elle se sentait seule et elle avait été attirée par le physique d’Annabelle. C’était la pire chose à dire.
Marianne était en train de se torturer mentalement et Annabelle était restée silencieuse sur le canapé.
Un silence assez pesant s’était installé, jusqu’à l’arrivée des pizzas.
Marianne s’était levée pour aller chercher la commande, elle avait pris deux pizzas en ne sachant pas la quantité qu’Annabelle pourrait manger, et ayant peur qu’il n’y ait pas assez.
Elle les posa sur la table basse, ramena les deux cannettes de bière qui restaient dans le frigo.

— Tu bois un peu ? J’ai ça qui traine depuis des mois dans mon frigo…
— D’accord.

Marianne était presque agacée qu’Annabelle soit si docile. Elle se retrouvait à faire la conversation toute seule. Au moins, elle avait quelqu’un à qui parler, même si elle avait très peu de répondant.
Elle ouvrit la première boite et invita Annabelle à se servir.
Annabelle en avait l’eau à la bouche, l’odeur de la nourriture lui parvenant.
Et lorsqu’elle l’apporta à sa bouche, elle pleura presque d’émotion. Elle avait l’impression de manger de la pizza pour la première fois de sa vie.
C’était délicieux. La pâte était croustillante, pas brûlante, pas trop chaude ni trop tiède.
Marianne remarqua son changement d’expression.

— Est-ce que tout va bien… ? Tu n’es pas obligée de finir si tu n’aimes pas…
S’inquiétait-elle

— C-c’est trop bon !
Réussit à dire Annabelle, après avoir avalé ce qu’il lui restait dans la bouche.

Cette fois-ci, elle était expressive et Marianne explosa de rire.
Elle ne s’attendait pas à une telle réaction.

— C’est qu’une pizza, tu sais ? Si ça te plaît autant, la prochaine fois on ira au restaurant. Elles sont meilleures sur place. Tu n’en avais jamais mangé avant… ?
— Si… mais surgelées.

— C’est pas de la pizza, ça.
Grimaça Marianne.

Puis elle se rendit compte qu’Annabelle n’avait peut-être pas les moyens de manger une vraie pizza, et elle n’insista pas plus.
Le silence revint. Annabelle dégustait sa nourriture.
Elle ne buvait pas souvent mais trouva que la bière accompagnait parfaitement ce repas.
Les bulles dans sa boisson la firent rôter et elle fut elle-même surprise puis gênée, elle s’excusa les joues rouges. La main devant sa bouche.

— Ne t’en fais pas, c’est tout à fait normal avec la bière. Ne te prive pas, je veux que tu te sentes à l’aise. On risque de passer un certain temps ensemble.
Sourit Marianne, qui ne se retint pas de rôter de manière ostentatoire, pour montrer l’exemple.

Annabelle écarquilla les yeux.
Marianne qui donnait l’impression d’être quelqu’un de distingué, venait de rôter.

— Ah, je suis désolée, c’est le genre de choses que je ne peux pas me permettre dans la vie de tous les jours… celui la venait de loin.

Annabelle se mit à rire et elles partagèrent ce petit moment ensemble.
Elles avaient bien mangé et la seconde pizza était de trop. Elle partit rejoindre le frigo et Marianne revint avec son pot de compote qu’elles partagèrent avec une cuillère.

Marianne avait cette capacité à mettre les gens à l’aise, elle avait proposé le pot et la cuillère à Annabelle.
Elle n’osait pas encore s’asseoir trop près d’Annabelle parce qu’elle ne voulait pas qu’elle se sente menacée par sa proximité, elle se souvenait de sa peur la veille.
Alors elle était restée sur le tapis, à observer Annabelle, un peu comme un animal. Un chat qu’on vient de recueillir et qu’on apprend à connaitre en observant ses réactions.
Elle la nourrissait et elle ne savait pas trop pourquoi mais elle se sentait bien en sa compagnie.
Certainement parce que l’appartement ne faisait plus vide, parce qu’il y avait un peu plus de vie.
Cette simple soirée autour d’une pizza lui rappelait sa jeunesse, lorsqu’elle était encore étudiante et qu’elle passait ses soirées à boire, rire, refaire le monde avec ses amis. Cette insouciante. Elle l’avait presque oublié.

Annabelle s’était détendue. Marianne était amicale, bienveillante et elle avait cette chaleur humaine.
Elle l’avait accueillie chez elle et la traitait comme une amie de longue date. C’était étrange.
Ce n’était pas du tout ce qu’elle imaginait en se faisant adopter. Elle pensait qu’on la soumettrait, qu’on la traiterait comme un animal en cage, avec des chaînes et un collier au cou. Ok, elle avait peut-être trop imaginé le pire des scénarios, mais même avec ce scenario terrible, elle n’avait pas peur. Elle était tellement au fond du gouffre que même devenir une sorte d’esclave à recevoir des ordres, lui convenait. Mais Marianne n’était rien de tout ça.

C’est vrai qu’elle la nourrissait comme un animal abandonné mais, les intéractions qu’elle avait avec elle.
C’était nouveau.
Si elle l’avait rencontrée avant, si elles étaient devenues amies avant qu’elle fasse ce choix, est-ce que sa vie aurait été plus douce ? Avec une amie comme elle, peut-être qu’elle ne se serait pas sentie aussi seule, peut-être que sa vie aurait eu plus de sens.
Non, elle savait qu’elle n’aurait jamais pu croiser Marianne dans sa vie d’avant. Elles ne vivaient pas dans le même monde. Elle ne se serait jamais intéressée à une pauvre fille comme elle.
Annabelle n’avait jamais eu d’amie comme Marianne, et elle se disait que Marianne était trop gentille et trop bonne avec elle.
La bière lui faisait tourner légèrement la tête.
Elle était perturbée, elle avait l’impression d’être avec une amie qu’elle n’avait jamais connue, elle se sentait à l’aise. Une amie très bordelière, mais qui l’avait accueillie sans méfiance.
C’était trop beau pour être vrai. Même dans ses rêves les plus fous, elle ne pensait pas tomber sur une propriétaire de la classe haute et qui s’occuperait aussi bien d’elle.
Mais ce qui lui faisait perdre pieds, c’est qu’elle ne lui donnait pas d’ordres explicites. Elle ne savait pas quoi faire pour elle.
Il commençait à se faire tard.
Marianne lui expliqua ce qu’elle avait prévu pour les prochains jours, pour qu’elle sache ce qui allait se passer, et qu’elle ne soit pas surprise.

— J’ai encore une journée de travail demain, mais je devrais avoir mon week-end de libre. Fais comme chez toi, hésite pas à te servir dans le frigo… pour le peu qui reste dedans.

Marianne était en train de planifier le programme du week-end avec Annabelle.
En priorité, elle voulait lui acheter des vêtements à sa taille et qui lui aillent. Elle ne pouvait pas la laisser dans ces fripes. Puis, la seconde priorité était de remplir ce pauvre frigo, de bonnes nourritures.
Elle réfléchit également au fait qu’elle ne pouvait pas la contacter si jamais elle avait un souci. Elle allait devoir ouvrir une ligne téléphonique pour Annabelle. Elle savait qu’elle avait un ancien modèle de téléphone encore en état de marche qui pourrait faire l’affaire.
Personnellement, elle utilisait le dernier modèle parce que c’était également une question d’être bien vu et de montrer qu’elle en avait les moyens, même si elle n’utilisait pas toutes les fonctionnalités.
Il commençait à se faire tard, Annabelle était en train de s’assoupir avec les effets de l’alcool.
Marianne se leva et partit chercher une brosse à dent neuve qu’elle tendit à Annabelle.

— Excuse-moi, j’aurais dû te sortir ça hier soir…
Dit-elle gênée.

Par chance, il lui en restait une.
Annabelle se sentait bien.
La tête lui tournait juste un peu, elle avait les joues légèrement roses et chaudes, il faisait bon et elle avait bien mangé.
Le canapé était confortable et elle se serait endormie dessus si Marianne n’était pas revenue.
C’était étrange qu’elle se sente aussi bien chez quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Il s’y dégageait une sorte de chaleur.
Marianne, voyant qu’Annabelle n’était pas là psychiquement, elle s’approcha d’elle pour lui demander si tout allait bien.
Elle se leva un peu rapidement, et eut un petit vertige.
Marianne s’inquiéta et la prit dans ses bras.

— Tu n’as pas l’habitude de boire… ?
Demanda Marianne.

Ce n’était qu’une bière.
Annabelle acquiesça un peu gênée.
Marianne l’accompagna à la salle de bain.
Annabelle se brossa les dents et se rafraichit le visage avant de s’allonger sur le lit, de tout son long.
Elle s’assoupit et lorsque Marianne vint voir si tout se passait bien, elle tenta de la réveiller avec délicatesse parce qu’elle s’était endormie toute habillée sur le lit.
Elle l’aida à se déshabiller, Annabelle n’opposa que très peu de résistance. Et elle la coucha sous la couverture.

Il y avait quelques chose d’adorable, Annabelle ressemblait à un enfant dans son comportement et Marianne en avait le cœur attendri. Elle observait et contemplait les longs cils blonds de cette jeune fille, ses cheveux bouclés, fins et doux.
Elle n’abusa pas plus de cette proximité et décida de la laisser se reposer.
Refermant doucement la porte derrière elle.
Elle lâcha un long soupir.
Elle avait le cœur qui battait un peu plus vite.
Annabelle ne la laissait pas indifférente, mais elle essayait de se raisonner. Elle ne pouvait pas forcer ses désirs sur cette personne, même si c’était son acquisition. Elle ne voulait pas tomber dans ce piège. Elle restait humaine, et elle voulait que cela se passe bien entre elles. Déjà en tant qu’amies, et si jamais
cela devait être plus, cela se ferait. Mais c’était un rêve un peu lointain.
Marianne se ressaisit et retourna dans le salon pour débarrasser leur repas. Elle fit le stricte minimum pour que la table basse soit libérée, posant le bocal de compote vide dans l’évier, le carton de pizza vide sur la table de travail de la cuisine, et rangeant celle avec la pizza dans le frigo. Elle n’était pas sûre que
le carton rentre entièrement dedans.
Les cannettes de bière vides furent posées à côté du carton vide, et elle se rendit dans la salle de bain pour se préparer à dormir.
Elle attrapa un plaid et s’allongea sur son canapé, avec ses vêtements.
Cela lui rappela l’époque où elle dormait sur le divan de son bureau, un petit sourire apparut sur ses lèvres.
Elle avait passé une excellente soirée. Elle ne savait pas où ça allait la mener, mais pour l’instant elle était plutôt satisfaite. Ce n’était pas trop mal.
Elle réussit à trouver le sommeil assez facilement. Etrangement. Le canapé était confortable. Elle avait bien fait de choisir cette marque.
Elle s’endormit d’une traite et le réveil sonna.
Elle se réveilla en sursaut. Il était déjà l’heure.
Elle passa légèrement la tête dans sa chambre, Annabelle dormait encore.
Elle essaya de ne pas faire de bruit en rentrant dans la pièce pour récupérer des vêtements propres.

*

Annabelle se réveilla doucement.
Elle entendit Marianne dans la salle de bain
Elle essaya de se souvenir de la veille.
C’était flou, elle ne se rappelait pas d’avoir retiré ses vêtements. Ni d’avoir fait autre chose. Elle s’inquiéta, mais le lit n’était pas défait de l’autre côté. Cela supposait que Marianne n’avait pas dormi avec elle.
Elle se leva, tout de même, pour voir ce qu’elle pouvait faire pour aider Marianne.
Elle était en train de se recoiffer devant la glace du lavabo, et elle jeta un regard amusé à Annabelle, la saluant.

— Ah, bonjour. Je t’ai réveillée ? Pardon.

— B-bonjour… non, j’ai assez dormi…
Répondit-elle, timidement.

Marianne semblait pressée, ses gestes étaient réfléchis et lorsqu’elle finit d’attacher ses longs cheveux sombres et lisses en queue de cheval, elle vérifia qu’aucune mèche ne dépassait.
Quelques cheveux blancs éclatants qui ressortaient de sa chevelure noire, parsemaient sa coiffure comme des fils d’argent dans la pénombre.

— Je dois y aller, je te laisse la salle de bain. Fais comme chez toi, d’accord ? Je vais essayer de rentrer tôt.

Elle lui sourit et marcha d’un pas rapide dans le salon pour récupérer ses affaires et emprunter la porte.
Annabelle était de nouveau seule dans l’appartement.
C’était étrange comme elle avait l’impression d’être abandonnée, alors qu’elle savait que Marianne se souciait d’elle, et qu’elle reviendrait.
Elle voulait faire quelque chose pour Marianne, pour la remercier de l’avoir recueillie ainsi, et la considérer plus qu’un animal de compagnie.
À commencer, par s’occuper de la pile de vêtements sales et de linge qui s’était accumulée dans un coin de la buanderie.

C’était dans ses cordes et maintenant que Marianne lui avait montré où se trouvait la plupart des objets, et que la notice d’utilisation était sortie.
En attendant que la machine tourne. Elle avait réussi à la faire marcher. C’était différent que les machines à laver dans les lavomatiques, Marianne avait certainement un modèle dernier cri qui devait faire également le café, mais Annabelle s’en sortit.
Elle retourna dans le salon et elle débarrassa correctement la table de travail, faisant le peu de vaisselle laissée dans l’évier.
Les sacs de poubelle étaient en train de se multiplier près de la poubelle et elle enfila un pantalon pour pouvoir sortir le tout dans le local de l’immeuble, dans une tenue adéquate.
L’appartement commençait tout juste à ressembler à quelque chose. Si on oubliait la couche de poussière et des moutons et boules de poussière qui s’étaient réfugiés au bords des pièces.
Elle chercha un balai et une pelle, et elle fut agréablement surprise de découvrir un aspirateur flambant neuf. Il était encore sous emballage, à côté de sa boite. Il n’avait jamais été utilisé.
Annabelle commençait à dresser le portrait de Marianne. Trop occupée par son travail ou son quotidien pour prendre le temps pour elle et son chez elle. Elle ne savait pas dans quel milieu elle travaillait mais elle devait avoir un emploi bien payé pour pouvoir s’offrir des appareils électroménagers de ce genre.
C’était au tour d’Annabelle de se mettre au travail.
La matinée passa plutôt rapidement et lorsqu’elle eut fini de passer l’aspirateur, faire rapidement les poussières, étendre la machine finie. Il était déjà midi et son estomac lui rappela qu’elle avait faim.
Elle put réchauffer une part de pizza dans le micro-ondes et elle le savoura sur le canapé.
C’était fatiguant mais elle se sentait bien.
Elle se sentait utile et surtout elle avait cette satisfaction de travail bien fait.
L’appartement était propre et sentait la lessive.

Elle ne s’était jamais sentie ainsi chez elle. Elle avait un appartement miteux, le bâtiment était vétuste et elle avait très peu de meubles et d’affaires.
C’était rangé chez elle mais surtout parce qu’il y avait peu de choses à ranger.
Même lorsqu’elle prenait le temps d’y faire le ménage, les murs et le sol étaient dans un tel état délabré qu’il s’y dégageait toujours une ambiance sale.
Elle avait fini par s’y habituer et ne connaissant pas mieux, elle avait fini par apprécier son chez elle pour ce qu’il était : juste un endroit où elle se reposait avant de retourner travailler.
C’est pour cela qu’elle passait pas mal de temps à se balader et flâner dans les ruelles, les parcs, les expositions.
Elle faisait rarement, presque jamais, de lèche-vitrine, elle évitait les magasins. C’était beaucoup trop déprimant de voir toutes les choses qu’elle ne serait jamais capable de de s’offrir.

Chez Marianne c’était diffèrent.
Son appartement était agréable. Neuf, il avait été conçu pour que les habitants se sentent bien et l’agencement était fonctionnel.
À condition qu’on ne laisse pas s’accumuler ses affaires en immondices à différents endroits.
Annabelle avait l’impression d’être dans un hôtel luxueux plus que chez quelqu’un.
Elle s’était posée. Elle espérait qu’elle n’avait pas fait de bêtise en prenant l’initiative de s’occuper des lieux.
Elle comprenait qu’on puisse se sentir seul quand on occupait un espace aussi grand.
Il y avait cette sensation de vide et de froid.
Peut-être que Marianne se sentait seule ainsi.
Après avoir mangé la moitié de la part de pizza, elle débarrassa.
Puis, elle ne savait pas quoi faire de plus, à part nettoyer l’appartement de fond en comble.

*

Marianne était partie au travail.
Elle culpabilisait d’être partie aussi rapidement et de manière pressée, mais les horaires étaient les horaires.
Elle aurait voulu rester plus longtemps auprès d’Annabelle et apprendre à la connaitre.
Finalement, tous ses congés qu’elle n’avait jamais pris, elle avait maintenant une raison et une envie de les prendre.
Sur le chemin, elle put réfléchir et se calmer.
Elle se remettait de ses émotions. Elle avait cru qu’Annabelle était partie et était malhonnête. Elle se sentait idiote. Plus le temps passait et plus elle se confirmait d’avoir un crush sur elle. Elle avait eu envie de l’embrasser hier soir.
Même dans ses habits de Cendrillon, elle la trouvait mignonne et plus elle en apprenait plus sur elle, et plus elle avait le cœur qui chavirait. Ce n’était pas bon.
Elle savait qu’elle s’emportait, et il fallait qu’elle se reprenne.
D’abord, elle avait des urgences à s’occuper : lui donner un téléphone, comme ça elles pourraient communiquer quand elle serait au travail.
Secondo : lui acheter de vrais vêtements et un nécessaire de toilettes, si besoin.

En arrivant à son travail, elle était de bonne humeur, de meilleure humeur que d’habitude et les employées le remarquèrent aussitôt.
Elle évita la question, seul Duncan était pour l’instant au courant.
Elle reçut un courrier recommandé, elle avait totalement oublié les résultats médicaux d’Annabelle.
Elle avait une petite appréhension qui s’évapora lorsqu’elle lu les documents. Elle avait une santé normale.
Elle devait garder précieusement ce document avec ceux du dossier.
Elle s’installa à son bureau et commença par fouiller dans ses tiroirs. Elle savait qu’elle avait rangé son ancien téléphone quelque part et elle n’eut pas à chercher très longtemps avant de tomber dessus.
La prise de recharge était au même endroit et elle le brancha pour vérifier qu’il marchait et le configurer si besoin.
Pendant que l’appareil se rechargeait, elle put se mettre au travail et penser à autre chose.

*

La journée passa lentement mais Marianne était d’humeur joyeuse. Elle dut rester un peu plus tard pour terminer un dernier détail relatif à son travail. Elle s’étira de tout son long et se leva pour rentrer.
Sur l’horaire du midi, elle avait pu configurer rapidement son ancien téléphone pour le formater et le restaurer dans la configuration d’usine, puis elle y installa une application de communication en s’y ajoutant.
De cette manière, Annabelle pourrait la contacter.
Il ne restait plus qu’elle le configure sur le réseau wi-fi de son appartement en attendant de recevoir la carte SIM pour qu’elle ait son propre numéro.

*

En rentrant chez elle, Marianne en tomba des nues.
Elle ne reconnut pas son appartement une nouvelle fois. Elle vérifia de nouveau si elle ne s’était pas trompée de porte.
Elle avait l’impression de le visiter comme la première fois.
Aucune trace d’Annabelle, mais cette fois-ci, elle ne s’inquiéta pas.
Elle prit le temps d’enlever son manteau et poser ses affaires.
Puis elle chercha Annabelle, elle était allongée sur le lit fait, en boule avec le plaid sur elle. Elle semblait faire une petite sieste.
Marianne était impressionnée de l’état de son appartement. Il sentait bon et il était brillant comme neuf.
Elle ne savait pas si elle devait la réveiller ou la laisser dormir. Il n’était pas encore l’heure de dîner.
Elle opta pour laisser Annabelle se reposer.
En parlant de dîner, elle vérifia l’état de son frigo. Il ne restait qu’une demi part de pizza et des légumes congelés.
Elle soupira et se décida à préparer le reste de légumes pour enfin les consommer.
Du riz sauté aux légumes, cela irait très bien pour accompagner le reste de pizza. Quelque chose d’un peu plus sain.
Elle avait dû annuler ses séances de sport ces derniers jours, d’habitude elle y allait après le travail et rentrait chez elle après le diner.

*

Annabelle fut réveillée par l’odeur de la nourriture.
Elle émergea et se leva aussitôt.
Marianne était rentrée alors qu’elle s’était assoupie.
Tel un petit chat, elle se rendit timidement dans le salon avec la cuisine ouverte.

— Bien dormi ? J’ai bientôt fini de préparer le repas. J’en ai pour quelques minutes.

Annabelle acquiesça sans répondre et s’approcha pour voir ce que Marianne préparait.

— Ah, ça sera riz et légumes, il ne reste pas assez de pizza pour ce soir. Ça te va ?

Annabelle continua d’acquiescer en silence.
Marianne sourit.

— Au fait, regarde sur la table, ce n’est pas grand-chose mais tu peux utiliser mon ancien téléphone. Ça sera plus pratique pour me joindre lorsque je suis au bureau. Je devrais recevoir la carte SIM dans quelques jours, comme ça même en dehors de l’appartement, on pourra rester en contact.

Annabelle vit cela et n’osa pas le toucher.
Pour elle ce n’était pas un ancien modèle de téléphoné, c’était un très récent. Il était a peine différent de celui de Marianne.
Marianne mit a réserver la nourriture et vint voir Annabelle.

