Aigre doux [PC]

La lumière du jour la réveilla.
Elle ramena son avant-bras sur ses yeux pour les préserver autant que possible de ce halo lumineux.
Un rayon s’était engouffré entre ses deux rideaux et dessinait une démarcation nette dans sa chambre.
Elle se roula sur le côté, puis s’assit sur le rebord du lit.
Les mains posées sur le matelas, elle fixait le parquet, le regard dans le vide.

En face d’elle, son bureau.
Son uniforme était posé sur le dossier d’une chaise.

Elle se leva et se dirigea dans la pièce d’à côté, beaucoup moins éclairée.
Elle attrapa un thermos posé au sol et versa le contenu dans un bac qui était posé sur une table de travail.
De l’eau chaude. Assez chaude pour que de la vapeur s’en dégage.
Le bac à moitié rempli, elle prit une petite serviette qu’elle laissa tremper un instant avant de l’essorer et se débarbouiller avec.
Elle prit un gobelet en bois qu’elle remplit également d’eau.
La brosse à dents et le dentifrice solide étaient à portée de main.
Après ce rituel, elle déversa toute l’eau usée dans un évier, puis versa de nouveau une petite quantité d’eau pour rincer.
La serviette étendue, les objets rangés à leur place, elle retourna dans sa chambre pour enfiler son uniforme après avoir retiré sa tenue de nuit.

Elle chercha son peigne dans le tiroir de son bureau et tenta de démêler ses cheveux légèrement bouclées et sombres.
Ceci fait, elle rangea l’outil et jeta un oeil aux nombreuses feuilles annotées et éparpillées, puis elle se tourna vers l’armoire.
C’était une belle armoire à tiroirs de tailles différentes avec des étiquettes sur les poignées. Elle en ouvrit plusieurs pour en vérifier le contenu.
Des plantes séchées, de toutes sortes.
Certains étaient vides ou presque.
Elle les referma et se dirigea vers la porte.
Son regard s’arrêta un instant devant l’autre chambre.

Vide.
Depuis longtemps.
Quelques années s’étaient écoulées depuis que l’occupante avait quitté les lieux.
Tout était resté en l’état. Elle n’avait pas eu le courage d’y toucher.

Elle prit le panier posé près de la sortie, et poussa la porte.

Elle inspira l’air frais.
Une brise légère soufflait dans le feuillage aux alentours.
Elle marchait sans se presser.
Elle suivit le chemin pour descendre vers la place.

*

Une discussion animée se déroulait dans une pièce fermée.

— Comment on va faire… ?
— Tu es sûr de ce que tu dis ?!
— Ce sont des informations d’en Haut, ce ne sont pas juste des rumeurs.
— On ne peut pas la laisser seule…
— Qu’est-ce que tu proposes… ?
— Sans oublier qu’elle est prédisposée à avoir des problèmes de santé…
— Ce n’est encore qu’une enfant…

— Je vais le faire.

Une voix qui ne s’était pas encore fait entendre, s’éleva et laissa place au silence.

— Tu es sûre… ? Je sais qu’elle est dans ta classe mais-

— Je me propose. Je connais cette petite, je prends cette responsabilité.

La voix était assurée et coupa court à l’argumentation.
Des messes basses se firent entendre mais personne ne contesta sa décision.
Les autres instituteurs ne cachèrent pas leur soulagement.

L’un deux se dirigea vers la jeune femme décidée.

— C’est vraiment gentil de ta part, mais tu sais… rien ne t’y oblige. S’il n’y a personne qui se manifeste, elle sera confiée à des gens de la Haut. Cela ne veut pas dire qu’elle sera mal traitée—

Elle l’arrêta.

— Je ne me sens pas obligé. C’est une décision réfléchie. Je vis seule et il reste une chambre dans mon logement. Merci de t’en soucier.

Elle sourit poliment à son collègue et sortit de la salle.

Elle lâcha un soupir après avoir refermé la porte derrière elle.
Cette ambiance était pesante.
Elle n’avait pas été totalement honnête.
Elle était consciente de toutes les contraintes et de la difficulté à gérer un enfant, mais elle se mettait tout simplement à la place de cette orpheline qui devrait suivre des inconnus après avoir appris le décès de ses parents.
Elle n’avait rien contre les gens de la Haut. Elle ne pouvait juste pas s’empêcher de penser que sa présence la rassurerait, peut-être.
Elle devait maintenant réfléchir à comment annoncer cette triste nouvelle, ainsi que les prochains changements à venir.
Elle releva la tête et se dirigea vers sa salle de classe.

