Cela faisait presque une semaine qu’elle était là.
Elle avait fait ses visites médicales obligatoires pour compléter son dossier.
C’était une batterie de tests impressionnante : du médecin généraliste, passant par le dentiste, l’ophtalmologue, la prise de sang, le psychologue et même le gynécologue pour savoir si elle était fertile. Elle avait été mesurée de la tête jusqu’au bout des orteils.
Elle s’était rapidement habituée au rythme de son nouvel emploi du temps : rien faire à part méditer et attendre.
Les bruits des pas dans les couloirs, les voix étouffées qu’elle percevait aux alentours.
Cela avait fini par la travailler.
Est-ce qu’elle attendrait longtemps ?
Est-ce qu’elle viendrait à espérer qu’on l’adopte rapidement ?
Est-ce que quelqu’un serait intéressé par quelqu’un comme elle ?
Elle était dans une cage confortable, exposée dans une vitrine.
Elle accueillait l’idée de finir ses jours ici avec une certaine sérénité, c’était même une alternative assez rassurante. L’identité de son futur acquéreur l’angoissait un peu, même si elle essayait de ne pas trop y penser.
Elle s’était persuadée qu’elle ne risquait rien pour le moment.
*
Elle poussa la porte et entra d’un pas assuré.
Les cheveux longs foncés attachés, un grand manteau, un pull au col roulé et un pantalon de costume. Elle dégageait une certaine attitude, elle observait attentivement son environnement, son regard s’attardait parfois sur un détail.
Elle était très propre sur elle et l’hôtesse remarqua immédiatement qu’elle avait une cliente potentielle.
— Bonsoir madame, puis-je vous renseigner ?
Sa voix était mielleuse, elle choisit soigneusement chaque mot pour la mettre en confiance.
Elle était quelque peu perturbée d’avoir cédé à la tentation, mais elle ne montra pas son hésitation. Sa voix était posée, elle salua l’employée et lui posa toutes ses questions.
Elle ne souhaitait pas être en position de faiblesse, c’était risquer de se faire submerger par les techniques de vente de son interlocutrice. Elle devait avoir l’esprit assez clair pour garder le contrôle de la situation.
On lui présenta une tablette électronique sur laquelle figurait un catalogue des humains disponibles à l’adoption. Il était possible de les ranger par différents critères : âge, sexe, couleur de peau. Elle fit défiler les profils et elle en choisit un au hasard.
Plusieurs informations figurait sur la fiche : le poids, la taille, le groupe sanguin, une rapide description de la personnalité et des détails sur la santé mentale et physique.
Elle fut surprise de ne pas tomber sur des profils non-majeurs, et elle en fit part à la vendeuse.
— Nous sommes un établissement sérieux, madame. Tous nos humains de compagnie sont majeurs et ont décidés en pleine âme et conscience d’abandonner leur humanité.
Se vexa t-elle.
Elle était trop curieuse pour rebrousser chemin maintenant.
Elle poussa son expérience un peu plus loin. Elle demanda à les voir en vrai.
La vendeuse fut ravie de l’emmener vers les vitrines qui se trouvaient derrière une porte. Un long couloir dans l’obscurité donnait sur plusieurs vitres où on pouvait apercevoir une cellule individuelle. On la rassura que les verres étaient teintées et qu’elles ne pouvaient pas être vues. Certains humains étaient en camisole de force, d’autres semblaient dans un état second. Elle avait l’impression de visiter un asile. Parmi les cas les plus inquiétants, il y avait quelques personnes normales, ou presque. L’ambiance était particulière, elle ne savait pas quoi en penser. Si cet endroit était respectable, à quoi ressemblait un établissement illégal ?
Ses pas s’arrêtèrent devant une cellule. Une petite tête blonde était allongée en boule sur la couverture du lit. Elle semblait dormir paisiblement. Elle ne put détacher son regard. Il y avait une certaine aura d’innocence et de pureté de voir cette jeune femme assoupie, dans sa bulle, alors que les autres cellules dégageaient d’autres émotions comme la folie, ou le désespoir.
— Vous avez l’œil, c’est notre dernière arrivée. Elle fait partie de nos meilleurs choix, on voit rarement des profils aussi intéressant que le sien. Elle risque de ne pas rester longtemps en vitrine, je peux vous l’assurer.
Expliqua l’employée, voyant l’intérêt de sa cliente.
Elle chercha sa fiche dans le catalogue. C’était une jeune femme tout à fait normale, blonde aux yeux bleus, aux formes généreuses. Son dossier médical n’avait rien d’alarmant comparé aux autres. Son expression était neutre sur sa photo de profil mais elle avait quelque chose de particulier, elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elle était perturbée, elle lui avait tapé dans l’œil. Elle regarda le tarif. Elle hallucina. Était-ce le prix d’une vie humaine ?
Une idée lui traversa l’esprit : est-ce qu’elle serait prête à débourser autant pour l’adopter ?
Les mots de la vendeuse lui restèrent en tête. Des gens étaient prêts à l’acheter et ils auraient certainement beaucoup moins de scrupules et d’hésitations.