— Prends-le, je ne m’en sers plus. Il est à toi.
— Je…

Marianne prit le téléphone et le posa dans les mains d’Annabelle.
La voyant hésitante.

— Hésite pas à le configurer comme tu le souhaites. Je me suis permise de m’ajouter dans les contacts.
— M-merci, merci beaucoup…
— Je t’en prie, c’est normal et puis ça sera beaucoup plus pratique. D’ailleurs, demain c’est shopping ! On essayera d’y aller en matinée pour avoir le temps et la journée.

Annabelle resta sans voix.

— Je ne peux pas te laisser dans tes anciens vêtements, ils sont beaucoup trop grands pour toi et ils ne te mettent pas en valeur. On va te trouver quelque chose de mieux. Puis des sous-vêtements… même si ça me dérange pas que tu empruntes les miens, ils ne doivent pas être si confortable que ça. On ira acheter tout ça pour toi. D’ailleurs, si tu as besoin de quelque chose en particulier, ça sera l’occasion.

Annabelle secoua de la tête.
C’était trop, beaucoup trop pour elle.
Marianne était toute enjouée et semblait se faire une joie de pouvoir faire les boutiques alors Annabelle ne dit rien de plus.

*

Cette nuit-là, Annabelle arrêta Marianne lorsqu’elle sortit de sa chambre pour la lui laisser.
Elle trouvait cela injuste qu’elle dorme dans son lit et qu’elle doive occuper le canapé.
Marianne fut assez surprise et touchée de cette attention.
Annabelle attrapa le bras de Marianne.

— Je peux dormir dans le canapé…
— Oh… non, je ne peux pas te laisser dormir dans le canapé, tu es mon invitée.
— Mais-

— C’est vraiment gentil de t’en soucier, mais ne t’inquiète pas, le canapé est très
confortable.
Sourit Marianne.

Annabelle ne lâchait toujours pas le bras de Marianne

— Oui… ? Il y a autre chose… ?
Demanda Marianne.

— On ne peut partager le lit… ?
Formula timidement Annabelle.

Marianne écarquilla les yeux.

— Oui, mais… Je me disais que tu préfèrerais dormir seule…

Annabelle secoua la tête en guise de réponse.

— Ok d’accord, on peut effectivement dormir ensemble. Juste dormir, promis.
Rassura-t-elle Annabelle, en levant sa main droite comme une promesse.

*

Apres s’être apprêtées pour se coucher, elles s’allongèrent sous la couverture et se couchèrent dos à dos.
Marianne avait l’habitude de dormir nue mais elle ne se voyait pas imposer sa nudité à Annabelle et elle avait peur que cela soit mal interprèté.
Elle enfila un débardeur et garda sa culotte. Elle allait peut-être devoir s’acheter un pyjama, aussi.
La lumière éteinte, le rideau occultant tiré, il y avait un petit filet de lumière provenant des lampadaires de la ville qui éclairait légèrement la pièce autour des rideaux.

— Tu dors… ?
Chuchota Marianne.

— Non…

Marianne se tourna dans l’autre sens pour mieux l’entendre, et Annabelle fit de même.

— Est-ce que tu veux discuter un peu… ?
Demanda Marianne

*

— J’espère que tu te sens à l’aise ici… merci encore pour l’appartement. Je suis vraiment gênée que tu aies du t’en occuper, encore plus de t’avoir accueillie dans cet état…
— Merci… ça m’a fait plaisir de m’en occuper… si ça vous fait plaisir… si je peux vous être utile…

— Alors, tu peux me tutoyer, je préfèrerai. Je sais que je suis beaucoup plus vieille que toi, mais si on pouvait être sur un certain pied d’égalité…
Blagua Marianne.

— Pardon… je ne voulais pas-
— Je plaisante, je sais que je suis âgée, je le vis plutôt bien, mais ça me ferait plaisir qu’on se tutoie et tu peux m’appeler par mon prénom.
— D’accord…
— Et oui, ça m’a fait très plaisir de voir mon appartement dans un état de propreté inédit. Merci. Tu étais une fée du logis, avant ?
— …
— Ah, excuse-moi, peut-être que tu ne veux pas en parler… j’ai été indiscrète.
— Non non… il n’y a pas de souci… je. J’étais une simple secrétaire.
— Quelque chose s’est passée pour que tu…
— Non, pas spécialement…
— Ne te sens pas obligée de me raconter si tu n’en as pas envie… je suis juste trop curieuse… oublie ma question.
— C’est que, ce n’est pas très intéressant…
— Ça m’intéresse. J’aimerais te connaitre un peu plus. Comment ça se fait qu’une jeune femme aussi mignonne que toi se retrouve là-bas… enfin… tu peux me retourner cette question. Comment ça se fait qu’une vieille femme comme moi se retrouve à chercher un humain de compagnie…

Annabelle sourit.

— Vou- tu n’es pas si vieille.
— Tu me donnes quel âge ?
— Hm… 35… ? Plus… ?
— Ah, presque. 40. Mes origines me sauvent la peau. Je suis à moitie asiatique.
— Ma vie était ennuyante…
— Ennuyante au point de t’abandonner… ?
— Oui…
— Pardon, je ne voulais pas te juger… je… je vais t’avouer quelque chose. J’étais inquiète lorsque je t’ai vue là-bas. La manière dont la vendeuse m’a présenté ton profil… j’avais une telle crainte que tu te retrouves chez un vieux pervers lubrique qui abuserait de toi… puis je ne sais pas pourquoi, j’ai flashé sur ton profil… je ne sais pas si tu gagnes au change. Tu as atterri chez une vieille lesbienne lubrique.

— Je trouve que je m’en sors plutôt bien, pour l’instant.
Annabelle rit timidement.

— Et tes parents… ?
Demanda Marianne.

— Je n’étais pas vraiment proche de mes parents… je suis partie de la maison assez tôt.
— Ah… la famille… ce n’est jamais évident. Moi aussi je suis partie de chez moi… enfin, j’imagine que les circonstances sont assez différentes.

Annabelle se sentait en confiance avec Marianne.
C’était une sensation nouvelle de pouvoir se confier à quelqu’un, de s’ouvrir et d’échanger sur soi-même.
Marianne s’intéressait à elle, elle lui posait des questions et elle essayait de ne pas être trop indiscrète mais elle était curieuse. Elle souhaitait lire en elle.
Annabelle était prise au dépourvu, mais ce n’était pas désagréable. Alors elle s’ouvrit et elle lui raconta ce qu’elle n’avait jamais raconté à personne. Elle se confia sur ses craintes, sur les mots pesants et blessants de ses parents qui la marquaient encore aujourd’hui.
Qui la faisait douter sur sa propre existence.
Et Marianne fut touchée en plein cœur.
Annabelle était une petite chose fragile. Une poupée de porcelaine. Elle n’avait pas eu la chance de grandir dans une famille aisée ni bienveillante, mais elle avait réussi à s’en sortir de manière indépendante.
Les blessures du passé nous rattrapent toujours et c’est ce que Marianne avait compris.

— Je peux te prendre dans mes bras… ?
Demanda Marianne.

Annabelle s’avança timidement, et Marianne l’enlaça dans ses bras, et la câlina.

— Tu n’es pas inutile. Je ne te connais pas encore assez bien pour te jeter plein de fleurs, mais je te trouve adorable, touchante, et bienveillante. Je pense que j’ai eu de la chance de te rencontrer ce soir-là.

Annabelle sanglota dans les bras chaleureux de Marianne. Cette chaleur humaine qu’elle n’avait jamais connue, ce réconfort… elle était submergée et elle se sentait bien dans ses bras. Comme une mère qu’elle n’avait jamais eue.
C’était elle qui se sentait chanceuse d’avoir été adoptée par une personne telle que Marianne.
Elle s endormit ainsi.

*

Le lendemain matin, le réveil sonna et elles émergèrent doucement.

— Bien dormie… ?

— Oui…
Bailla Annabelle.

Marianne essaya de trouver des vêtements qui pourraient aller à Annabelle.
Malheureusement elles n’avaient pas la même morphologie.
Annabelle était un peu ronde, avec une poitrine genreuse et des hanches plus larges que Marianne.
Plus petite en taille, Marianne dut accepter à regret qu’elle remette ses anciens vêtements.
Annabelle ne voyait pas le problème.
Elles se rendirent dans le parking pour prendre la voiture et conduire jusqu’au centre commercial.
Marianne avait choisi un grand complexe de magasins de vêtements. Elle savait qu’il y aurait beaucoup de choix et de la qualité. Elle avait ses habitudes et ses préférences.
Elles commencèrent par une boutique de sous-vêtements et elle en profita pour regarder les pyjamas pendant qu’Annabelle était sous les mains d’une vendeuse qui prenait ses mensurations.
Marianne ne trouvait pas le genre de pyjama qu’elle cherchait et finalement, elle en conclut qu’un simple t-shirt large devrait suffire.
Elle avait horreur de dormir avec un bas, et si le t-shirt était assez long, elle n’aurait peut-être pas besoin de bas.
Elle retourna voir Annabelle qui était plus que gênée.
La vendeuse lui avait fait essayer un soutien-gorge à dentelles rouge qui ressortait sur sa peau blanche et claire, englobant parfaitement sa poitrine et la remontant assez. Marianne rougit également en voyant cela.
Voyant le visage embarrassé d’Annabelle, elle en discuta avec elle.

— Cela te va super bien, après si tu préfères ne pas en porter, je comprends.
— Tu n’en portes pas… ?

— Moi ? Je suis plate comme une limande.
Dit-elle en mimant une planche à pain sur sa poitrine.

Annabelle réussit à se détendre et sourit.
— Mais le prix…
— Ne regarde pas le prix. Si ça te plaît, on le prend. D’ailleurs on pourrait en profiter pour connaitre ta taille pour le bas, on va acheter quelques culottes. À moins que tu préfères des strings… ?
— Des culottes ! Ça sera très bien !

Marianne esquissa un sourire taquin.
La vendeuse revint avec le bas assorti au soutien-gorge rouge, et elles purent connaitre la taille d’Annabelle.
Elles hésitèrent et Annabelle ne sachant pas faire de choix, ce fut Marianne qui trancha.

— Tu n’aimes pas ? Est-ce qu’ils sont confortables ?
— Si, mais…

Il y avait plusieurs modèles que la vendeuse avait amené qui convenaient à la taille d’Annabelle.

— Dans ce cas-là, on prend ces deux là.
Décida Marianne.

Elle avait choisi un modèle simple, sans trop de fioriture mais très joli et discret en noir, et un second en blanc. Elle avait pris l’ensemble.
Elle demanda ensuite à Annabelle de choisir des culottes mais elle était en train de regarder les prix et Marianne se fâcha.

— Ne regarde pas les étiquettes de prix ! Choisis ceux que tu préfères !

Annabelle obéit et fini par choisir ceux qu’elle préférait.
Elles sortirent enfin de la boutique.
Marianne se promena dans les galeries de boutique et demanda à Annabelle de s’arrêter si elle voyait une boutique qui lui plaisait.
Malheureusement elle ne put pas trop compter dessus.
Elle dut observer attentivement ce qu’elle regardait et la pousser à entrer dans le magasin.

— On peut juste regarder si ça te plait, d’accord ?
Essaya-t-elle de la rassurer.

Annabelle n’était pas très coopérative.
Marianne réussit à lui trouver des vêtements de tous les jours : un jean, des t-shirts à sa taille, un pull, un manteau, et des chaussures.
Le principal c’était que Marianne avait pu noter la taille d’Annabelle et qu’elle pourrait lui offrir d’autres vêtements plus tard.
Annabelle n’appréciait pas spécialement faire du shopping et Marianne l’avait bien compris.
Elles réussirent à trouver une boutique qui vendait des t-shirts oversize et Annabelle ne comprit pas tout de suite.

— Pyjama !
S’écria Marianne.

— Qu’est-ce que tu en penses ?
Ajouta-t-elle, en sachant que c’était peine perdue.

Annabelle n’était pas tres expressive sur ses gouts.

— C’est pour moi.
Précisa Marianne.

— Ah. Euh… c’est joli… ?
Répondit Annabelle. Elle n’avait pas d’avis.

Marianne essaya les tailles par-dessus Annabelle et sur elle pour comparer. Puis elle se décida à en prendre deux différents. Un pour elle et un pour Annabelle. En faisant attention à la taille.
Il y avait moins de risque si cela était de l’oversize mais tout de même.
Il était déjà 13h et elles se posèrent dans un restaurant pour déjeuner.

2022.01.18

Humain de compagnie

Elle en avait marre de sa vie.
Elle avait pris son indépendance relativement tôt, elle ne supportait plus de dépendre de sa famille et elle n’avait jamais eu de réelles attaches ni d’affection.
Alors dès qu’elle eut l’âge de travailler, elle fit ses bagages et s’en alla vivre sa propre vie.
Elle n’avait pas de haine ni de rancœur envers ses parents mais elle avait besoin de s’en éloigner.
Alors elle choisit un petit travail qui ne payait pas de mine, de quoi payer son logement et se nourrir. Le strict minimum.
Elle arrivait à s’en sortir en faisant attention à ses dépenses, travailler pour manger, très peu de loisirs.
En tout cas, pas de loisirs chers. Elle se débrouillait avec les offres gratuites de sa ville. Les médiathèques, les balades dans les parcs ou juste dans les ruelles. Des expositions. Finalement, son travail ne lui laissait pas beaucoup de temps ni d’énergie pour se divertir.
Les jours passaient et ils se ressemblaient, elle n’avait aucune étincelle.
À quoi bon, finalement. Elle se sentait vide et inutile.
25 ans. Déjà 25 ans et elle était au bas de l’échelle. Elle était solitaire et elle n’avait pas créé de liens d’amitiés parce qu’elle aimait sa solitude, son calme intérieur.
De cette manière elle pouvait ruminer son mal être sans être gênée, ni embêter d’autres personnes.

En rentrant chez elle, elle avait reçu un tract dans sa boîte aux lettres.
Un petit bout de papier sur lequel on faisait la promotion de l’entreprise qui vendait des humains en tant qu’humain de compagnie.
Elle en avait déjà entendu parler et elle avait vu les publicités beaucoup trop alléchantes pour être vraies.
Elle était loin d’être stupide ou crédule.
Sur le recto, le papier vendait du rêve en proposant aux gens aisés d’adopter un humain de compagnie qui pourrait s’occuper des tâches ménagères, qui casserait la solitude et qui leur donnerait de l’affection après une dure journée de travail.
Elle sourit. Elle savait que les humains de compagnie étaient rarement bien traités.
Les plus riches avaient des lubies parfois étranges et que ces humains de compagnie étaient à peine considérés comme de simples animaux.
Puis, souvent, la durée de vie de ces humains était réduite parce qu’ils avaient des
problèmes psychologiques et leurs acheteurs les négligeaient en terme de santé.
En retournant le papier, la publicité s’adressait aux gens désespérés. Il vendait aux gens qui n’avaient rien, une vie de rêve. Qu’ils seraient chouchoutés par des acheteurs, qu’ils donneraient un sens à leur vie en dédiant leur vie à quelqu’un d’autre.
Qu’ils se rendraient utiles.
Le message caché criait :

« Ne vous suicidez pas, votre vie peut valoir quelque chose,
nous nous chargeons de tout. »

Si ce n’était pas un appel au désespoir de la population.
Elle posa le papier sur la table et s’affala sur son lit.
Elle s’était déjà renseignée. Elle était de nature curieuse et elle savait qu’une partie d’elle voulait s’abandonner à cette issue mais elle avait fait ses recherches sur les conditions et dans quoi elle s’engageait si elle voulait vraiment prendre cette voie.
Elle avait une idée globale de comment cela se passait.
Elle savait qu’elle ne devait pas se faire des films sur la vie rêvée que le prospectus vendait. Cela n’arrivait que dans les films et d’après les témoignages et retours sur internet, elle savait que la réalité était beaucoup plus dure, plus crue.
Dans le pire des cas, elle serait achetée par un pervers qui la traiterait en esclave et qui la maintiendrait en vie juste assez pour qu’il n’y ait pas de problème au niveau de la loi.
Dans le meilleur des cas, elleserait dans une famille dans laquelle elle serait une domestique.
C’était le scenario le plus probable.
Tout ce qu’elle avait à fournir c’étaient ses papiers et des infos bancaires et personnelles. Cela paraissait si simple et la fois, c’était un chemin sans retour.
Elle avait lu le contrat et elle savait qu’elle n’était à rien d’abandonner son humanité pour devenir un simple animal aux yeux de la société.
Pourquoi pas, après tout ? Sa vie était ennuyante.
Ses parents lui avaient tant répété qu’elle ne servait à rien et qu’elle était bonne à rien, qu’elle avait gardé cette cicatrice profonde en elle.
Si seulement elle pouvait donner un sens à sa vie, si seulement ce trou béant en elle pouvait être comblé en donnant sa vie pour quelqu’un. Au service de quelqu’un.
N’importe qui, même un détraqué, peut-être qu’elle se sentirait moins vide. Elle avait mal à l’intérieur.
Elle essayait de se raisonner et de se raccrocher à quelque chose.
Elle regarda autour d’elle.
Elle habitait une chambre de bonne, miteuse, mal isolée, avec le strict minimum.

Elle n’avait rien construit et ne pouvait rien projeter avec son salaire de misère. Et pourtant elle arrivait à joindre les deux bouts. Miraculeusement.
Elle avait prouvé à ses parents qu’elle arriverait à quelque chose, à être indépendante et voler de ses propres ailes, même si elle ne volait pas très haut.
C’était un faible oiseau, libre, qui se battait pour survivre en picorant le peu de grain que la vie pouvait lui laisser.
Elle se frappa les joues avec ses paumes, le bruit du claquement coupa le silence pesant de la pièce.

— Tu ne vas pas te laisser abattre ! On ne va pas céder à cette option !
Se dit elle à elle-même pour se donner du courage.

Le lendemain soir.
Elle était devant le bâtiment.
Il y en avait un dans son quartier et elle n’avait qu’à faire un léger détour entre son travail et son domicile pour y arriver.
Elle observait la devanture sans oser entrer.
Ses pas et sa curiosité l’avaient amenée jusque-là.
Des photos de gens souriants, des textes racoleurs avec des phrases qui accrochent.

« Le bonheur n’a pas de prix »

Elle riait intérieurement, elle savait à quel point c’était coûteux de s’offrir un humain de compagnie.
Pas étonnant que la façade soit si jolie et tape-à-l’œil.
Des lumières de partout.
Combien de temps cela faisait qu’elle était devant ? Quelques minutes ? Ses jambes ne voulaient pas bouger. Oh, et puis zut. Maintenant qu’elle était là, autant voir ce que l’intérieur était, elle allait juste se renseigner en vrai et poser quelques questions. Rien de plus.

– Marianne
Elle était une femme avec de l’ambition.
Maintenant passé la quarantaine, elle gagnait quelques années grâce à ses origines généalogiques : une métisse asiatique caucasienne. Seul son teint de peau ainsi que ses yeux légèrement en amande pouvaient laisser deviner cela, car physiquement elle était plutôt grande, les épaules larges et carrées,
elle faisait régulièrement du sport pour conserver une certaine forme physique, et elle aimait ça. Elle était musclée, et sa poitrine presque inexistante pouvait la faire passer pour un homme.
Ses traits de visages quant à eux restaient féminins, elle avait les yeux sombres et les cheveux noirs lisses qu’elle avait laissé pousser à leur guise.
Ils n’étaient pas négligés, rien chez elle n’était négligé.
Elle prenait soin de ses longs cheveux qui étaient toujours biens coiffés sans aucune mèche qui ne dépasse, elle faisait également extrêmement attention à ses tenues vestimentaires, toujours très chics, de bonne qualité, sans non plus être extravagantes, elle savait les choisir sobres tout en sachant qu’ils étaient de qualité et qu’ils renvoyaient une image d’elle qui avait réussi. Elle ne se maquillait pas, ou très rarement lors des occasions, mais elle prenait soin de sa peau avec différentes crèmes.
Son apparence était importante, pas seulement parce que cela renvoyait une image positive d’elle-même, mais également pour elle.
Elle avait fait ses preuves.

Après avoir abandonné les bancs de l’école de commerce, elle avait réussi à monter sa propre entreprise.
Elle avait choisi de construire un environnement sain pour les travailleurs du sexe, et elle savait que c’était un domaine qui pouvait rapporter gros.
Elle avait déjà vu des établissements qui ne faisaient que profiter de la misère sexuelle et qui proposaient un environnement totalement délabré, parce que l’important était juste de proposer un endroit pour faire leur affaire.
Non, elle voulait proposer mieux, elle voulait montrer qu’il était possible de créer un endroit meilleur pour les clients ainsi que les employés, qu’ils ne soient pas traités comme de la viande, qu’ils aient des droits et qu’ils soient respectés. Elle savait que si c’était elle qui s’en chargeait, elle ferait en sorte que cela se passe autrement.
Ses parents n’avaient pas approuvé.
Déjà qu’ils avaient été extrêmement déçus qu’elle abandonne ses études alors qu’ils avaient payé tous les frais de scolarité. Elle avait eu droit au savon de sa vie, elle, privilégiée, ayant accès à une école de commerce.
Ce n’était pas donné à tout le monde de pouvoir en payer les frais. Et elle avait jeté cela.
Alors, lorsqu’elle avait expliqué à ses parents son projet, ils lui avaient ri au nez, en pensant qu’elle se moquait d’eux ou qu’elle faisait exprès de les provoquer.
Ils avaient tout fait pour lui offrir des études et qu’elle puisse avoir une vie aisée.
Comment pouvait-elle être aussi ingrate.
Ils avaient essayé de la convaincre de changer d’avis, de s’excuser et de reprendre ses études dans la même école, quitte à refaire une année, qu’elle sorte avec ce diplôme et qu’elle revienne sur le droit chemin.
Ils ne s’étaient pas compris.
Elle avait l’impression de perdre son temps à étudier des matières abstraites. On enseignait des notions qu’elle avait déjà, elle avait essayé d’expliquer à ses parents mais ils ne la croyaient pas. Ce qui importait pour eux, c’était le diplôme.
Seul lui attestait de ses connaissances et compétences.

