— Je suis appelée ailleurs pour une urgence, tu vas devoir te débrouiller sans moi aujourd’hui…
Chloé avait l’air inquiète mais elle n’avait pas le choix.
Elle dut laisser sa protégée un moment.
Flora l’avait rassurée. Cela faisait quelques jours déjà qu’elle arpentait les couloirs sans se perdre, ou du moins elle savait retrouver le chemin de sa chambre.
Elle s’était habituée un peu à l’étiquette et elle était plus à l’aise qu’à son arrivée.
La vie ici était déroutante mais elle avait la chance de s’adapter rapidement.
Chloé lui avait servi de guide, tout en lui expliquant les bases, et aujourd’hui, cela lui permettrait de souffler un peu, de visiter sans but particulier.
Elle se baladait alors, observant les détails nouveaux du château qu’elle n’avait pas déjà vu.
C’était un bel endroit et l’activité incessante dans les coulisses la surprenait.
Son regard reconnut une silhouette familière et Frekio apparut devant elle, souriant comme à son habitude.
— Hé, salut toi ! Flora, si je ne me trompe pas ?
— B-bonjour.
Elle s’inclina comme une véritable servante et son interlocuteur rit à gorge déployée.
— Oh, t’es pas obligée de te comporter comme ça avec moi. Je ne suis pas très fan des courbettes… Mais je vois que tu t’es vite habituée à notre petit monde. Ca me rappelle presque Chloé lorsqu’elle est arrivée ici.
Voyant la curiosité se dessiner sur son visage il continua.
— En parlant de la louve, elle n’est pas avec toi aujourd’hui ?
— Non… elle est occupée ailleurs…
— Quel dommage… hm… ça nous donne l’occasion de passer du temps sans qu’elle me réprimande.
Sourit-il à pleines dents.
Flora rougit légèrement.
Il y avait quelque chose chez lui qui lui plaisait et elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il était chaleureux.
Elle était trop timide et intimidée pour parler, il continua la conversation.
— Si tu veux, je peux te faire la visite, s’il te reste encore des endroits à découvrir ? J’imagine que Chloé a dû te montrer les lieux les plus importants… au pire on va se balader. Tu es libre ?
— O-oui.
*
— Tu avais l’air intéressée par le passe de Chloé. Elle t’en a parlé ?
Elle fit non de la tête.
— Ah, je lui laisse le soin de te raconter certains détails mais je peux te dire que cet uniforme te va mieux quand même.
Elle rougit de nouveau, à croire qu’il faisait exprès de la taquiner.
— Oh, je ne dis pas ça pour te flatter, mais tu sais, quand elle est arrivée ici, elle avait la peau sur les os. Tu vois comme elle est aujourd’hui ? Imagine encore plus maigre… elle flottait dans cette robe. On pouvait se demander comment elle arrivait à tenir debout. C’était assez poignant comme vision… surtout que j’ai vu l’état de son corps quand je l’ai accompagnée à la salle d’eau. Elle avait peur d’y aller seule parce qu’elle connaissait pas les lieux. Rien que d’y penser, Chloé qui a peur, ça me fait doucement sourire quand on la voit aujourd’hui.
— Vous… vous êtes proches, non… ?
Osa t-elle demander. L’information qu’il l’ait vue nue l’ébranla plus que prévu et elle posa cette question qui sous entendait autre chose.
— Oh, on est juste de bons amis, même si parfois je me demande si elle n’est pas plutôt mon ennemie…
— Ah, d’accord…
Répondit-elle avec une pointe de soulagement. Pourquoi était-elle si soulagée ?
Il remarqua ses réactions. Elle était beaucoup plus expressive et… montrait plus ses faiblesses que sa protectrice, et cela l’amusa.
— Si ça peut te rassurer, je n’ai pas eu de relation plus intime avec Chloé… par contre elle en a eu avec au moins une autre personne… que tu as dû rencontrer à ton arrivée…
Dit-il, joueur. L’incitant à deviner qui cela pouvait être.
— Le comte… ?
Supposa t-elle, vu qu’il la regardait et s’adressait à elle vraiment d’une manière particulière, plus subtile, mais elle n’en était pas sure. Avaient-ils le droit d’avoir une relation ? C’était son maître quand même.
— Ah, sa relation avec le comte est… spéciale. C’est son maître, elle te l’a dit, non ? Du coup, disons que ça ne compte pas vraiment. Ils sont liés d’une manière très forte mais je pensais à une autre personne. Le majordome.
