Plusieurs semaines s’étaient écoulées.
Annabelle prenait doucement ses marques, son quotidien commençait à être rythmé par une certaine routine rassurante. Sa nouvelle vie avait un goût différent, elle n’était plus seule, elle se sentait appréciée, peut-être même aimée ? C’était une affection sincère et elle souhaitait rendre au mieux tout ce que Marianne lui apportait. Elle se sentait terriblement privilégiée d’être sous la protection d’une telle personne.
Marianne avait été, au moins, aussi maladroite et perdue dans l’instauration de leur quotidien à deux. Elle n’avait toujours pas réfléchi au rôle d’Annabelle.
Elles décidèrent comme d’un commun accord que la jeune femme s’occuperait des tâches ménagères. La plus âgée se sentait gênée de lui attribuer cette tâche qui aurait pu être considérée comme ingrate, mais la plus jeune insista qu’elle appréciait entretenir leur habitat. Annabelle trouvait que ce n’était pas assez pour occuper ses journées, elle se chargea également de faire les courses et remplir le frigo d’aliments frais.
Elle commença à apprendre des recettes et établir des repas équilibrés aux goûts de sa propriétaire. Elle était devenue, en quelque sorte, son assistante personnelle et elle se sentait comblée d’être ainsi utile à quelqu’un. Pas n’importe qui, une personne qui comptait pour elle, et qui s’occupait d’elle, qui prenait soin d’elle et qui la respectait en tant que personne.
Si c’était ça, être un humain de compagnie, elle l’acceptait avec plaisir.
Marianne mettait à disposition un argent de poche toutes les semaines pour qu’Annabelle ne manque de rien. Elle était libre de sortir de l’appartement, de faire ce dont elle avait envie lorsqu’elle devait s’absenter pour son travail. La seule chose qui l’inquiétait, était de voir régulièrement le porte-monnaie presque intouché.
En l’espace de quelques jours, elle avait compris qu’elle pouvait lui accorder sa confiance et qu’elle était réciproque. Elles avaient décidé d’être honnête l’une envers l’autre.
L’eurasienne avait certainement été trop candide pour y lire la moindre malveillance dans les yeux bleus de sa nouvelle colocataire. Quoiqu’il en soit, cette dernière s’était mis en tête de se montrer digne cette précieuse confiance.
Annabelle apprenait lentement mais sûrement à utiliser son téléphone portable.
La connaissance était à portée de main avec une connexion internet, et Annabelle en profita pour se documenter, dévorer des articles sur des sujets divers et variés, mais également parfois se perdre sur les réseaux sociaux.
Elle comprit rapidement qu’il ne fallait pas en abuser.
L’application de messagerie instantanée était celle qu’elle utilisait le plus souvent.
Demander à Marianne ce qu’elle avait envie de manger pour le dîner.
Recevoir des informations lorsque la cheffe d’entreprise avait des imprévus de dernière minute et qu’elle rentrait plus tard.
Elles apprenaient à faire connaissance petit à petit, échanger des mots et des phrases au fur et à mesure que les jours passaient, une certaine complicité avait fini par se créer.
Elles s’apprivoisaient progressivement.
*
Marianne n’avait pas encore eu l’occasion de dévoiler l’intitulé de son métier.
Elle avait éludé la question à plusieurs reprises, laissant Annabelle dans un certain flou.
Elle craignait trop sa réaction mais elle savait qu’elle ne pourrait pas lui cacher éternellement.
Elle attendait le bon moment, mais plus le temps passait, et plus elle repoussait cette date fatidique.
Ses employées étaient au courant qu’elle avait rencontré quelqu’un, sans savoir exactement qui cela pouvait être ni la nature de leur relation.
Elle avait tellement peur qu’on se méprenne sur Annabelle, sur qui elle était pour elle. Elle n’était pas sous son contrôle, du moins ce n’était pas la relation qu’elle souhaitait. Elle pensait sincèrement que leur lien était plus pur, plus vrai qu’un simple titre de propriété.
Elle avait de l’affection pour Annabelle. Elle pouvait avouer qu’elle l’aimait, d’une certaine manière. Ce n’était pas juste un simple humain de compagnie. Elle souhaitait son bonheur, elle avait envie de la voir heureuse et épanouie, et au dessus de tout cela, elle la considérait comme un humain à part entière. Elle n’était pas sa chose.
Pour le moment, sa bulle était encore protégée de toute perturbation extérieure.
Elle espérait ne pas vivre dans sa propre illusion, et pourtant elle ne voulait pas se réveiller si cela était réellement irréel.
Annabelle était curieuse mais elle avait vite compris que Marianne n’était pas à l’aise pour parler plus en détails de son travail. Elle avait appris des contes pour enfants, elle n’allait pas ouvrir la porte interdite tant que sa propriétaire ne lui autorisait pas. Elle respecta ce secret en attendant patiemment qu’il lui soit dévoilé, ou non.
Elle n’avait aucune raison de la brusquer, si elle devait être mise dans la confidence, cela se ferait en temps et en heure, elle se devait d’être patiente.
Les employés de Marianne avaient eu moins de retenue.