Une année à peine lui avait suffit pour se rendre compte de la blague de son cursus. Elle ne voulait pas perdre plus de temps ni faire jeter autant d’argent par la fenêtre a ses parents.
Puis à quoi bon, ils ne croyaient pas en elle, encore moins à son projet. Pourquoi essayait-elle de les rallier à sa cause, elle riait amèrement. De toute façon, ils ne l’aideraient pas financièrement à se lancer. Alors elle s’en alla.
Ils étaient tous les trois trop sur les nerfs, sur leurs propres positions, pour entendre raison.

Elle se débrouilla.
Heureusement elle avait quelques amis sur qui compter, qui ne comprenaient pas non plus sa décision mais qui étaient là pour elle.
Elle fut hébergée chez quelques-uns, ceux qui avaient la chance d’avoir leur propre appartement, le temps qu’elle puisse retomber sur ses pattes, trouver un petit job, et de contacts en contacts, parce
qu’elle avait la chance d’avoir un bon sens du relationnel, elle réussit à trouver un travail plutôt bien payé. Elle avait les connaissances et des facilités dans beaucoup de domaines surtout concernant la
gestion d’une entreprise, et elle réussit à gagner assez pour pouvoir s’émanciper de ses amis, et se loger dans une chambre de bonne. Elle savait qu’il n’était pas bon d’abuser de la générosité de ses bienfaiteurs, et elle voulait continuer d’entretenir de bonnes relations avec ses amis.
Avec sa volonté et beaucoup d’économies, elle réussit à avoir assez de budget pour commencer à faire quelque chose pour son projet.
Ce n’était toujours pas assez mais elle avait pu se confier à un de ses amis le plus proche. Un certain Duncan avec qui elle s’était liée d’amitié et à qui elle accordait toute sa confiance.
Il avait eu le temps de finir leur cursus scolaire, contrairement à elle, et il avait commencé à occuper un poste très bien payé.
Il avait confiance en elle et lorsqu’il la vit dépitée de ne pas pouvoir réaliser son projet, il lui proposa de lui prêter ce qu’il lui manquait.
Elle n’en croyait pas ses yeux.
Elle avait refusé parce qu’elle avait trop peur de mettre en jeu leur amitié.
Elle n’avait jamais accepté d’argent de la part de ses amis parce qu’elle ne voulait pas de ce genre de relation. Et Duncan était la dernière personne avec qui elle voulait se fâcher pour une histoire pécuniaire.
Il avait insisté en lui disant qu’avec son salaire actuel, ce n’était pas grand-chose et que ce n’était qu’un prêt.
Que si jamais elle ne lui remboursait pas, il savait où elle habitait, ou bien elle devrait travailler pour lui pour lui rembourser la somme qu’elle lui doit.
Elle ne savait pas si c’était pire que de perdre son amitié. Elle hésitait encore.
Elle avait besoin de cet argent mais elle pouvait encore travailler un certain moment avant de réunir la somme exacte et monter son entreprise.
Le seul problème était qu’elle avait repéré l’endroit parfait pour mettre en route ce rêve.
Le bâtiment était en vente et il n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un d’autre ne décide de l’acquérir.
Et si elle devait attendre elle savait que cette occasion en or risquait de lui filer sous le nez. Duncan lui força la main en lui disant que si elle n’acceptait pas son prêt, il achèterait le bâtiment lui-même.
Et elle était bien trop fière pour travailler aux ordres de quelqu’un d’autre.
Il la connaissait trop bien.
Concours de circonstances et planètes alignées.
Elle réussit à signer le contrat de vente avec la somme totale.
Par chance, personne n’avait encore fait de proposition pour acheter cet endroit.

Les lieux étaient en ruines, elle avait acheté cela pour une bouchée de pain, et même cette bouchée de pain elle n’était même pas capable de l’acheter elle-même, seule.
Mais maintenant, il était à elle et elle devait en faire quelque chose.
Ce n’était que le commencement.
Les yeux plein d’émotions, elle n’avait pas le temps de s’émouvoir.
Tout était à refaire et tout son budget était parti dans cette ruine.
Duncan était venu visiter et était arrivé à la même conclusion.
Elle ne pouvait rien faire de ce lieu en l’état.
Au moins, elle pouvait rendre sa chambre de bonne et dormir dans cette demeure.

Elle continua à travailler pour accumuler des économies pour les investir dans les travaux.
Elle continuait à avoir ses amis qui lui donnèrent des contacts de confiance pour l’aider dans son chantier, à prix d’ami.
Et contre toute attente, quelques-uns vinrent sur place l’aider.
Des décorateurs d’intérieurs, des électriciens, des maçons, des plombiers, elle eut droit à des gens qualifiés.
En moins d’un an, le lieu était devenu méconnaissable et si elle l’avait voulu, elle aurait pu le revendre pour au moins 3 fois son prix d’achat.
Elle avait réussi à dénicher des meubles pas chers et parfois gratuits sur des sites.
Chaque économie était bonne à prendre.
Elle avait accumulé différents emplois pour pouvoir renflouer les caisses et pour avoir de quoi débuter son activité.
Le plus dur allait être de trouver des personnes voulant bien travailler dans son établissement.
Elle ne pouvait pas pour l’instant faire de contrat de travail mais elle pouvait déjà proposer un endroit plus que confortable.
Le meilleur moyen était d’aller sur le terrain et discuter avec les personnes concernées.
Au premiers abords, les filles qu’elle croisa, ne la prirent pas au sérieux. Elles étaient moins méfiantes que si c’était un homme qui leur vendait monts et merveilles, mais cela restait une proposition trop alléchante.
Elles qui avaient l’habitude de faire ça dans la rue, n’avaient pas grand-chose à y perdre, elles n’avaient rien ou presque rien. Même en vivant sans toit, elles étaient solidaires et elles avaient peur qu’on se moque d’elle.
Marianne avait réussi à les convaincre de venir chez elle pour voir.
Celle qui semblait être l’aînée du groupe, avait finalement accepté de la suivre avec toutes les autres.
Marianne avait été honnête et leur avait avoué qu’elle n’aurait pas de quoi les payer pour l’instant, mais qu’en échange de les loger et de leur offrir de quoi se laver, elle demanderait qu’un petit pourcentage de leur recette.

L’aînée du groupe l’avait regardée les yeux écarquillés.
En pénétrant dans l’entrée, elle avait en face d’elle une demeure luxueuse, propre, chaleureuse. Jamais elle n’aurait pensé pouvoir entrer dans un tel endroit, alors y rester pour dormir.
Et elle pensait que Marianne voulait les voler en les endettant à vie, mais au contraire.
Marianne leur proposait un deal plus que raisonnable.
Elle en discuta avec ses sœurs de travail.
Une partie de leur recette en échange de pouvoir vivre dans ce manoir ?
Est-ce qu’elle était une princesse charmante leur offrant une vie de rêve ?
C’était beaucoup trop beau pour être vrai et en même temps, Marianne avait l’air beaucoup trop honnête.
Elle n’avait que 25-30 ans, elle paraissait être une petite jeunette sans expérience dans la vie.
Et pourtant.
Les travailleuses du sexe acceptèrent son offre mais elles mirent comme condition que si Marianne avait menti sur sa proposition, elles s’en iraient.

Marianne était aux anges.
Elle avait ses premières habitantes et partenaires de travail.
C’était déjà un très bon début.
Elle aurait pu craindre qu’elles saccagent les lieux, qu’elles profitent d’elle en ne lui rapportant aucun bénéfice, mais cela ne lui traversa même pas l’esprit.
Parce qu’elle avait vu dans leurs yeux le désespoir, elles avaient touché le fond et elles ne pensaient pas entrevoir de lueur d’espoir que lui offrait Marianne.
Elle leur avait expliqué son projet, qu’à long terme elle voulait leur proposer un vrai salaire, une véritable protection. Que ce métier ne soit pas dénigré.
Et qu’elles puissent, si elles le souhaitent, changer de voie et de métier.

— Elle est folle, ça ne marchera jamais.
— C’est du délire, elle marche en plein délire.
— C’est pas un peu trop beau comme rêve ?
— C’est qui cette gamine ?
— Moi j’y crois, j’ai envie de croire en son rêve.
— Moi aussi.
— Et si ça marche pas ?
— Moi je préfère faire ça ici que dehors. Et je veux bien céder la moitié même la totalité de ce qu’on me paye pour pouvoir dormir dans un vrai lit et pouvoir me laver.
— 50% ça me parait raisonnable si on peut dormir ici. On se débrouillera pour manger avec le reste.
— Et si c’est du pipeau ?
— On pourra toujours retourner dehors.
— T’as aucun moyen de nous forcer à devenir tes esclaves, n’est-ce pas ?

Voici comment tout commença.
Les premières filles adorèrent les lieux.
Elles décidèrent de s’en occuper pour qu’il reste aussi beau qu’à leur arrivée, et Marianne les en remercia parce qu’elle n’avait pour l’instant pas le budget pour payer un employé pour faire le ménage.
Elles avaient réussi à faire passer le message qu’elles étaient maintenant dans cet établissement et les clients venaient directement là.
Ils étaient bien accueillis et chouchoutés, ils payaient d’abord et étaient ensuite amenés à une chambre à l’étage.
Le bureau de Marianne était au rez-de-chaussée, il y avait l’entrée dans laquelle des canapés et de quoi se désaltérer avaient été installés, les filles pouvaient se poser là et papoter en attendant, lorsqu’elles n’avaient pas de clients et lorsque quelqu’un arrivait, il y en avait toujours pour se jeter sur les potentiels clients et ils choisissaient celle qui leur plaisait le plus.
Il y avait également des salles de bain à l’étage.
Une cuisine au rez-de-chaussée et des toilettes.
Les combles avaient été aménagées en chambres dortoir à coucher.
Il y avait une certaine harmonie avec les filles.
Tous les bénéfices étaient partagés de manière équitables entre elles, après le pourcentage dû à Marianne.
Lorsqu’il y avait besoin de quelque chose, que ce soit des vêtements, un appareil électroménager pour faire des lessives, Marianne s’occupait de faire livrer le nécessaire, elle était débordée par son autre travail qu’elle avait conservé pour pouvoir payer les factures, et lorsqu’elle avait le temps, elle s’occupait de gérer son établissement. Elle montait les meubles qu’il fallait pour les filles.
Elle avait fait très bonne impression et les filles savaient qu’elle leur revaudrait cela.
Elle avait gagné leur confiance.
Duncan avait pu passer voir comment son affaire commençait à tourner et il était impressionné.
Les filles lui avaient sauté dessus pour qu’il en choisisse une avant de voir Marianne rire aux éclats.
Il était gêné.
Un soir, Marianne était rentrée exténuée, après ses horaires de travail normal, elle s’attelait à la tâche pour pouvoir offrir aux filles le rêve dont elle avait parlé, son rêve qu’elle avait partagé.
Elle devait compter le budget dont elle disposait pour pouvoir les rémunérer correctement, dépendant du pourcentage des recettes. Son but était de pouvoir les rémunérer équitablement sur la durée, tout en pensant à déclarer tout ce qu’elle gagnait et les dépenses liées à cette activité.
Elle n’oubliait pas la somme d’argent qu’elle devait à Duncan et pour l’instant elle n’y était pas. C’était sa priorité numéro un.
Elle dormait peu la nuit, et elle s’endormait sur un divan dans la pièce de son bureau.

Elle était rentrée plus fatiguée que d’habitude.
L’accumulation de mois et de mois de travail sans repos, les filles l’avaient regardée, inquiètes.
La maison marchait de mieux en mieux, les clients affluaient et lorsqu’il y en avait trop, elles devaient attendre que les chambres se libèrent, et pour ça, elles les divertissaient dans le hall. Certains qui n’étaient pas patients, ne se gênaient pas de demander à faire leur affaire dans les escaliers ou les couloirs supérieurs, ou même la salle de bain commune.
Les filles avaient réussi à en faire de la publicité par le bouche à oreille et les clients également.
Le dortoir pouvait encore accueillir d’autres personnes et la maison devint progressivement un refuge pour d’autres travailleurs du sexe, de tous genres et sexes.
Marianne sortit de son bureau, plus pâle que d’habitude et les filles s’inquiétèrent.

Elle partit en direction de la cuisine pour se chercher à boire et le bruit d’une chute.
Elles se ruèrent vers elle, elle venait de faire un malaise.
Elles la transportèrent dans son bureau pour l’allonger sur le divan et elles appelèrent un médecin.
Quelqu’un demanda si elles avaient le numéro de Duncan, et par chance, une des filles avait récupéré son numéro grâce à sa carte de visite.
Il arriva au plus vite.
Le médecin l’osculta et leur expliqua la situation, qu’elle avait surtout besoin de repos, qu’il fallait qu’elle fasse attention à son hygiène de vie et à sa santé.
Elle se surmenait.
Duncan expliqua qu’elle avait encore son ancien travail.
Les filles ne se rendaient pas compte de tout le travail qu’elle faisait en plus.

— Lorsqu’elle m’en parle, elle a les yeux qui brillent, elle dit qu’elle veut que ce rêve aboutisse le plus tôt possible.
—Je pensais qu’elle s’amusait le reste du temps pendant qu’on ramenait de l’argent.
— Non, moi je sais que le soir elle dort ici.
— Alors qu’on a de vrais lits en haut ?
— Elle a pas un endroit où dormir ? Avec tous les meubles ici, je pensais qu’elle était riche.

Duncan dut leur raconter comment elle avait réussi à faire des ruines un manoir de luxe avec son petit budget.
Et qu’il lui avait prêté de quoi financer l’achat du bâtiment.

— Mais attends, c’est pour ça qu’elle garde ce deuxième travail.
— Pas possible, je lui ai dit d’oublier ce petit prêt de rien du tout.
— La connaissant, elle n’a pas oublié.
— Cette idiote…
— Elle te doit combien ?
— Si c’est vraiment ce qui l’empêche de dormir, on peut l’aider à te rembourser.
— Elle a vraiment changé notre vie.
— On peut au moins faire ça pour elle.

*

Lorsqu’elle était tombée, elle s’était cognée et elle avait saigné.
La personne qui l’avait trouvée était paniquée.
Les filles se rendaient compte que si jamais elle n’était plus là, elles ne savaient pas ce qu’elles allaient devenir.
L’aînée aurait pu reprendre le flambeau mais elle ne s’y connaissait pas pour gérer tout ce que Marianne faisait.
La plupart découvrirent qu’elle faisait un autre travail en parallèle.

— Pourquoi ? Un seul travail ne te suffit pas.. ?
— Notre revenu ne te suffit pas ?
— Ne te détruit pas la santé, tu penses à nous ? On fera quoi si t’es plus là ?

Les filles s’inquiétaient à leur manière.

— Ce n’est pas ça… j’ai une dette envers quelqu’un que je souhaiterai acquitter le plus tôt possible…

*

Duncan était passé un soir et l’aînée l’avait pris a part pour lui poser des questions.

— Est-ce que par hasard tu saurais à qui Marianne a emprunté de l’argent ?
— Pardon… ? Ça vient d’où cette question ?
— Elle a fait un malaise récemment, on s’est toutes inquiétées, il semblerait qu’elle se surmene et on ne sait pas pour quelle raison. On ne manque de rien ici. Ça pourrait être mieux, mais c’est déjà le luxe de pouvoir continuer à faire notre affaire ici.
— Quoi ? Comment ça elle a fait un malaise ?
— Elle ne t’en a pas parlé ? Elle a perdu connaissance et elle s’est cognée à la tête.
— Cette idiote ! Elle m’a dit qu’elle avait trop bu et qu’elle était tombée… !
— Elle nous a parlé d’une somme qu’elle devait rembourser à quelqu’un, et que c’était urgent… on ne veut pas qu’elle dégrade sa santé ainsi, et si on peut l’aider à quoi que ce soit…
— Je n’ai pas souvenir qu’elle ait emprunté de l’argent à quelqu’un d’autre… elle a horreur d’avoir des dettes…
— Quelqu’un d’autre ? Ca veut dire… ?
— J’espère que cette imbécile ne pense pas à cet argent là…
— Quelle somme… ? À qui… ?

Duncan avait son visage dans ses mains, il culpabilisait.

— Je lui avais dit de ne pas se presser et qu’elle me rembourserait lorsqu’elle pourra, je ne pensais pas qu’elle avait encore ça en tête. J’avais presque oublié et j’espérais qu’elle oublie.
— De quoi tu parles ?
— C’est à moi qu’elle doit de l’argent.
— Comment ça ?

Duncan lui expliqua la situation et toute l’histoire.

— Combien elle te doit. Je veux participer. Ça fait des mois que nous sommes ici et je pense que je ne serai pas la seule à vouloir aider à rembourser ce prêt. Je veux rendre cet endroit pérenne et si j’y apporte ma part financière, je m’y sentirai encore plus chez
moi. Elle ne nous a jamais fait payer de loyer, c’est le moins qu’on puisse faire.
— Si elle l’apprend, elle va me tuer.
— C’est pas mon problème, je ne veux pas qu’elle endosse cette responsabilité seule. Crache le morceau et je vais voir avec les filles combien on peut réunir toutes ensemble.

Duncan avait réussi à toucher quelques mots à l’employeur de Marianne pour lui dire qu’elle avait eu quelques soucis de santé mais qu’elle ne préférait pas en parler, pour qu’elle ait légèrement moins de travail. Ils se connaissaient et il consentit parce qu’elle avait toujours bien travaillé, fait des heures supplémentaires quand il fallait. Elle en demandait toujours plus parce qu’elle avait besoin de ce salaire.

— Tu prends soin d’elle… C’est adorable, tu es sûr qu’il n’y a rien entre vous deux ?
Avait demandé l’employeur, en espérant être dans la confidence.

— C’est juste une amie de longue date, en qui j’ai confiance. Rien de plus.
Sourit Duncan.

Il se rappela lors de leur première rencontre, ils étaient tous les deux des têtes fortes et des têtes brulées, ils s’étaient tout de suite entendus, il y avait une sorte d’étincelle de complicité et de fraternité entre eux.
Elle était forte, indépendante, prétentieuse et elle avait une attitude très joueuse avec les filles de leur promotion. Ils avaient leur groupe d’amis et elle n’avait pas eu besoin de faite son coming out, il était
assez clair qu’elle n’avait aucun intérêt pour les garçons, et elle se comportait comme eux, elle avait leurs codes.

*

Les filles qui travaillaient pour Marianne, s’étaient concertées et la plupart était d’accord pour participer pour rembourser ce prêt, chacune ne pouvait pas mettre la même somme, mais le tout accumulé faisait un petit pactole.
Duncan avait craché le morceau sur la somme exacte qu’elle lui devait.
Même avec l’argent de toutes les filles réunies, elles étaient encore loin du compte.
L’ainée avait rediscuté avec Duncan pour lui donner cette enveloppe, qu’il avait refusé.

— Je ne peux pas accepter. Marianne risque de m’en vouloir et cette histoire de dette est ridicule. Elle se met la pression toute seule alors que je n’ai même pas besoin de cet argent. Toute cette situation est ridicule.

Il s’était dirigé vers son bureau pour lui en parler directement. Cela le tracassait et l’empêchait de dormir convenablement.

— Il faut qu’on parle.
— Oui… ? Qu’y a-t-il… ?
— Tes filles m’ont dit pour ton malaise. Pourquoi tu me l’as caché… ?
— … Ce n’était pas important, tu te serais inquièté pour rien. Regarde, je vais déjà mieux.
— Et j’aurais eu raison de m’inquiéter ! Lève un peu le pied.
— Tu ne sais rien.
— Si je sais. Oublie cette dette que tu me dois.

Le ton commençait doucement à monter entre eux.
Ils étaient tous les deux têtus et bornés.

— Ca ne marche pas comme ça.
— Si, ou au moins, arrête de te presser autant pour me rembourser, tu sais que je ne suis pas en manque d’argent, je ne suis pas pressé et tu peux tout aussi bien me faire ce foutu virement dans 5 ans.
— Pour moi c’est important !
— Que ce soit fait maintenant ? Foutaises !

Elle était perturbée, elle qui voulait que tout soit fait dans les temps, que ce soit parfait, elle voulait que ça aille plus vite mais ce n’était pas en son pouvoir.
Elle s’assit, les mains sur son visage, elle était perdue. Duncan lui exposait en plein visage à quel point elle était un échec. Elle n’y arrivait pas.
Elle n’était pas assez forte pour y arriver. Ses parents avaient peut-être raison, elle n’avait pas les épaules pour ça. Toutes ces pensées se bousculèrent dans sa tête, elle était dévastée.
Duncan vit qu’elle s’était écroulée psychologiquement.
Il se calma et s’approcha pour lui demander si ça allait.

— Non, non ça va pas…
La voix tremblotante, elle était aux bords des larmes.