La journée était enfin terminée.
L’institutrice interpela l’élève pour qu’elle reste après qu’elle ait rangé ses affaires.
La classe se vida et il ne resta plus qu’elles.

L’adulte s’approcha et s’accroupit pour lui parler à hauteur égale.

— Papa et maman… ne sont pas à la maison. On va aller chez toi pour récupérer des affaires, et on ira chez moi après. D’accord… ?

Sa voix était douce et rassurante.
Elle cherchait des mots pas trop durs à attendre pour son âge, et en même temps.
La petite fille écouta attentivement sa maîtresse, mais du haut de ses 5 étés, elle ne comprit pas immédiatement la gravité de ses paroles.

— D’accord !
Répondit-elle enjouée.

Le logement était silencieux.
La petite brisa ce calme sans aucune gêne.
Elle alla dans sa chambre et faisait comme à son habitude.
Maintenant qu’elles avaient quitté l’établissement, l’institutrice prit le temps de réexpliquer la situation à l’enfant.

— Papa et maman ne reviendront pas… à partir d’aujourd’hui, c’est moi qui vais m’occuper de toi.
— Ici ? À la maison ?

Elle secoua doucement la tête.

— Non… ça sera dans ma maison, mais on prendra toutes tes affaires pour que tu t’y sentes comme chez toi.
— Ils sont où, papa et maman… ? Pourquoi ils rentrent pas… ?
— … Il s’est passé quelque chose de très très grave… ils ne pourront pas rentrer…

Sa voix était de moins en moins nette. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Elle n’arrivait pas à rester impassible devant cette petite qui ne comprenait pas que ses parents ne reviendront jamais.

— On peut aller les voir ? Je veux voir papa et maman.

L’enfant était désorientée, elle commençait à réaliser que quelque chose n’allait pas.
La vision de la maîtresse s’embua et elle sentit des gouttes rouler sur ses joues.
Elle s’était mise à pleurer et les flots s’écoulant de ses yeux ne semblaient pas vouloir cesser.
La petite se précipita dans une des chambres puis revint aussitôt avec des peluches dans ses bras.
L’enfant s’avança lentement et posa sa tête dans le creu de son épaule.

— Ça va aller… Ne pleure pas…

L’institutrice sanglota et la serra dans ses bras.

Remise de ses émotions, elles rentrèrent avec le nécessaire pour la petite.
La jeune femme prévoyait d’y retourner rapidement pour récupérer d’autres affaires avant que les lieux ne soient vidés et attribués à une autre famille.
Elle lui tenait fermement la main sur le trajet du retour.
Les nouvelles circulaient vite et elle dû affronter les regards et les murmures des passants.
Elle resserra son étreinte, craignant que l’enfant ne soit perturbée par cette rude attitude.
La petite tête brune leva les yeux vers elle et lui adressa un large sourire.
Elle ne semblait pas affectée par ce qui l’entourait.
Elle sautillait, contente d’aller chez sa maîtresse.
L’adulte envia son insouciance un instant, puis elle réfléchit.
Elle accordait beaucoup trop d’importance aux opinions externes.
Elle avait choisi d’être sa tutrice. C’était sa responsabilité à présent.
Toutes ces personnes qui s’appitoyaient sur sa décision étaient en train de la convaincre que c’était un mauvais choix.
Elle balaya ces influences négatives.
Elle souhaitait offrir une chance à cette orpheline perçue comme un fardeau.
Il lui était injuste qu’on condamne une personne au statut d’Ignorae.
Très peu pensaient comme elle, et il était mal vu de s’exprimer sur ce sujet.
Elle ferait de son mieux pour que cette enfant puisse s’épanouir.
Elle releva la tête, et un sourire timide se dessina sur son visage.
Son assurance était revenue.

Arrivées dans son logement, son regard oscilla entre la nouvelle habitante et la pièce vide.
Après réflexion, elle posa les affaires dans sa propre chambre.
Exceptionnellement, elles allaient dormir ensemble cette nuit.
La chambre destinée à être occupée n’était pas du tout prête à accueillir quelqu’un.
Le repas avalé et la toilette faite, la petite se coucha dans le lit de la jeune femme.
Une armée de peluches autour d’elle, et une poignée d’autres entre ses bras.
La journée avait été longue, elle s’endormit presque aussitôt.
Elle s’assit sur le rebord du lit et joua avec les mèches brunes de l’enfant.
De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête, mais elle n’avait pas le temps d’y songer ni de douter.
Elle se releva et sortit sans faire de bruit.
Elle devait se dépêcher de retourner dans la maison de ses parents.
Elle accéléra le pas puis se mit à courir.
Elle pénétra pour la seconde fois dans la demeure, essoufflée.
Sa respiration reprit une allure normale au bout de quelques minutes.
Cette fois-ci, elle prit le temps d’observer les lieux.
Elle se balada entre les meubles tout en cherchant des objets personnels importants qu’elle pourrait ramener.
Elle imaginait cet endroit encore plein de vie et son coeur se resserra dans la poitrine.
La porte qu’elle venait de passer s’ouvrit subitement et deux personnes entrèrent.
Des gens de la Haut. Elle reconnaissait leurs habits.