Leur curiosité était insatiable et le changement d’humeur de leur patronne était un marqueur qui avait sauté aux yeux de tous. Elle était plus enjouée et une aura de bonheur planait autour d’elle. Tout le monde souhaitait rencontrer la personne qui avait changé leur Marianne.
— Tu l’amènes quand ?
— Tu lui as dit ?
— Quand est-ce qu’elle vient ?
Ils avaient raison, plus elle attendait et plus le fardeau était lourd à porter.
Un soir, elle décida de mettre le sujet sur la table et proposa à Annabelle de l’accompagner directement sur les lieux, pour qu’elle puisse en juger par ses propres yeux.
*
Marianne serrait la main d’Annabelle dans la sienne.
L’appréhension était palpable. Elle ne se souciait guère de ce qu’on pouvait penser de son établissement, mais l’avis d’Annabelle lui importait.
Elle appréciait Annabelle et ce sentiment semblait réciproque, pour l’instant.
Est-ce que cette découverte allait détruire l’image qu’elle avait d’elle ?
Est-ce qu’elle se mettrait à la détester, pire, et si elle ressentait du dégoût pour elle ?
Rien que cette pensée lui brisait le cœur, elle commençait à se sentir mal, la panique l’envahissait mais elle ne pouvait pas faire machine arrière.
La vérité devait éclater.
Elle ne comptait pas enfermer Annabelle dans une cage fictive pour son bon plaisir, elle ne voulait pas non plus, qu’elle devienne sa marionnette. Au contraire, elle souhaitait qu’elle garde sa propre volonté.
Plus elles se rapprochaient de l’adresse, et plus sa poigne devenait un plus forte.
Comme si elle craignait qu’elle lâche sa main et s’enfuit en courant, avant même d’être arrivées.
Annabelle n’était pas aveugle et le stress de Marianne était communicatif.
Elle en vint à penser si elle devait s’en inquiéter.
Pourquoi Marianne serrait aussi fortement sa main ? Avait-elle peur qu’elle s’en aille ?
Le silence avait été pesant durant tout le trajet, depuis qu’elles avaient quitté l’entrée de l’immeuble jusqu’à leur arrivée, devant le bâtiment où elles se trouvaient maintenant.
Un immeuble ancien de 4 étages, mitoyen des deux côtés dans une ruelle calme. Une grille en fer forgé délimitait une parcelle de jardin composé de quelques buissons et de plantes fleuries. Quelques mètres d’un petit chemin en pierres taillées, et une petite marche avant de pouvoir accéder à la double porte d’entrée imposante.
Lorsqu’elles pénétrèrent les lieux, les employés installés dans différents canapés et divans, les regardèrent sans un mot pendant un instant. Le temps semblait s’être figé, mais dès lors qu’ils virent la main de Marianne dans celle d’Annabelle, ils comprirent immédiatement qui elle était et l’effusion d’enthousiasme explosa dans toute l’entrée.
C’était un tableau riche en protagonistes, de couleur, de sexe, de genre, d’âge différents, habillés de tenues diverses. Chacun avait sa petite touche personnelle, leurs goûts s’exprimaient sans aucun tabou ni gêne, allant de tenues extravagantes à du maquillage exubérant, mais également des personnes aux goûts plus simples et épurés.
C’était au tour de la blonde d’être prise d’une certaine panique.
Elle réalisait petit à petit dans quel endroit elle était, et sa main rendit l’étreinte de Marianne de manière plus prononcée.
Est-ce qu’elle s’était méprise sur Marianne depuis le début ? Est-ce que son but premier était de la revendre ou l’obliger à travailler dans son établissement ? Était-ce une punition ?
Elle qui pensait avoir trouvé un foyer, une place, un endroit sécurisant. Elle n’était plus sûre de rien. Elle restait réaliste, elle ne connaissait Marianne que depuis quelques semaines, un mois, tout au plus. Il était possible qu’elle se soit fourvoyée depuis le début, elle n’avait rien compris et maintenant, elle avait peur d’être abandonnée, qu’elle se débarrasse d’elle dans cet endroit.
— N’aie pas peur, ils sont gentils et ils ne te feront pas de mal. Si c’est le cas, n’hésite pas à me le dire.
Dit Marianne, en se penchant légèrement vers Annabelle pour se faire entendre.
Elle avait sentit la paume d’Annabelle se crisper dans la sienne, et elle tenta de la rassurer comme elle put. Malheureusement, cela n’eut pas l’effet escompté.
— Je dois traiter quelques dossiers urgents, je reviens dans quelques minutes. Fais comme à la maison, d’accord ?
Ajouta la brune, en décollant soigneusement les doigts d’Annabelle de sa paume.
La petite tête blonde était totalement perdue. Elle avait supplié en silence Marianne de ne pas la laisser seule, mais elle n’avait pas compris son appel.
Que voulait-elle dire par « ils sont gentils » ?
Elle resta debout, dans l’entrée, au milieu de paires d’yeux qui la dévoraient. Elle finit par baisser les siens pour fixer ses pieds.
Est-ce qu’elle avait fait une bêtise ? Que devait-elle faire, maintenant ?