— Hey… je suis désolé, d accord… ?
— Non mais… tu as raison, tu n’as pas à être désolé… C’est juste que…
— Les filles s’inquiètent pour ta santé, et moi aussi. Je ne te demande pas de me rembourser le plus rapidement possible, je ne te le demande même pas, mais si tu y tiens tant que ça, on peut décider d’un accord pour que tu me verses une somme fixe chaque mois, ok ? Tu as tout le temps qu’il faut et je ne vais pas te prendre d’intérêts, alors rassure toi.
— Je… je voulais que ça aille plus vite, je voulais faire les choses bien…
— Hey, regarde ce que tu as déjà fait, C’est déjà impressionnant pour une petite femme comme toi.
— Je ne suis pas petite !
— Ok ok, mais tu as déjà fait avancer beaucoup de choses, c’est pas grave si le reste te prend un peu plus de temps.
— Ça m’énerve de le dire… mais tu as raison.

Duncan la prit dans ses bras et la consola comme il le pouvait.
Elle était épuisée, elle portait ce poids sur les épaules seules, et c’était la dernière chose qu’il voulait, de compter parmi les fardeaux qu’elle portait.
C’était rare de la voir dans cet état, sauf quand ils avaient fait des soirées arrosées lorsqu’ils étaient encore étudiants, bien entendu.

— Promets-moi de prendre plus soin de toi, d’accord ? Et si tu es suffisamment stable financièrement, démissionne de ton travail pour prendre à 100% les rennes de ta boutique. Une chose à la fois.
— Tu sais que t’es énervant ?
— Oui mais j’ai raison.
— Ne me dis pas que cest parce que tu es sorti diplômé, sinon je te frappe.
— Ok, je le dis pas.

Elle le frappa quand même, d’un coup de poing sur son épaule.

— Aïe !
— Tu l’as pensé trop fort.
— Tu sais, tu m’impressionnes, parce que même si j’ai un diplôme et les fonds, jamais je n’aurais ton ambition de créer quelque chose, de monter un projet comme le tien, alors rien que pour ça, je suis admiratif et je suis content d’avoir pu t’aider à te lancer. Quand
je vois ce à quoi ça ressemble aujourd’hui, j’ai hâte de voir l’avenir.
— Mais si j’avais été diplômée, j’aurais peut-être mieux gére-
— Non, crois-moi, tu t’en tires déjà comme une cheffe. Cheffe.
— Oh arrête… ça ne t’apportera rien de me lancer des fleurs.
— Même pas du bon moment avec les filles gratuitement ?
— Tu vois ça avec elles.

*

Les années passèrent.
L’établissement s’installa avec de plus en plus de notoriété, il était connu pour son ambiance saine et son respect des employés, ils avaient également de plus en plus de personnes souhaitant y travailler. Les lieux, les chambres et lits n’étaient pas extensibles.
Marianne avait réussi à mettre en place un système aidant les personnes souhaitant sortir de ce travail.
Elle les encadrait, elle offrait également de quoi les suivre médicalement.
C’était un groupe d’entraide et chacun prenait soin de l’autre. La figure de grande sœur qui était toujours là pour materner les autres, filles, garçons, transexuels, intersexués. C’était devenu le refuge
de beaucoup de personnes.
Elle avait fini par rembourser Duncan, son entreprise était maintenant pérenne, elle avait un chiffre d’affaire conséquent et elle pouvait en être fière.
Elle pouvait se consacrer pleinement à la gestion, s’enquérir des besoins de ses employés et améliorer leur quotidien de jour en jour.

La seule chose qu’elle oubliait, c’était elle-même.
Arrivée à 35-40 ans, elle s’était tellement concentrée sur sa carrière professionnelle, son rêve professionnel, qu’elle ne s’était jamais posée pour penser à elle.
Les relations amoureuses n’étaient pas sa priorité et maintenant qu’elle avait atteint son objectif, qu’elle pouvait faire une pause pour observer tout ce qu’elle avait accompli derrière elle.
Elle se sentait seule.
Elle avait beau être entourée, que ses journées soient remplies d’interactions sociales, elle n’avait personne à ses cotes à qui se confier. Bien entendu elle avait son meilleur ami Duncan, mais elle ne couchait pas avec lui, rien que l’idée la révulsait. Il avait également sa propre vie et elle ne pouvait pas le déranger à n’importe quelle heure de la journée pour se plaindre ou vider son sac de pensées noires.
Elle avait ses moments bas, elle savait que même si professionnellement elle avait réussi, même si elle avait pu renouer rapidement avec ses parents, elle se sentait vide. Certains critiquaient son activité sans comprendre, c’était un bordel, une maison close, peu importe si c’était bourré de bonnes intentions.
Ses parents avaient fini par se rendre compte qu’elle avait réussi ce qu’elle avait entrepri. Cela avait pris un certain temps mais les nouvelles allaient de bon train, et même si le secteur d’activité laissait à désirer, les chiffres d’affaire ne mentaient pas. Ils avaient finalement reconnu qu’elle était allée au bout de ses idées.
Puis la vieillesse approchant, ils ne pouvaient renier leur propre fille indéfiniment. Ils avaient eu le temps de réfléchir et ils s’étaient même excusés de s’être emportés à l’époque.
Force de constater, Marianne s’était également excusée d’avoir été la fille trop gâtée de ses parents.
Ils avaient mis une certaine pression sur le fait qu’elle devait se marier et avoir des enfants, mais elle leur avait dit qu’elle n’avait pas la tête à ça. Les années passant, elle n’avait toujours pas osé avouer à ses parents qu’elle aimait les filles.
Et maintenant qu’elle approchait la ménopause, ils étaient passés à autre chose. La laissant sur ses choix.

*

Cette nuit-là, elle faisait encore une insomnie.
Ces crises de sommeil se faisaient de plus en plus fréquentes et cela l’agaçait.
D’habitude, elle utilisait ces heures de non-sommeil pour s’avancer dans les tâches quotidiennes, mais ces derniers temps, elle en avait tellement enchaîné qu’elle s’était avancée sur tout et n’avait plus rien à faire. Du moins concernant son travail.
Elle était chez elle. Depuis qu’elle avait réussi à rembourser ses dettes, mettre de cote assez d’argent, elle s’était offert un petit appartement rien qu’à elle. C’était idiot parce qu’elle y passait très peu de temps, mais c’était bien vu et puis elle ne pouvait pas passer son temps à dormir dans son bureau.
Elle avait fait en sorte de prendre un rythme de vie un peu plus sain, des horaires presque normaux et du temps pour elle, faire du sport, aller à ses cours d’art martiaux.
Bref, son appartement était presque trop grand pour elle seule, mais surtout il était dans un état lamentable parce que ses affaires n’étaient absolument pas rangées, lorsqu’elle rentrait, elle entreposait ses affaires là où il y avait de la place, et heureusement pour elle, la surface de son logement lui permettait d’accumuler un certain nombre de choses avant qu’elle ne s’inquiète de les ranger convenablement.
Elle ne recevait personne chez elle et elle ne comptait pas le faire prochainement.
Ainsi, allongée sans pouvoir se rendormir, elle se décida à se lever et s’habiller.
Il était peut-être deux heures du matin ou trois, mais le train du sommeil ne daignant pas s’arrêter à quai, ni la laisser monter à bord, elle se décida à faire un tour en ville.
Prendre sa voiture et faire une balade nocturne.
Elle repensa à la discussion qu’elle avait eue avec Duncan.
Il lui avait parlé de ces entreprises qui vendaient des humains. C’était glauque, mais était-ce si glauque comparé à ce que elle faisait en vendant du temps particulier à d’autres personnes ?
Ces entreprises de vente étaient populaires près des plus riches, et Duncan avait mis ce sujet sur le tapis parce qu’il fréquentait ces milieux autant qu’elle et c’était le sujet en vogue ces derniers temps.
Ils s’étaient regardés et Duncan lui avait demandé si cela l’intéresserait.
Elle était beaucoup trop méfiante pour s’y intéresser.
Elle lui retourna la question et il était beaucoup moins réfractaire à cette idée.

— Imagine, je trouve la perle rare.
— Oui, une esclave ? Je te signale qu’ils ne sont même plus considérés comme des humains. Et tu penses pouvoir t’occuper d’elle si jamais elle dépend entièrement de toi ?
— Tu vois tout de suite le mauvais côté des choses.
— Je suis réaliste. Ne te laisse pas berner par les publicités qui te vendent un mirage.
—Ne détruits pas mes rêves…
— Tu chercherais pas plutôt une femme ? Plutôt que d’adopter une enfant ?
— Elles sont pas toutes si jeunes et je ne suis pas un pédophile.
— Tu fais ce que tu veux avec, après, je ne juge pas, enfin, c’est ta propriété si tu t’engages là-dessus.
— Je vais vomir.
— Tu évites de salir ma moquette, j’ai pas envie de sentir tes sucs gastrique pendant des semaines.
— Plus sérieusement, ça laisse rêveur mais j’ai entendu dire qu’il fallait faire super gaffe à l’endroit où on s’achetait ça.
— Tu m’étonnes. Si j’avais le temps, je me renseignerais un peu plus à ce sujet, mais non. Je ne suis pas encore assez désespérée pour m’acheter une esclave.
— On dit « humain de compagnie », pas esclave.
— Ça sonne pareil…
— Toujours aussi cynique.

Elle se rappelait ce bout de conversation et elle se rendait compte que peut-être. Elle était si désespérée que ça.
Qu’est-ce que ça pouvait être de sentir la chaleur humaine de quelqu’un à ses côtés.
Perdue dans ses pensées, elle roulait dans la nuit et elle vit ce bâtiment. Ce fameux bâtiment qui vendait des humains de compagnie.
Elle n’avait pas remarqué qu’il y en avait un pas si loin de chez elle. Combien de kilomètres avait-elle parcouru depuis qu’elle avait quitté son appartement ? Aucune idée.
Non, elle n’allait tout de même pas.
Puis zut, elle n’avait rien de mieux à faire et quoi de plus vrai que d’aller demander de vive voix et voir de ses propres yeux ce que cet établissement avait dans le ventre.
Elle gara sa voiture sur le parking.
Elle ne passa pas inaperçu, le parking était presque vide et elle avait une très belle voiture.
Elle éteignit les feux et poussa la porte, après avoir poussé un énorme soupir.
Elle fut tout de suite accueillie par une voix chaleureuse.
Une bonne dame souriante, les horaires de travail étaient de nuit, vraisemblablement.

— Bonsoir madame, puis-je vous renseigner ?
Sa voix était mielleuse, elle avait vu que Marianne était très bien habillée, qu’elle semblait venir de la classe haute et si elle pouvait conclure une vente, c’était le jackpot.

Marianne observait les alentours et n’avait toujours pas répondu à la question.

— Est-ce que vous cherchez quelque chose en particulier ? Nous avons des jeunes garçons qui pourraient vous plaire.
— Bonsoir, c’est la première fois… est-ce que vous pouvez m’éclairer sur comment ça se passe… ?

Marianne était un peu déboussolée mais elle s’approcha et garda son attitude, elle était neutre, mais elle ne montra pas son hésitation, sa voix était posée, elle ne voulait pas qu’on la prenne de haut ou pour
une idiote, et la vendeuse n’allait pas s’y risquer.

— Il n’y a aucun problème. J’ai ici une liste des profils que nous avons actuellement à disposition. Il y a plusieurs tranches d’âge, éthnie, type de cheveux, couleur, comme cela vous plait, si vous avez une idée de quelle utilisation vous en ferez, n’hésitez pas à m’en faire part. Je serai plus à même de vous orienter vers le profil adéquat.
— Est-ce que je peux jeter un œil à vos listes… ?
— Oui oui, bien sûr.

Elle sortit de sous son comptoir un porte-document dans lequel des fiches étaient rangées avec une photo de face avec des informations en dessous.
Elle les étala devant elle pour que Marianne puisse les voir.
Une fiche attira son œil. C’était une jeune femme blonde aux yeux bleus. La vendeuse remarqua son intérêt.

— Ah, excusez-moi, j’ai mal rangé mes fiches, vous avez l’œil, c’est la dernière arrivée mais je n’ai pas encore eu le temps de finaliser son dossier. Elle risque de partir rapidement, on ne voit plus des profils comme celui-ci.

— Il y a des profils plus rares ?
Demanda Marianne curieuse.

La vendeuse plutôt bavarde continua.

— Eh bien oui, même si elle est plus âgée que ce que nous avons l’habitude de recevoir, elle est encore vierge, et sur le marché cela augmente considérablement son prix. Nous avons pas encore fini de passer ses examens médicaux mais les résultats de son
examen psychologique est au-dessus de la moyenne.
— Qu’est-ce que cela veut dire… ?
— Je ne veux pas non plus vous alarmer, mais quelques humains de compagnie sont psychologiquement instables, c’est pour cela que nous l’indiquons dans leur dossier ce détail là.
Les acheteurs font ce qu’ils veulent avec leurs humains, mais je sais que certains ont des pratiques qui sortent de l’ordinaire, il semblerait que certains apprécient particulièrement ceux qui n’ont eu aucune expérience sexuelle auparavant, et ils sont prêts à payer le prix fort, si vous voyez ce que je veux dire. Quoi qu’il en soit, tous nos humains sont majeurs, nous sommes sérieux ici.

Marianne ne se sentait pas bien, une certaine colère montait en elle. Cette jeune fille qui était sur ce papier allait se faire acheter pour devenir une sorte de jouet sexuel, pour un pervers adorateur de vierges ?
La vendeuse vit que cela la mettait mal à l’aise et tenta de la rassurer.

— Ne vous inquiétez pas, elle a décidé en pleine âme et conscience d’abandonner son humanité, elle savait dans quoi elle s’engageait et tout acheteur doit s’occuper convenablement de son humain. C’est sur le contrat et si on ne le respecte pas, on risque des poursuites judiciaires.
Marianne était révoltée, et elle ne pouvait rien y faire.
La vendeuse rangea le dossier et lui montra d’autres profils qui pourraient l’intéresser.

— Je vois que vous préférez les femmes, j’en ai plusieurs qui sont disponibles et qui pourraient vous plaire. Celle-ci, elle a tout juste vingt ans, une brune aux formes généreuses, qu’en dites-vous ? Est-ce que vous préférez une docile ou plus farouche ? Je sais que certains aiment bien dresser et éduquer leur humain…

Marianne réfléchissait, elle observait les autres profils mais rien n’y faisait, elle avait flashé sur la blonde aux yeux bleus. Et surtout elle se demandait ce qu’elle foutait ici. Elle ne comptait pas acquérir quelqu’un.
Elle décida de pousser le délire plus loin, combien cela lui coûterait ?

— Dites-moi. C’est possible de les voir en vrai avant ?
— Oui bien sûr. Laissez-moi juste le temps de fermer l’entrée avant de vous emmener dans les coulisses.

La gérante semblait être la seule personne à s’occuper des lieux, du moins, à cette heure si tardive.
Elle la suivit et elles arrivèrent dans un long couloir avec des portes tout du long.
Il y avait des vitres qui donnaient sur chacune des cellules qui servaient de chambre personnelle.
Certaines personnes avaient des camisoles de force et Marianne en avait des sueurs froides. Était-ce de la maltraitance. Elle avait déjà entendu des histoires mais le fait de pouvoir voir cela de ses propres yeux était diffèrent.

— Ne vous inquiétez pas, les vitres sont teintées.
— Pourquoi sont-ils dans des cellules individuelles, ainsi… ?
— C’est pour éviter qu’ils se battent. Cela serait fâcheux qu’ils se blessent, d’où les camisoles pour certains. Les troubles psychologiques ne sont pas rares sur le marché… malheureusement, mais c’est comme ça.

La vendeuse haussa les épaules.
Ils savaient que c’était une vitre teintée, pour certains.
Et les bruits de pas, même étouffés, arrivaient à leur parvenir, ils étaient aux aguets des clients potentiels.
Certains faisaient exprès de retirer leurs vêtements pour se mettre en valeur, aguicher et avoir un espoir de se faire adopter.
D’autres étaient en camisole de force et même avec une protection dans la bouche pour les empêcher de crier. Difficile de croire qu’ils se soient rendus de leur propre volonté ici.
Marianne reconnut la jeune fille qu’elle avait vu sur la fiche, et elle ne put détourner son regard.
Elle n’avait pas de camisole de force, juste un simple t-shirt manches longues et un bas de pantalon presque trop large pour elle.
Elle était allongée sur le lit simple, par-dessus la couverture, le regard bleu dans le vide. Mélancolique. Elle semblait attendre une sentence.
Les pas de Marianne s’arrêtèrent devant sa cellule et la vendeuse le remarqua.

— Combien ?
Demanda Marianne.

La vendeuse soupira.

— Venez, retournons dans mon bureau pour discuter.

Elle réussit à faire bouger Marianne.
De retour dans un environnement plus adéquat pour traiter de ce genre de sujet, la gérante commença par lui exposer la situation.

— Je n’ai pas encore eu le temps d’estimer son prix. Vous savez, chez nous, les humains sont bien traités et nous tenons à tracer leur origine, pour que vous soyez certain que nous ne forçons personne contre son gré à devenir notre produit. Nous sommes très à cheval sur la procédure.

*

Marianne avait insisté.
Elle ne savait pas trop pourquoi elle-même.
Lorsqu’elle avait vu la jeune fille, son regard bleuté avait fixé dans la direction de Marianne. Elle savait que c’était une vitre teintée et qu’elle ne pouvait pas la voir. Ce n’était que le hasard, mais ses yeux avaient transpercé son cœur. Elle avait été frappée de plein fouet, et même si elle ne croyait pas au coup
de foudre, elle avait ressenti une émotion forte dans sa poitrine.
Elle était révoltée de savoir qu’il était possible que cette fille qui n’avait rien demandé, cette jeune femme à l’apparence d’une poupée, puisse servir d’objet sexuel à un pervers libidineux. C’était ce que la vendeuse avait sous-entendu, et Marianne savait que ce n’étaient pas que des rumeurs.
Elle ne pouvait pas sauver tout le monde, mais quelque chose en elle ne pouvait pas laisser cette potentielle victime se faire violer. Surtout si elle pouvait éviter cette situation. Elle n’était pas dupe, elle savait qu’elle avait eu un faible pour elle, elle ne pouvait pas se mentir et jouer les sauveuses pour se donner bonne conscience.
Elle s’ennuyait, c’est pour cela qu’elle jouait avec la vendeuse pour savoir si elle était capable de la pousser à lui vendre cette jolie blonde.

— Et si je payais le double de son prix.
— Pardon ? Vous n’êtes pas sérieuse ? Nous ne vendons pas aux enchères ici. Elle sera sur le marché lorsque que j’aurai finalisé son dossier. Et cela dépend du retour des analyses médicales.

Marianne savait qu’elle ne remettrait pas les pieds ici.
La partie avait assez duré, elle avait vu de quoi il en était et le paysage était triste, mais elle allait rentrer chez elle. Elle se leva et se décida à partir.
La blonde qui lui avait tapé dans l’œil deviendrait la propriété de quelqu’un d’autre. Elle priait intérieurement que son acheteur soit quelqu’un de pas trop pourri.

— Attendez… si vous tenez vraiment à cette fille… je peux vous la céder au prix de sa fourchette supérieure. Avec l’absence de son dossier médical, vous ne savez pas dans quoi vous vous engagez. Il est possible qu’elle soit malade ou qu’elle ait des antécédents qui diminuent sa durée de vie. Êtes-vous sûre ? C’est peut-être votre jour de chance, je sais que même si son dossier médical est mauvais, elle risque de partir rapidement.

La marchande, voyant Marianne se lever et sur le point de partir, interpréta ça comme une cliente de perdue.
Elle pouvait faire une vente même si elle transgressait une partie des règles, le dossier n’était pas complet mais dans quelques jours seulement, elle recevrait la totalité des documents. Elle ne pouvait pas vendre la jeune fille le double de son prix, même si la proposition de Marianne était alléchante. Cela ferait trop louche sur les comptes. Cependant elle pouvait la faire payer légèrement plus cher. C’était rare mais pas commun d’avoir un profil qui vale ce prix-là. Elle supposa que son dossier médical soit parfait et le calcul était fait par la machine. Cela n’arrivait jamais que l’état de santé physique soit sans tache. Tout le monde avait des antécédents ou des problèmes de santé minimes.

— Voilà à quel prix je peux vous la proposer

— Je pensais que vous étiez très à cheval sur le protocole et les démarches à suivre ?
Se méfia Marianne, à moitie moqueuse.

Le nombre de chiffres aurait pu faire fuir n’importe qui, sauf les personnes assez riches.
Marianne ne broncha pas.
Elle leva un sourcil. Était-ce cela, le prix de la vie ?

— On peut convenir d’un arrangement. Je devrais avoir les documents manquants dans la semaine et je vous en enverrai une copie.
— C’est tout ?
— Si vous finalisez votre achat, je vous remettrai une valise avec les documents que vous devrez conserver, telle que sa carte d’identité, son dossier, le certificat d’adoption, ainsi que ses affaires personnelles à son arrivée ici.

La vendeuse ne pouvait pas proposer plus ni mieux.
C’était ce prix et rien d’autre, pour faire un léger écart dans la vente.
Elle attendait que Marianne se décide.
Marianne ne savait pas ce qu’elle faisait.
Elle était venue juste pour une simple visite, pour assouvir sa curiosité, elle ne comptait pas consommer.
Et pourtant, elle était sur le point de faire une énorme bêtise.
Le prix affiché n’était pas un problème. Elle avait les moyens de payer sans prendre de prêt.
Elle ne pensait pas qu’elle serait capable d’acheter cette pauvre fille paumée mais qui l’attendrissait.
Elle hésitait mais son cœur parla pour elle, elle fit quelque chose de stupide.
Elle dit oui.
La vendeuse remarqua que Marianne mettait un certain temps avant de se decider et lorsqu’elle tendit sa carte bancaire, elle se dépêcha de l’enregistrer, de peur qu’elle ne change d’avis.