— B-bréto ?! Mais… vous êtes sûr… ?
Cette révélation la choquait.
— Haha ! Alors, déjà, tuttoie-moi, et oui. Mon flair ne me trompe jamais et même s’ils ont été très discrets à l’époque, il y a encore des rumeurs qui courent de nos jours. Si tu tends l’oreille, tu pourras p’tre entendre quelques commérages. C’est un peu le couple chouchou des employés.
— Mais… il est si… froid ?
— N’est-ce pas ! Il cache bien son jeu. Ils font un duo vraiment atypique. Rien que de l’imaginer mielleux et dans les bras de Chloé… c’est vraiment trop bizarre !
Elle pouffa de rire. Pour une fois, elle était moins tendue et Frekio se mit à apprécier son expression.
Ses petites tâches de rousseur et ses cheveux roux bouclés, elle avait son petit charme qui ne le laissa pas indifférent.
Frekio était intarissable. Il était bavard et Flora buvait ses paroles.
Puis il reprit un instant son sérieux.
— Je vois à quel point Chloé est heureuse depuis qu’elle est rentrée avec toi. Je sais pas si tu te rends compte à quel point ta présence est importante… comment te dire… je ne connais pas bien le processus de votre race, mais les nouveaux nés comme toi sont rares, ça c’est certain… et j’ai vu Chloé rentrer la mort dans l’âme de nombreuses fois… elle a beaucoup échoué, elle te le racontera peut-être si tu lui demandes mais je vais te raconter de mon point de vue. Je pense qu’elle a voulu sauver des humains comme elle a été sauvée par le maître, malheureusement ce n’est pas aussi simple que de le souhaiter. Je ne pense pas qu’elle te forcera à rester à ses côtés. La connaissant, elle doit juste être heureuse d’avoir pu te sauver, même si d’après le comte, la vie éternelle n’est pas un cadeau. Tu devrais être libre de faire ce que tu veux dès qu’elle aura fini de t’enseigner ce que tu dois savoir.
— Je… je ne sais pas ce que je dois faire… Je… crois que je me sens bien à ses côtés. Je lui dois énormément et elle prend encore soin de moi… j’ai grandi sans mes parents et… elle m’apporte vraiment beaucoup, je crois. Pour l’instant… si elle est d’accord… je pense que je vais rester avec elle… au moins pour pouvoir un jour lui rendre la monnaie de sa pièce…
— Si tu penses qu’elle t’a sauvé, et que ce n’est pas une malédiction, c’est déjà un grand soulagement que tu lui fais.
— Elle… elle m’a donnée une seconde chance… même si je ne peux pas retourner à ma vie d’avant… je découvre encore énormément de choses, et j’ai envie de continuer à vivre…
— C’est un bon début. Si tu restes à ses côtés, veille bien sur elle pour moi, d’accord ? Elle porte souvent trop de choses sur ses épaules et elle ne se confie jamais, j’ai l’impression… je sais qu’elle ne veut inquiéter personne mais je ne suis pas dupe.
— D’accord… je ferai de mon mieux !
— Merci !
Leur chemin finirent par croiser celui de Bréto.
— Ah, bonjour Bréto…
Le sourire de Frekio avait disparu.
Flora s’inclina en face du majordome qui les jaugeait du regard.
— Frekio, Flora.
Il s’inclina également.
— F-Flora a du mal à croire que Chloé et toi étiez amants… !
Lanca t-il pour faire diversion et il poussa Flora devant lui avant de s’éclipser en lui jetant un clin d’oeil.
Elle était plus qu’embarrassée et n’osa pas prononcer un mot ni relever la tête
Il était imposant et impressionnant à sa manière.
Il soupira et s’avança vers elle.
— Relevez la tête, mademoiselle Flora. Je vois bien que Frekio s’est joué de vous…
Elle s’excusa tout de même et elle crut lire un sourire sur son visage.
— Excusez-moi. Vous voir avec cet uniforme me rappelle beaucoup Chloé, mais vous êtes très différente. On peut lire en vous comme dans un livre ouvert.
— Je…
— Ce n’est pas un reproche. Ma remarque était peut-être déplacée. Veuillez me pardonner. Surtout ne soyez pas si tendue en ma présence. Vous êtes la protégée de Chloé et je ne vous causerai aucun tort… puis-je vous aider ?
— C’est que… est-ce que je dois savoir d’autres choses sur moi, mes manières ou mon comportement, ici… ?