— Ah— vous devez être la tutrice de la petite ? Essence, c’est ça ?

Une femme aux cheveux blonds attachés en queue de cheval prit la parole.
Elle acquiesça poliment, préférant garder le silence.
Elle n’était pas intimidée mais impressionnée.
Il n’était pas commun de les croiser, et encore plus rare de converser avec eux.
Malgré ça, ils connaissaient son prénom.

— Ne faites pas attention à nous, nous allons faire un tour rapide des lieux et commencer à réunir des affaires.

Elle se hâta à rechercher et réunir ce qui pouvait être important.
Une main se posa sur son épaule, ce qui la fit sursauter.

— Prenez votre temps. Nous allons vous aider.

La femme aux cheveux dorés lui adressa un sourire compatissant.
Leur aide fut précieuse. Ils trièrent devant elle ce qui pouvait l’intéresser.
Ils étaient efficaces. Ils avaient l’habitude.
Elle en profita pour observer l’homme. Il avait des cheveux roux et quelques taches de rousseur discrètes sous les yeux.

— Merci…

Sa voix était faible mais elle tenait à les remercier.
Elle leur adressa un dernier remerciement sur le pas de la porte, s’inclinant légèrement, et s’en alla pour ne pas les déranger plus longtemps.
Une pile de livres, quelques vêtements et autres objets sur les bras.
Il faisait maintenant nuit. Quelques lueurs éclairaient légèrement le chemin.
Elle marcha lentement jusqu’à chez elle, pensant à ces personnes qu’elle ne reverrait certainement pas.

Les jours, les semaines, les mois et les années passèrent.
L’enfant s’adapta rapidement et finit par comprendre que ses parents n’étaient plus.
Les journées étaient bien remplies et sa tutrice lui apportait tout l’amour d’une mère.

Elle n’avait pas encore 10 étés lorsque son état de santé se dégrada.
Essence lui avait parlé de ses parents et surtout de son père qui était malade.
Un mal incurable et dont elle avait hérité.
Elle savait que cela arriverait un jour.
Elle ne pensait pas que cela serait si soudain.
Elle était en plein cours lorsqu’elle sentit une vive douleur dans sa poitrine.
Respirer était devenu pénible.
Elle se recroquevilla, encore assise à son bureau, n’osant plus bouger, espérant que la douleur s’en aille d’elle-même.
Elle bloqua sa respiration.
L’épine invisible était encore présente.
Elle ne pouvait pas rester indéfiniment ainsi.
Ses poumons demandaient de l’air, et elle dû inspirer une grande bouchée d’air qui accentua cette terrible sensation.
Peu à peu, ses camarades posèrent leur regard sur elle.
Le professeur ne remarqua pas tout de suite le problème.
Les élèves restaient silencieux. Ils étaient spectateurs de cette scène étrange.
Elle se sentait beaucoup trop mal.
Les larmes glissèrent sur sa joue et s’écrasèrent sur son cahier.
Ses poings serraient le tissu de ses vêtements. Si elle en avait eu la force, elle les aurait certainement déchirés.
Sa vue se troubla.
Un bruit sourd se fit entendre. Elle venait de s’effondrer sur sa table.

Le professeur soupira puis arrêta son cours.
Il sortit de la salle pour revenir avec une femme aux cheveux d’un brun clair et aux belles boucles retombant au dessus de ses épaules.
L’inquiétude se lisait sur son visage.
Elle avança calmement jusqu’au corps de la jeune fille.
Elle la porta dans ses bras et s’en alla sans rien dire.
La classe reprit.

Elle se réveilla dans sa chambre.
Le souvenir du mal qu’elle avait ressenti dans son corps était encore présent.
Elle n’osait pas bouger.