— Comptant ou à crédit ?
Demanda-t-elle

— Comptant.
La voix de Marianne était distante.

Elle ne réalisait pas encore ce qu’elle venait de faire.
C’était trop tard, elle venait d’acquérir quelqu’un. Dans quoi elle s’aventurait.
La vendeuse finalisa le paiement et rendit la carte à Marianne.

— J’aurais besoin de votre carte d’identité, également…

Marianne lui tendit la carte.

— Nous gardons dans notre base de données ces informations, au cas où il y aurait un problème…
— Oui oui, je comprends.

La vendeuse n’arrivait pas à croire qu’elle venait de conclure une telle vente. Le bonus sur le prix était conséquent. Au vu de la réaction de Marianne, elle savait qu’elle n’avait pas affaire à n’importe qui.
Elle avait l’habitude de traiter avec des clients fortunés, et Marianne n’était certainement pas la plus riche d’entre eux, mais elle était aisée et il ne fallait pas l’oublier.

*

Les papiers signés, la vendeuse s’était absentée pour aller chercher les affaires ainsi que la marchandise.
Marianne était restée seule dans le bureau, ne réalisant pas encore son acte.
Un quart d’heure s’était peut-être écoulé avant qu’elles reviennent toutes les deux, une valise à la main.
La fille aux cheveux blonds avait l’air encore plus perdue qu’elle.
Elle ne pouvait plus revenir en arrière.
Elle était dans la même tenue que dans sa cellule, un simple t-shirt aux manches longues trop grand, et son pantalon trop large.
La vendeuse les accompagna jusqu’à l’entrée et les observa partir.

Marianne ne savait pas comment réagir. Son rythme cardiaque était devenu irrégulier, les mains un peu moites, elle prit la valise et retira son manteau pour le poser sur les épaules de la jeune fille.
Elle ne pouvait pas la laisser sortir avec juste ça sur le dos, il faisait nuit et les températures n’étaient pas hautes.
Elle l’invita à la suivre, elles sortirent de la boutique.
Elles se dirigèrent vers la voiture, Marianne ouvrit le coffre pour y poser sa valise et voyant que la fille ne bougeait pas, elle lui dit de s’installer sur le siège passager. Elle s’exécuta sans rien dire.
Marianne la ramena à son appartement.

2022.01.13

2021.12.07

Goutte de pluie
Posée sur mes lèvres
Tel un baiser
En provenance du ciel

*

Mille et une envies éparpillées
Amas de projets empilés
Quand cesserai-je de les accumuler
Prendrai-je le temps
De les réaliser

Aigre doux [PC]

La lumière du jour la réveilla.
Elle ramena son avant-bras sur ses yeux pour les préserver autant que possible de ce halo lumineux.
Un rayon s’était engouffré entre ses deux rideaux et dessinait une démarcation nette dans sa chambre.
Elle se roula sur le côté, puis s’assit sur le rebord du lit.
Les mains posées sur le matelas, elle fixait le parquet, le regard dans le vide.

En face d’elle, son bureau.
Son uniforme était posé sur le dossier d’une chaise.

Elle se leva et se dirigea dans la pièce d’à côté, beaucoup moins éclairée.
Elle attrapa un thermos posé au sol et versa le contenu dans un bac qui était posé sur une table de travail.
De l’eau chaude. Assez chaude pour que de la vapeur s’en dégage.
Le bac à moitié rempli, elle prit une petite serviette qu’elle laissa tremper un instant avant de l’essorer et se débarbouiller avec.
Elle prit un gobelet en bois qu’elle remplit également d’eau.
La brosse à dents et le dentifrice solide étaient à portée de main.
Après ce rituel, elle déversa toute l’eau usée dans un évier, puis versa de nouveau une petite quantité d’eau pour rincer.
La serviette étendue, les objets rangés à leur place, elle retourna dans sa chambre pour enfiler son uniforme après avoir retiré sa tenue de nuit.

Elle chercha son peigne dans le tiroir de son bureau et tenta de démêler ses cheveux légèrement bouclées et sombres.
Ceci fait, elle rangea l’outil et jeta un oeil aux nombreuses feuilles annotées et éparpillées, puis elle se tourna vers l’armoire.
C’était une belle armoire à tiroirs de tailles différentes avec des étiquettes sur les poignées. Elle en ouvrit plusieurs pour en vérifier le contenu.
Des plantes séchées, de toutes sortes.
Certains étaient vides ou presque.
Elle les referma et se dirigea vers la porte.
Son regard s’arrêta un instant devant l’autre chambre.

Vide.
Depuis longtemps.
Quelques années s’étaient écoulées depuis que l’occupante avait quitté les lieux.
Tout était resté en l’état. Elle n’avait pas eu le courage d’y toucher.

Elle prit le panier posé près de la sortie, et poussa la porte.

Elle inspira l’air frais.
Une brise légère soufflait dans le feuillage aux alentours.
Elle marchait sans se presser.
Elle suivit le chemin pour descendre vers la place.

*

Une discussion animée se déroulait dans une pièce fermée.

— Comment on va faire… ?
— Tu es sûr de ce que tu dis ?!
— Ce sont des informations d’en Haut, ce ne sont pas juste des rumeurs.
— On ne peut pas la laisser seule…
— Qu’est-ce que tu proposes… ?
— Sans oublier qu’elle est prédisposée à avoir des problèmes de santé…
— Ce n’est encore qu’une enfant…

— Je vais le faire.

Une voix qui ne s’était pas encore fait entendre, s’éleva et laissa place au silence.

— Tu es sûre… ? Je sais qu’elle est dans ta classe mais-

— Je me propose. Je connais cette petite, je prends cette responsabilité.

La voix était assurée et coupa court à l’argumentation.
Des messes basses se firent entendre mais personne ne contesta sa décision.
Les autres instituteurs ne cachèrent pas leur soulagement.

L’un deux se dirigea vers la jeune femme décidée.

— C’est vraiment gentil de ta part, mais tu sais… rien ne t’y oblige. S’il n’y a personne qui se manifeste, elle sera confiée à des gens de la Haut. Cela ne veut pas dire qu’elle sera mal traitée—

Elle l’arrêta.

— Je ne me sens pas obligé. C’est une décision réfléchie. Je vis seule et il reste une chambre dans mon logement. Merci de t’en soucier.

Elle sourit poliment à son collègue et sortit de la salle.

Elle lâcha un soupir après avoir refermé la porte derrière elle.
Cette ambiance était pesante.
Elle n’avait pas été totalement honnête.
Elle était consciente de toutes les contraintes et de la difficulté à gérer un enfant, mais elle se mettait tout simplement à la place de cette orpheline qui devrait suivre des inconnus après avoir appris le décès de ses parents.
Elle n’avait rien contre les gens de la Haut. Elle ne pouvait juste pas s’empêcher de penser que sa présence la rassurerait, peut-être.
Elle devait maintenant réfléchir à comment annoncer cette triste nouvelle, ainsi que les prochains changements à venir.
Elle releva la tête et se dirigea vers sa salle de classe.

La journée était enfin terminée.
L’institutrice interpela l’élève pour qu’elle reste après qu’elle ait rangé ses affaires.
La classe se vida et il ne resta plus qu’elles.

L’adulte s’approcha et s’accroupit pour lui parler à hauteur égale.

— Papa et maman… ne sont pas à la maison. On va aller chez toi pour récupérer des affaires, et on ira chez moi après. D’accord… ?

Sa voix était douce et rassurante.
Elle cherchait des mots pas trop durs à attendre pour son âge, et en même temps.
La petite fille écouta attentivement sa maîtresse, mais du haut de ses 5 étés, elle ne comprit pas immédiatement la gravité de ses paroles.

— D’accord !
Répondit-elle enjouée.

Le logement était silencieux.
La petite brisa ce calme sans aucune gêne.
Elle alla dans sa chambre et faisait comme à son habitude.
Maintenant qu’elles avaient quitté l’établissement, l’institutrice prit le temps de réexpliquer la situation à l’enfant.

— Papa et maman ne reviendront pas… à partir d’aujourd’hui, c’est moi qui vais m’occuper de toi.
— Ici ? À la maison ?

Elle secoua doucement la tête.

— Non… ça sera dans ma maison, mais on prendra toutes tes affaires pour que tu t’y sentes comme chez toi.
— Ils sont où, papa et maman… ? Pourquoi ils rentrent pas… ?
— … Il s’est passé quelque chose de très très grave… ils ne pourront pas rentrer…

Sa voix était de moins en moins nette. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Elle n’arrivait pas à rester impassible devant cette petite qui ne comprenait pas que ses parents ne reviendront jamais.

— On peut aller les voir ? Je veux voir papa et maman.

L’enfant était désorientée, elle commençait à réaliser que quelque chose n’allait pas.
La vision de la maîtresse s’embua et elle sentit des gouttes rouler sur ses joues.
Elle s’était mise à pleurer et les flots s’écoulant de ses yeux ne semblaient pas vouloir cesser.
La petite se précipita dans une des chambres puis revint aussitôt avec des peluches dans ses bras.
L’enfant s’avança lentement et posa sa tête dans le creu de son épaule.

— Ça va aller… Ne pleure pas…

L’institutrice sanglota et la serra dans ses bras.

Remise de ses émotions, elles rentrèrent avec le nécessaire pour la petite.
La jeune femme prévoyait d’y retourner rapidement pour récupérer d’autres affaires avant que les lieux ne soient vidés et attribués à une autre famille.
Elle lui tenait fermement la main sur le trajet du retour.
Les nouvelles circulaient vite et elle dû affronter les regards et les murmures des passants.
Elle resserra son étreinte, craignant que l’enfant ne soit perturbée par cette rude attitude.
La petite tête brune leva les yeux vers elle et lui adressa un large sourire.
Elle ne semblait pas affectée par ce qui l’entourait.
Elle sautillait, contente d’aller chez sa maîtresse.
L’adulte envia son insouciance un instant, puis elle réfléchit.
Elle accordait beaucoup trop d’importance aux opinions externes.
Elle avait choisi d’être sa tutrice. C’était sa responsabilité à présent.
Toutes ces personnes qui s’appitoyaient sur sa décision étaient en train de la convaincre que c’était un mauvais choix.
Elle balaya ces influences négatives.
Elle souhaitait offrir une chance à cette orpheline perçue comme un fardeau.
Il lui était injuste qu’on condamne une personne au statut d’Ignorae.
Très peu pensaient comme elle, et il était mal vu de s’exprimer sur ce sujet.
Elle ferait de son mieux pour que cette enfant puisse s’épanouir.
Elle releva la tête, et un sourire timide se dessina sur son visage.
Son assurance était revenue.

Arrivées dans son logement, son regard oscilla entre la nouvelle habitante et la pièce vide.
Après réflexion, elle posa les affaires dans sa propre chambre.
Exceptionnellement, elles allaient dormir ensemble cette nuit.
La chambre destinée à être occupée n’était pas du tout prête à accueillir quelqu’un.
Le repas avalé et la toilette faite, la petite se coucha dans le lit de la jeune femme.
Une armée de peluches autour d’elle, et une poignée d’autres entre ses bras.
La journée avait été longue, elle s’endormit presque aussitôt.
Elle s’assit sur le rebord du lit et joua avec les mèches brunes de l’enfant.
De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête, mais elle n’avait pas le temps d’y songer ni de douter.
Elle se releva et sortit sans faire de bruit.
Elle devait se dépêcher de retourner dans la maison de ses parents.
Elle accéléra le pas puis se mit à courir.
Elle pénétra pour la seconde fois dans la demeure, essoufflée.
Sa respiration reprit une allure normale au bout de quelques minutes.
Cette fois-ci, elle prit le temps d’observer les lieux.
Elle se balada entre les meubles tout en cherchant des objets personnels importants qu’elle pourrait ramener.
Elle imaginait cet endroit encore plein de vie et son coeur se resserra dans la poitrine.
La porte qu’elle venait de passer s’ouvrit subitement et deux personnes entrèrent.
Des gens de la Haut. Elle reconnaissait leurs habits.

— Ah— vous devez être la tutrice de la petite ? Essence, c’est ça ?

Une femme aux cheveux blonds attachés en queue de cheval prit la parole.
Elle acquiesça poliment, préférant garder le silence.
Elle n’était pas intimidée mais impressionnée.
Il n’était pas commun de les croiser, et encore plus rare de converser avec eux.
Malgré ça, ils connaissaient son prénom.

— Ne faites pas attention à nous, nous allons faire un tour rapide des lieux et commencer à réunir des affaires.

Elle se hâta à rechercher et réunir ce qui pouvait être important.
Une main se posa sur son épaule, ce qui la fit sursauter.

— Prenez votre temps. Nous allons vous aider.

La femme aux cheveux dorés lui adressa un sourire compatissant.
Leur aide fut précieuse. Ils trièrent devant elle ce qui pouvait l’intéresser.
Ils étaient efficaces. Ils avaient l’habitude.
Elle en profita pour observer l’homme. Il avait des cheveux roux et quelques taches de rousseur discrètes sous les yeux.

— Merci…

Sa voix était faible mais elle tenait à les remercier.
Elle leur adressa un dernier remerciement sur le pas de la porte, s’inclinant légèrement, et s’en alla pour ne pas les déranger plus longtemps.
Une pile de livres, quelques vêtements et autres objets sur les bras.
Il faisait maintenant nuit. Quelques lueurs éclairaient légèrement le chemin.
Elle marcha lentement jusqu’à chez elle, pensant à ces personnes qu’elle ne reverrait certainement pas.

Les jours, les semaines, les mois et les années passèrent.
L’enfant s’adapta rapidement et finit par comprendre que ses parents n’étaient plus.
Les journées étaient bien remplies et sa tutrice lui apportait tout l’amour d’une mère.

Elle n’avait pas encore 10 étés lorsque son état de santé se dégrada.
Essence lui avait parlé de ses parents et surtout de son père qui était malade.
Un mal incurable et dont elle avait hérité.
Elle savait que cela arriverait un jour.
Elle ne pensait pas que cela serait si soudain.
Elle était en plein cours lorsqu’elle sentit une vive douleur dans sa poitrine.
Respirer était devenu pénible.
Elle se recroquevilla, encore assise à son bureau, n’osant plus bouger, espérant que la douleur s’en aille d’elle-même.
Elle bloqua sa respiration.
L’épine invisible était encore présente.
Elle ne pouvait pas rester indéfiniment ainsi.
Ses poumons demandaient de l’air, et elle dû inspirer une grande bouchée d’air qui accentua cette terrible sensation.
Peu à peu, ses camarades posèrent leur regard sur elle.
Le professeur ne remarqua pas tout de suite le problème.
Les élèves restaient silencieux. Ils étaient spectateurs de cette scène étrange.
Elle se sentait beaucoup trop mal.
Les larmes glissèrent sur sa joue et s’écrasèrent sur son cahier.
Ses poings serraient le tissu de ses vêtements. Si elle en avait eu la force, elle les aurait certainement déchirés.
Sa vue se troubla.
Un bruit sourd se fit entendre. Elle venait de s’effondrer sur sa table.

Le professeur soupira puis arrêta son cours.
Il sortit de la salle pour revenir avec une femme aux cheveux d’un brun clair et aux belles boucles retombant au dessus de ses épaules.
L’inquiétude se lisait sur son visage.
Elle avança calmement jusqu’au corps de la jeune fille.
Elle la porta dans ses bras et s’en alla sans rien dire.
La classe reprit.

Elle se réveilla dans sa chambre.
Le souvenir du mal qu’elle avait ressenti dans son corps était encore présent.
Elle n’osait pas bouger.

2020.06.07

Meuble [RolePlay]

Ca y est, elle est arrivée devant la porte du bureau du maître des lieux.
Hésitante, elle se frotte le dos de la main.
Elle se rend alors compte de la moiteur de celles-ci.
Elle s’essuit hâtivement dans son tablier.
Elle prend une grande respiration ainsi que son courage, et attrape le heurtoir au dessus des poignées de la double porte, et s’annonce d’un coup, sec.
Le bruit assourdissant de son geste la surprend, et elle craint d’y avoir mis trop de force.
Elle n’a pas le temps de s’en soucier qu’une voix l’invite déjà à entrer.

« Entrez, mademoiselle Chloé. Je vous attendais. »

La pièce est sombre, quelques halos de lumières perçant à travers les rideaux épais devant la fenêtre lui permettent de profiter de la richesse de la décoration : statues, bustes et bibelots sur les étagères. Elle ne remarque pas tout de suite la présence immobile du comte derrière son bureau. Distraite, elle continue sa contemplation, et oublie la longueur de son uniforme légèrement trop long.
Ce qui devait arriver, arriva. Elle marcha sur un pan de la robe et perdit l’équilibre.
Elle étouffa un cri avant de s’échouer sur le bureau en bois massif.
Ses paumes s’appuyant sur la première surface qu’elle pourrait atteindre, malheureusement elle ne put empêcher le choc de son visage contre le magnifique et solide meuble.
Si ce n’était pas une entrée fracassante.

Empêtrée dans les tissus de son uniforme, elle se relève péniblement, vérifiant qu’elle n’avait pas déchiré sa tenue dans son immense maladresse. Puis en second temps, son propre visage.
Son crâne avait fait un bruit assourdissant, et une marque était maintenant visible sur son front et l’arrête de son nez.
Le comte était assis juste là, devant elle, les mains jointes devant son nez, il était immobile, impassible et avait assisté à toute la scène.
La petite Chloé remarqua sa présence tardivement, la douleur laissa place à la honte.
Elle sentit ses joues et ses oreilles se remplir de son sang chaud, et elle ravala tant bien que mal ses larmes.
Elle avait été ridicule et enchaînait les bourdes depuis son arrivée.
Quelle image le maître des lieux pouvait-il avoir d’elle, à présent ?
Le visage dur et inexpressif de l’homme n’arrangeait rien à son ressenti.

« B-bonjour… ! P-pardonnez-moi… ! »

Bredouilla t-elle, en s’inclinant machinalement aussitôt, oubliant la proximité de sa tête, elle se cogna une seconde fois contre ce joli bureau.
Elle étouffe un gémissement de douleur, en se massant le front une seconde fois.
Elle recule alors aussitôt, pour éviter de reproduire cette erreur.
Dans sa hâte, elle marche cette fois-ci sur le pans arrière de sa robe.
Sa chute est inévitable.

Elle sent alors une présence autour d’elle, la stoppant net.
Des bras l’entourent et le visage d’un homme est à quelques centimètres du sien.

« Bonjour, mademoiselle…Chloé ? Pardonnez-moi. Je crains de ne connaître que votre prénom. »

Elle se retrouve ainsi dans les bras du comte, qui a l’air amusé de cette situation, compte tenu du micro-sourire qu’il a au coin des lèvres et qui a du mal à quitter son visage.
Cette proximité est une aubaine, elle arrive à admirer les traits de cet homme malgré la faible luminosité. Subjuguée par sa chevelure ample et soignée, son teint étrangement pâle mais pas moins beau. Ses mains ne sont plus là pour obstruer le bas de son visage, et son expression est beaucoup moins froide à cette distance. Elle entraperçoit même la blancheur éclatante de sa dentition qui se reflètent un court instant dans les pupilles sombres de la jeune servante.
Sans parler de cette voix envoûtante qui résonne en elle, et entre les murs de cette pièce.
Une voix qui paraissait froide aux premiers abords, grondante et rauque qui laissait deviner qu’il avait l’habitude de contrôler et d’imposer un certain respect, mais également posée et assurée, tellement rassurante aux oreilles de Chloé.
Son regard la transperçait et semblait lire en elle.
Le temps semblait s’être arrêté, et elle avait inconsciemment retenu sa respiration.

Quand soudain, elle sentit un liquide tiède couler de son nez.
Un filet rouge vif se dessine sur son visage, de sa narine jusqu’à ses lèvres.
Elle sent le comte plus tendu, il s’éloigne presque aussitôt qu’elle arrive à se maintenir à nouveau sur ses deux jambes.

« Il faudra faire quelque chose pour cet uniforme, qui est vraisemblablement pas à votre taille. »

Dit-il, préoccupé, et en s’éloignant vers son bureau.

2020.03.19

Ver de cauchemar

Elle sortait de la salle de bain des enfants et se dirigeait vers le salon.
La maison était plongée dans le noir, il était tard, au milieu de la nuit certainement, et le peu de lumière qu’elle avait provenait des reflets des rayons de la lune.
Il était calme, beaucoup trop calme.
Elle appréhendait quelque chose.
Les portes des chambres des enfants étaient grandes ouvertes et personne dedans.
Elle arriva dans le salon et la cuisine.
Hélène et Alain étaient allongés au sol près de la table à manger, le ventre au sol. Leur corps semblait baigner dans une mare noire, et à sa gauche, dans la cuisine, Cean et Aurore étaient dans les bras l’un de l’autre, comme s’ils avaient essayé de se protéger avant de tous les deux succomber à l’assaillant.
Elle commençait à hyperventiler. C’était une vision d’effroi, de terreur, elle ne savait pas quoi faire.
Le corps de ses deux derniers enfants était également teinté d’une peinture sombre.
Il n’y avait aucune arme, comme si c’était un simple tableau morbide ou une représentation.
Elle continua à marcher, cherchant des yeux le reste de la famille.
En face d’elle, au sol également mais le dos contre le mur, la tête baissée, Gabriel était là. Sans aucun signe de vie non plus, il ne bougeait plus.
Et dans l’entrée le corps de Chris gisait là.
Elle avait de plus en plus de mal à respirer, elle avait envie de hurler, et à la fois de fondre en larmes.
Que s’était-il passe ici ? Pourquoi était elle seule encore en vie ?
Une ombre humanoïde apparut alors, s’adressant à elle.