— … Vous finirez par vous y habituer avec le temps. Ne soyez pas trop pressée ni trop dure avec vous même. Le temps, vous allez en avoir beaucoup. Je ne peux pas vous chaperonner comme notre ami Frekio, mais je n’ai rien contre votre compagnie. Si vous êtes interessée pour me suivre durant ma ronde. Je pourrais alors vous éclairer sur quelques sujets.
— Merci beaucoup !
— Votre énergie fait plaisir à voir.
Il ne pouvait s’empêcher de les comparer, parce qu’il avait encore l’image de Chloé dans cet uniforme à ses débuts, il avait encore des sentiments forts pour elle, mais elles étaient si différentes, qu’il souriait intérieurement. Il se rendit compte à quel point Chloé réprimait ses expressions et ses ressentis, ce qui n’était clairement pas le cas de Flora qui était enjouée ou intimidée et tous ses états d’âmes se lisaient sur son visage. Puis, elle était plus en chair que sa tutrice. Une poitrine plutôt généreuse et des formes qui remplissaient bien sa tenue. Elle avait des courbes.
Elle put apprendre en regardant Bréto travailler.
Et il avait une aura rassurante, finalement. Maintenant qu’il lui avait dit qu’elle ne devait pas le craindre, elle pouvait se relâcher un peu.
— Je pense que Chloé vous formera à l’art du combat, ou de la magie… elle-même pratique les arcanes, selon votre souhait et vos affinités avec le sujet, elle pourra peut-être vous superviser. Dans l’autre cas, ça sera certainement Frekio. Ce bougre passe beaucoup trop de temps à flâner.
— La magie ? Le combat… ?
— Oui. Nous autres créatures, nous devons apprendre à nous défendre contre certains dangers. Du moins ici. Mais cela sera toujours utile, même en ville.
Intérieurement, elle savait qu’elle avait plus d’affinités avec le combat, et pas seulement parce qu’elle voulait passer du temps avec Frekio.
— Est-ce que vous appréciez votre séjour ici ?
— O-oui. Merci de prendre soin de moi et de m’accepter parmi vous…
— Nous sommes de la même race. Nous devons nous entraider.
— Euh… est-ce qu’il y en a d’autres comme nous ici… ?
— Non.
— Pourquoi… ? Je veux dire, est-ce que… le comte est votre maître aussi… ?
— Oui, et c’est plus complexe que ça… notre maître n’est pas aussi optimiste que Chloé… et moi je n’ai jamais eu d’intérêt de perpétuer notre race. Je suis comblé par le simple fait de servir mon maître. Ce qui explique notre nombre restreint.
Il était sérieux, dur et même un peu froid lorsqu’il donnait des ordres mais en dehors de ce contexte, ses traits se radoucissaient un peu.
Et ce fut flagrant maintenant que Frekio lui avait dit, mais lorsque Chloé revint de sa tâche et qu’elle croisa leur chemin, elle vit le regard de Bréto changer.
Et elle comprit comment Chloé avait pu s’attacher à lui.
— Bréto, Flora !
S’exclama t-elle.
— Chloé.
Le coeur de Flora bondit de joie.
Elle ne savait pas trop pourquoi mais elle était heureuse de la retrouver et elle s’inclina vers Bréto pour le remercier avant de rejoindre sa maîtresse.
Elle avait appris si peu et à la fois beaucoup sur qui était Chloé et elle avait envie de lui poser des questions.
— Merci d’avoir pris soin de Flora durant mon absence.
Dit Chloé en s’inclinant.
Une mèche de sa coiffure s’était défaite et Bréto tendit la main pour la replacer dans ses cheveux.
Son geste était d’une délicatesse que Flora en resta bouche bée.
— Merci…
Murmura Chloé, sans aucune émotion visible sur son visage.
Bréto était également impassible de l’extérieur.
— Sur ce, nous nous reverrons plus tard.
Il s’inclina et s’en alla dans la direction opposée.
Chloé se tourna dans la direction de Flora sans attendre.
— Je suis vraiment désolée de t’avoir laissée seule… !
S’excusa t-elle, les sourcils étant la seule marque d’expression sur son visage.
— Non, ne sois pas désolée ! Je me suis bien amusée ! Frekio m’a tenue compagnie aussi !
— Ah… si tu le dis alors… tu as passé une bonne journée ?
— Oui ! Excellente !
— Est-ce que tu as envie de faire quelque chose en particulier ?