2020.06.07

Meuble [RolePlay]

Ca y est, elle est arrivée devant la porte du bureau du maître des lieux.
Hésitante, elle se frotte le dos de la main.
Elle se rend alors compte de la moiteur de celles-ci.
Elle s’essuit hâtivement dans son tablier.
Elle prend une grande respiration ainsi que son courage, et attrape le heurtoir au dessus des poignées de la double porte, et s’annonce d’un coup, sec.
Le bruit assourdissant de son geste la surprend, et elle craint d’y avoir mis trop de force.
Elle n’a pas le temps de s’en soucier qu’une voix l’invite déjà à entrer.

« Entrez, mademoiselle Chloé. Je vous attendais. »

La pièce est sombre, quelques halos de lumières perçant à travers les rideaux épais devant la fenêtre lui permettent de profiter de la richesse de la décoration : statues, bustes et bibelots sur les étagères. Elle ne remarque pas tout de suite la présence immobile du comte derrière son bureau. Distraite, elle continue sa contemplation, et oublie la longueur de son uniforme légèrement trop long.
Ce qui devait arriver, arriva. Elle marcha sur un pan de la robe et perdit l’équilibre.
Elle étouffa un cri avant de s’échouer sur le bureau en bois massif.
Ses paumes s’appuyant sur la première surface qu’elle pourrait atteindre, malheureusement elle ne put empêcher le choc de son visage contre le magnifique et solide meuble.
Si ce n’était pas une entrée fracassante.

Empêtrée dans les tissus de son uniforme, elle se relève péniblement, vérifiant qu’elle n’avait pas déchiré sa tenue dans son immense maladresse. Puis en second temps, son propre visage.
Son crâne avait fait un bruit assourdissant, et une marque était maintenant visible sur son front et l’arrête de son nez.
Le comte était assis juste là, devant elle, les mains jointes devant son nez, il était immobile, impassible et avait assisté à toute la scène.
La petite Chloé remarqua sa présence tardivement, la douleur laissa place à la honte.
Elle sentit ses joues et ses oreilles se remplir de son sang chaud, et elle ravala tant bien que mal ses larmes.
Elle avait été ridicule et enchaînait les bourdes depuis son arrivée.
Quelle image le maître des lieux pouvait-il avoir d’elle, à présent ?
Le visage dur et inexpressif de l’homme n’arrangeait rien à son ressenti.

« B-bonjour… ! P-pardonnez-moi… ! »

Bredouilla t-elle, en s’inclinant machinalement aussitôt, oubliant la proximité de sa tête, elle se cogna une seconde fois contre ce joli bureau.
Elle étouffe un gémissement de douleur, en se massant le front une seconde fois.
Elle recule alors aussitôt, pour éviter de reproduire cette erreur.
Dans sa hâte, elle marche cette fois-ci sur le pans arrière de sa robe.
Sa chute est inévitable.

Elle sent alors une présence autour d’elle, la stoppant net.
Des bras l’entourent et le visage d’un homme est à quelques centimètres du sien.

« Bonjour, mademoiselle…Chloé ? Pardonnez-moi. Je crains de ne connaître que votre prénom. »

Elle se retrouve ainsi dans les bras du comte, qui a l’air amusé de cette situation, compte tenu du micro-sourire qu’il a au coin des lèvres et qui a du mal à quitter son visage.
Cette proximité est une aubaine, elle arrive à admirer les traits de cet homme malgré la faible luminosité. Subjuguée par sa chevelure ample et soignée, son teint étrangement pâle mais pas moins beau. Ses mains ne sont plus là pour obstruer le bas de son visage, et son expression est beaucoup moins froide à cette distance. Elle entraperçoit même la blancheur éclatante de sa dentition qui se reflètent un court instant dans les pupilles sombres de la jeune servante.
Sans parler de cette voix envoûtante qui résonne en elle, et entre les murs de cette pièce.
Une voix qui paraissait froide aux premiers abords, grondante et rauque qui laissait deviner qu’il avait l’habitude de contrôler et d’imposer un certain respect, mais également posée et assurée, tellement rassurante aux oreilles de Chloé.
Son regard la transperçait et semblait lire en elle.
Le temps semblait s’être arrêté, et elle avait inconsciemment retenu sa respiration.

Quand soudain, elle sentit un liquide tiède couler de son nez.
Un filet rouge vif se dessine sur son visage, de sa narine jusqu’à ses lèvres.
Elle sent le comte plus tendu, il s’éloigne presque aussitôt qu’elle arrive à se maintenir à nouveau sur ses deux jambes.

« Il faudra faire quelque chose pour cet uniforme, qui est vraisemblablement pas à votre taille. »

Dit-il, préoccupé, et en s’éloignant vers son bureau.

2020.03.19