— C’est de ta faute. Regarde ce que tu as fait.

Et elle crut cette voix. En cet instant, elle savait que la voix disait la vérité et que tout était de sa faute, c’était logique. Tout faisait sens après que cette voix ait prononcé ces mots.
Alors des perles de larmes roulèrent sur ses joues pour s’écraser au sol.
Sol recouvert d’une épaisse substance sombre et pâteuse à certains endroits, surtout ceux près des corps.
Elle était démunie, que pouvait-elle faire ? Cela ne la ressemblait pas de ne rien faire et s’appitoyer sur son sort, pourtant en cet instant précis, elle était submergée par sa culpabilité.
Elle était prisonière de cette émotion.

*

Elle se réveilla avec cette terrible sensation de culpabilité et de tristesse, les larmes mouillaient déjà son oreiller. Elle ne bougea pas tout de suite, ne réalisant pas qu’elle venait de faire un cauchemar.

— Pourquoi ce cauchemar.
Se demandait-elle.

Elle mit un certain temps avant de réaliser que ce n’était qu’un mauvais rêve, mais les émotions qu’elle avait ressenti étaient encore palpables.

Il eut fallu que Gabriel ouvre les yeux à ce moment précis et la voit en larmes.

— Mais… tu pleures ?
Avait-il chuchoté, ne voulant pas réveiller Chris.

Il passa ses doigts sur ses joues pour attester qu’elle pleurait bien. C’était si inhabituel.
Il s’approcha un peu plus d’elle pour qu’elle puisse se blottir dans le creux de ses bras.

— Quelque chose ne va pas… ?
S’enquit-il, inquiet et lui caressant sa chevelure tout en cherchant à la rassurer.

— … Juste un cauchemar… j’ai rêvé que… vous étiez tous morts… toi, Chris… les enfants… et que c’était ma faute…

Elle réussit à s’exprimer, comme pour exorciser ce mauvais rêve.

— Là, là… ce n’était qu’un cauchemar, regarde. Je suis bien en vie et on entend Chris respirer juste à côté… on ne se laisse pas mourir si facilement, non ? Puis les enfants sont grands et savent se défendre maintenant. Tu n’as pas à avoir cette inquiétude.

Il tenta de la rassurer comme il put et elle se calma peu a peu.

— Je sais… mais c’était si réel… j’étais la seule fautive et j’en étais convaicue… c’était horrible comme situation…

Leur discussion réveilla Chris qui se tourna vers elle et la prit dans ses bras également, parlant à moitié somnolant.

— … Que se passe t-il… ?
Marmona t-il les yeux encore clos, mais la tête enfouie dans les cheveux d’Alexandra.

— Juste un cauchemar. Rendormez-vous, il est encore tôt.
Repondit Gabriel.

Ils se rendormirent ainsi, jusqu’au petit matin.

*

Les jours, les semaines passèrent et elle continua à faire ce cauchemar.
Elle se réveillait en pleine nuit et n’arrivait plus à se rendormir, ou plutôt, elle n’osait plus dormir.
Le cauchemar devenait de plus en plus fréquent et bientôt elle était trop épuisée pour réussir à rester éveillée en pleine journée, et cela ne passa pas inaperçu.

— Tu es pâle… et ces cernes… tu es sûre que ça va… ?
Avait demandé Gabriel, dans le bureau.

Il était inquiet et ces cauchemars récurrents n’étaient pas normaux. Il avait fini par enquêter sans réel réponse ou solution.
Elle avait des absences, l’esprit trop embrouillé et fatigué pour être efficace au travail, elle se frottait les yeux, buvait du café ou du thé pour réussir à tenir.

— Ça va aller… encore une mauvaise nuit…

Son coeur battait trop vite et elle ne se sentait pas au meilleur de sa forme.

— Repose-toi un peu, allonge-toi sur le divan, tu m’inquiètes vraiment.

Il l’avait accompagnée et forcée à s’asseoir sur le divan, puis elle avait bien voulu s’allonger.

— Juste une petite minute… je reviens t’aider après…
Avait-elle dit, en fermant complètement les yeux et en s’assoupissant sur le divan plutôt confortable.

Dans la minute qui suivit elle avait sombré et il apporta sa veste pour la recouvrir.
Il ne la réveilla pas et continua le travail pour deux.

Au bout d’un petit quart d’heure elle se réveilla en sursaut, les sueurs froides et encore plus épuisée qu’avant.
Cela le fit sursauter quand elle se releva subitement et la respiration forte.
Il se précipita à ses côtés.

— Alexandra… ?

Il la cherchait dans ses pupilles mais elle était encore à moitié somnolante, le regard dans le vide et la respiration prononcée.

— Je suis là, ce n’était qu’un cauchemar… encore un…
— Gabriel…

Elle se jeta dans ses bras et l’enlaça.

— Tu ne peux pas continuer comme ça, tu es épuisée et ces cauchemars ne sont pas de simples mauvais rêves… il va falloir qu’on trouve la cause et rapidement. Ton corps ne pas va tenir à ce rythme là.
— Je… excuse-moi…
— Ce n’est pas de ta faute.

L’infirmier médecin n’avait rien trouvé dans son examen. Cela relevait de l’ordre du psychique et ce n’était pas de son ressort.

Les enfants étaient égalemet inquiets.
Il arrivait que leur mère s’endorme subitement pour se réveiller en sursaut et en panique. Ils étaient alors à la rassurer du mieux qu’ils pouvaient lorsqu’ils étaient à proximité.
Elle était en repos à la maison, mais ils n’étaient pas rassurés de la savoir seule.

Aurore qui avait le plus de disponibilité, restait avec elle en journée. Elle parla de son inquiétude à son petit ami Vlad qui en parla à Chloé.
Chloé eut plus de retours sur cet état particulier et insista pour venir les aider.

— Chloé m’a dit que cça ressemblait plutôt à de la magie noire, elle viendra dès qu’elle peut mais l’état de ta mère l’inquiète aussi.
— Merci Vlad. Je préviens mon père.
— Oui, elle devrait arriver en début de soirée, le temps de s’occuper des urgences ici.
— D’accord. Tu viens aussi ?
— Bien sûr. À plus !
— Bisou.

Elle était allongée sur le canapé, près d’Aurore sur un oreiller, qui lui caressait les cheveux.
Elle ne dormait pas vraiment mais elle se reposait.
Elle se rendait compte de sa condition qui inquiétait ses proches et surtout qui les incommodait, ils étaient obligés de s’occuper d’elle et cela la dérangeait

— Pardon, aurore…
Chuchota t-elle, les yeux clos.

— Pourquoi… ?
Repondit-elle surprise.

— Que tu doives t’occuper de moi… je me sens tellement—
— Chut. C’est normal et puis j’aime bien te chouchouter, maman.

De sa voix douce, et elle continua de jouer avec les boucles de ses cheveux bruns.

— Merci… merci beaucoup…
Elle sombra à nouveau dans un sommeil léger.

Aurore envoya un message à son père au sujet de Chloé et Vlad, puis se leva un instant pour aller chercher un verre d’eau.
Ten’ était au pied du canapé et avait posé sa tête sur ses pattes. Il semblait dormir d’une seule oreille.

Il se mit à grogner et recula sur le tapis.
Une bulle d’aura sombre venait d’apparaître autour d’Alexandra : elle se leva, les yeux ouverts mais elle ne semblait pas consciente de ce qui l’entourait.

— Maman… ?

Aurore était également restée en retrait.
Elle appela immédiatement son père pour le prévenir.
Sa mère marchait en direction de la baie vitrée et allait sortir. Elle ne répondait pas et ne semblait pas être consciente de ce qui se passait autour d’elle.
Ten’ la pourchassa sans trop s’approcher de la bulle et Aurore fit pareil pour ne pas la perdre de vue.
L’extérieur donnait sur un petit bois et une forêt.
Elle s’enfonça dans la forêt alors que Ten’ et Aurore tentaient de la réveiller et l’appeler de nombreuses fois.
Ils finirent par arrêter de s’époumoner et la suivirent en silence. Aurore envoyant leur position géographique à son père régulièrement.
Elle tenta de s’approcher, d’invoquer ses branches pour l’attraper, maladroitement.
Lorsqu’elles touchèrent la surface de l’aura, elles se firent projeter à plusieurs mètres.
Sa mère s’enfonçait dangereusement au fin fond de la forêt et cela ne présageait rien de bon.

Ten’ aboya, un étranger était en train de s’approcher deux. Une sorte d’ombre enflammée noire menaçante.
Aurore fit signe à Ten’ de ne pas s’approcher. Elle sentait cette aura malfaisante dégager de lui à plusieurs dizaines de mètres.
Sa mère s’avançait vers cette chose et elle était impuissante.
Elle tenta de s’interposer pour raisonner sa mère mais l’aura la projeta.
Des racines sortirent de terre pour la rattraper au vol et amortir sa chute. Ten’ s’approcha d’elle pour vérifier qu’elle allait bien, elle le rassura, un peu sonnée.
Elle n’eut pas le temps de se relever, l’ombre était aux côtés de sa mère.
L’aura ne lui faisait rien. Elle était de la même couleur que ses flammes.

— Belle créature… mes efforts ont été récompensés…

Il sembla absorber l’aura d’une main.

— Délicieux… ces cauchemars sont un délice.

Alexandra sembla se vider de cette énergie qui l’avait dirigée jusqu’ici et les forces la quittèrent, elle s’écroula.
La chose la rattrapa et caressa son visage de ses longs doigts sombres.
Ten’ grognait et cela le dérangea assez pour qu’il se rende compte de leur présence.
Il pointa Ten’ et une aiguille noire se dirigea à une grande vitesse vers Ten’.
Aurore cria et tendit sa main vers lui. Un bouclier de terre et de racines apparut à temps pour le protéger.

— Tu es sa fille, c’est ça… ?
Demanda la voix un peu brouillée de l’ombre.

Elle préféra ne pas répondre.

— Que voulez-vous ?!
— Moi… ? Rien, rien…

2020.10.20

Bruine

Elle regardait par la fenêtre le temps pluvieux.
Entre la pluie et la brume qui créait un brouillard froid et humide.
Les mains sur ses bras, elle se frottait la peau pour tenter de se réchauffer sans aucun succès.
Il faisait nuit et les faibles lueurs lui parvenaient sans réussir à lui apporter une once de réconfort.
Perdue dans ses pensées.

Il vint la voir et lui apporta une petite laine pour lui recouvrir les épaules.
De sa grande carrure, il l’enveloppa de ses bras imposants, restant derrière elle et il lui apporta sa chaleur corporelle.

2020.09.28

Appartement

Elle vivait seule et travaillait en tant que serveuse dans un petit restaurant.
Ses parents étaient décédés en lui laissant leurs dettes et elle avait préféré repartir de zéro en se débrouillant seule comme elle l’avait toujours fait.
Alors elle avait pu louer un petit studio après avoir réussi à trouver un travail.
C’était difficile sans aucun diplôme, elle n’avait pas pu finir sa scolarité et elle avait déposé sa candidature à plusieurs endroits avant qu’on ne l’embauche.
Elle eut de la chance de tomber sur des employeurs sympathiques qui décidèrent de lui laisser une chance, puis au fil des jours, des semaines puis des mois. Ils s’étaient attachés à elle.
Elle bossait bien, faisait de son mieux sans rechigner à la tâche et surtout, elle apprenait vite.
Elle se raccrochait à ce qu’elle pouvait pour continuer à vivre et tenter de s’en sortir.

Elle était devenue la petite serveuse du bar restaurant.
Ses cheveux bruns ondulaient sur sa tête, elle les attachait toujours en queue de cheval ou en chignon pour le service. Quelques mèches retombaient devant son visage.
Un petit tablier noir par dessus ses vêtements et elle était prête pour commencer.

Elle était maintenant habituée à cette routine.
Elle habitait à quelques rues de là, et c’était très bien.
Elle arrivait à mettre quelques sous de côté pour économiser, mais trois fois rien.

Ce soir là, elle croisa quelqu’un en rentrant chez elle.
Il pleuvait et elle n’avait pas pris son parapluie. Elle courait pour éviter d’être trop trempée avant de rentrer enfin chez elle, et elle faillit le renverser.
Un homme d’à peu près son âge marchait en traînant des pieds et la tête baissée.
Elle le percuta, s’excusant confuse, il la regarda à peine et continua son chemin.
Elle vit dans ses yeux le désespoir.
Cela lui fit mal au coeur mais elle ne voulait pas déranger.
Elle était partie pour continuer son chemin lorsqu’elle rebroussa chemin et l’interpela.
Il y avait quelque chose dans son attitude qui lui rappelait beaucoup trop son propre vécu.
Elle avait connu le désespoir. De ne rien avoir et de ne pas savoir où aller.

— Est-ce que tout va bien… ?
Demanda t-elle.

Elle devait presque crier avec le bruit de l’averse.
Il s’arrêta mais ne répondit pas.

Il semblait perdu dans sa réflexion et elle allait continuer son chemin lorsqu’elle le vit traverser sans regarder, alors que le feu était vert pour les voitures.
Un véhicule arrivait à toutes vitesses et elle courut le rattraper et le tirer vers elle.

— Ça va pas non ? Regardez avant de traverser !
Cria t-elle, cette fois-ci, en colère contre son comportement.

Il était sonné, ne réalisant pas encore ce qui venait de se passer. La voiture le frôla et klaxonna.
Il remarqua alors la jeune femme et ne sut quoi répondre.
Elle n’attendit pas un mot de sa part et continua de l’interroger.

— Vous allez où comme ça ?
Soupira t-elle, exaspérée.

Elle n’était pas rassurée de le laisser errer ainsi dans les rues et sur la route. Comment avait-il fait pour ne pas se faire renverser jusque ici ? Elle ne savait pas depuis combien de temps il arpentait la ville mais elle ne pouvait pas le laisser ainsi, dans cet état, seul.

Aucune réponse.

— Si vous n’avez nulle part où aller. Suivez moi.

Elle l’attrapa par le bras et l’emmena avec elle, dans son appartement, qui se trouvait à quelques mètres de là.

— Ce n’est pas grand chose, mais restez pour la nuit, au moins.

Elle se mit à faire la conversation, seule.
C’était quelque chose qu’elle avait finit par apprendre et apprécier : discuter avec les gens. Même si cela s’apparentait à un monologue, elle essayait de le mettre à l’aise et combler le silence qui pouvait être gênant.

L’immeuble était vétuste, la porte d’entrée était rongée par le temps et les gongs grincèrent lorsqu’elle la poussa pour les laisser entrer.
Il n’y avait pas d’interphone, de mot de passe, ou de serrure. Tout le monde aurait pu pénétrer dans le hall.
Il n’y avait que des personnes au revenu modeste qui habitaient ici, aucune sécurité parce que les potentiels voleurs n’auraient rien eu à dérober dans ces appartements.
L’entrée n’était pas éclairée, mais par chance l’ampoule dans l’escalier n’était pas morte même si la lumière crépitait de temps en temps.

— Je suis au deuxième étage, désolée, pas d’ascenseur ici…

Elle avait finit par le lâcher et elle se tourna vers lui pour vérifier qu’il la suivait toujours.
Elle gravit les marches et elle ouvrit la porte avec sa clé.
Vu l’état de la porte, une simple porte en bois avec une serrure toute aussi rudimentaire. Un simple coup de pied aurait pu suffir à l’ouvrir, ou un coup d’épaule.
Elle l’invita à entrer et referma la porte derrière lui.

— Fais comme chez toi. Tu peux aller prendre une douche… je ne vais pas avoir grand chose à te prêter comme vêtements propres…

Elle le poussa sans sa salle de bain et lui tendit une serviette de bain pliée, certainement propre.
Il resta là sans rien dire, ni rien faire.

— Lave toi. T’es trempé par la pluie, tu vas attraper froid.
Ordonna t-elle en refermant la porte pour lui laisser une certaine intimité.

Elle n’avait pas vraiment réfléchi à la suite. Elle avait invité cet inconnu à se réfugier chez elle mais son appartement n’avait qu’un seul lit.
Elle n’avait que le stricte minimum, une table à manger, une cuisine et une salle de bain.
Elle soupira, elle pensait déjà à lui laisser son lit pour la nuit.
Elle-même trempée de la tête jusqu’aux pieds, elle tenta de se sécher avant de pouvoir également aller se laver.
Elle se dirigea vers le frigo et l’ouvrit.
Elle attrapa quelques restes et les fit réchauffer dans une poêle avant de les servir dans une assiette creuse sur la table, accompagné d’un verre d’eau.
Une bonne odeur embauma toute la pièce principale.
La porte de la salle de bain s’ouvrit et il en sortit.
Torse nu et juste en caleçon et la serviette sur lui, cette douche avait eu l’air de lui faire du bien malgré son expression encore morose et perdu.
Elle l’invita à s’asseoir et manger. Il n’y avait qu’une paire de couverts et il la fixa.

— J’ai déjà mangé à mon travail. C’est pour toi, tu dois avoir faim, non… ?

Il baissa son visage vers l’assiette et hocha la tête. Il prit en main la fourchette et commença à manger, de bon coeur.

— Prends ton temps. Je vais aussi me doucher.

Il était assis là, chez une inconnue et il ne savait pas quoi penser. Ce plat de restes réchauffé n’était pas spécialement bien présenté ni délicieux mais il lui réchauffait un peu le coeur et le corps. Cela faisait quelques bonnes heures qu’il arpentait dehors sans avoir rien avalé ni bu, et ce que son hôte lui avait présenté sur la table, aussi modeste soit-il, était salvateur.
Il se ressassait ce qu’il avait fait tout en mâchant et continuant d’apporter de la nourriture à sa bouche.
Il avait quitté la maison familiale de manière dramatique. Ses parents n’avaient pas cherché à le rattraper ni le ramener de force à la maison. Après tout, il était majeur depuis quelques années et c’était sa décision. Tout juste vingt ans, il était parti.
Sans rien. Juste avec ses vêtements sur lui, pas même un sac à dos rempli du stricte nécessaire.
Il avait erré et était arrivé dans cette ville. Il n’y connaissait rien.
Il avait vécu dans une bulle de privilèges dont il ne se rendait compte qu’à peine maintenant.
Cela lui avait frappé, tout d’abord l’endroit où vivait cette personne.
Les murs étaient fissurés et la peinture s’écaillait par endroits. Le plafond avait le même traitement et dans les recoins, l’humidité s’était accumulée à certains endroits, formant des petites cloques sous la peinture et des petites taches sombres de moisissures, discrètes encore mais cela ne lui avait pas échappé.
Le sol était en bois, fait de planches qui avaient gondolées à l’usure et grinçaient plus ou moins fort selon l’endroit où on posait les pieds. À se demander comment il tenait sans qu’ils passent à travers.
La fenêtre était également en bois et les vitres si fines qu’on entendait les grosses gouttes de pluies s’écraser sur la surface du verre lorsque des bourrasques venaient souffler un peu trop fort contre celles-ci. D’ailleurs le vent s’engouffraient à travers le cadre et sifflait un peu. Ce qui comblait le silence un peu pesant depuis qu’elle était partie dans la salle de bain.
S’il n’y avait eu personne il aurait tout simplement pensé que cet endroit était abandonné.
L’appartement n’était pas très grand et bientôt il entendit l’eau couler dans la baignoire.
Il serait bien parti mais aussi insouciant qu’il pouvait l’être, il ne se sentait pas de s’éclipser sans remercier la jeune femme. Et il devait le reconnaître, il n’avait nulle part où aller. Par ce temps, il commençait à avoir froid à l’intérieur de ses os, et même s’il était à moitié absent, il lui semblait qu’elle l’avait sauvé lorsqu’il manqua de se faire renverser.
Quoi qu’il en soit, il était trop impoli de s’en aller sans rien dire, surtout qu’il ne savait pas où il serait allé par la suite.
Perdu dans ses réflexions, le temps passa plus vite que prévu et elle fut déjà sortie, en T-shirt et un pantalon léger de pyjama sur les hanches. En train de se sécher grossièrement les cheveux, la serviette posée sur ses épaules.

Elle s’assit devant lui après avoir débarrassé le plat vide. Un miracle qu’elle ait une seconde chaise.

— Tu as encore faim ? Besoin d’autre chose… ? Désolée, je n’ai pas grand chose à offrir…
S’excusa t-elle un peu gênée, elle savait que son petit cocon était quelque peu rudimentaire.

— Merci…
Répondit-il, sans savoir trop quoi ajouter.

— Oh, c’est rien. Je t’en prie…

Elle entendait enfin sa voix. Elle eut du mal à cacher sa joie qu’il commence à s’exprimer.

— Hm, tu veux p’tre en parler… ? De ce que tu faisais dehors dans cet état… ?

Il hésitait encore. Il se sentait idiot.
Elle qui avait l’habitude de vivre seule, avait un besoin de communiquer, et elle ne se rendait pas compte qu’elle commençait à occuper l’espace.

— Je peux peut-être t’aider… ? Si tu ne me dis pas quels sont tes problèmes, je ne peux pas deviner…

Elle avait raison mais il ne savait pas par où commencer. Il ne s’était pas demandé ce qu’étaient ses problèmes actuellement, ni comment les gérer.

