Aînée

Assise dans sa chambre, à sa table basse, sur son petit coussin.
Elle avait le regard perdu, pensive.
Les cheveux légèrement rassemblés et attachés en arrière, la tête levée, semblant fixer un point sur le mur de la pièce.
Elle aimait être ainsi, méditant, seule, au calme dans son endroit à elle.
De temps en temps, il passait la voir, lui demander si tout allait bien.
Elle lui souriait gentiment.
Lorsqu’il n’avait pas le moral, il savait qu’il pouvait s’imposer quelques minutes, profiter de sa présence et de la sénérité qu’elle dégageait.
Malgré tout, il avait ce privilège, vu qu’ils se connaissaient depuis longtemps, depuis leur enfance.

*

Quelques coups sur la porte.

— Mademoiselle, excusez-moi de vous déranger, nous avons besoin de vous.

Elle savait que sa pause était finie.

— J’arrive.
Répondit-elle avec calme. Sans aucune animosité.

Elle attrapa le long gilet qui était accroché sur le porte-manteau juste à côté de la porte.
C’était la tenue de son poste, un habit porté et passé de générations en générations.
Elle respira profondément une dernière fois avant de franchir cette porte.

Elle analysa les informations d’une grande rapidité. Elle sembla réfléchir pendant quelques minutes, sans rien dire, les personnes autour d’elle attendirent en silence.
Puis elle reprit la parole, avec son calme habituel, un bras appuyé sur la grande table de réunion, et l’autre main en face d’elle, pointant les documents qu’elle avait à sa disposition.
Elle proposait une solution, les yeux rivés sur le bois de la table, puis relevant lentement ses yeux et son visage vers ses interlocuteurs, en attendant sagement leurs remarques et autres commentaires.
Elle avait quelque chose d’adorable, malgré son poste, malgré qu’elle soit la personne la plus importante autour de cette table, elle continuait à se comporter comme une enfant, elle avait gardé son coeur pur et innocent, par moment.
Cela ne l’empêchait pas d’avoir un ton sec lorsqu’elle défendait ses convictions et son point de vue sur certains cas, mais elle était toujours ouverte d’esprit et écoutait et prenait en compte toutes les remarques constructives.
Tous ses prédécesseurs avaient ces qualités, mais chacun avait son caractère et ses manières de faire un peu différentes.

*

Il l’aimait du fond de son coeur depuis leur enfance.
Ils habitaient juste à côté, elle avait une cadette qui paraissait plus mature et plus douée qu’elle mais elle n’avait jamais eu de mépris ou de mots désagréables envers sa soeur. Au contraire, elle était la première à la complimenter.
Cependant elle complexait mais ne le montrait pas en public.
C’est là qu’il la vit, par hasard, en train de pleurer dans un coin loin de chez elle.

— Qu’est-ce que tu fais là… ?
Dit-il avec surprise avant de se rendre compte, lorsqu’elle se retourna, que des larmes coulaient sur sa joue, et que ses yeux étaient rouges.

Elle tenta d’essuyer son visage comme elle le put. Il fut surpris et pensait qu’elle avait mal quelque part, ou qu’on lui avait fait du mal.

— Quelqu’un a été mechant avec toi… ?! Tu peux me le dire, tu sais.

Il avait 5 ans de plus qu’elle et se comportait comme un grand frère.
Cela la fit sourire, et elle lui répondit qu’il en était rien.

— Ne t’inquiète pas, c’est rien.
— T’es en train de pleurer, ce n’est pas rien.
— … Tu me promets de ne rien dire à personne… ?
— Oui, bien sûr.
— Je suis pitoyable, n’est-ce pas ? Je suis l’aînée mais je ne suis pas capable de donner le moindre exemple. J’ai deux mains gauches…

Il fut plus que surpris. C’était la première fois qu’il la voyait aussi fragile. Alors que d’habitude elle prenait les commentaires à son égard avec dérision.

— Ne dis rien à ma soeur s’il-te-plaît. Je ne veux pas qu’elle me voit ainsi… Cela ne lui apporterait rien de plus de savoir que je complexe…

Les larmes avaient recommencé à couler.
Il la prit dans ses bras pour tenter de la conforter.

— Je ne dirais rien à personne. Promis.

Il avait été touché par cette partie de sa personalité, ils gardèrent ça comme leur petit secret. Le lendemain elle agit comme à son habitude, comme si de rien n’était.
C’était depuis ce jour qu’il avait developpé des sentiments à son égard.

Bien entendu, sa soeur était amoureuse de lui. Cela crevait les yeux, et en tant qu’aînée, elle avait toujours protégé sa soeur et fait en sorte qu’elle réussisse. Elle savait qu’elle l’aimait et elle avait rien fait pour se rapprocher de lui, et avait même tenté d’ignorer ses propres sentiments.

Le jour arriva où sa soeur se déclara.
Elle pensait avoir toutes ses chances.
Pourtant, il refusa.

— Je suis désolé, j’éprouve des sentiments pour quelqu’un d’autre…

Elle voulut savoir qui c’était, et il lui avoua.

— Ta grande soeur…

Folle de jalousie, elle s’emporta.

— Qu’est-ce que tu lui trouves ?! C’est une empotée. Je suis beaucoup mieux qu’elle !

Il la giffla.
Elle resta bouche bée, les larmes aux yeux.

— Je le fais parce qu’elle n’osera jamais le faire. Tu devrais avoir honte de penser cela d’elle. Tu ne sais rien de ce qu’elle éprouve.
Je ne lui ai encore rien dit, j’espère que tu ne lui répéteras pas ce que je ressens pour elle.

Il partit sans demander son reste.

*

Après cet évènement, la cadette fit plus attention à son aînée.
Elle s’excusa auprès d’elle d’avoir été aussi égoïste jusque là, sans rien dire des sentiments de leur voisin.
Cela a resserré leurs liens.

Le jour où quelqu’un d’en haut vint chez eux, toute la famille fut surprise d’apprendre que ce n’était pas la plus jeune qui avait été choisie pour être la prochaine personne à reprendre le poste le plus respecté, mais l’aînée.
La petite soeur pleura, son égo en avait pris un coup.
L’aînée ne savait pas comment réagir.

— Vous êtes sûrs que vous ne vous êtes pas trompés de personne… ?
Demanda encore une fois l’aînée.

Elle eut une semaine pour se décider et se préparer pour partir de la maison.
Elle était en âge de reprendre le poste.
Sa famille était fière, et sa cadette également. Peut-être était-ce la première fois qu’elle était aussi fière de sa soeur.
Sa décision était prise dès le premier soir. Pour une fois qu’elle pouvait faire quelque chose pour sa famille, et qu’elle pouvait les rendre tous fier. Elle n’hésita pas une seconde.

*

Lorsqu’il apprit la nouvelle, il crut que son monde s’écroulait. Il ne s’était toujours pas déclaré et il allait peut-être plus jamais la revoir.
Heureusement il était loin d’être mauvais dans son domaine et il put demander à suivre une formation spéciale pour être transféré sur le même lieu de travail qu’elle.
Cela lui demanda du temps mais il réussit.

Le jour où il put enfin entrer dans ce lieu, et qu’il la croisa. Il fit mine d’être surpris.
Elle le félicita, et il dut se retenir de la prendre dans ses bras et de lui avouer ses sentiments devant ses futurs collègues.

Ce milieu n’était pas du tout favorable aux couples, mais il était déjà plus qu’heureux de pouvoir la revoir. Il la redécouvrait sous un nouveau jour.

2016.01.07

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