Et si c’étaient des personnes mal attentionnées qui abuseraient de cette jeune femme ?
Au prix de l’acquisition, elles seraient dans leur droit.
Elle imagina le pire. Cette vision lui glaça le sang et l’insupporta.
Est-ce qu’elle pouvait sauver cette personne ?
Elle n’avait qu’à oublier sa visite glauque et rentrer chez elle. La petite blonde connaissait certainement les risques lorsqu’elle est venue s’abandonner ici. Elle n’attendait certainement pas l’aide non-sollicitée d’une inconnue.
Elle essayait de se raisonner mais elle sentait le poids de la culpabilité sur ses épaules.
C’était une émotion irrationnelle, elle avait eu un coup de cœur et elle prit une décision irréfléchie. Elle avait le sentiment que si elle s’en allait sans rien faire, elle le regretterait toute sa vie.
*
Elle sursauta.
Elle s’était assoupie et quelqu’un venait de frapper à sa porte.
Elle ne se souvenait plus s’il était l’heure du repas ou d’aller à la douche.
La notion du temps était devenue floue.
Elle fut guidée dans le bureau de la directrice et elle prit peur, craignant qu’elle s’était mal comportée pour être ainsi convoquée.
Sa première surprise fut de voir une personne qu’elle ne connaissait pas.
Une femme aux longs cheveux noirs et aux yeux sombres qui se posèrent sur elle.
La blonde se tourna vers la gérante avec le regard empli de questions et d’incompréhension.
— Félicitations, tu as été adoptée. Voici ta nouvelle propriétaire.
Les papiers administratifs avaient été signés et on leur remit une valise.
Elles étaient maintenant libres de s’en aller.
La plus jeune était perdue, elle ne savait pas comment réagir.
Elle n’avait clairement pas été préparée psychologiquement.
Devait-elle avoir peur ou être rassurée ?
C’était une femme brune plutôt propre sur elle, mais rien ne l’assurait qu’elle était bien attentionnée.
L’humain de compagnie était dans sa tenue qui ressemblait à un pyjama trop grand.
Sa propriétaire la regarda de haut en bas, puis elle retira son manteau pour le lui poser sur ses épaules.
— Je suis garée un peu plus loin, n’attrape pas froid.
Dit-elle tout simplement, tout aussi déroutée par la situation.
La chaleur encore présente dans le manteau était agréable et la réchauffa durant le trajet.
Elles marchèrent quelques minutes dans un silence gênant.
La valise rangée dans le coffre, la conductrice l’invita à s’installer du côté passager.
La petite tête blonde était ébahie par ce qu’elle voyait, le modèle de la voiture et son état de propreté. Elle n’y connaissait rien mais elle était persuadée que ce n’était pas un n’importe quelle voiture. Elle avait l’impression de monter dans un modèle d’exposition. Et si c’était une acquisition toute récente ? Elle aurait pu le croire sans problème.
Le système de chauffage se mit en route, et une petite musique de fond envahit l’espace.
— Tu t’appelles Annabelle, c’est ça ? C’était écrit sur ton dossier… On m’a dit que je pouvais t’appeler autrement… est-ce que ça te dérange si je ne le change pas ?
Commença t-elle, maladroitement.
— N-non, pas du tout…
Répondit-elle, prise au dépourvu.
Elle n’avait pas du tout songé à changer de prénom, et sa question la déstabilisa.
— Ok, moi c’est Marianne. Tu peux m’appeler Marianne.
Elle lâcha un soupir de soulagement et tenta de lui adresser un sourire timide.
La conductrice resta concentrée sur la route jusqu’à destination, laissant la musique comme seul bruit de fond durant tout le trajet.
Annabelle regardait les lumières de la nuit par la fenêtre, perdue dans ses pensées.
Elle avait de nombreuses questions en tête, elle ne savait toujours pas comment se comporter, est-ce qu’elle devait obéir à Marianne ? Est-ce qu’elle allait lui ordonner de faire des choses bizarres ? Est-ce qu’elle allait être embauchée dans une entreprise pour travailler sans salaire jusqu’à la fin de ses jours ? Cette femme avait l’apparence d’une cheffe d’entreprise. Pour le moment, elles s’étaient présentées de manière presque normale.
Qu’est-ce qu’elle attendait d’elle ?
Elles arrivèrent dans un parking souterrain, elles empruntèrent un ascenseur qui les amena dans un couloir avec plusieurs portes. Cela ressemblait à un hôtel de luxe aux yeux d’Annabelle. Elle commença à paniquer. Qu’allait-il se passer ? Est-ce qu’elle serait forcée à faire des choses qu’elle n’imaginait pas avec Marianne ? Elle ralentit et ses pas devinrent hésitants, n’osant pas suivre sa propriétaire. Elle essayait de calmer ses battements de cœur et son angoisse naissante.
Marianne sortit son trousseau de clés et ouvrit la porte.
— S’il-te-plaît… Ne fais pas attention au désordre…
Expliqua t-elle, plus qu’embarrassée.