— Je… je n’ai nulle part où aller… je n’ai rien…
Dit-il simplement.

— Comment ca… ?
— Je suis parti de la maison familiale…
— Ah…

Il eut un long silence.

— Je peux t’héberger un moment ici, si tu n’as nulle part où aller… ce n’est pas grand chose mais au moins tu n’auras pas à dormir dehors. Est-ce que tu as un travail… ?

Elle essayait de trouver une solution pour l’aider à s’en sortir. Elle savait ce que c’était d’être livré à soi-même.

Il n’en revenait pas. Comment une personne aussi modeste pouvait lui proposer de l’aider ? C’était mieux que rien, il n’allait pas cracher sur un toit.
Un travail… ? Il n’avait jamais eu besoin d’avoir un travail. Il sentait que ça allait être nécessaire s’il souhaitait quitter ce taudis et voler de ses propres ailes… mais comment faire pour en trouver un, et dans quel domaine …?

Il prenait du temps pour répondre et elle vit son hésitation.
Elle-même s’était trouvée dans cette situation et le voir ainsi lui rappela sa situation, lorsqu’elle avait perdu ses parents. Elle eut un pincement au coeur. Elle souhaitait lui apporter l’aide qu’elle n’avait pas eu quand elle avait été dans cet état.

— Si tu n’as rien, je peux demander là où je travaille pour te prendre en période d’essai. Qu’est-ce que tu en dis… ?
Proposa t-elle, pour lui donner de l’espoir et lui remonter le moral.

Il releva le visage et la regarda.
Elle était inquiète, cela se voyait mais elle souriait. Elle avait une expression douce qui le rassurait.
Comment pouvait-elle être aussi positive alors qu’il pouvait deviner qu’elle n’avait pas grand chose.

— Il se fait tard, tu as l’air fatigué. Viens, je te montre le lit. Repose-toi, on pourra discuter d’avantage demain, d’accord ?

Elle se leva et désigna la chambre.
Il n’y avait même pas de porte, c’était une ouverture plutôt large qui donnait accès à une autre pièce.
Le lit n’était pas très large et il comprit qu’ils n’allaient pas le partager. Un peu rassuré de ne pas devoir dormir avec une inconnue.
Elle fouilla dans un placard pour en sortir une autre couverture qu’elle prit dans ses bras.
Il s’allongea dedans et elle retourna dans la salle avec sa couverture.
Elle jeta quelques regards dans sa direction pour vérifier qu’il dormait bien et débarrassa la table.
Elle ferait la vaisselle demain.
Il s’etait endormi presque aussitôt, éreinté de sa journée.

Elle posa la couverture dans un coin de la salle et se roula dedans pour également dormir.

*

L’appartement n’avait pas de rideaux et ils furent réveillés par le lever du soleil.
Elle prépara de l’eau chaude.

— Au fait, comment tu t’appelles ? J’ai totalement oublié de te demander ton prénom hier soir…
— Sephyl…
— Moi c’est Alicia. T’as quel âge… ? Tu m’as dit que t’étais parti de chez toi… mais si tu es mineur tu vas devoir rentrer chez tes parents… je veux pas avoir de problèmes… tu comprends ?
— 20 ans.

Il la dévisagea l’air de lui demander si elle pensait vraiment qu’il était mineur avec sa dégaine, presque vexé.

— C’est pas un peu tard pour fuguer… ?

Elle parla un peu trop vite, et elle mit sa main devant sa bouche trop tard. Elle s’excusa maladroitement.
Elle lui arracha un pouffement puis un sourire.

— Si.

Soulagée qu’il ne lui en veuille pas pour son franc parler, elle continua son petit interrogatoire.

— Tu veux en parler ?

Il soupira.

— Mes parents voulaient décider de mon futur, de ce que je devais faire dans la vie. J’en ai eu marre… j’ai préféré partir.

Sa voix était lasse mais la nuit de sommeil lui avait fait du bien, au moins pour délier sa langue et il était moins froid, même s’il restait distant.

*

Les cheveux attachés grossièrement en chignon haut, des mèches retombaient de tous les côtés, mais son visage était dégagé et c’était le principal.
Avec son petit tablier noir dans lequel elle rangeait un stylo et un bloc notes pour les commandes, dans la poche juste devant.
Elle les sortit et s’arrêta devant une table avec des gens assis autour.

— Bien le bonsoir, qu’est-ce que je vous sers ce soir ?
— Bonsoir ma petite Alicia ! Comme d’habitude !

Trois hommes d’âge mûr étaient assis à la table ovale et discutaient joyeusement.

— Pareil.
Dirent les deux autres d’une seule voix.

Ils la saluèrent et retournèrent à leur conversation, faisant à peine attention à sa présence.
C’étaient des habitués et elle repartit sans demander son reste après avoir gratté la pointe du stylo sur le papier qu’elle arracha et posa sur le passe-plat, à destination du cuisinier.

La cloche au dessus de la porte d’entrée tinta.
Elle se retourna et se dirigea vers les nouveaux clients.
En les dirigeant vers une table libre, elle revint les voir aussitôt avec la carte du restaurant et leur demander s’ils souhaitaient un apéritif.
Elle contourna le comptoir pour aller chercher leur commande et quelques amuse-gueules offerts par la maison.

La barmaid et gérante la regardait faire tout en s’occupant de surveiller la salle et intervenir si besoin.
Alicia avait vite appris les bases du métier et elle travaillait bien, malgré quelques erreurs au début. Maintenant que cela faisait des années qu’elle était employée ici, elle avait pris ses marques et ses aises.
La clientèle habituée l’appréciait et avait vu ses progrès en tant que serveuse. Elle faisait partie du décor et il aurait été étrange qu’elle ne soit plus là tellement sa présence faisait également partie des murs.

Elle était majoritairement enjouée et lorsqu’elle pouvait se le permettre, elle discutait avec les clients dont elle connaissait le nom et leur petit train de vie.
Lorsqu’un client posait problème, elle avait encore un peu de mal à gérer ces situations. C’était alors la gérante ou le gérant aux cuisines qui s’en chargeaient, ils s’interposaient et imposaient leur décision s’il y avait besoin de faire quitter les lieux aux trouble-fêtes.

*

Elle leur parla du jeune homme qu’elle avait recueilli, sans leur dire qu’il était hébergé chez elle, elle leur demanda s’ils étaient interessés par un autre employé.
Ils s’étaient échangés des regards et avaient réfléchi sérieusement à cette idée. Leur restaurant commençait à avoir une clientèle régulière et parfois il arrivait qu’ils se retrouvent débordés. Ils étaient conscients qu’Alicia ne pouvait pas tenir la salle seule dans certains cas, mais ils n’avaient pas non plus le budget nécessaire pour embaucher quelqu’un à temps plein.
Ils finirent par accepter de le prendre à l’essai en attendant de voir si cela allait fonctionner.

Il accepta de travailler à mi-temps, pour commencer.
C’était mieux que rien et elle ne lui faisait pas payer de loyer alors qu’il squattait littéralement chez elle.

— Oh, t’en fais pas pour ça. Tu me paieras quand tu pourras et si tu as envie. Ça ne me coûte pas grand chose de t’héberger.
Avait-elle rétorqué alors qu’elle lui avait laissé son lit et qu’elle avait dormi par terre la première nuit.

— Non, mais ça va pas ?! Tu dors dans ton lit et je dormirai par terre.
— Hors de question, tu es mon invité !

Ils s’étaient disputés ainsi pour savoir comment gérer la problèmatique du coucher.
Ils avaient fini par faire un roulement pour que chacun leur tour dorme dans le lit et par terre.
Ce n’était pas aussi désagréable qu’il l’aurait cru de dormir au sol, surtout avec une couette assez épaisse, mais il avouait que le lit était plus confortable.
Ce n’était qu’un simple lit une place, c’est pour cela qu’il était impossible de le partager en y dormant à deux.
Il serait allé ailleurs s’il en avait eu la possibilité mais son salaire ne lui permettait pas de trouver un autre logement. Il n’avait pas d’autre choix que d’accepter son offre généreuse et attendre de mettre assez d’économies de côté pour pouvoir quitter ces lieux.

Il travailla dur. C’était la première fois qu’il travaillait mais il n’était pas complètement incompétent.
Il avait une certaine rigueur qu’il pouvait appliquer dans n’importe quel domaine et faire la plonge ou bien faire serveur était dans ses cordes.
Il gagna en maturité de faire pour la première fois ces tâches qui auraient pu être considerées comme ingrates.
Alicia l’aida à apprendre les ficelles du métier et en quelques jours, il en avait maitrisé les bases.
Les gérants étaient plutôt contents de ce nouvel employé bien dégourdi et pas très cher à payer.
Il pouvait même gérer les clients récalcitrants.

Ce soir là, il y avait du monde et une table était plus joyeuse que les autres. Des hommes d’âge moyen riaient à gorges déployées sans faire attention à ce qui les entourait.
Elle était alors allée les raisonner et tenter de les calmer, avec sa diplomatie légendaire, malheureusement ils étaient trop alcoolisés pour entendre raison et l’un deux l’attrapa par la taille et se mit à la tripoter.
Sephyl intervint plus que rapidement et s’interposa aussitôt alors qu’elle s’était crispée et n’avait d’autre choix que de se laisser faire sans faire de vagues.
Il la sépara du client et de son regard noir, le dévisagea et l’obligea à quitter les lieux s’il réiterait un comportement de ce genre.

Dans les vestiaires, hors de vue des clients.

— Euh… merci… d’être intervenu…

Elle ne savait pas comment le remercier et elle n’osait pas croiser son regard, et elle se frottait le bras avec sa main. Fixant un point sur le sol.

— Réagis, bon sang ! Ne reste pas plantée là, à te laisser faire !
Dit-il agacé par sa passivité.

Elle évita son regard et les larmes lui montèrent aux yeux mais elle se retint de pleurer.

Il remarqua à quel point elle était désemparée et il se calma, changeant son approche. Il se gratta la tête, gêné. Ce n’était pas sur elle qu’il devait passer ses nerfs.

— Laisse tomber… la prochaine fois, fais une scène au lieu de laisser ces porcs te toucher comme ça.
Dit-il simplement.

Il s’en alla, la laissant regagner composition.

La gérante avait assisté à la scène et avait été satisfaite de la réaction de Sephyl.

*

Elle n’osait pas trop parler de son passé. Elle ne voulait pas de la pitié des gens et elle préférait se concentrer sur le positif.
Il l’avait appris des gérants, au détour d’une conversation puis il avait fini par lui demander.

— Au fait, t’es orpheline… ?

Ils étaient dans l’appartement, autour de la table et il avait engagé la conversation. Elle ne s’y attendait pas.

— Euh oui… pourquoi cette question… ?

Il se sentait idiot. Il squattait chez elle et il ne s’était pas plus intéressé à elle et ses problèmes auparavant. Il ne pensait qu’à lui et à son propre confort personnel.

— Je… je suis désolé de te parler de mes parents ainsi alors que tu n’en as plus…

Elle sourit et le rassura d’un regard bienveillant, doux.

— Ne t’en fais pas pour ça. Ça fait des années qu’ils ne sont plus là et je n’ai jamais été très proches d’eux…

*

Ils avaient à peu près le même âge mais il se sentait si immature à côté d’elle. Elle était même un peu plus jeune que lui, de peu.
Il ne savait rien de la vie.
Elle lui avait appris tout ce qu’elle savait sans le juger, avec sa bonne humeur habituelle et elle ne l’avait jamais pressé à partir de chez elle.
Peut-être qu’elle recherchait finalement un peu de compagnie, peu importe qui, mais au moins, la sienne n’avait pas l’air de la gêner.
Il voulait faire quelque chose pour elle.
Après tout, elle lui avait tant donné, sans rien demander en retour. Parce que c’était dans sa nature.
Alors il fit le peu qu’il put : acheter quelques objets et améliorations pour l’appartement.
De son vécu il savait que l’endroit pouvait être plus confortable. Cela restait insalubre mais c’était plus agréable avec quelques détails et remplacement. Cela faisait une certaine différence.
Elle l’avait remercié, parce qu’elle n’y avait jamais songé, aussi.
Et sans s’en rendre compte, l’appartement était également devenu le sien, en partie. Il se sentait chez lui.

*

Il s’était habitué à ce quotidien, cette routine.
Ils ne s’entendaient pas spécialement et il l’avait peut-être jugée trop vite.
De son côté, elle ne l’avait jamais considéré plus qu’un ami. Elle savait qu’elle ne le méritait pas, au fond d’elle, elle n’avait pas d’ambition, elle était ce qu’elle était et elle vivotait et avait à peine de quoi se faire plaisir de temps en temps, avec son pauvre salaire.
Mais elle appréciait sa petite vie parce qu’il fallait continuer de vivre.
Elle n’était pas assez bien pour lui, c’était son constat depuis le début et cela n’avait pas bougé pour elle. Si elle pouvait l’aider, si son existence avait pu l’aider, lui. Cela lui suffisait. Elle était reconnaissante qu’il reste chez elle et qu’il lui tienne compagnie. C’était ce qui lui manquait, d’avoir quelqu’un auprès d’elle, avec qui échanger, même s’il était loin d’être bavard. Sa présence était mieux que rien pour lutter contre la solitude.
Lui non plus, s’était fait à l’idée qu’il n’était pas assez bien pour elle. Il n’avait plus rien, il repartait de zéro, il ne savait rien et elle avait dû tout lui apprendre.
Même à son travail, il avait pu appliquer rapidement et effectuer efficacement les tâches mais il se sentait encore redevable, il se sentait encore si insignifiant et dépendant d’ elle. De son logement.
Il y avait autre chose, il aurait pu partir mais il était inquiet de la laisser vivre seule. Elle était si candide, elle l’avait accueilli lui, un inconnu, à venir chez elle.
Que pourrait-il arriver si elle proposait à un autre inconnu mal intentionné. Il n’était pas serein.
Il était exaspéré par son comportement mais il était également protecteur envers elle.
Quoi qu’il en soit, il ne se sentait pas légitime d’être plus intime avec elle, il se disait qu’elle méritait mieux que lui.

Ils avaient fini leur service.
Ce jour là, il pleuvait des cordes et lorsqu’ils sortirent du restaurant, ils s’arrêtèrent sur les marches devant la porte et elle observa les trompes d’eau s’abattrent sur le paysage devant eux.
Elle sourit.

— Ça me rappelle la première fois qu’on s’est vu. Il pleuvait comme aujourd’hui…

Elle avait les yeux perdus dans cette pluie.

— Ça fait presque un an… déjà… j’ai l’impression que c’était hier…
Ajouta t-il songeur.

Il lui jeta un regard.

— Ah. J’ai un parapluie mais… je pense qu’on va tout de même finir trempés jusqu’aux os…

Ils partagèrent le même parapluie, serrés en dessous.

Arrivés à l’appartement, leurs vêtements étaient à tordre. Même avec le parapluie, le vent et la pluie torentielle avaient eu raison d’eux.

*

— Est-ce que ça te dérange de partager le même lit… ?
Il avait osé poser cette question, sans arrières pensées, juste parce que c’était plus pratique.

— Je me disais… enfin, je pensais à acheter un lit plus grand pour remplacer le tien… juste que ça serait peut-être plus simple qu’on puisse tous les deux dormir sur un vrai matelas, et ne pas faire ce roulement de dormir à tour de rôle par terre…

Elle réfléchissait sérieusement. Ce n’était pas bête, mais elle ne pensait pas que cette proposition viendrait de lui.

— Ah, tu ne vas pas acheter ça tout seul, quand même… ça doit être hors de prix… si on compte le sommier et le matelas…

— Là n’est pas la question. J’ai mis assez de côté pour, quitte à acheter un lit, je ne vais pas en prendre un autre de la même taille, surtout qu’on n’aurait pas la place pour le mettre ailleurs… enfin, je comprendrai que tu refuses qu’on dorme ensemble.

— Ah, ça ne me dérange pas qu’on partage le même lit.
Répondit-elle de manière directe, sans aucune gêne ni réaction particulière.

C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent à dormir dans le même lit, avec chacun leur couverture et cela se passait très bien. Ils étaient trop fatigués pour être gênés, ils s’endormaient comme des masses et le lendemain, il arrivaient qu’ils se réveillent l’un en face de l’autre, avec seulement quelques centimètres séparant leur visage.

— Pourquoi tu es si gentille avec moi ?
— …Je ne trouve pas, spécialement…
— Tu me laisses vivre avec toi sans me presser à partir…
— Je ne vais pas te jeter dehors quand même.
— … Tu n’en as pas marre de m’avoir dans les parages… ?
— Ça va… tu n’es pas trop désagréable comme compagnie…
— Et si je restais plus longtemps que prévu… ?

Il avait posé cette question en souhaitant sonder sa réaction.

— Pas de problème.
— Et pour toujours… ?
— D’accord.

*

Il l’avait alors serrée dans ses bras.
Ils s’étaient donnés une raison de vivre, mutuellement.
L’appartement était devenu leur petit nid, il était modeste mais c’était leur petit nid à eux, leur havre de paix et de bonheur.
Puis ils décidèrent de fonder une famille.
Ils se sentaient capables de créer cela ensemble, ils s’étaient convaincus que cela serait possible. Il avait prévu de trouver un autre travail pour pouvoir avoir un salaire plus conséquent et par la suite déménager.
Déménager pour un plus grand appartement et accueillir un enfant. C’était leur souhait.
Dans ses bras et dans ses yeux, elle se sentait capable de réaliser cela, elle y croyait.

Il ne pensait pas qu’il se ferait rattraper par son passé. Son rêve se craquela lorsqu’on vint frapper à leur porte.
C’était un employé de ses parents, et pas n’importe lequel. Un conseiller proche et il avait réussit à trouver où il était.

— Bonsoir… je suis désolé de vous déranger mais je dois vous parler d’un sujet extrêmement important…

Il l’avait fait entrer, mais la femme avec qui il partageait maintenant sa vie était à ses côtés, et elle était enceinte.
Ils étaient encore dans leur vieil appartement.
La personne regarda de manière insistante Sephyl avant de s’exprimer.

— Je n’ai rien à lui cacher, parlez.

Il dut s’asseoir lorsqu’il apprit pour le décès de ses parents. Ce n’était pas une mort naturelle. Ils avaient été assassinés et il y a avait actuellement une lutte pour récupérer le pouvoir du domaine.
Ce conseiller fidèle avait pu s’échapper de manière discrète pour prévenir le jeune maître sans éveiller les soupçons mais le temps était compté.

— Vos parents auraient préféré que je vous laisse dans l’ignorance… mais il m’est difficile de ne rien dire quand je vois le gâchis que cela va être si tout ce qu’ils ont bâti finissent entre de mauvaises mains… c’est une requête égoïste que je vous fais présentement… pensez-vous pouvoir reprendre le pouvoir et les venger… ?

Il tremblait d’émotion mais il ne s’arrêta pas pour autant.

— Je sais que c’est beaucoup demander, mais le temps presse… je dois repartir avant qu’on ne me trace et qu’on découvre votre localisation. Même si vous avez quitté les lieux, il est possible qu’on en ait après votre vie à cause de votre lignée…

Il hésitait et il était envahi de nombreuses émotions.
La colère, la tristesse d’avoir perdu ses parents sans avoir pu se réconcilier avec eux. Puis la vengence.
La responsabilité de tout ce qu’ils avaient construits, et qu’il se devait de protéger.
Il avait autre chose à protéger : sa femme et ses futurs enfants, mais dans cette situation ils étaient également en danger.
Elle posa alors une main sur son épaule.

— Vas-y. C’est important pour toi. Je t’attendrai.
Avait-elle dit, de sa voix rassurante et son regard plein de confiance et d’amour envers l’homme qui partageait sa vie.

Il avait alors attrapé ses doigts et les avait resserrés dans sa main, d’un regard triste, il ne savait pas quoi dire.

— Attends-moi, je reviendrai, je ne sais pas quand mais je reviendrai. Je te le promets. Et je te raconterai tout.

Il l’embrassa et s’en alla avec l’autre personne.

C’était dur de la laisser seule. Elle portait en elle la vie et il ne savait pas s’il reviendrait en vie. Cela faisait bien trop longtemps qu’il n’avait pas pratiqué et il avait certainement perdu en dextérité de combat, même s’il avait de bons restes génétiques.
Le conseiller lui fit un rapide résume détaillé de la situation sur le trajet.
Il était heureux d’avoir réussi à le convaincre.
Il eut quelques mots sur ses parents.

— Ils étaient fiers et contents pour vous… pour votre vie que vous meniez… pour votre bonheur… vraiment. Je sais qu’ils m’en voudront de vous avoir trouvé. Ils ne souhaitaient plus vous imposer leurs choix… mais…

— Je sais. J’ai mûri aussi, grâce à… Alicia… c’est mon rôle de sauver ce que mes parents ont laissé… je dois prendre cette responsabilté… je vais déloger ceux qui ont fait ça, vite fait bien fait. Comment cela a pu arriver… mes parents… je pensais qu’ils étaient appréciés… aimés…

— Ils l’étaient. Je vous l’assure…

*

Ils avaient été séparés, ou plutot piégés.
Elle, s’était retrouvée seule dans son bureau à étudier des dossiers qu’elle trouvait étranges. Certains détails ne coïncidaient pas. Elle lui en avait parlé mais il l’avait rassurée en disant que ça devait être une erreur de rapport. Malgré ses mots, elle n’était pas rassurée, elle avait un mauvais pressentiment.
Lorsqu’elle put mettre le doigt sur ce qui clochait, il était trop tard.
Quelqu’un frappa à la porte et entra sans même attendre qu’on lui dise d’entrer.
Elle sut tout de suite que ça n’allait pas.
La personne ferma la porte derrière elle et s’approcha prudemment d’elle, qui était derrière son bureau.
Même si elle était moins redoutable seule, elle le restait même à son âge.