— Hm… retourner dans la chambre ? J’ai plein de questions !
— D’accord…
Sourit-elle.
*
C’était étrange.
La manière dont Flora avait de s’adresser à Chloé. Comme une amie mais qui avait l’air plus jeune.
Aucune marque de respect en particulier, contrairement à elle et son maître.
Elle n’était pas sa maîtresse.
Elle ne s’était jamais positionnée sur ce genre de relation.
Elle la considérait presque comme une soeur, ou comme une présence de grande soeur, ce qui était perturbant vu qu’elle faisait plus jeune.
*
Flora s’était avanturée dans les jardins intérieurs du domaine seule.
Elle souhaitait juste se balader en attendant Chloé et elle ne vit pas le danger venir.
Une autre créature du domaine profita de son insouciance pour l’attaquer. Peut-être pensait-elle qu’une simple servante, surtout nouvelle, ne devait pas être importante et qu’on ne lui prêterait aucune intention s’il lui arrivait quelque chose.
Elle n’eut le temps que de sursauter de surprise puis de peur lorsqu’elle aperçut la silhouette se jeter sur elle vivement.
Elle ferma les yeux et chercha à se proteger.
Un bruit retentit et en rouvrant ses paupières, elle vit Chloé près d’elle.
Elle avait été rapide et elle s’était interposée entre elle et la forme inconnue, qui s’était enfuie au plus vite.
Chloé avait eu le temps de retenir son visage et cela serait rapporté au maître, mais elle ne fit aucun commentaire de plus et se retourna vers Flora.
— Tu n’as rien ?
Demanda t-elle, avec une pointe d’inquiétude dans sa voix.
— N-non, je crois. C’était quoi… ?!
Le coeur battant encore à toute allure, Flora se tenait la poitrine comme si cela pouvait l’aider à se calmer et ralentir son rythme cardiaque.
Chloé avait pris un coup de griffe sur son bras et cela avait déchiré sa manche et sa chair qui dégoulinait sur le sol. C’est le bruit des gouttes s’échouant sur l’herbe qui l’avait interpelée et lorsqu’elle vit les taches et l’état de Chloé, elle se figea. Elle était sous le choc.
— M-mais, Chloé ! Ton bras !!!
— Ah. Ce n’est rien. Ne t’en fais pas. Ca va vite guérir, par contre Erynia va faire la tête lorsque je vais lui amener ma tenue…
— Mais on s’en fiche de la tenue, tu saignes ! Et pas qu’un peu !!!
— Flora, calme-toi, regarde.
Et en un rien de temps, le sang coagula et les flots cessèrent pour cicatriser et la plaie se refermer sous les yeux ébahis de la rousse.
*
Il eut plusieurs épisodes ou Chloé intervint pour protéger et materner Flora qui lui sont gravés dans sa mémoire et qui ont fait qu’elle suivrait Chloé jusqu’au bout du monde. En plus du fait qu’elle l’adorait vraiment.
Elle prit des cours de combats auprès de Frekio et en plusieurs mois, elle avait déjà un bon niveau.
Chloé la testa un peu sur le terrain d’entraînement et elle fut satisfaite de ce qu’elle avait appris.
— Je vois que tes efforts ont porté leurs fruits, je suis fière de toi. Cela te servira si tu veux faire ta vie et être indépendante.
Quelque chose se resserra dans sa poitrine. Elle ne voulait pas partir. Elle était bien en compagnie de Chloé. C’était rassurant d’être à ses côtés. Après tout, cette nouvelle vie lui faisait peur. C’était beaucoup plus facile d’être sous la protection de Chloé, même son but, aurait été de pouvoir protéger Chloé à son tour.
Elle baissa la tête, songeuse, à ces mots. Ne sachant pas comment réagir ni quoi répondre.
Frekio était dans les parages et toussa pour couper ce moment gênant.
Elles restèrent encore quelques mois avant que Chloé ne décide que l’apprentissage de Flora était terminé.
— Je… je ne veux pas être seule… je veux continuer à rester à tes côtés… est-ce que je peux ?
Demanda t-elle, anxieuse. Ses mains avaient attrapé celles de Chloé et se resserraient.
— Ah… bien sûr que tu peux, ça me touche que ma compagnie ne te sois pas désagréable. Tu peux rester autant que tu veux avec moi. Juste, garde en tête que tu n’es en aucun cas forcée de me suivre. D’accord ?
— C’est compris !
2021.01.01