— Les temps changent… et le vôtre est fini…

Ils livrèrent bataille dans le bureau qui fut mis sens dessus dessous.
Il n’y avait pas eu de temps pour la parlotte.
Le corps de l’espion gisait au sol dans une position anormale, et elle, essayait de tenir debout, le souffle court, elle s’appuyait sur ce qu’elle pouvait.
Il fallait faire vite, elle ne pouvait pas rester là à attendre qu’une autre vague d’ennemis viennent la cueillir. Elle était inquiète pour son époux.
Elle jeta un regard à la porte et se tourna vers la baie vitrée.
Les deux étaient probablement gardés mais elle devait choisir. Et son choix se porta sur la fenêtre. Elle regarda prudemment à l’extérieur avant d’ouvrir et s’aventurer dehors.
Elle avait réussi à reprendre son souffle et elle se dépêcha pour ne pas rester au même endroit trop longtemps.
Elle ne rencontra personne et fit le maximum pour ne pas être vue.
Où était son mari ?

Il était allé dans les sous-sols du château pour un contrôle. Quelqu’un lui avait signalé une présence de nuisibles, et il n’avait pas fait plus attention à cette information. Cela arrivait qu’il y ait des rats, des petits animaux ou gros insectes, rien de très dangereux tant que la population restait stable.
Rien d’anormal mais il sentit la présence de quelqu’un, et ceci éveilla ses soupcons.
Sa femme avait peut-être raison. Il resta sur ses gardes et interrogea cet intrus avant de tenter quoi que ce soit.
Cela pouvait être quelqu’un qui s’était égaré, même si cela aurait été plus qu’étonnant.
Aucune réponse.
Il posa sa main sur son arme, prêt à dégainer.
Il faisait sombre mais il s’était rapidement habitué au lieu et sa vision était suffisante pour deviner les contours de la silhouette qui sortit de sa cachette.

— Je te reconnais…
Avait-il dit.

Sa femme avait eu raison. Il se sentait idiot de n’avoir pas donné de l’intérêt à son pressentiment mais il était trop tard maintenant pour regretter.
Tout ce qu’il espérait c’est qu’elle aille bien, mais dans l’instant présent c’était à lui de faire attention à son adversaire.

— Quel honneur que vous vous souveniez de moi, monsieur…
L’amusement était perceptible dans sa voix.

Il approchait doucement, comme pour faire durer ce plaisir, cet instant avant que leurs armes soient dégainées.

— Que veux-tu ?

Il recula de quelques pas, se positionnant et essayant de sonder les alentours. Ils étaient seuls, ce qui le surprit.

— Pas grand chose… juste votre mort ? Votre domaine sera entre de bonnes mains…
— Laisse-moi en douter. Je ne meurs pas si facilement, même seul.
— Nous sommes au courant de vos capacités… votre duo est renommé mais sans votre partenaire… vous n’êtes pas aussi redoutable que vous pouvez le croire.
— C’est ce qu’on va voir.

Les tintements des lames qui s’entrecroisent résonnaient entre les murs mais personne n’aurait pu en être témoin ni alerté par ces bruits. Ils étaient à l’écart et ce lieu avait été choisit pour cela.

Elle avait pu retourner à l’intérieur du château mais elle ne savait plus à qui elle pouvait faire confiance parmi ses employés. Elle était encore dans le flou.
Elle se cacha et chercha une seule personne, autre que son époux. Elle essayait d’écouter les conversations pour deviner où il pouvait bien être.
Leur conseiller, majordome et ami. Il fallait qu’elle réussisse à le trouver pour le prévenir de la situation. Et vite. Il était formé pour se battre mais elle craignait qu’il n’ait été éliminé.
Elle entendit un bruit qui l’interpela. Il aurait été imperceptible et anodin pour les autres mais dans cette situation, elle savait qu’elle devait se rendre à la source de ce son.
Sa chambre.
Lorsqu’elle ouvrit, le corps d’un employé était à terre, et celui de son ami se tenait accroupi à ses côtés, vérifiant que l’intrus ne se réveillerait pas.
Elle lâcha un soupir de soulagement.

— Madame… je suis profondément confus…
— Je suis au courant de la situation. J’ai été également attaquée, je dois à tout prix savoir où est mon mari.
— Je l’ai vu se diriger vers les sous-sols. Il m’a dit que ce n’était qu’un contrôle de routine… mais…
— Merci. J’y vais de ce pas. Ce sera le chaos bientôt ici. Je ne vais pas te dire que je te confie le reste… cela serait beaucoup trop de poids sur tes épaules et égoïste de ma part. Si jamais nous ne nous revoyons pas. Pars. Enfuis-toi. Merci pour ces années de bons et loyaux services. Ne cherche pas à nous venger… je pense qu’effectivement, notre ère se termine ici…

Elle ravala une larme et se dirigea vers la porte, prête à l’ouvrir et s’en aller.

— Madame… et votre fils… ?
— Non… qu’il reste en dehors de tout ça. Rien que de savoir qu’il vit heureux quelque part, me suffit amplement.
— Madame… prenez soin de vous. Cela a été un honneur de vous servir avec Monsieur durant ces années. Permettez-moi de ne pas obéir à vos derniers ordres…
— Ça m’aurait étonnée de ta part. Sache que nous ne t’en voudrons pas de sauver ta peau. Tu mérites de continuer à vivre.

Et elle s’en alla, ouvrant la porte et courant vers les sous-sols. Elle avait déjà perdu trop de temps mais cette conversation était nécessaire.
Elle sourit malgré elle, en pensant qu’elle avait été cruelle de le laisser à ce choix, mais elle ne voulait pas l’entraîner dans leur chute. Il n’était pas obligé de prendre part à ce conflit.

Il y avait des employés suspicieux qui surveillaient l’entree des caveaux et elle les assoma avant de descendre.

Il était en train de reprendre son souffle adossé à un mur. N’osant pas sortir parce qu’il savait que d’autres adversaires risquaient de l’y attendre.
Il n’avait pas été blessé mais la bataille n’avait pas été simple à gagner. Qui qu’ils soient, ils avaient choisi des combattants à la hauteur, il leur reconnaissait ça.
Ses pensées fusaient. Et si tous les employés étaient dans le coup ? Non, ce n’était pas possible.
Comment faire pour savoir et surtout, est-ce que sa femme allait bien ? Avait-elle été attaquée également ?

Elle lui sauta dans les bras.

— Tu n’as rien ?
— Non, et toi ?

Ils se jaugèrent et soupirèrent de soulagement.

— Il est trop tôt pour se réjouir.
— Je sais.
— Que faire ?
— J’ai pu croiser notre cher majordome et je l’ai démis de ses fonctions.
— Ok, c’est une bonne chose.
— Je viens d’assomer quelques employés qui t’attendaient dehors. L’alerte doit être lancée depuis, nous devons évacuer ceux qui ne sont pas concernés…
— C’est ce qu’ils attentent de nous. Qu’on se mette à découvert en protégeant les civils.
— Je sais… mais nous ne pouvons pas les impliquer. Tout le château va devenir un champs de bataille.
— J’en suis conscient.

Il soupira.

— Trahison ! Fuyez !
— Rentrez chez vous !

Ils entendirent les cris. L’alerte avait été lancée et ils esquissèrent un sourire. C’était leur ami qui était derrière cet avertissement. Cela les aiderait à gagner du temps et se concentrer sur autre chose.
Les bruits de pas saccadés sur le sol, les gens courraient dans tous les sens et bientôt, le domaine se vida peu à peu, laissant que ceux derrière ce coup monté.

Ils étaient agacés. Leur plan de chantage civil tombait à l’eau mais ce n’était que partie remise.
Le domaine leur appartenait maintenant, techniquement seulement.
Ils savaient qu’ils devaient voir les corps sans vie du vieux couple avant de le déclarer officiellement.
Ils sentaient encore leur présence mais ils ne savaient pas où ils étaient exactement.

— Sortez de votre cachette… vous ne faites que reculer l’inévitable. Votre domaine ne vous appartient plus.

Elle était au milieu du hall et sa voix portait grâce à l’architecture de la salle.
À ses côtés, ses fidèles et espions qui étaient encore dans leur uniforme du château.

Ils avaient eu le temps d’aller revêtir leur tenue de combat. Ils savaient qu’ils livraient certainement leur dernière bataille.

Ils arrivèrent dans le hall, côte à côte, ils étaient prêts à se battre.
L’ennemie sourit et donna le feu vert à ses sbires pour les attaquer.
Ils étaient nombreux et tous forts à leur manière, mais surtout jeunes.
Le couple se défendit du mieux qu’ils purent mais l’endurance leur faisait défaut.
Quand ils repoussèrent les premières vagues d’ennemis, ils étaient en sueurs et, même s’ils n’étaient pas blessés, leurs vêtements étaient abîmés par dessus leur tenue spéciale. Et ils étaient décoiffés.
Elle, avec ses cheveux courts noirs, et lisses. Lui de ses longs cheveux châtins foncés attachés en queue de cheval. Avec quelques cheveux grisonnants pour les deux.

Ils reprenaient leur respiration tout en maintenant leur position de défense. Leur regard était rivé sur l’ennemie qui avait l’air contrarié qu’ils tiennent encore debout. Elle fit un autre geste et une seconde vague d’ennemis arrivèrent sur eux.
Elle se tenait encore en retrait, attendant patiemment que le couple soit assez affaibli pour qu’elle puisse tenter de les achever.
Elle savait qu’elle n’avait pas grandes chances de les battre s’ils étaient encore en duo.
La durée de leurs efforts finit par leur causer du tort et l’erreur survint.
À force de les observer, l’ennemi put également déterminer quelques points faibles et l’homme reçut un coup au visage. Sa partenaire vit le coup venir venir et elle lança un coup de pied en direction de son adversaire qui partit valser au loin, avant de percuter le sol.
Elle écarta les autres ennemis et s’enquit de son état qui était simplement sonné mais le coup qui lui avait été porté lui avait ouvert l’arcade sourcilière et il était en train de saigner.
Queques minutes fut nécessaire avant qu’il ne reprenne ses esprits.

— Ça va… ?!
Dit-elle paniquée de le voir tant saigner.

Elle n’osa pas toucher sa plaie mais se sentie rassurée qu’elle n’était que superficielle. Le sang était toujours impressionnant à cet endroit.

— … Oui, oui… laisse-moi quelques secondes…
Il la rassura mais il ne faisait pas le fier.

Elle devait rester sur ses gardes et continua à les défendre tous les deux.

Lorsqu’il tomba, écorché à force de se battre, elle retint sa respiration. Elle se précipita sur lui lorsqu’elle put se débarrasser des derniers adversaires et elle le prit dans ses bras. Il était trop tard.
Son adversaire lui avait porté un coup d’épée en plein dans ses organes vitaux et il ne bougeait plus.
Elle pleurait mais elle savait que c’était la fin.
Elle le prit dans ses bras comme elle put et l’ennemie s’avança vers elle avec un large sourire satisfait. Une arme blanche à la main, elle s’approchait et la pointa sur sa poitrine.
Elle attendit qu’elle s’approche pour faire exploser la boule de magie qu’elle préparait. Ils furent tous pris dans l’explosion et finirent au sol.
L’ennemie put se relever avec difficulté mais pour ce qui était du couple, ils étaient dans les bras l’un de l’autre, ils ne bougeaient plus.

Elle se dépoussiera et se releva et regarda autour d’elle. L’impact était visible et elle avait été projetée à une dizaine de mètres mais le combat était fini.

Quelqu’un vint lui signaler que l’héritier légitime était de retour.

— Parfait, je n’aurai même pas à aller le chercher.
Se rejouit-elle.

*

Les souvenirs lui revinrent de son foyer et il eut un énorme pincement au coeur de retrouver le château de ses parents dans cet état.
Il ne pouvait pas pénétrer dans les lieux sans être un minimum préparé et le majordome lui fit un rapide brief de la situation.
En arrivant aux abords, des employés avaient reconnu le conseiller et l’abordèrent pour lui demander ce qu’ils pouvaient faire pour aider à reprendre les lieux.
Ils entendirent et ressentirent l’explosion, ce qui les fit tous sursauter et se retourner vers la source du bruit.
Les fidèles se greffèrent au petit groupe pour tenter de reprendre les lieux.

Le majordome expliqua rapidement la situation et qui était le jeune homme à ses côtés.

Il vit deux corps au sol, dans les bras l’un de l’autre, et il aurait préféré ne pas y reconnaître ses parents.
L’ennemie n’avait pratiquement plus de soldats à ses côtés et elle était elle-même bien blessée par l’explosion et les combats auxquels elle avait participé avant.
Ses pouvoirs étaient là depuis toujours mais juste endormis depuis tout ce temps.
Il ressentait d’étranges sentiments en lui mais il se concentra pour battre son adversaire.
Les employés étaient derrière lui pour le soutenir si besoin et intercepter les autres espions restants.
Le majordome alla voir l’état des corps de ses maîtres.
Seule sa maitresse était encore en vie mais plus pour très longtemps.
Il ne la toucha pas pour ne pas agraver son état et s’approcha juste assez pour entendre ce qu’elle disait.

— Tu es encore là… ?
Réussit-elle à prononcer, avec difficulté.

Elle était allongée, les paupières presque fermées. L’étincelle de vie encore présente dans ses yeux était en train de s’éteindre, son regard était presque vitreux.
Elle reconnut tout de même la silhouette de son ami.
Elle était immobile, seules ses lèvres bougeaient de manière imperceptible, et un son glutural sortait de sa bouche.

— Oui… nous allons reprendre les lieux.

Il choisit ses mots avec précaution pour aller au plus simple, de peur qu’elle n’entende pas la suite si elle venait à quitter ce monde, d’un moment à un autre.
Le maître ne bougeait plus, son coeur ne battait plus et il n’y avait plus aucun souffle de vie en lui, mais elle lui serrait tout de même la main.

— Sephyl… il…
— Oui… il est là…

Il n’osait pas lui demander de le pardonner, il savait ce qu’elle pensait de son fait.
Un sourire apparut sur son visage sale mais pâle.

Il eut de la chance que son adversaire fut aussi affaiblie et qu’il ait des renforts pour assurer ses arrières.
Il put la vaincre et reprendre ce qui lui était de droit.
Dès qu’il sut que la voie était dégagée et qu’il ne craignait plus rien. Il se précipita auprès de ses parents, de ce qu’il en restait.
Le majordome était immobile, près de sa mère qui semblait faire un doux rêve, si on faisait fi de son état physique.
Il comprit qu’il était trop tard.
Son père était déjà parti et sa mère venait de le rejoindre.

— Elle… il… ils seraient fier de vous.
Prononça le majordome, l’émotion dans sa voix, il se retenait de pleurer mais la tristesse était plus forte.

Il avait la main de sa maîtresse dans la sienne et il le lui embrassa une dernière fois avant de la reposer sur sa poitrine.
Il prit la main de son maître et y apposa son front avant de faire la même chose, réunissant ses deux mains sur son torse.
Sephyl n’arrivait pas à réaliser la mort de ses parents.
Il espérait qu’ils se réveillent, qu’ils le réprimandent sur sa longue absence. Qu’ils le regardent durement comme ils avaient l’habitude de faire.
Il avait imaginé de nombreuses fois la scène de leurs retrouvailles et de ses excuses. Du savon qu’il recevrait et du pardon de ses parents.
De la présentation de sa chère et tendre. Il était certain qu’elle aurait été appréciée.
Il s’agenouilla devant eux, la pression, l’adrénaline, la rage de vaincre, tout retombait et il se laissa tomber à moitié, les mains devant lui, soutenant son poids.
Les larmes de sortaient pas. Il était dans le déni.
Cela ne pouvait pas se passer comme ça.

« Réveillez-vous ! »
Avait-il envie de crier, mais aucun son ne sortait de sa gorge.
Tout ce qu il arriva à prononcer fut.

« Pardon. »

Pardon de ne pas avoir été là, de ne pas avoir pu être là plus tôt, d’avoir été un fils si égoïste, pensant à son propre bonheur, n’ayant compris l’ampleur de ses responsabilités que trop tard. Beaucoup trop tard.

Les fidèles employés s’étaient approchés tout en laissant un cercle autour de leurs maîtres. Ils faisaient leur deuil silencieusement et certains pleuraient dans les bras de leurs collègues pour chercher du réconfort.
Le majordome se reprit, c’était son côté professionnel et il prit en main les évènements à suivre.
Il dirigea les employés qui restaient à vérifier l’état des lieux, réunir ceux qui voulaient continuer avec eux, avec l’héritier.
Il fallait s’occuper des autres corps, et tous les préparatifs pour les funérailles de leurs anciens maîtres.
Sephyl exécuta comme il put les conseils du conseiller.
Il prenait ses nouvelles responsabilités à coeur. Il n’y avait personne pour prendre sa place, il n’avait pas le choix.

Certains employés n’étaient pas confiants et connaissaient le passé de Sephyl et les circonstances de son départ. Il ne leur en voulut pas de déposer leur tablier.

— Je sais que j’ai été puéril et égoïste, mais je ne suis plus le même qu’avant. Je ferai de mon mieux pour reprendre en main ce que mes parents m’ont légué.

Il s’était exprimé pour faire taire le brouhaha de la foule qui désaprouvait son retour.

— Je ne force personne à me suivre. Je suis encore jeune et je manque d’experience mais je ferai tout en mon pouvoir pour mériter ce dont j’ai hérité.

Il avait tout mis en oeuvre pour mériter l’acceptation de ses sujets.
Sa femme et ses enfants durent passer en second plan.
Il avait appris les ficelles de la gestion très rapidement et il était efficace. Malgré quelques maladresses ou erreurs, le majordome l’aida énormement et le forma à tout cela.

— Quel est votre nom… ?
Avait-il demandé, timidement.

Il avait oublié depuis le temps et il n’avait pas eu le temps de se présenter correctement avec tout ce qui venait de se passer.

— Francis.

*

Elle attendit patiemment.
Des semaines, des mois.
Il était revenu mais il ne pouvait pas rester et il lui avait tout raconté.
Elle l’avait plutôt bien pris. Elle lui faisait confiance, elle croyait à son histoire, même si elle ne put s’empêcher de rire nerveusement.
C’était ridicule, si jamais il avait voulu la quitter, il n’aurait pas inventé des faits aussi absurdes.
Il fut présent à son accouchement et pendant quelques jours, et il repartit.
Elle savait qu’il faisait de son mieux pour passer du temps avec elle et endosser ses nouvelles responsabilités, mais c’était douloureux.
Il lui manquait trop. Elle avait besoin de sa présence.
Il lui avait assuré qu’elle n’aurait pas besoin de travailler pendant un moment, qu’il s’en chargeait, qu’il pouvait au moins s’occuper de la décharger de ce poids au vue de la situation.
Elle s’était énervée.

— Je m’occupe de ça, tu n’auras plus à t’inquiéter de ce point.

Ses parents lui avaient crée un compte bancaire et il avait été généreusement approvisionné. Il l’avait découvert sur leur testament et il ne savait pas quoi dire ni comment réagir, mais une chose était sure, il allait l’utiliser pour sa petite famille.
Elle était enceinte de bientôt 7 mois et son ventre était bien rond.

— C’est pas le problème… je…
— J’ai déjà réglé la paperasse pour que tu puisses déménager dans un autre appartement. Tu verras, c’est tout autre chose.
— C’est pas ça…
— Des déménageurs passeront pour que tu n’aies à t’occuper de rien.
— À quoi bon si tu n’es pas là ?!

Elle avait fondu en larmes.

— Ce n’est pas ce que je te demande… je n’ai pas besoin de tout ça… la seule chose dont j’ai besoin, c’est toi… !

— Pardon…

Il avait tenté de la consoler comme il put mais sans succès puis elle avait serré ses poings pour bourriner sa poitrine.
Il l’avait laissée faire et l’avait enlacée.
Il n’avait pas d’excuse. Il était sincèrement désolé.
Elle finit par se calmer et elle s’excusa également.

— Pardonne moi… je sais que c’est difficile pour toi… je sais que tu fais de ton mieux… moi aussi je vais faire de du mieux que je peux… pour élever nos enfants…

Elle essuyait ses larmes et essayait de se reprendre pour le rassurer.

— Je veux que tu saches que j’aurai toujours un oeil sur vous. Je suis désolé… j’aurais tellement souhaité rester à tes côtés…

— Je sais…

— Je te ferai un virement tous les mois pour payer les factures et les courses. Si besoin, n’hésite pas à me le dire, je pourrais toujours faire un virement supplémentaire.

Ce n’était pas qu’il n’avait pas confiance mais ils n’étaient pas mariés et la banque n’autorisait pas certaines choses. Il avait choisi la méthode la plus simple.
Plus le temps passa et moins il ne put retourner la voir.
Lorsqu’elle accoucha, il prit tout de même le temps d’aller déclarer la naissance de leurs enfants et de les reconnaître en tant que père.
Des jumeaux : Alexandre et Alexandra.

Puis les années passèrent.
Il avait préféré ne pas se présenter aux enfants parce qu’il était trop absent et ils grandirent sans connaître l’idendité de leur père.

2020.10.12